Un article de Jean-Marie Gilliot [1], Anne-Céline Grolleau [2], Morgan Magnin [3] et Christine Vaufrey [4] repris des actes du Colloque QPES 2013 (Page 253 à 259).
jm.gilliot@telecom-bretagne.eu
I. INTRODUCTION
Le développement d’Internet entraîne un accès aux connaissances bien plus aisé (voir par exemple [Dréo 2010]). Il permet aux utilisateurs de générer eux-mêmes du contenu et replace les relations entre personnes au centre des pratiques via l’utilisation des réseaux sociaux. La maîtrise de ces environnements nécessite d’acquérir des compétences numériques, appelées également « littératie numérique » [Martin 2006], utiles tant d’un point de vue professionnel que pour l’apprentissage. Si des expérimentations précédentes [Simon et coll. 2008] ont montré qu’il était possible de développer ces compétences dans le cadre d’une communauté collaborative, les cours en ligne ouverts à tous, ou MOOC [Daniel 2012], permettent d’envisager le cours lui-même comme la création d’une telle communauté collaborative pour l’apprentissage.
Forts de ce constat, les quatre auteurs se sont associés pour proposer une première expérimentation de communauté d’apprentissage sous forme d’un cours ouvert, ou MOOC. La thématique de ce cours répond tout simplement à la question de comment apprendre avec Internet. Nous l’avons retenue, car il nous semblait intéressant de la populariser en même temps que se tenait cette première expérimentation. Il s’agit en effet d’un des fondements de l’approche tout en constituant un sujet susceptible d’intéresser un large public. Le titre de ce premier MOOC est ainsi « Internet, tout y est pour apprendre » ou ITyPA. L’adresse du site du cours est http://itypa.mooc.fr. Dans une première partie, nous présenterons les différentes formes de MOOCs existant et nous préciserons pourquoi nous avons retenu la forme du MOOC connectiviste pour notre dispositif. Nous en détaillerons ensuite les éléments principaux, y compris les rôles des participants et des animateurs. Nous terminerons par un bilan sur les participants et l’évolution de leur dynamique de participation tout au long du déroulement de ce premier MOOC.
II. UN MOOC CONNECTIVISTE
MOOC est un acronyme anglais qui signifie « Massive Open Online Course ». Ce type de cours est présenté en Amérique comme une révolution pour l’enseignement supérieur. En proposant cet acronyme dans un cours sur le connectivisme, Dave Cormier, de l’université de Prince Édouard, n’imaginait pas que celui-ci serait appliqué par la suite aux cours en ligne ouverts proposés par les universités américaines. Un MOOC se différencie d’un cours en ligne « classique » par son ouverture. Cette dernière se caractérise notamment par la gratuité et l’accès libre au cours. Ainsi, tout internaute peut s’inscrire à un MOOC. Deux formes principales de MOOCs sont apparues. La première, en droite ligne des cultures numériques, s’appuie sur l’abondance des contenus, donne le contrôle de l’apprentissage à l’apprenant, encourage les échanges et la création de liens. Elle est basée sur la distribution de la connaissance en réseau. En référence au connectivisme que nous allons définir ci-après, on parle de cMOOC. La seconde, popularisée en tête par Stanford et le MIT, revient à mettre en ligne un cours classique avec des contenus prédéfinis et des exercices à rendre dans un délai imparti. La responsabilité du contenu incombe donc à l’enseignant. Cette seconde forme a eu un plus grand impact sur l’offre de formation [5] et donne aux universités américaines un nouvel outil de suprématie. En lien avec l’initiative edX du MIT, on parle de xMOOC Une troisième tend à se développer actuellement [Lane, 2012]. Cette forme met l’accent sur les compétences en demandant aux participants d’accomplir un certain nombre de tâches. Il est ainsi basé sur la tâche et associe instruction et socioconstructivisme. Ainsi, nous pouvons résumer ces trois modèles par l’image suivante : « in an xMOOC you watch videos, in a cMOOC you make videos » [Smithers, 2012] et dans un MOOC basé sur les tâches, on vous demande de réaliser ces vidéos.
