Bonjour Christelle, vous avez conçu et animé le MOOC « Paroles de FLE » à l’automne dernier.
Pouvez-vous nous dire qui vous êtes ?
Je suis enseignante de français langue étrangère à l’IRFFLE et actuellement en thèse de doctorat en didactique des langues et cultures à l’INALCO où j’ai fait tout mon parcours de formation. Le projet de MOOC « Paroles de FLE » est un projet expérimental de l’Université de Nantes qui a été mis en place en novembre 2015. Ce projet a été développé à l’aide du SPIN (Service de Production et d’Innovation Pédagogique), Damien Aubert, notre spécialiste local en MOOC, le SUP (Service Universitaire de Pédagogie) et deux conseillers scientifiques. Le principe du MOOC proposait un enseignement du FLE autour de thèmes variés et d’interagir avec d’autres locuteurs de français.
Pourquoi ce projet de MOOC en français langue étrangère (FLE) ?
Ce qui m’a motivée pour me lancer dans un tel projet, c’était de comprendre comment les MOOC pouvaient servir l’enseignement/apprentissage des langues. Comment utiliser ce type de dispositif pour répondre à des contraintes fortes : l’aspect massif, l’ouverture, l’absence de contrôle de pré-requis ? Comment prendre en compte la variabilité des profils linguistiques et des processus des participants dans un tel dispositif ? En bref, je cherchais à mieux percevoir le rôle que cet « épiphénomène » (Moeglin, 2014) technologique pouvait jouer dans l’apprentissage du FLE et à vérifier la validité du modèle proposé dans ce contexte.
Pourquoi avoir choisi cette méthode , le MOOC ?
Le choix du modèle MOOC était un peu un défi. Il s’agissait de tenter de « délinéariser » la plateforme OpenEdX utilisée par FUN, de contourner les contraintes du dispositif et des outils technologiques mis à disposition, afin de les adapter pour proposer des ressources variées au choix de l’apprenant et les inciter à être acteurs de leur formation. Nous souhaitions proposer aux participants de faire varier les méthodes d’apprentissage et de sélectionner, parmi différentes activités, celle qui leur convenait le mieux et de comprendre pourquoi. Mais nous voulions également que les participants échangent entre eux sur les méthodes utilisées, dans le but de mieux prendre conscience des processus mobilisés pour apprendre. Nous avons agencé des macro-tâches et des micro-tâches de complexité différente pour un traitement axé sur le sens.
En bilan de chaque semaine de cours, outre le forum qui favorisait l’échange, des questionnaires s’adaptaient au profil des participants pour fournir une rétroaction personnalisée. L’étayage se situait sur plusieurs niveaux avec une médiation technologique, mais aussi entre pairs et par l’équipe pédagogique. Au final, le dispositif repose sur trois axes principaux :
- une pédagogie sur le modèle de Freinet avec un minimum d’interventions magistrales dans le but de favoriser la découverte du travail collaboratif ;
- des situations problèmes (travaux de Meirieu, 1989) qui nécessitent la réalisation d’opérations successives en alternant tâches complexes et micro-tâches vraisemblables (Ellis, 2003 : 3 et 10) ;
- un parcours dont la connaissance n’était pas « totalement » organisée et planifiée par l’enseignant (Jaillet, 2004) mais qui était volontairement laissé ouvert à l’initiative et l’auto-organisation des participants.
La souplesse et la conception du dispositif permettaient de répondre aux besoins des futurs apprenants dans une démarche pro-active mais aussi de prendre en compte le nombre important de participants et la durée réduite de la formation (5 semaines). Nous avons cherché, dans les situations proposées, à favoriser la mise en place d’un système métacognitif d’auto-contrôle.
La place de l’individu en tant qu’apprenant dans un MOOC est d’autant plus à prendre en compte qu’un tel cours s’adresse à un nombre massif de participants. Pour cela, la méthode choisie favorisait une prise en compte de la variabilité des profils tant individuel que linguistique et des processus d’apprentissage (LeDoux, 2003 : 38).
Qu’est-ce qui vous a particulièrement attiré, intéressé dans cette technique ?
L’utilisation de ce média technologique comme un moyen de réfléchir à l’enseignement de la langue, car il peut permettre la correction, l’analyse, la manipulation d’actes de langage et ce afin de produire du sens. Mener une pratique réflexive dans le contexte du MOOC est une expérience enrichissante.
Comment avez-vous procédé pour monter ce MOOC ?
