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La perte d’auréole : des déplacements sociaux et sociologiques de l’image de l’enseignant sur Facebook

1er août 2017 par T. Ribeiro Santos Adjectif 573 visites 0 commentaire

Un article repris de http://www.adjectif.net/spip/spip.p...

On synthétise ici une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Florianópolis (Brésil) à propos de l’image de l’enseignant sur Facebook. En dehors de l’école et sur Facebook, l’enseignant éprouve l’enjeu de maîtriser son image dans le but d’assurer un rapport scolaire à ses apprenants. C’est bien cet enjeu que l’on essaie de saisir à travers des « moments » par lesquels une image sacrée de l’enseignant est à la fois maintenue et fragilisée, par les contenus qui circulent sur Facebook et qui peuvent parfois être jugés comme socialement inappropriés. Ces « moments » nous permettent ainsi d’observer une réalité dramatique au cours de laquelle les enseignants modèlent leur rôle face à leurs élèves sur internet.

Un article : Ribeiro Santos, Tiago (2017). La perte d’auréole : des déplacements sociaux et sociologiques de l’image de l’enseignant sur Facebook. Thèse dirigée par I. Ribeiro Valle et M. das Dores Daros, Université Fédérale de Santa Catarina. Adjectif.net Mis en ligne mardi 18 juillet 2017 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article434

Introduction

Les hésitations entre la tradition et la modernité sont toujours au cœur de la théorie sociale sud-américaine (Martins, 2008 ; Martuccelli, 2010). Cette tension est visible aussi dans le domaine de l’éducation où la gestion de l’image de l’enseignant sur internet est un enjeu permanent. C’est bien le cas au Brésil, où près de 45% de la population totale accède à Facebook, selon des données communiquées sur leur propre site (Facebook, 2015).

Bien entendu, tous les enseignants n’ont pas un profil sur Facebook, mais tous ceux qui y sont présents peuvent se poser la question : dois-je accepter mes élèves en tant qu’« amis » ? Face aux décisions personnelles et aux réglementations institutionnelles, cette question peut représenter un carrefour de l’organisation de la vie quotidienne d’enseignant.

Il s’agit là d’une opportunité empirique pour les sciences de l’éducation permettant l’analyse de situations particulières : celles des enseignants se trouvant à la fois en dehors et dans l’école, bouleversant ainsi les limites physiques et interactionnelles de l’institution éducative. En effet, les interactions entre les enseignants et les élèves peuvent se développer en marge de l’institution scolaire sur les réseaux sociaux.

Les questionnements au sujet de l’image de l’enseignant sont renouvelés de ce fait, ce qui nous a permis d’élaborer une thèse concernant la « désacralisation de l’image de l’enseignant ». Cela sous-entend ainsi que ce dernier se déplace vers un espace d’interactions culturellement contingentes. L’analyse des témoignages des enseignants relativement à leurs pratiques sur Facebook a en effet permis d’identifier deux « déplacements » majeurs par lesquels la désacralisation de l’image de l’enseignant s’opère sur ce réseau social.

Analyse du contexte

Évolutions de l’image de l’enseignant

On peut identifier des évolutions de l’image de l’enseignant en s’appuyant sur trois étapes de la pensée sociologique. Au début du XXe siècle, notamment dans les travaux de Durkheim (1922, 2007), l’image de l’enseignant renvoyait à sa force morale, capable de produire l’intégration sociale à travers des valeurs laïques. La raison et le progrès étaient alors des principes de la pensée scolaire. Durkheim a développé une image de l’enseignant plus apte à différencier ses élèves en leur attribuant des notes par exemple, et moins à les distinguer, au fur et à mesure que l’école devait être capable de respecter des principes d’égalité sociale. La sociologie de l’éducation est alors née, éclairant une image de l’enseignant assez proche des valeurs sacrées de la IIIe République française. Une morale laïque était enfin au centre du rôle d’enseignant.