Si l’arrivée des universités américaines en 2011 a donné un écho particulier à l’offre de cours ouverts, la première expérience de MOOC date de 2008 et mettait oeuvre les principes du connectivisme [Siemens et Downes, 2008]. En 2004, George Siemens présente le connectivisme qu’il définit comme une nouvelle théorie de l’apprentissage :
« Connectivism is the integration of principles explored by chaos, network, and complexity and self-organization theories. Learning is a process that occurs within nebulous environments of shifting core elements – not entirely under the control of the individual. Learning (defined as actionable knowledge) can reside outside of ourselves (within an organization or a database), is focused on connecting specialized information sets, and the connections that enable us to learn more are more important than our current state of knowing.
Connectivism is driven by the understanding that decisions are based on rapidly altering foundations. New information is continually being acquired. The ability to draw distinctions between important and unimportant information is vital. The ability to recognize when new information alters the landscape based on decisions made yesterday is also critical. » [Siemens, 2004]
L’idée centrale du connectivisme [Downes 2007] est que le savoir est distribué dans un réseau de connexions et qu’apprendre est la capacité de construire et de parcourir de tels réseaux d’apprentissage. Le connectivisme est ainsi construit sur l’idée de l’abondance des ressources et intègre les compétences numériques [Martin 2006], en les considérants comme élément central de l’apprentissage. En mettant en avant l’esprit critique, tout comme [Gilster 1997], il privilégie la confrontation des idées.
En lançant le projet ItyPA, notre ambition était d’explorer les dynamiques d’une communauté d’apprentissage et d’en permettre l’appropriation par un large public, composé de professionnels de la formation, d’étudiants et de tout autres publics. C’est pourquoi nous avons adopté la forme connectiviste des MOOCs. Un second avantage de cette forme est qu’elle nécessite un minimum de moyens techniques et tire pleinement avantage des différentes dimensions d’Internet.
III. UN COURS BASÉ SUR LA DYNAMIQUE DES ÉCHANGES DE LA COMMUNAUTÉ
Le MOOC ITyPa avait pour intention d’accompagner les participants dans la conception de leur environnement d’apprentissage personnel. Pour ce faire, nous nous sommes largement inspirés de l’organisation adoptée par Siemens et Downes dans leur cours CCKO8 [Siemens et Downes, 2008].
1. Un site d’accueil indique les modalités du cours et permet de s’y inscrire, de s’y présenter et d’échanger sur un forum. C’est également le point d’entrée pour accéder au contenu du cours.
2. En accord avec le thème du cours, chaque participant est invité à développer et à contribuer au travers des outils de son choix et particulièrement d’un blogue qui lui permet d’approfondir ses réflexions et son apprentissage.
3. Les contributions de tous les participants sont agrégées et relayées sur le site du cours. Une lettre quotidienne est également envoyée à tous les participants pour indiquer les nouvelles contributions. Nous avons fait le choix d’y présenter une sélection de ressources mettant en avant la diversité des contributions.
4. Le cours, d’une durée totale de dix semaines, est découpé en séquences thématiques. Le rythme du cours est assuré par la proposition d’une thématique hebdomadaire, de quelques lectures d’amorçage, d’activités et de pistes de réflexion. À deux reprises, nous avons proposé des semaines « partage d’expérience » qui invitaient les participants à échanger sur leurs pratiques liées à la thématique de la semaine précédente.
5. La fin de la semaine est marquée par une réunion Web synchrone. Cette réunion s’articule autour du témoignage d’une personnalité reconnue sur le thème de la semaine. Les participants étaient invités à poser des questions en amont sur le forum du site et à réagir en direct via différents réseaux sociaux. Lors des deux semaines « partage de pratiques », nous avons convié des participants à présenter l’avancement de leurs réflexions.
6. Les participants sont eux-mêmes invités à faire émerger d’autres thématiques. Cela permettait à la fois de limiter le fil conducteur des thématiques, de permettre une meilleure appropriation du sujet et d’aborder de manière naturelle des questions plus précises. Les thématiques proposées étaient volontairement très larges pour permettre ce type d’émergence.
Du fait de la nature du cours, les participants ont utilisé de nombreux services Web pour échanger tant de manière asynchrone que synchrone, produire en commun, diffuser leurs résultats. Ils ont également intégré les différentes questions méthodologiques et les connaissances disponibles autour des dynamiques de groupes sur le Web. Si cela était bien l’objectif du cours, c’était également un élément de base du dispositif.
