Un article repris de la revue Distances et médiations des savoirs, une publication sous licence CC by sa
Daniel Peraya, « Émilie Remond, Luc Massou et Philippe Bonfils, Enseignement supérieur et numérique. Mondialisation, mobilité », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 47 | 2024, mis en ligne le 24 octobre 2024, consulté le 28 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/dms/10587 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12jk8
La série Actes, adossée à la revue Questions de communication, publie des actes de colloques organisés ou soutenus par le Centre de recherche sur les médiations (CREM, UR 3476) de l’Université de Lorraine. Ce volume propose une sélection des interventions réécrites et augmentées présentées au colloque TICEMED « Pédagogie et numérique : l’enseignement supérieur au défi de la mondialisation ? » organisé conjointement par le CREM, l’Institut méditerranéen des sciences de l’information et la communication (ÉA 7492) de l’Université de Toulon et le groupe de recherche Trans ERIE de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech (28-30 mars 2018, Marrakech).
Quelques années séparent donc la recension de cet ouvrage de sa publication, du colloque dont il est issu et, en conséquence, des recherches qui y sont relatées. Pourtant les problématiques de la mondialisation et de la mobilité de la formation sont essentielles pour notre domaine et, évidemment, pour DMS bien que notre revue ne les ait que rarement abordées de front. Une recherche par mots-clés dans la revue (« globalisation », « internalisation », « mobilité », « mondialisation ») ne signale qu’un seul article récent, celui de M. Impedovo et V. Symeonidis (2024). [1] La recension de cet ouvrage s’inscrit en conséquence dans la volonté éditoriale d’une ouverture et d’un élargissement du périmètre de la revue à de telles problématiques nouvelles, souhait réitéré lors du dernier conseil scientifique en décembre 2023.
L’ouvrage se compose d’une introduction, co-signée par les directeurs de publication, de trois sections (« Appropriation du numérique et dispositifs mondialisés », « Mobilités en éducation », « Usages locaux ») et enfin d’une tribune offerte à D. Burgos qui, bien qu’annoncée dans l’introduction comme l’ouverture de l’ouvrage, clôt parfaitement celui-ci.
Conceptuellement, les directeurs de publication reprennent à leur compte la définition que propose G. Tremblay (2009) de la mondialisation qui se rapporte « aux échanges internationaux de toute nature, culturelle, démographique, sociale et politique » (p. 8), réservant le terme de globalisation aux seuls échanges et aux rapports économiques. Il sera donc question dans cet ouvrage de structures de la formation universitaire (le système Licence, Master, Doctorat, LMD), de dispositifs de formation (des Mooc, des Spoc, etc.) ou de certains dispositifs potentiellement transposables des pays du Nord aux pays du Sud. La seconde section du volume est consacrée à la mobilité, sous toutes formes (physique ou virtuelle, réelle ou potentielle), bien qu’une véritable construction de la mobilité en tant qu’objet de recherche fasse défaut. Aussi, cette section paraît relativement hétérogène contrairement à la section précédente. Un des intérêts de cette section est de montrer les liens étroits entre mobilité et interculturalité, cette dernière question étant par ailleurs inégalement prise en compte. La troisième section est consacrée à l’usage d’outils numériques dans des « contextes situés ». Si l’une de ces contributions cherche à comprendre l’influence du contexte sur les pratiques y sont déployées, toutes portent principalement sur usages éducatifs des technologies et relèvent d’approches plus classiques, un peu à la marge des deux thématiques principales. Il s’agit de recherches empiriques, pour la plupart exploratoires. Aussi leurs présentations seront-elles succinctes.