Un demi-siècle plus tard, Bourdieu et Passeron (1964, 1970) expliquaient que cette morale correspondait plutôt à une domination de classe, toujours capable de reproduire les inégalités sociales. L’enseignant, chez Bourdieu et Passeron, a ainsi des traces aristocratiques parce qu’il représente des classes sociales culturellement privilégiées. L’intégration scolaire orchestrée par ces enseignants distingue les élèves plus qu’elle ne les différencie selon des codes arbitraires d’appréciation, en conservant les hiérarchies sociales. L’enseignant est alors « démasqué » : l’autonomie du travail pédagogique est mise en question face à l’escalade des inégalités au sein de la société française. Le rôle de l’enseignant reçoit une importante critique fondée sur ce qui a été connu comme une “sociologie de la reproduction” sociale.

Quelques décennies plus tard, Dubet (2002, 2008) fait un nouveau diagnostic de l’école française de sociologie : pour ce dernier, l’école reste moins marquée par les inégalités que par les épreuves individuelles, mises en place par les enseignants dans le but de construire des situations scolaires. En effet, face à un scénario de massification scolaire, l’enseignant issu de classes populaires est rapidement recruté pour pallier les urgences du système d’enseignement. En quittant ainsi un lieu raisonnablement « sacré », l’enseignant devient plutôt un individu commun, éprouvant des problèmes à la fois contingents et globaux. Ces problèmes coïncident avec la vulgarisation des moyens technologiques de communication.

On peut comprendre ces évolutions de l’image de l’enseignant comme une « fin de l’autorité » (Renaut, 2004) où une « culture de l’égalité » met en évidence des enseignants qui aiment aussi regarder des vidéos sur les plateformes les plus utilisées, écouter les succès musicaux de l’été ou profiter des plages brésiliennes. Ceci indique les décalages qui peuvent émerger dans les interactions, à partir du moment où l’enseignant peut mettre en scène des images de lui parfois opposées à son image scolaire : Facebook étant justement un espace où les rapports de distance et de proximité sont bouleversés, ses utilisations produisent de nouvelles situations dans le quotidien de l’enseignant.

Le rassemblement de cercles sociaux différenciés

On considère Facebook comme un espace de communication singulier qui met en forme ce que l’on appelle ici un « rassemblement de cercles sociaux différenciés » : un espace où les individus font face à une audience multiple et complexe. Ces rassemblements peuvent s’apparenter à ceux rencontrés dans les mariages, anniversaires, carnavals, etc.

Toutefois, ces évènements sont toujours territorialement et temporellement limités. Or, ces limites n’existent plus sur Facebook : cela permet aux individus de jouer des rôles diversifiés. Etre sur Facebook suppose d’habiter un espace aux limites floues : l’enseignant peut interagir avec ses proches, amis, collègues de travail et élèves, d’un seul coup, grâce à son « déplacement » vers cet espace. Nous pouvons nous appuyer sur une image simplifiée d’un rassemblement de cercles sociaux différenciés, comme celui familial, de travail, de voisinage ou encore des amis.

Illustration 1 : Modélisation personnelle

Au centre, l’enseignant (point noir) peut se présenter face à plusieurs observateurs (représentés par des points blancs). Ces observateurs ont différentes façons d’identifier l’enseignant, c’est-à-dire qu’ils peuvent projeter différents attributs sur une même personne. Cependant, ces attributs différenciés reposent aussi sur des attributs communs : par exemple, le nom et le visage de l’individu qui peuvent être collectivement reconnus par les cercles différenciés.

L’intersection des différentes présentations repose sur l’interaction avec un individu (situé au centre) : ce dernier offre un contenu sur soi-même et auquel d’autres individus (dans les autres cercles) peuvent l’identifier. Les contenus personnels produisent une liaison entre les groupes, qui ne disposent pas, a priori, de liaisons évidentes.

Cadre théorique

Concept de sociation

L’intersection de cercles sociaux différenciés nécessite certaines décisions au regard du vocabulaire sociologique. La notion de sociation (Simmel, 2006) est préférée à celle de socialisation parce qu’elle renvoie à l’effet de deux points qui s’attirent par ce qu’ils peuvent avoir de commun entre eux. De cette manière, on peut observer des rapports de réciprocité entre les agents sociaux, éphémères ou non. Cette forme de faire société peut être jugée comme moins intégratrice du point de vue systémique parce qu’elle privilégie l’assimilation individuelle de réalités multiples. La sociation favorise aussi une sensibilité au regard de l’accumulation des liens générés par des interactions épisodiques présentes au cœur de la vie quotidienne.