Le développement du projet a duré presque 1 an, entre les premiers dépôts de ressources sur le bac-à-sable de la plate-forme FUN [Ndlr : espace de tests], la mise en forme, la création des ressources et la structure du cours. Il est difficile de quantifier le travail réalisé, mais le temps de travail pourrait être estimé à environ 800 heures. Le SPIN a fourni à la fois un support technique et pédagogique y compris toute la gestion de la mise en œuvre même du MOOC sur FUN, le SUP nous a donné de précieux conseils dont l’idée de proposer les tâches sous le nom de « défi » qui a bien plu aux participants. La réflexion pédagogique s’est articulée en deux temps, avec des propositions de « séquences de cours » que je structurais sur le bac-à-sable, validées ensuite lors de rendez-vous réguliers avec les conseillers scientifiques et enfin revues puis finalisées par le SPIN. Très rapidement, nous nous sommes orientés vers une organisation du cours portée par un contexte dans lequel l’utilisateur (les participants) apporterait aux activités la pertinence des activités prescrites. Il faut aussi remercier les tuteurs qui ont animé le forum. Surtout, nous avons réussi à mieux prendre en compte l’activité des forums grâce au concours précieux d’un informaticien du projet CominOpenCourseWare de l’université. Dès le départ, le principe d’un xMOOC dit « transmissif » ne semblait pas convenir à l’enseignement d’une langue. Nous avons donc tous ensemble cherché à mettre des moyens techniques au service d’un dispositif qui suggérerait sa propre utilisation.
L’accompagnement du SUP et du SPIN ont été des éléments clés de la mise en œuvre du projet. Sans cet accompagnement, il était impossible de lancer ce projet.
Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
Côté enseignant, les contraintes imposées par ce type de dispositif, à savoir l’aspect massif et ouvert, ouvrent la porte à une nécessaire réflexion sur la place de l’apprenant et sur la manière d’apprendre. Guider les apprenants dans une formation auto-dirigée est une expérience enrichissante.
Côté étudiant
Les enquêtes ont révélé que les participants étaient très satisfaits et, avant toute chose, ils ont eu le sentiment que le MOOC leur avait permis de progresser en français. Ce dernier point est une agréable surprise pour un cours qui s’est étendu sur seulement 5 semaines.
Avez-vous prévu d’apporter des modifications au MOOC ?
Oui, nous prévoyons d’accroître le travail collaboratif de manière à renforcer « l’accompagnement » du dispositif et l’étayage en réaction à des actions des pairs. Nous tenterons aussi de compléter le dispositif en proposant une meilleure préparation à l’évaluation formative par les pairs pour la mettre au service de l’apprentissage pour la prochaine session du MOOC.
Finalement, que retenez-vous ?
Le MOOC sert la francophonie auprès de nombreux pays (140 nationalités déclarées) et permet de mieux comprendre le rôle de l’apprentissage informel. Le challenge est de faciliter l’apprentissage, de mettre en œuvre une pédagogie moins prescriptive afin de trouver des solutions créatives dans ce type de dispositif.
Le défi était aussi de contribuer à la formation en français des participants du MOOC sur 5 semaines de cours auprès d’un public très divers, de niveaux tous différents et qui a participé à ce cours sur son temps libre. Selon les résultats de l’enquête de satisfaction, cet objectif a été largement atteint. Le sentiment de progression que les participants ont exprimé « valide » en partie la conception pédagogique du MOOC.
Cependant, il reste difficile, pour l’enseignant de toute formation à distance et surtout dans les MOOC, de percevoir les éléments tangibles à partir desquels il sera possible de mieux se représenter l’activité des participants. Seuls les participants engagés ou « actifs » (voir l’article sur les MOOC de Damien Aubert) fournissent ces éléments. Par conséquent, seule une analyse des usages des participants en procédant par petite touche et en cherchant les éléments sur lesquels il est possible de s’appuyer permettra de mieux comprendre le rôle que peut jouer un MOOC au sein des formations en langue. Pour mener une pratique réflexive en didactique des langues sur le MOOC « ¨Paroles de FLE » et planifier la session 2, il sera sans doute « pertinent d’étudier les variations, et la régularité dans la variation. Il reste donc au chercheur à expliciter son positionnement en fonction du contexte où il œuvre en référence à des théories (Bachelard, 1938), puis, en fin de recherche, à s’assurer que ce positionnement n’a pas été invalidé, et ceci s’impose en recherche autant que dans la mise en œuvre de projets. », (Jean-Paul narcy-Combes, 2014 : 27).
Références :
- Ellis, R. 2003. Task based Language Learning and Teaching. Oxford : Oxford University Press.
- Jaillet Alain, « Peut-on repérer les effets de l’apprentissage collaboratif à distance ?. », Distances et savoirs 1/2005 (Vol. 3) , p. 49-66 URL : www.cairn.info/revue-distances-et-savoirs-2005-1-page-49.htm. DOI : 10.3166/ds.3.49-66.
- LeDoux, J. (2003), Neurobiologie de la personnalité, Paris, Odile Jacob.
- Moeglin, P. (2014), « L’enseignement supérieur au défi du numérique. MOOC : de l’importance d’un épiphénomène », Futuribles, n° 398 (janvier-février 2014), p. 5-21
- Narcy-Combes J-P., « Conflits éthiques et épistémologiques au niveau des interventions » in Babault S.et al. Contextes global, contexte locaux- Tensions, convergences et enjeux en didactique des langues, 2014, pp 25-40. URL http://fipf.org/sites/fipf.org/files/actes_colloque_contexte__global_et_contextes_locaux_sorbonne_nouvelle_paris_3_2014.pdf
Accéder au site du MOOC « Paroles de FLE » : https://www.france-universite-numerique-mooc.fr/courses/univnantes/31001/session01/about
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