Dans un tel dispositif, le rôle de l’enseignant change et se diversifie. Dans la phase de conception, en plus de la définition du contenu et de son séquencement, du choix des ressources et des activités d’apprentissage, l’enseignant doit prêter une attention particulière à l’environnement d’apprentissage : ergonomie du site, travail sur la présentation du cours, ses principes, son organisation, explication du rôle des participants... Pendant le déroulement du cours, il se trouve ici être principalement un rôle d’animateur. S’il propose des thèmes, il doit permettre l’émergence des préoccupations des participants. S’il suggère des pistes, il peut également alimenter la controverse. Si son rôle est d’accompagner, il doit commencer par s’effacer pour laisser la communauté des pairs s’approprier les questionnements et les demandes d’aide. Parmi les nouvelles fonctions à assurer, on notera également l’importance de développer des compétences en communication : en effet, une bonne publicité préalable pour faire connaître un cours au public visé est indispensable, surtout si le cours n’appartient pas à une institution identifiée, comme c’était le cas pour ITyPA.
IV. BILAN CRITIQUE ET PERSPECTIVES
Dans un premier bilan du dispositif, nous nous intéressons ici plus particulièrement au public de ce cours et aux dynamiques principales que nous avons identifiées tout au long du déroulement de ce MOOC. Le public cible d’ITyPA était toute personne ayant un accès à un Internet et souhaitant apprendre à l’utiliser pour apprendre. Concernant la participation, s’il est difficile de faire des statistiques sur les participants d’une formule ouverte de ce type, nous pouvons constater que 900 participants étaient inscrits avant le début du cours, 1200 au bout d’une semaine et près de 1400 à la fin du MOOC. Sur ce nombre, la part des personnes réellement actives [6] a été estimée à ce jour à environ deux cents personnes. Ce chiffre est en phase avec ce que l’on peut attendre des comportements identifiés dans les groupes de coopération [Cornu 2001], à savoir que, dans un grand groupe, il est naturel qu’une majorité conserve une position d’attente.
Le public était composé d’une part importante de professionnels de la formation (enseignants, conseillers et ingénieurs pédagogiques, responsables de formation, chercheurs en sciences de l’éducation…) dont la compréhension et la pratique d’outils ouverts étaient très variables. Nous attribuons cette surreprésentation à une curiosité à la fois par rapport au phénomène MOOC et à une appétence pour des formes pédagogiques renouvelées ainsi qu’à l’opportunité de pouvoir se familiariser avec les outils Web et autres réseaux sociaux dans un environnement adapté. Cette surreprésentation du monde de la formation est également due à la façon dont l’information sur ITyPA a été diffusée.
Plusieurs personnes en recherche d’emploi ont également été actives et ont profité de l’opportunité d’une telle formation. De plus, ce cours a été proposé comme cours optionnel à des étudiants de deux écoles d’ingénieurs françaises. Malgré la perspective de l’obtention de crédits, la participation a été très variable dans cette population. Une étude spécifique est en cours afin de mieux comprendre ce phénomène. Parmi les pistes considérées, nous constatons un désarroi par rapport à la forme du cours et un manque d’habitude de considérer Internet comme un outil d’apprentissage. Ces deux éléments nous laissent penser qu’un accompagnement spécifique serait nécessaire, réflexion renforcée par des échanges avec l’un des deux groupes d’étudiants. Néanmoins, le groupe d’étudiants interrogé a signalé avoir développé des compétences techniques (création d’un blogue...), méthodologiques (autodiriger sa formation...) et informationnelles (définir sa stratégie de veille...). Ils ont également acquis de nouveaux savoirs (apprentissage social, communautés de pratiques...). L’un des étudiants a conclu son intervention en expliquant qu’avant ITyPA, il allait en cours pour la note ; maintenant, il va en cours pour apprendre.
L’ensemble des participants a commencé par être dérouté par la formule très ouverte du cours. L’ouverture ne concerne en effet pas simplement la possibilité de s’inscrire au cours, mais aussi d’autres dimensions, comme le choix des ressources, des outils, des objectifs et des rythmes d’apprentissage, des personnes avec qui l’on interagit… [Jézégou, 2009]. Cette difficulté avait été anticipée et les premières semaines visaient à permettre une acculturation des participants. La réticence à publier de manière publique et à définir par soi-même ses objectifs d’apprentissage ainsi que la technicité nécessaire à l’utilisation des outils ont par contre été insuffisamment prévenues. La communauté des participants a su apporter, par elle-même, une réponse au problème de l’accompagnement technique. En revanche, les deux premières difficultés, bien que notées dans la description du cours, s’avèrent être des freins à la participation à de tels cours.