Le principe de sociation peut être illustré par le cas du selfie. Le selfie est plutôt un visage à partir duquel les individus observateurs peuvent attribuer un nom. Le visage, additionné au nom, donne aux observateurs les conditions favorables pour définir une situation, en disant : « voilà, c’est Jacques, mon ami ». Le selfie réalise un « voyage » parmi les cercles sociaux différenciés, au cours duquel chaque cercle peut s’y associer différemment : « c’est Jacques mon collègue de travail » ou « Jacques, mon cousin » ou encore « mon enseignant ». Le mouvement en spirale renvoie à la résonance que la photo peut obtenir, car un contenu donné peut être couramment reconnu par les différents cercles sociaux, au fur et à mesure qu’il contient et met en évidence la « personnalité » d’un individu. Voilà donc une manière de comprendre le processus de construction contingente de la réalité que l’on éprouve sur Facebook à travers des interactions visibles lors de rassemblements.

Comment saisir les « moments » sur Facebook ?

Les déplacements de l’image de l’enseignant constituent une condition moderne de l’institution scolaire. Cela veut dire que l’enseignant fait face aux aspects dynamiques d’une société pleine de rencontres. De cette façon, les individus entretiennent plusieurs rapports au quotidien que l’on peut saisir à partir de différents « moments ».

Ces moments fonctionnent ici en tant que catégories d’analyse (Goffman, 1988). Pour cela, il ne faut pas que les moments soient durables : il faut plutôt qu’ils puissent représenter des situations communes à l’échelle des expériences collectives. Les moments peuvent souvent être éphémères et sitôt remplacés, les uns à la suite des autres. En effet, on peut établir un répertoire de moments collectivement éprouvés par les enseignants sur Facebook.

Ces moments peuvent renvoyer à des circonstances au cours desquelles les enseignants sont amenés soit à rester, soit à quitter Facebook et/ou à ne plus s’entretenir avec leurs élèves. Le défi méthodologique a donc été de mettre en ordre ces circonstances virtuellement hétérogènes et aléatoires, ces moments éphémères, mais quotidiens, en constituant un cadre homogène de réalités communes.

Méthodologie

Pour ce faire, des témoignages d’enseignants du secondaire brésilien public et privé ont été recueillis, grâce à une sollicitation pour la recherche, publiée sur une page Facebook plutôt destinée à la diffusion d’offres d’emploi dans la ville de Florianópolis. La page « Professores Floripa » a permis de rassembler des témoignages d’enseignants ayant répondu au message suivant :

« Cher enseignant, imaginons la situation suivante :
Une enseignante – très bonne amie à vous – vient de débuter sa carrière dans le même établissement d’enseignement auquel vous êtes rattaché. Cette amie vous informe qu’elle reçoit souvent des sollicitations de demande d’amitié sur Facebook, envoyées par ses élèves. Votre amie hésite pour les ajouter sur Facebook : elle aimerait savoir comment vous géreriez ces demandes. Est-ce que vous les ajouteriez ? Racontez-lui cela à partir de vos propres expériences. Elle compte sur vous pour l’aider à sortir de cette indécision ! »

La récolte des données s’est inspirée du travail d’Esteves (2005) et la méthode de l’« expérience transmise ». Suivant son approche, on a cherché à permettre aux enseignants de « transmettre leurs expériences » à une « amie » fictive, venant d’arriver dans le milieu scolaire.

Parmi les 161 témoignages recueillis ainsi, nous avons souvent eu des réponses assez limitées telles que : « Oui, je les accepte », ce qui nous obligea à les supprimer de l’analyse. Nous avons plutôt privilégié des témoignages contenant des justifications des usages de Facebook par les enseignants, et nous sommes arrivés à un échantillon final de 22 réponses : 11 témoignages d’enseignants acceptant les élèves et 11 les refusant.

