Un article repris de la revue Distances et médiations des savoirs, une publication sous licence CC by sa
Cécile Benoit-Lafarge, « Dorothée Cavignaux-Bros, Philippe Carré et Solveig Fernagu Oudet, Ingénierie pédagogique et numérique. Une analyse selon l’approche par les capabilités », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 47 | 2024, mis en ligne le 17 octobre 2024, consulté le 28 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/dms/10563 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12jk6
Dorothée Cavignaux-Bros, Philippe Carré, Solveig Fernagu Oudet (2023) Ingénierie pédagogique et numérique. Une analyse selon l’approche par les capabilités. L’Harmattan. Éducations et sociétés, 978-2-336-42383-8.
Depuis quelques années, la transformation numérique modifie le paysage de la formation professionnelle et continue, en imposant une révision des pratiques pédagogiques pour répondre aux besoins des apprenants et aux attentes des institutions. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’ouvrage de Dorothée Cavignaux-Bros « Ingénierie pédagogique et numérique : Une analyse selon l’approche par les capabilités ». Cet ouvrage arrive à un moment où les établissements de formation sont de plus en plus nombreux à demander à leurs formateurs de repenser leurs méthodes d’enseignement à travers l’utilisation des nouvelles technologies.
Face à cette transformation, de nombreux établissements incitent leurs formateurs à intégrer ces nouvelles technologies dans leurs enseignements, souvent via des séminaires d’acculturation. Cette dynamique reflète un changement de paradigme, où le numérique n’est plus seulement un outil mais un moteur de la transformation pédagogique.
Dorothée Cavignaux-Bros, est spécialisée dans le domaine de la formation tout au long de la vie. En tant que responsable de recherche au laboratoire Innovation R&D de l’université d’entreprise IFCAM du groupe Crédit Agricole et enseignante à l’Université Paris Nanterre, elle allie une expertise académique solide à une pratique professionnelle ancrée dans la réalité des enjeux actuels. Ses travaux, enrichis par une expérience dans le secteur privé et associatif, se concentrent sur l’ingénierie de formation, l’impact du numérique sur l’éducation, et la formation pour adultes.
L’ouvrage, publié en 2024, se déploie sur plusieurs chapitres, chacun abordant des aspects de l’ingénierie pédagogique dans le contexte numérique, tout en s’appuyant sur l’approche par les capabilités. Cette théorie, qui met l’accent sur les possibilités des individus à réaliser les modes de vie qu’ils valorisent, est au cœur de l’analyse de Cavignaux-Bros.
Tout d’abord, elle explore l’évolution de l’ingénierie pédagogique à l’ère numérique. Elle met en exergue comment le numérique transforme les rôles des enseignants et des apprenants, favorisant une approche centrée sur l’apprenant. Cette évolution est marquée par l’émergence du terme « expérience utilisateur » pour décrire ce nouveau rapport à l’apprentissage. Ce chapitre analyse la diversification des modalités d’apprentissage, désormais réorganisées en 5 phases : analyse, design, développement, implémentation et évaluation. Cette transformation des pratiques pose de nouveaux défis, notamment en ce qui concerne la montée en compétences des enseignants, qui doivent s’adapter à ces méthodes numériques.
S’appuyant sur l’étude d’une collecte de 246 annonces de recrutement, entre 2009 et 2018, l’auteure s’intéresse à l’ingénieur pédagogique du point de vue des organisations, en particulier en ce qui concerne l’évolution de l’utilisation du numérique. Elle y décrit les compétences désormais attendues de ces professionnels : maîtrise des outils numériques, compétence en anglais et en bureautique, production de supports de formation variés, et conception asynchrone. Les missions de l’ingénieur pédagogique incluent aussi la gestion de projet et le travail en équipe, ce qui montre une évolution vers des profils polyvalents, capables de naviguer dans un environnement numérique complexe. D’après l’auteure, le rôle des ingénieurs pédagogique semble plus développé dans les structures anglo-saxonnes qu’en France.
Ensuite, elle présente le cadre conceptuel de l’approche par les capabilités et propose des méthodes pour aligner l’ingénierie pédagogique numérique sur cette approche. Le concept des capabilités provient du domaine économique et est développé par Amartya Sen dès 1979, de manière philosophique. Cavignaux-Bros distingue capacités et compétences : tandis que les compétences se réfèrent aux attentes de performance prédéfinies dans des activités professionnelles, les capabilités concernent le potentiel d’une personne à réaliser ses aspirations, qu’il soit pleinement exploité ou non. L’auteur insiste également sur l’importance des capabilités ergonomiques, soulignant que la conception pédagogique doit partir des besoins et aspirations des apprenants, plutôt que des contraintes institutionnelles ou techniques, avec des dispositifs suffisamment flexibles pour s’adapter aux divers contextes des apprenants. Enfin, l’évaluation formative et sommative est repensée pour prendre en compte la diversité des capabilités développées et les facteurs personnels des apprenants, au-delà des simples acquis de connaissances, en adoptant une approche empirique centrée sur les individus, permettant ainsi de dégager des généralisations transversales utiles pour comprendre les dynamiques spécifiques des contextes éducatifs.
