Introduction
Cet article est le premier relatif aux effets des classes inversées. Il porte essentiellement sur les aspects cognitifs, les connaissances et compétences acquises par les élèves et les étudiants ayant reçu un enseignement en classe inversée et sur les effets éventuels de cette panoplie de méthodes. Le second portera davantage sur les éléments motivationnels. Nous ferons tout d’abord un rappel sur La ou Les classes(s) inversée(s). Ensuite, nous aborderons quelques préalables ou précautions à prendre pour aborder la question de l’efficacité des méthodes. Finalement, nous passerons en revue brièvement (en renvoyant vers des références utiles et récentes), quelques résultats.
1. De LA classe inversée aux ClasseS InverséeS
Les dispositifs pédagogiques de classes inversées sont apparus, il y a quelques années, dans le panorama des dispositifs pédagogiques (des stratégies pédagogiques). Pour ma part, après une brève allusion sur ce Blog dès 2011, j’en parlais déjà dans une causerie avec mon collègue et ami Christophe Batier lors du Congrès AIPU 2012 (Association Internationale de Pédagogie Universitaire) tenu au Quebec à l’Université de Trois-Rivières. Le propos (un peu provocant certes) concernait ce que j’ai appelé plus tard « La classe inversée » avec le slogan « Les leçons à la maison, les devoirs en classe ». Comme bien souvent dans les processus d’innovation, ce concept, cette idée initiale (issue de pionniers créatifs … on cite Eric Mazur, Jonathan Bergmann & Aaron Sans …) allait se transformer et s’adapter dans un processus progressif d’appropriation par les enseignants et formateurs pour devenir une véritable « tête de pont » de l’innovation pédagogique voire une pratique de plus en plus institutionnalisée ; en cela, l’innovation ressemble à un processus d’apprentissage à large échelle (dès idées déjà-là en l’état embryonnaire, encore imparfaites qui vont se transformer par « assimilation et accommodation »). Un peu plus tard en 2016, je démontrais le large éventail de pratiques effectives sous la seule dénomination « Classe inversée » : c’est ainsi que je proposais de parler plutôt « des classes inversées » avec un éloquent pluriel.
Sur ce Blog, nous trouvons les jalons de cette évolution :
Dispositif Hybride, flipped classroom … suite en 2011
Classes inversées, Flipped Classrooms … Ca flippe quoi au juste ? en 2012
Classes Inversées, étendons et « systémisons » le concept ! en 2014
Les classes inversées : intégration d’idées pédagogiques anciennes pour une réelle innovation en 2017
Les classes inversées … paysage ouvert et visite guidée en 2017
Pour le lecteur pressé, voici une petite vidéo (20 minutes) pour appréhender la largeur des dispositifs de classes inversées :
Pour le lecteur à la recherche de bases plus scientifiques à la typologie des classes inversées et à leurs effets différentiés, un article de 2016 d’Education & Formation à télécharger ici.
2. L’efficacité des méthodes pédagogiques, un large champ encore à explorer ?
Que voici une question fréquente sur les réseaux sociaux et dans les journées pédagogiques ! Une question très difficile à aborder en fait. Elle revient – légitimement – lors de la venue de chaque innovation pédagogique que ce soit l’apport de certains outils technologiques (tablettes, tableau blanc interactif …) ou encore dans le cadre de « nouvelles » méthodes comme l’apprentissage par problèmes, l’apprentissage collaboratif … On se pose alors – tout aussi légitimement – la question de l’efficacité mais par rapport à quoi : l’acquisition des savoirs, le développement de compétences et d’attitudes, l’adoption de certaines valeurs … voire par rapport l’enseignement dit « traditionnel » dont on ne s’interroge plus sur l’efficacité, un enseignement moyen, passe-partout en quelque sorte. Dans notre livre « Théories et méthodes pour enseigner et apprendre » (De Boeck, 2007), nous écrivions à propos des outils technologiques :
« Parler de l’efficience (ou de l’efficacité) d’un outil pédagogique nécessite de se référer aux méthodes dans lesquelles cet outil prendra place et plus loin encore aux objectifs éducatifs qui les sous-tendent »
Il s’agit donc, pour évaluer l’efficacité d’une quelconque méthode pédagogique, de considérer les objectifs pédagogiques qu’elle permettra d’atteindre. S’agit-il de mémoriser, de comprendre, de résoudre des exercices ou de décortiquer des problèmes, d’analyser des situations, de développer la compétence à travailler en équipe ou à communiquer, d’élaborer un système de valeurs ? La méthode, c’est le chemin (de « odos » en grec) mais pour aller où ? Il s’agit aussi selon l’alignement pédagogique (Constructive Alignment, alignement constructif de Biggs, voir cette référence en son point III) de se doter des indicateurs qui permettront de jauger l’atteinte de ces objectifs par les apprenants, bref de se donner les moyens d’évaluer cette atteinte. Tout ceci me fait penser à la citation de Mager (un pionnier de la théorie des objectifs pédagogiques) : Si vous n’êtes pas certain d’où vous voulez aller, vous risquez de vous retrouver ailleurs. J’avais d’ailleurs ajouté « vous risquez de vous retrouver ailleurs … et de ne pas le savoir ». Richard Prégent, un auteur très connu en pédagogie, concluait sur un point relatif à l’efficacité des méthodes qu’aucune méthode n’est, en soi, meilleure qu’une autre. Tout dépend des objectifs que vous vous donnez ou mieux que vous donnez comme buts à vos élèves ou étudiants.
