L’improvisation théâtrale est une pratique artistique et sportive avec une image particulièrement réduite en France. Ces dernières années, il en a été bien plus question dans les médias. En septembre 2014, Mélissa Theuriau, Allan Rothschild et Édouard Bergeon ont eu la bonne idée de proposer le documentaire Liberté, Égalité, Improvisez, qui fait la part belle à l’improvisation théâtrale. On peut y voir cet art sportif à l’école, mais aussi chez les futurs avocats, ou dans les entreprises.
Quelques mois plus tard, au printemps 2015, le premier ministre Manuel Valls, suivi par la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avaient évoqué l’idée d’introduire l’improvisation au collège. Les réactions à cette proposition, en plein débat sur la place du latin au collège, ne se firent pas attendre. Jamel Debbouze fût opposé à Molière, et la lecture à l’improvisation. Le cadre étant posé, l’abcès crevé, les préconceptions explicitées, quid de la réalité ?
À l’étranger, CNN s’en faisait déjà l’écho il y a plusieurs années, en valorisant cette pratique pour les businessmen et businesswomen. Chez nos voisins britanniques, l’improvisation est pratiquée et même prônée au niveau universitaire pour la formation au management à Cambridge. Il y a deux ans, c’était la prestigieuse revue Nature qui avait mis en avant cette pratique après des scientifiques. La formatrice, Dr Raquell Holmes, formée à la biologie cellulaire et à la modélisation mathématique, a développé son activité autour de l’improvisation et des conférences scientifiques. De nombreux étudiants nord-américains, surtout s’ils s’inscrivent dans un MBA, sont amenés à suivre des ateliers d’improvisation.
L’éducation c’est la vie, l’impro c’est tout le reste
En France, l’introduction de l’impro à l’école, vieille de plus de vingt ans, rejoint des objectifs de l’éducation et de l’école de la République.
Apprendre à écouter les autres, respecter son temps de parole, être attentif, aller vers un objectif commun, s’entraider, créer et innover, être flexible, lâcher prise et d’autres exemples du fameux vivre ensemble peuvent être créditées à l’improvisation.
C’est aussi un endroit où l’amour des Lettres apparaît chez de nombreuses personnes. Ceux qui pratiquent déjà cette discipline savent qu’il n’est pas rare de réaliser une improvisation « à la manière de… » Shakespeare, Jean de La Fontaine ou Tennessee Williams.
Cette catégorie, si elle n’est qu’une fraction infinitésimale d’une diversité infinie de pratiques, demande de la culture et des Lettres. Une jolie séquence du documentaire de 2014 retranscrit bien le bonheur d’amener un adolescent à s’intéresser au théâtre classique pour pouvoir être un jouteur habile lors des matches.
L’improvisation à l’université
Quelques exemples nord-américains évoqués précédemment nous incitent à penser que la pratique de l’improvisation théâtrale peut s’étendre au-delà du collège. En juin dernier à Brest, lors du colloque sur les Questions de Pédagogies dans l’Enseignement Supérieur (QPES), j’ai eu l’occasion d’initier quelques pairs et collègues à cette pratique.
Apprendre à dire « oui, et… », une des bases de l’impro, peut se révéler particulièrement utile, que ce soit pendant un cours, lors d’une présentation à un congrès ou, pire, en réunion.
Pour les sceptiques, essayez de débattre avec quelqu’un pendant que chacun débute toutes ses réponses par « oui, et… ». Cela n’assure pas le consensus systématiquement, mais rend plus difficile de ne pas s’entendre.
Plusieurs établissements, dont l’Université d’Angers et l’Université de Picardie Jules Verne, ont introduit cette pratique dans le plan de formation des personnels. Les participants sortent de ces formations avec quelques petites astuces, mais surtout une nouvelle façon d’aborder différentes situations, dans le cadre professionnel, mais également en dehors.
Règles d’improvisation
Le match d’improvisation comporte, contrairement à certaines préconceptions, de nombreuses règles. C’est d’ailleurs ce qui permet tant de créativité selon l’un des fondateurs de l’impro, le Canadien Robert Gravel : « Plus la structure est rigide, plus la patinoire va être fixe, plus l’arbitre va être dur, plus le maître de cérémonie (MC) va être impeccable, plus la folie sera permise à l’intérieur du jeu ».
D’ailleurs, si un improvisateur use de lieux communs, il se voit siffler une faute de cliché. Parmi les autres règles et fautes, citons le cabotinage, le décrochage, la confusion, le manque d’écoute ou la rudesse.
Aussi, en respectant les règles de l’improvisation, à la question de savoir s’il vaut mieux savoir lire, écrire, compter ou improviser, on répondra « les quatre évidemment ! ». Les bons improvisateurs sont d’ailleurs souvent dotés d’une culture générale particulièrement importante, comme ce que certains happy few ont pu voir lors d’un match France-Québec à Paris lors de la dernière coupe du monde d’improvisation, avec une excellente joute « à la manière de Tennessee Williams » qui nécessite a minima de connaître l’auteur et les spécificités de son style. Dans cette même compétition fût également consacré, avec le trophée ad hoc, le bon usage de la langue française.
Au-delà des comédiens, on peut trouver parmi les improvisateurs amateurs ou professionnels, des scientifiques de renommée internationale, des collégiens de banlieue, des lycéens des quartiers chics, des parents, des managers ou travailleurs en recherche de cohésion et de bonheur, des enseignants de tous niveaux, des personnes qui cherchent un loisir agréable, et bien d’autres auxquelles je ne pense certainement pas.
Et maintenant ?
Au-delà de ces ressentis, anecdotes et impressions, chacun pourra se faire sa propre opinion de l’intérêt de l’improvisation théâtrale pour soutenir et entraîner l’éducation.
Les quelques articles scientifiques consacrés au sujet mettent en avant l’amélioration de la créativité et du bien-être des improvisateurs.
Il reste toutefois à répliquer et aller plus loin que ces premiers jalons. L’improvisation, déjà un art et un sport, pourrait-elle devenir une science ? Oui, et… n’hésitez pas à nous contacter si l’idée ne semble pas trop clichée.
Mathieu Hainselin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.
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