Ces témoignages décrivaient des expériences individuelles qui peuvent être considérées comme des définitions singulières de la réalité vécue par les enseignants. C’est en partant de ces définitions que nous avons essayé de saisir la place que chacun donnait à l’image-de-soi sur Facebook. L’enjeu porte ainsi des aspects contingents où les enseignants doivent souvent se débrouiller pour maintenir leur image - malgré le fait qu’ils puissent apparaître sur une photo en maillot de bain ou bien publier des avis politiques sur n’importe quel sujet.

De surcroît, la méthode s’appuie sur une métaphore pour explorer ce domaine encore sans nom dans la sociologie de l’éducation. L’enseignant sur Facebook est dans une « fête » parce qu’il se trouve face à un rassemblement de cercles sociaux différenciés. Une fête où le sujet d’une conversation peut prendre des directions inattendues, où les situations fortuites peuvent être les plus décisives, ou encore : où la vie sociale s’accélère grâce aux nouvelles formes de proximité constituées.

Cette fête pourrait alors se traduire à partir de moments « d’attention » et « de relâchement », comme le montrent les témoignages d’enseignants recueillis. Il est important ici de s’appuyer sur la sensibilité sociologique de Goffman (1959) pour comprendre les expressions et impressions produites par les individus. Il s’agit d’une mise en scène, dans le sens où tous les individus jouent des rôles sociaux qu’ils doivent entretenir face aux autres individus. De cette manière, ils « sauvent leur face » et maintiennent « l’ordre de l’interaction ».

Résultats

Suivant notre étude à propos de l’évolution de l’image de l’enseignant vers une désacralisation, on présente d’abord les moments identifiés dans l’analyse par lesquels cette image est maintenue dans sa dimension sacrée. L’enseignant sur Facebook, se trouvant dans une fête, a parfois besoin de faire attention aux gestes, déclarations et expressions qui pourraient troubler sa réputation. On explore ensuite les moments plus décontractés, où cette dimension sacrée est relativisée. Entre les moments « d’attention » et ceux de « relâchement », on observe l’enjeu auquel l’enseignant fait face pour le maintien de l’image-de-soi, tout en identifiant le parcours où « l’image profane » de l’enseignant devient disponible au public scolaire.

Les moments d’attention

Tout d’abord, les moments d’attention sont les moments où les personnes sont engagées dans le maintien de leur image plutôt scolaire. Ce type d’engagement peut être observé auprès d’enseignants ayant accepté leurs élèves sur Facebook et recherchant un rapport de proximité, ou encore auprès de ceux ayant créé un « Facebook exclusif » pour accueillir les élèves.

Par exemple : aux yeux de Silvia, Facebook est plutôt un outil qui permet de rendre plus « agile » son travail. Sur cet espace, elle arrive à passer « plus de temps avec les élèves », une fois qu’ils quittent l’école. Le soir, à la maison, elle arrive à se « mettre d’accord avec eux sur des dates pour rendre des travaux scolaires » ou « recevoir des messages d’élèves qui étaient absents au dernier cours ».

Douglas, quant à lui, explique quant à lui comment il fait « résistance » aux « anciennes hiérarchies de l’école » et utilise cet espace comme une extension d’un domaine d’action pédagogique. Il développe une tirade en faveur d’un rapport plus horizontal, où les enseignants se disposent à être aussi « des amis qui donnent des conseils, qui soutiennent et discutent » avec les élèves.

Cependant, la particularité de ces rapports de proximité se caractérise par les limites qui doivent être établies par les enseignants eux-mêmes. Il peut s’agir de « flicages » pour faire attention aux plaisanteries, commentaires et « conneries » qui peuvent circuler et être publiés sur Facebook. Noeli, par exemple, a organisé un régime personnel d’auto-surveillance, évitant de publier n’importe quel contenu sur internet. En fait, Noeli tient une image d’enseignante assez élevée : à ses yeux, l’enseignant est plutôt un « formateur d’opinion » et c’est pour cela qu’il faut faire attention à sa façon de s’exprimer sur Facebook. De cette manière, elle donne une présentation de soi assez engagée, pour le maintien de son image, dans un espace où circulent des contenus le plus souvent non scolaires.