A contrario, l’implication d’un nombre suffisamment important de participants a permis d’assurer une animation continue, une grande diversité d’approches et un contenu riche et abondant. On notera ainsi que le choix de construire une capitalisation [7] des apprentissages a émergé des participants. Et trois mois après la fin du cours, les participants continuent à échanger et créer de nouvelles ressources. De nouvelles personnes s’inscrivent et sont accueillies et soutenues par la communauté qui reste donc très active.
V. CONCLUSION
Ce cours confirme une appétence pour explorer les nouvelles dynamiques d’apprentissage rendues possibles par le développement de l’accès aux ressources et les différentes dimensions de l’ouverture. Cette forme semble bien convenir à des formules de cours visant des communautés de pratique ouvertes. Certains participants à ITyPA ont indiqué vouloir proposer de tels cours. Les animateurs travaillent, quant à eux, sur des supports de capitalisation permettant de diffuser le modèle. Les MOOCs constituent une forme de ressource éducative nouvelle avec, aujourd’hui, une diversité d’approches qui pourraient mieux s’articuler à terme. Par rapport aux formules jusqu’ici développées (livres, vidéos…), elles intègrent le déroulement de l’apprentissage et rendent ainsi ces apprentissages plus accessibles.
L’expérience ITyPA nous montre l’intérêt pédagogique d’un cMOOC pour développer la littératie numérique avec le soutien d’une communauté d’apprentissage, tout en soulignant l’importance d’un important travail en amont sur l’ingénierie pédagogique et la conception de l’environnement numérique du cours afin de limiter les freins à l’apprentissage posés par l’ouverture du dispositif. Certains, comme Sir John Daniel [Daniel 2012], parient de plus sur le fait que l’ouverture de l’apprentissage permettra une diffusion des bonnes pratiques pédagogiques et, de ce fait, permettra de revaloriser l’enseignement dans les universités. Il semble donc particulièrement intéressant que ces nouvelles formes de ressources puissent être diffusées dans la communauté francophone. ITyPA, tant par ses choix de construction que par son thème : l’apprentissage par Internet, en constitue le premier maillon.
RÉFÉRENCES
Cornu J.M. (2001) La coopération, nouvelles approches. Publié en ligne. Disponible sur http://www.cornu.eu.org/texts/cooperation. page visitée en décembre 2012
Daniel, J. (2012) Making sense of MOOCs : Musings in a maze of myth, paradox and possibility Seoul : Korean National Open University
Downes S. (2007) What Connectivism Is, Connectivism Conference, University of Manitoba. 2007. Publié en ligne. Disponible sur http://halfanhour.blogspot.com/2007/02/what-connectivism-is.html Page visitée le 7 décembre 2012
Dréo J. (2010) Appréhender la véritable taille de Wikipédia http://blog.wikimedia.fr/apprehender-la-veritable-taille-de-wikipedia-1249 page visitée le 4 décembre 2012
Gilster P. Digital Literacy Wiley 1997
Jézégou A. (2009) Le dispositif GEODE pour évaluer l’ouverture d’un environnement éducatif, Journal of Distance Education/Revue de l’Education à Distance 24, 2 (2010) 83-108 référencé sur http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00489395/
Lane L. (2012) Three Kinds of MOOCs. Publié en ligne. Disponible sur http://lisahistory.net/wordpress/2012/08/three-kinds-of-moocs/ Page visitée le 7 mars 2013
Martin A., DigEuLit : Concepts and Tools for Digital Literacy Development, ITALICS Dec 2006 — Volume 5 Issue 4. eLIT 2006 Special Issue : http://www.ics.heacademy.ac.uk/italics/vol5iss4/martin-grudziecki.pdf
Siemens, G. (2004). Connectivism : A Learning Theory for the Digital Age. Publié en ligne. Disponible sur http://www.elearnspace.org/Articles/connectivism.htm Page consultée le mars 2013
Siemens, G., Downes S. (2008) The Connectivism and Connective Knowledge course (CCK08), référencé sur https://sites.google.com/site/themoocguide/3-cck08---the-distributed-course, page visitée le 4 décembre 2012
Simon G., Gilliot J.M., Rouvrais S. (2008) Apprendre avec le Web 2.0. Colloque QPES 2008. Brest
Smithers, M. 2012. OH : in an xMOOC you watch videos, in a cMOOC you make videos[Twitter]. October 9, 2012. https://twitter.com/marksmithers/status/255562376659730434
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