Ces exemples permettent de comparer les attentes formulées dans les annonces de postes avec le travail effectivement réalisé sur le terrain par les ingénieurs pédagogiques. Ces exemples montrent la diversité des approches et méthodes de travail, ainsi que l’émergence de conceptions multimodales ou hybrides. Ensuite, l’auteure examine les ressources comme un écosystème interconnecté, où les ressources humaines et matérielles se complètent mutuellement, classées en formelles ou informelles. L’auteur propose quatre facteurs de conversion (environnementaux, sociaux, personnels et positionnels) en lien avec l’utilisation du numérique par les ingénieurs pédagogiques. Enfin, les logiques d’action et les choix personnels sont analysés, révélant que ces dynamiques peuvent être orientées vers la production efficace ou vers l’expérimentation et l’apprentissage, influencées soit par des forces intrinsèques à l’individu, soit par des contraintes externes.
Enfin, l’ouvrage présente des perspectives d’évolution pour l’ingénierie pédagogique numérique, en abordant les défis à relever pour généraliser cette approche où le numérique est un support à la personnalisation autour de l’apprenant, et en tirer le maximum de bénéfices. Elle insiste sur l’intégration institutionnelle de l’ingénieur pédagogique, tant en France qu’à l’international, et souligne l’importance croissante du numérique dans cette profession. L’évolution des compétences requises est également discutée, avec une attention particulière sur la formation des ingénieurs pédagogiques pour qu’ils puissent concevoir et mettre en œuvre des dispositifs alignés sur l’approche par les capabilités.
En conclusion, l’auteure appelle à une transformation des pratiques de formation pour mieux répondre aux enjeux contemporains de l’éducation, en mettant l’accent sur l’expérimentation et l’ajustement des activités selon les capabilités des acteurs. L’ouvrage propose ainsi certaines perspectives sur l’ingénierie pédagogique à l’ère du numérique, en recentrant le débat sur les finalités éducatives au-delà des simples performances académiques.
Le livre va au-delà de la simple présentation théorique de l’approche par les capabilités, en l’appliquant concrètement à la conception des dispositifs pédagogiques numériques. D’abord, les dispositifs sont personnalisés pour offrir des parcours d’apprentissage adaptés aux besoins et contextes personnels des apprenants, leur permettant de choisir parmi diverses options. L’auteur met l’accent sur l’accessibilité et l’inclusivité, présentant comment les technologies éducatives peuvent être utilisées pour tous, y compris pour les apprenants ayant des besoins spécifiques, avec des adaptations pour les personnes en situation de handicap et des outils pour surmonter les barrières linguistiques ou culturelles. De plus, l’évaluation des capabilités est repensée pour inclure des critères tels que la créativité, la pensée critique et l’autonomie, au-delà des évaluations standards.
En adoptant cette approche et en utilisant une méthodologie qualitative rigoureuse, l’ouvrage propose de repenser les objectifs éducatifs en termes de développement humain, offrant ainsi des solutions concrètes pour la conception de dispositifs pédagogiques à l’ère du numérique.
Cet ouvrage se distingue par l’application de l’approche par les capabilités, concept fondamental dans les sciences sociales, à la conception de dispositifs éducatifs, particulièrement développé dans les territoires anglo-saxons. En tant que tel, il ouvre une réflexion sur la manière dont les technologies éducatives peuvent être utilisées non seulement pour transmettre des connaissances, mais aussi pour renforcer la liberté et l’autonomie des apprenants. Cet angle d’analyse permet de recentrer le débat sur les finalités de l’éducation, au-delà des simples performances académiques, en soulignant l’importance du développement personnel et de l’émancipation sociale. L’ouvrage répond à certaines attentes dans le domaine éducatif : celles de repenser les pratiques pédagogiques pour les aligner sur les valeurs d’équité, d’inclusion, et de justice sociale.
Ce livre s’inscrit dans le champ des sciences de l’éducation et de la formation, avec un fort ancrage dans les études de pédagogie numérique et les théories de l’apprentissage. Il s’appuie sur l’approche par les capabilités, et la met en œuvre de manière originale aux pratiques pédagogiques. Ce positionnement interdisciplinaire, à la croisée de la philosophie politique, de l’économie du bien-être, et de la pédagogie, enrichit les perspectives offertes par l’ingénierie pédagogique. Il contribue à la réflexion théorique sur le rôle des technologies dans l’éducation, et offre également des pistes concrètes pour la mise en œuvre de dispositifs pédagogiques adaptés à une personnalisation des besoins des apprenants.
Bien que les concepts théoriques abordés soient assez complexes, le livre est rédigé de manière claire et accessible, le rendant ainsi utilisable par un large éventail de lecteurs. Nous pensons particulièrement aux chercheurs ou praticiens des sciences de l’éducation et de la formation, les concepteurs de dispositifs pédagogiques, ainsi que les responsables de politiques éducatives. Les enseignants désireux d’enrichir leurs pratiques à l’aide de cadres théoriques solides y trouveront des outils précieux pour repenser leur approche pédagogique. Les décideurs en matière d’éducation pourront y puiser des arguments de promotion de pratiques plus inclusives. Enfin, les étudiants en sciences de l’éducation et de la formation y trouveront une introduction à l’approche par les capabilités appliquée à la formation, ainsi qu’une réflexion critique sur les enjeux du numérique dans ce domaine.
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