La première section débute par la contribution de M. Trestini « Appropriation sociale des Mooc en France. Des cMooc connectivistes aux xMooc transmissifs ». Sur la base d’enquêtes internationales, l’auteur analyse l’évolution des Mooc en France depuis la création de la plateforme FUN Mooc en 2013. À l’instar de ce qui s’est passé au Canada et aux États-Unis, mais pour d’autres raisons, les cMooc ont progressivement laissé place aux xMooc tandis que les modèles actuels tendent à se diversifier. D’après l’auteur, en France, le socioconstructivisme régnant aurait freiné le développement des Mooc connectivistes. Les xMooc ne relèvent pas d’une conception exclusivement transmissive et les caractéristiques behavioristes de certains Mooc (une approche très programmée, découpage de l’apprentissage en tâches faciles à réaliser seul comme ceux offerts sur la plateforme Open Classroms) semblent rencontrer un certain succès auprès de nombreux étudiants et étudiantes. En revanche un projet collaboratif dans le cadre d’un grand groupe semble difficile à mettre en œuvre et à évaluer. Les cMooc auraient cependant l’avantage d’avoir montré l’importance du relationnel dans ces dispositifs et contribué à « humaniser » les Mooc, à resserrer les liens sociaux indispensables à la motivation et au maintien des apprenants dans le dispositif. On le voit, la question de la présence à distance et les compétences communicationnelles qui lui sont associées (elles ont été largement traitées dans la rubrique « Débat-Discussion » tout au long de l’année 2023, dans les numéros 42, 42, 44 et 45) (re)trouvent ici une place centrale.
Deux remarques encore. La première, plus personnelle, concerne la résurgence d’un mythe fondateur du prosélytisme technocentré : les technologies, Internet, comme jadis la télévision par satellite et encore avant la télévision et la radio scolaires, en accroissant ainsi qu’en généralisant leur périmètre de diffusion et d’accès à l’information sont les meilleurs moyens de la massification et de la démocratisation de l’enseignement notamment dans les pays du Sud. De nombreux projets de coopération internationale ont montré les difficultés, voire la faillite, de tels programmes conçus et mis en œuvre à l’initiative des pays du Nord. Les discours relatifs aux Mooc ont largement contribué à ce processus d’idéologisation. La seconde remarque porte sur l’appropriation des Mooc en France. La mondialisation de modèles de dispositifs de formation, le développement et la mise en œuvre de dispositifs « mondialisés » impliquent nécessairement une adaptation aux contextes locaux, quel que soit leur périmètre (dans ce cas, la France par rapport au continent nord-américain) et provoquent souvent des tensions entre le « mondial » et le « local ». Celles-ci prennent alors souvent, surtout dans un contexte de décolonisation, la forme de rapports d’assujettissement, voire de domination.
D. R. Tessy fait de cette problématique le point focal de son chapitre « L’introduction des Mooc dans les universités africaines francophones ». L’auteur pose la question suivante : « Dans quelle mesure les Mooc pourraient-ils reproduire les rapports de domination entre le Nord et le Sud notamment si le financement de ces cours se fait dans un cadre partenarial entre universités du Nord et du Sud ? » (p. 57). Il mobilise le concept politique et éthique de « justice cognitive » proposé par S. Visvanathan (2016) dont on peut retracer l’origine dans les études décoloniales notamment de F. Fanon (1952/1961). Plusieurs recherches dont le projet « Science ouverte en Haïti et en Afrique francophone » (Diouf et Piron, 2015 ; Piron, 2015 ; Piron et al. 2016 et 2017) ont permis d’identifier neuf « injustices cognitives […] qui impactent la production et la diffusion des savoirs dans les universités d’Haïti et en Afrique francophone » (p. 57). L’auteur prend pour objet la plateforme Mooc de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) du Bénin qui propose 38 dispositifs développés par l’École Polytechnique fédérale de Lausanne et 32 conçus par l’UAC.
L’auteur analyse au prisme des injustices cognitives 11 Mooc produits par l’UAC issus de la Faculté des lettres, arts et sciences humaines. Il identifie six types d’injustice cognitive : les modalités partenariales et institutionnelles, dont le financement, qui laissent peu ou pas de place dans les processus décisionnels aux partenaires bénéficiaires du Sud, une prédominance des savoirs universitaires au détriment des savoirs locaux, une « aliénation épistémique », les compétences numériques et l’accès au Web, la langue de la science et des Mooc qualifiée par les acteurs de langue coloniale (le français, l’anglais). Or « l’idéal de justice cognitive propose que les savoirs locaux y compris les langues locales y soient valorisés » (p. 63). Cette analyse apparaît plus radicale que la dénonciation fréquente de la fracture numérique dans les pays du Sud pour laquelle les campus numériques francophones (Agence Universitaire de la Francophonie) ont apporté des éléments de réponse. Elle interroge les fondements mêmes des politiques de la coopération au développement, des partenariats Nord-Sud dans l’enseignement. Dans cette perspective, la conception et la mise en œuvre de Mooc plus justes, « décolonisés », constituent un objectif et un idéal dont l’atteinte nécessitera un processus complexe, assurément long et difficile. Mais il est important de soulever ces questions qui constituent souvent un impensé de nos partenariats et de notre coopération universitaires Nord-Sud.