Mais ce maintien est parfois fatigant. Des « ruses » sont alors employées par les enseignants, pour « changer de sujet » face aux élèves qui leur demandent s’ils sont ou non sur Facebook. Ils utilisent par exemple des connaissances techniques pour priver les élèves de quelques contenus publiés sur leur page personnelle. Dans ce sens, Luana accepte des sollicitations d’amitiés ; en revanche, elle inscrit ses élèves sur la liste de ses « connaissances », ce qui lui permet de différencier l’accès à ses publications, technique qu’elle maîtrise sur Facebook et qui l’aide à maîtriser la visibilité de son image face à son public scolaire.

Les moments de relâchement

À l’inverse, les moments de relâchement sont les moments où les enseignants contrôlent d’une manière moins permanente leur image, leur présentation, malgré le fait que les engagements restent toujours présents. Les images de soi deviennent alors plus individualisées à mesure qu’ils se présentent plus impliqués dans le rassemblement des cercles sociaux différenciés. Ces cercles composent des images d’enseignants plus décontractés où des différences sont mises en évidence. Danubia nous informe par exemple qu’en tant qu’enseignante, elle « n’a jamais été demandée comme amie sur Facebook ». Et de ce fait, Danubia est à l’aise sur Facebook : elle peut publier des selfies, des avis personnels, tout en sachant que cela ne trouble pas son image.

En revanche, face à des situations de relâchement, l’image de l’enseignant peut traduire des « revendications ». Ces « revendications » indiquent l’envie d’assurer la reconnaissance des individualités des enseignants face au cercle scolaire. Dans ce sens, Fernanda nous dit qu’elle « n’est pas une enseignante ou une non enseignante » : elle est plutôt « elle-même, à la fois sur Facebook et à l’école ». Fernanda est ainsi favorable aux usages des réseaux sociaux dans le but de sensibiliser le public scolaire à propos du respect accordé aux enseignants. Dans ce cas, l’enjeu collectif pour les enseignants est justement d’éviter que les élèves considèrent que l’individualité équivaut à l’intimité. Souvent ils doivent régulièrement se battre pour la reconnaissance de leurs individualités, pour ce qu’ils sont vraiment en tant qu’individu ordinaire.

Cependant, ces moments de « revendications » peuvent dysfonctionner, ce qui amène les enseignants, la plupart du temps, à des moments « d’épuisement ». Ce sont là les aspects les plus tragiques de la condition d’enseignant sur Facebook décrits par exemple, par Regina qui ajoutait régulièrement ses élèves comme amis jusqu’au jour où une photo d’elle – dans une soirée – a circulé sur internet. Quelques jours plus tard, alors qu’elle arrivait à l’école, le directeur s’est approché d’elle pour lui dire que les élèves ont vu une photo d’elle sur internet dans un état d’ébriété. Ce type d’expériences constitue des moments difficiles, où les enseignants peuvent décider de rompre tout contact avec leur public scolaire sur Facebook, en les supprimant de leur compte.

Discussion

Les deux déplacements qui ont été abordés précédemment mettent en évidence la qualité particulière de Facebook : celle de révéler des enseignants impliqués dans des cercles sociaux différenciés et non plus exclusivement scolaires. Par conséquent, l’image de l’enseignant éprouve une fragmentation où la réalité est souvent problématique. La maîtrise de la mise en scène de soi devient alors un enjeu collectif où la gestion de la proximité et de la distance occupe une place non négligeable. Ainsi, il s’agit plutôt de trouver une place à soi-même dans un espace hautement dynamique d’un point de vue interactionnel.

Toutefois, l’absence de moments de « négociations » ou de « réparations » de l’image est bien curieuse. On n’arrive pas à observer chez les enseignants des situations de discussions avec les élèves sur la place de Facebook dans le quotidien scolaire.

Dans un contexte où les valeurs personnelles jouent un rôle dans la forme d’organisation sociale, être enseignant sur Facebook signifie parfois être vulnérable dans un espace à la fois public et privé. C’est ainsi que les enseignants se trouvent à la recherche de nouveaux supports symboliques parmi lesquels le « respect » joue un rôle particulier. Il s’agirait ici d’une distance concédée par le public scolaire qui constituerait le support permettant aux enseignants de mettre en œuvre, avec autonomie, leur propre liberté, dans le but de favoriser l’épanouissement de leur individualité sur Facebook.