A. Rossi et D. Frau-Meigs analysent, dans leur contribution, « L’agilité et l’interculturalité en question dans le dispositif global-local du Mooc Pas à pas », le croisement des logiques globales et locales dans le cadre d’un projet européen E-Learning Communication Open-Data (ECO) visant à créer des Mooc sociaux (sMooc), ceux-ci cherchant à concilier les approches connectiviste et socio-constructiviste. Le projet concerne 6 pays européens (Allemagne, Angleterre, Espagne, Italie, Pays-Bas et Portugal) et les cours comme les ressources ont été de plus diffusés dans les modes francophone et hispanophone. Les acteurs « se sont donc trouvés confrontés aux besoins interculturels de la formation universitaire à l’ère numérique transfrontalière et mondialisée » (p. 70), faisant l’hypothèse qu’une méthode de conception et de mise en œuvre permettrait « l’appropriation locale et interculturelle des dispositifs, supports et ressources globalisés » (p. 71).
La portée de la recherche est donc méthodologique : adaptation de la méthode Agile au contexte de l’ingénierie de la formation, intégration de la variable interculturelle lors des cycles d’itération propres à la méthode et modélisation de celle-ci dans ce contexte particulier. Une des difficultés sans doute de cette proposition est la distinction parfois peu claire entre ce qui relève de la modélisation de la méthode et l’appropriation interculturelle des Mooc en local. Les résultats sont mitigés et font apparaître certaines résistances à la méthode elle-même. Parmi celles-ci, on trouve notamment la langue anglaise qui freine les interactions et les adaptations et affecte les échanges sur les forums. Nous relevons cet aspect, car il peut être considéré comme une injustice cognitive et renvoie directement à la thématique traitée par D. R. Tessy dans sa contribution, mais cette fois dans un contexte intra-européen. Malgré les difficultés rencontrées, la recherche débouche sur des perspectives tendanciellement positives : « L’agilité et l’interculturalité semblent se renforcer. Les équipes y gagnent en motivation et en engagement sur la durée du processus. » (p. 81).
Le quatrième chapitre, « Le programme Sésame. Laboratoire d’appropriation d’outils pédagogiques mondialisés » est proposé par R. Courrier. En 2012, Madagascar adopte le système LMD comme structure de son enseignement universitaire. L’objectif de cette contribution est de comprendre les raisons pour lesquelles cette transformation du système universitaire malgache, cinq ans après la décision de sa mise en œuvre, n’est pas encore entièrement réalisée et présente toujours des résistances et des blocages de la part des acteurs dont certains considèreraient l’introduction du modèle LMD à Madagascar comme une ingérence étrangère.
L’auteur part du constat de l’inadaptation du modèle LMD aux compétences des bacheliers formés essentiellement aux compétences de mémorisation et de restitution au détriment du développement de compétences, notamment d’autonomie, de gestion de l’information, de la maîtrise d’outils numériques. Pour pallier les difficultés rencontrées par les bacheliers, l’association malgache Promes et [2] l’Institut européen pour la coopération et le développement (IECD) ont créé le programme SESAM, une formation d’un an destinée à donner aux étudiants les compétences du métier d’étudiant. La première étape a consisté à former l’équipe de formateurs selon une pédagogie non transmissive et non surplombante, en mettant en œuvre des pratiques innovantes (la classe inversée) s’appuyant sur les technologies éducatives. R. Courrier analyse alors la perception des 12 enseignants formateurs impliqués dans le programme SESAM à propos de leur propre métier tel qu’ils l’exercent dans ce programme, de leur expérience passée d’étudiants et enfin du système de formation universitaire malgache.
Les enseignants du programme sont convaincus du bien-fondé de l’approche pédagogique SESAM et persuadés que celle-ci favorise l’autonomie des apprenants dans la mesure où elle les rend acteurs de leur propre scolarité. Ils constatent aussi que cette approche n’est pas en adéquation avec les pratiques pédagogiques des universités malgaches qu’ils ont eux-mêmes expérimentées, notamment en ce qui concerne l’usage des technologies et d’Internet. De plus, au niveau symbolique, la posture même de l’enseignant se trouve radicalement remise en cause par ces pratiques innovantes. La recherche porte principalement sur l’introduction d’innovations technopédagogiques dans le cadre du projet de formation SESAM et sur les différences perçues par ses enseignants entre les conceptions et les pratiques propres à ce programme et celles du système malgache traditionnel. De ce point de vue, elle documente de manière intéressante un programme et son insertion dans le contexte malgache. Cependant, la recherche ne répond pas réellement à la question initialement posée : quels sont les obstacles rencontrés par la généralisation dans ce contexte local du système LMD ? Le processus de Bologne ne visait-il pas avant tout une réforme institutionnelle et structurelle des études universitaires ? Les difficultés observées dans le contexte de SESAM sont-elles identiques à celles que rencontre le modèle LMD ? La réponse apportée (il s’agit d’une « pédagogie visiblement adaptée à une bonne scolarité dans le système LMD », p. 94) ne semble pas suffisante. Enfin, surtout après la lecture de l’article de D. R. Tessy, on sera frappé qu’aucun collègue malgache ne co-rédige cette contribution qui trouve pourtant son origine dans un projet conjoint européo-malgache.
La contribution d’A. Knauf « Accompagnement au déploiement d’enseignements hybrides dans le supérieur au regard de la spécificité de chaque université », clôt cette section. Il s’agit de proposer des recommandations pour le déploiement d’enseignements hybrides au sein d’universités d’Algérie, de Bulgarie d’Égypte et du Liban dans le cadre du projet « Banque de scenarii d’apprentissage hybrides réutilisables et interopérables » (Basar, 2013 à 2016). La particularité de ce projet est de prendre en compte « les caractéristiques administratives, juridiques, politiques et culturelles » (p. 118) de chacun de ces quatre pays et d’adapter les recommandations – regroupées selon ces quatre thématiques, la gouvernance, la pédagogie, les acteurs et les dispositifs – relatives au processus d’intégration, du numérique à ces celles-ci. L’article montre une intégration réussie du local dans un projet multinational :
La force du projet est d’avoir pu aboutir à un comparatif des modes de fonctionnement de chacune des universités partenaires […] et a permis de mener une vraie réflexion sur la gouvernance universitaire pour l’intégration du numérique dans l’enseignement supérieur et sur la reconnaissance des acteurs impliqués dans ces dispositifs d’apprentissage (ibid.).
Si l’article décrit bien les différences entre les universités partenaires, le lecteur aurait aimé trouver des exemples concrets de recommandations contextualisées en fonction des spécificités des universités concernées.
La seconde section débute par la contribution, relativement brève, co-signée par S. Bezzari et J. Eneau, « L’autoformation “mondialoguante” par les TIC au prisme de la mobilité internationale ». Elle traite de l’autoformation de cadres d’entreprise en mobilité, Français et Marocains, aux compétences communicationnelles interculturelles (CCI). L’originalité de cette contribution est de porter l’attention sur les difficultés d’ordre interculturel liées à la mobilité physique, mais il est évident qu’une approche interculturelle aurait toute sa place dans le cadre de dispositifs mondialisés, s’adressant donc à un public culturellement et linguistiquement hétérogène. Une enquête (Bezzari, 2017), portant sur 120 personnes, montre que ces cadres recourent à l’autoformation grâce aux TIC pour pallier les insuffisances dans ce domaine, héritées de leur formation initiale, pour « optimiser la communication interculturelle, maîtriser les conflits et s’épanouir personnellement et professionnellement dans le contexte d’accueil » (p. 126). Les résultats décrivent les comportements des cadres en situation professionnelle interculturelle : apprentissage à partir d’une circonstance particulière qui, par la suite, sert de base à l’élargissement de leurs CCI. Les auteurs insistent sur le caractère transversal et transférable des CCI, contrairement aux approches culturalistes plus localisées et limitées. De plus, le regard porté par les auteurs sur les dispositifs d’apprentissage interculturel par les TIC pour en décrire les dimensions est très intéressant et original : ils mobilisent les trois états du dispositif décrits par B. Albero (2010) : les dispositifs idéel, fonctionnel et vécu. Les auteurs insistent enfin sur la nécessité d’encourager le développement des CCI.