Perspectives

Et si Facebook disparaissait demain : dans quelle mesure le problème concernant le déplacement de l’enseignant serait-il maintenu ? C’est précisément l’intersection de cercles sociaux qui apparaît comme le modèle d’un problème où l’enseignant doit gérer son image face à ses élèves.

Ce modèle nous permet de saisir les situations particulières, voire « bizarres », auxquelles font face les enseignants, et qui peuvent être comparables à une fête. L’analyse de l’image de l’enseignant s’appuie sur une description du design de l’espace virtuel à partir duquel les marges de manœuvres sont possibles. On pense ici aux « conditions techniques de discrétion » dont Facebook dispose. Grâce aux conditions de discrétion individuelles, la thèse concernant un système transparent d’interactions peut toujours être réfutable (Casili, 2014). Ce qui permet aux individus de profiter des marges d’actions plus ou moins « élastiques », en construisant ses interactions sur Facebook comme une partie de chez soi.

Si les marges de manœuvre ne sont pas toujours flexibles, il convient encore d’interroger l’image de l’enseignant sur laquelle l’éducation s’appuie traditionnellement. En ce sens, une éducation « par l’image » représentait jusqu’à présent une éducation transmise par un rôle institutionnellement encadré.

Cependant, sur Facebook, la question est toute autre. Lorsque les enseignants sont parfois vus dans une fête, en prenant de l’alcool etc., ce qui s’impose aux débats est une éducation « de l’image » de l’enseignant. C’est bien là peut-être le côté le plus productif de la désacralisation de l’image de l’enseignant, c’est-à-dire, l’opportunité de déclencher des débats sur des préjugés enracinés au coeur de la culture scolaire. Comprendre cet enjeu veut aussi dire comprendre une condition moderne de l’enseignant, autour de laquelle la réalité se complexifie.

Références

Bourdieu, P. et Passeron, J.-C. (1964). Les héritiers : les étudiants et la culture. Paris : Les éditions de minuit.

Bourdieu, P. et Passeron, J.-C. (1970). La reproduction : éléments pour une théorie du système d’enseignement. Paris : Les éditions de minuit.

Casilli, A. (2014) Quatre thèses sur la surveillance numérique de masse et la négociation de la vie privée. Paris : Conseil d’Etat.

Dubet, F. (2002) Le déclin de l’institution. Paris : Éditions du Seuil.

Dubet, F. (2008) Faits d’école. Paris : Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales.

Durkheim, E. (2007) L’éducation morale. Préface de Jean-Claude Filloux. Paris : Fabert.

Durkheim, E. (1922) Education et sociologie. Introduction de Paul Fauconnet. Paris : Libraire Félix Lacan.

Esteves, L. C. G. (2005) Estar no papel : cartas dos jovens do ensino médio. Brasília : Unesco.

Facebook para empresas. (2015). Récuperé du site le 12 juillet 2017 du site Facebook business : https://www.facebook.com/business/news/BR-45-da-populacao-brasileira-acessa-o-Facebook-pelo-menos-uma-vez-ao-mes
Goffman, E. (1959) The presentation of self in everyday life. New York : Archor Books.

Goffman, E. (1988) Les Moments et leurs hommes : textes recueillis et présentés par Yves Winkin. Paris : Seuil.

Martins, J. (2008) A sociabilidade do homem simples : cotidiano e história na modernidade anômala. 2. ed. rev. e ampl. São Paulo : Contexto.

Martuccelli, D. (2010) ¿Existen indivíduos en el sur ? Santiago de Chile : LOM Ediciones.

Renaut, A. (2004) La fin de l’autorité. Paris : Flammarion.

Simmel, G. (2006) Questões fundamentais de sociologia : indivíduo e sociedade. Trad. Pedro Caldas. Rio de Janeiro : Zahar.

Je remercie Fanny Fabrizio pour les relectures de la synthèse en langue française.

Licence : CC by-nc-sa

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