La contribution de S. Bebey, « La classe socio-numérique, une solution pour la pédagogie numérique du Nord au Sud », présente un modèle d’apprentissage collaboratif mixte et inversé déployé dans une classe virtuelle asynchrone sur le réseau Facebook. Il s’agit d’un espace documentaire participatif mis à disposition des apprenants pour la recherche et le partage d’information (p. 135).
La classe Facebook est utilisée en complément de séances de cours du soir présentielles dans le cadre d’une formation à la communication au CNAM. Le dispositif de la classe Facebook a été conçu par des enseignants du Nord et proposé à des étudiants résidant en France bien qu’originaires des pays du Sud (Afrique occidentale, pays latino-américains). Dans la mesure où il s’agit d’une formation présentielle, la thématique de la mobilité n’est donc pas l’objet central de recherche de cette contribution qui porte principalement sur l’usage de la classe socio-numérique. Les résultats des enquêtes relatifs à l’engagement des apprenants (une dizaine), à la perception et au degré de satisfaction du dispositif demeurent très descriptifs et conformes à la littérature. La conclusion selon laquelle une adaptation de ce dispositif créé au Nord serait envisageable pour les pays du Sud (p. 144) apparaît comme une hypothèse que les résultats de la recherche ne permettent cependant pas de valider. Une remarque : le public-cible aurait permis d’évoquer la problématique de l’interculturalité nécessairement présente dans un groupe d’apprenants expatriés en France – en situation de mobilité pour des raisons de formation – de nationalité, de culture et de langue différente.
Le troisième texte, « Pratiques numériques des étudiants mahorais. Approché contextuelle entre insularité et mobilités » est proposé par A.-K. Cheik Ahmed, J. Kernès, E. Delamotte et M. Priolet pose l’intéressante question de la perception de l’insularité, de l’« îléité », au regard des technologies :
Pout les étudiants de Mayotte, la pratique de multiples lieux réels et virtuels, ainsi que les mobilités info-communicationnelles quelle entraîne a-t-elle des conséquences sur leur rapport au leur rapport aux savoirs et à l’apprentissage ? (p. 159).
Les résultats de cette enquête exploratoire indiquent des tensions entre un fort attachement des répondants à l’île et un besoin important de contacts extérieurs dû sans doute à une forte diaspora. L’insularité semble donc jouer un rôle important dans le rapport au monde des habitants, y compris relativement aux technologies. Cette étude exploratoire pose la question des rapports entre mobilité et immobilité, autrement dit de savoir si les pratiques numériques « nous rapprochent d’une société inclusive ou au contraire contribuent à installer des formes de communautarisme » (p. 170).
J.-F. Céci signe le dernier chapitre de cette section, « La mobilité en éducation du collège à l’université, au regard des interactions numériques des enseignants et apprenants ». L’originalité de cette contribution est de proposer une conceptualisation de la mobilité dans l’écosystème éducatif en trois niveaux inspirés des travaux de D. Paquelin (2016) et redéfinis comme la cognitivo-mobilité (niveau micro), la pédago-mobilité (niveau méso) et la socio-mobilité (niveau macro). Dans la seconde partie de sa contribution, à partir d’une enquête empirique menée dans cinq établissements de la ville de Pau, l’auteur a cherché à savoir si le numérique était utilisé comme support de mobilité à l’école. Les résultats restent mitigés :
si le numérique était mieux utilisé dans le système scolaire, correctement intégré aux dispositifs pédagogiques quotidiens proposés (activités, interactions, devoirs et supports numériques), il serait un amplificateur de la mobilité éducative dans son ensemble par effet rebond d’un niveau au niveau supérieur (p. 190).
On pourrait se demander si ces trois types de mobilité définissent bien trois niveaux d’un même objet de recherche ou s’il s’agit de trois objets distincts. Seule une définition de sens commun très large, « la mobilité est un déplacement », permet à notre sens de considérer, par exemple, un changement de posture de l’enseignant comme une « mobilité » posturale (niveau micro) au même titre que la mobilité physique et la flexibilité des parcours de formation (niveau méso, pédago-mobilité). De même, l’effet rebond évoqué par l’auteur présuppose un processus linéaire de passage d’un niveau à l’autre, ce qui n’est à ce stade qu’une hypothèse incertaine. Hall et Hord, (1987), par exemple, ont montré que les enseignants ne franchissent pas de manière linéaire les différents degrés des échelles d’appropriation des technologies.
Le premier chapitre de la troisième section est celui de S. Khezami, M. Durampart et W. Barroy « La fabrique d’une formation renouvelée. Enjeux des apports du numérique dans un contexte situé et différencié ». Les auteurs interrogent la place de l’apprenant acteur de son apprentissage dans le cadre de l’Université virtuelle tunisienne (UVT). Ils postulent que
[celle-ci ainsi que] les comportements d’apprentissage autorégulé sont étroitement liés à de la conception des cours, de l’usage de la plateforme pédagogique et donc à la stratégie mise en place par les tuteurs/concepteurs. Cette dernière est à son tour étroitement liée à la politique de l’institution (p. 200).
Les résultats de la recherche montrent les difficultés de concilier les modèles innovants en matière de pédagogie et d’apprentissage d’une part, les conceptions et les structures organisationnelles de l’institution d’autre part. Concrètement, la volonté des apprenants de collaborer, de s’autonomiser et de s’autoréguler se heurte à la rigidité d’une plateforme dont les composantes sont perçues comme moyennement ouvertes et fort peu centrées sur les apprenants et sur leurs activités. Si la conclusion selon laquelle l’apport de dispositifs numériques ne suffit pas à déployer l’innovation pédagogique que ce soit au Nord ou au Sud, ne nous étonne pas, la proposition de « fabriquer une dynamique sociotechnique […] qui relie les intentions et les contextes organisationnels, les médiations et les techniques » (p. 206) a fait depuis son chemin.
B. Szafrajzen et L. Rivière proposent une « Étude des usages du numérique. Le cas d’un cours de bachelor d’une école supérieure de commerce ». Il s’agit, pour les auteurs d’analyser les usages de produits pédagogiques numériques (PPN) quatre années après l’introduction d’un dispositif d’enseignement à distance s’appuyant sur Moodle, dans l’école de commerce, sans doute de Montpellier [3]. L’enquête porte le cours de géopolitique internationale et son portail consacré au Moyen-Orient. Les résultats de cette étude exploratoire montrent notamment que les ressources, quel qu’en soit le type (conférences vidéo, lectures obligatoires, etc.), sont relativement peu consultées par les apprenants (entre 44 % et 23 % selon le type de ressources), mais que ceux et celles qui réussissent aux épreuves d’évaluation sont ceux qui se connectent le plus souvent aux ressources (un taux de connexion supérieur de 15 % à 30 %). Par ailleurs, la majorité des apprenants se montre globalement insatisfaite des ressources numériques mises à disposition, comme d’ailleurs de l’e-book, une synthèse des contenus jugés indispensables par les enseignants pour leurs cours. Que les données recueillies soient de nature déclarative ne suffit sans doute pas à expliquer, comme le font les auteurs, les limites de cette recherche. La focalisation sur le développement de PPN a sans doute masqué l’influence d’autres aspects, personnels, organisationnels et institutionnels.
Dans sa contribution « Les approches de la transcription automatique de la parole. Du cours magistral à la production collaborative de contenus pédagogiques », R. Crétin-Pirolli décrit une recherche menée dans le cadre du projet ANR PASTEL [4]. Il s’agit de tester le potentiel pédagogique de la transcription automatique de la parole de l’enseignant et des échanges qui prennent place dans le cadre de séquences de formation instrumentée au sein de Spoc. Deux situations pédagogiques sont donc envisagées, le cours magistral et de séances de travail collaboratif lors de travaux dirigés. Une enquête préalable a permis d’identifier les pratiques en cours et les besoins des usagers ; ses résultats ont servi à définir les fonctionnalités du prototype de l’EIAH qui serait développé et testé. Les remarques des usagers recueillies lors d’un focus group d’évaluation ont fait apparaître de nombreuses critiques d’ordre pédagogique, didactique et technique. Parmi celles-ci, nous relèverons que les ressources générées automatiquement provoquent un split attentionnel durant l’exposé de l’enseignant. Mais il s’agit d’abord d’une recherche fondamentale en informatique qui met en évidence des tensions entre ses objectifs propres et les pratiques pédagogiques, celles-ci éclairant leurs dimensions structurantes.
C. Ouellet, A. Boultif et L. Bergeron cosignent la contribution « Évaluation de la lecture sur support numérique. Un dispositif à transposer en milieu universitaire ». Les auteurs rappellent la complémentarité des compétences en lecture sur support papier et support numérique ainsi que les spécificités des compétences en lecture numérique hors ligne et en ligne. Ils présentent les résultats de l’évaluation des compétences en lecture numérique d’élèves à partir de leur adaptation française de l’instrument d’évaluation ORCA (Online Reading Comprehension Assessment) (Coiro et Dobler, 2007 ; Coiro, 2012 ; Leu et al., 2013). Celui-ci porte sur quatre compétences essentielles : rechercher l’information, évaluer et avoir un regard critique sur les sources, synthétiser une ou plusieurs sources, enfin communiquer et manipuler l’information. Après avoir exposé les résultats de l’enquête empirique qui mettent en évidence les compétences et les difficultés des élèves, les auteurs plaident pour la mise en œuvre du modèle ORCA pour évaluer les compétences de lecture en ligne des étudiantes et des étudiants des universités dans la mesure où la numérisation des ressources numériques en ligne s’est largement généralisée.
La dernière contribution, « L’utilisation de l’expérimentation assistée par ordinateur en chimie. Cas du titrage acido-basique » [5] est proposée par S. Bargoum, S. Merrou et K. Berrada. Les auteurs relatent une expérience comparée du titrage du pH entre la méthode classique d’une séance présentielle de laboratoire physique et un dispositif virtuel et distant de type Microcomputer-based Laboratory. Cette expérimentation réalisée à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech vise à tester le potentiel de cette seconde méthode dans un contexte économique, organisationnel et structurel difficile : importante augmentation des étudiants en bachelor, faible ratio enseignant/étudiants et mesures de restriction prises par le pouvoir de tutelle. L’expérience est concluante et semble même permettre d’arriver au même résultat en moins de temps :
This technology allows the theory to be compared with experience which may lead the students to correctly interpret the results obtained experimentally. (p. 265)
Pour clore le volume, dans sa tribune, D. Burgos invite le lecteur à être créatif et à innover sans tarder, à soumettre l’enseignement à une cure « transgénique », à en faire, métaphoriquement, un « organisme génétiquement modifié ». L’une des principales mutations serait d’intégrer les (in)formations informelles dans l’éducation formelle. Les Mooc, certes, mais aussi les ressources éducatives libres auraient un rôle important à jouer dans ce processus.
Étant donné les délais de publication, certaines recherches commencent à dater et certains résultats paraissent moins originaux aujourd’hui, mais le volume a le mérite de soulever des questions fondamentales et toujours actuelles, celles de l’acceptation et de l’appropriation des dispositifs de formation mondialisés, de la mobilité et de l’interculturalité. Gageons que DMS fera siennes ces problématiques.
Bibliographie
Hall, G. E. et Hord, S. M. (1987). Change in schools : Facilitating the process. Albany, NY, State University of New York.
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