Pour beaucoup, ces propos, sur la cohérence à rechercher entre Objectifs, Méthodes et Évaluation relèvent de l’évidence. Et pourtant ! Voici un exemple – souvent cité, indûment selon nous, à l’encontre des méthodes dites actives – relatif aux travaux de Hattie (dans son livre Visible Learning, voir cette référence pour une synthèse). Il mena des recherches sur (aujourd’hui) plus de 1400 méta-analyses qui résument plus que 80000 études particulières sur différents types de méthodes pédagogiques. On dit même que, en tout, 300 millions d’élèves « en âge d’école » (les K-12 entre 6 et 18 ans) ont été concernés par ces recherches sur la réussite et l’apprentissage. La figure ci-dessous (tirée de cette référence) résume les résultats de son travail.
Tout d’abord, on le voit, les différentes méthodes sont classées en deux colonnes :
- celle de gauche avec un rôle central de l’enseignant qui agit comme un activateur en forte interaction avec les apprenants (à ne pas confondre avec un enseignement frontal ou expositif) et
- celle de droite où l’apprentissage est laissé dans une certaine autonomie guidée à l’apprenant et où l’enseignent agit comme facilitateur (apprentissage par découverte, par résolution de problèmes …) .
Par exemple, à gauche, le « Reciprocal teaching » est un enseignement dans lequel la signification (d’un texte par exemple) est construite au travers d’un dialogue serré entre l’enseignant et les étudiants. Le « Direct instruction » (trop souvent traduit par une certaine forme d’enseignement magistral) consiste en une méthode où les connaissances à transmettre sont découpées en « grains » suffisamment petits pour être accessibles aux élèves en interaction forte avec l’enseignant ou d’autres élèves en groupe. On passe ainsi du plus simple au plus complexe dans des étapes soigneusement scénarisées. On y souligne l’importance des interactions et des feedbacks dans une sorte d’échafaudage constructif. A droite, on retrouve l’enseignement sur la base de différentes situations de recherche (inquiry-based) ou de problèmes (problem-based) avec une autonomie plus grande des élèves dans la construction des savoirs.
Le paramètre « d » représente le gain entre la méthode considérée et un échantillon aléatoire (la méthode de référence). Un gain (un effet) de 1 unité représente un décalage vers le haut d’environ un écart-type (dans son livre, Hattie fait l’analogie, considérant la distribution de la taille des humains, entre une personne de 1, 60 m et une autre de 1, 83, c’est visible ; un effet de 0,29 différencierait une personne de 1,80 m d’une autre de 1, 82 m) . Un gain de 0,4 représente un gain typique (moyen) correspondant à une année d’étude « classique ».
Nulle critique donc dans ces travaux des méthodes actives ou interactives : nous y lisons plutôt l’importance mise sur la guidance de l’enseignant (activateur) et une critique d’un constructivisme « radical » dans lequel l’apprentissage serait mis dans les seules mains de l’apprenant.
Ceci dit, intéressons-nous à ce qui est mesuré (sur quoi portent les tests, objets des comparaisons effectuées) dans cette ample recherche : dans les comparaisons effectuées, on compare les résultats à des tests standardisés (dans différentes disciplines) passés par les élèves ayant travaillé dans la méthode considérée aux résultats obtenus par d’autres élèves dans la méthode de référence. Ces tests portent sur des niveaux cognitifs de l’ordre de la mémorisation, de la compréhension ou encore de l’application (des objectifs dont l’évaluation est de nature quantitative et accessible à des tests standardisés) . Pour ces compétences-là et celles-là seulement, il n’est pas étonnant d’observer que la méthode de « direct instruction » (basée sur des feedbacks et des interactions fortes avec l’enseignant) donne des résultats supérieurs à une méthode du type « Problem-based learning » (davantage orientée vers la prise d’autonomie des élèves ou alors vers des compétences transversales dont la mesure du développement est hors de portée le plus souvent de tests quantitatifs).
On peut aussi considérer que les méthodes dans la colonne de droite, sans donner des résultats spectaculaires – des différences significatives – en termes de connaissances ou d’application de ces dernières, restent dans « la moyenne » : s’il n’y a pas d’effet positif (pour les compétences de mémorisation, de compréhension ou encore d’application), il n’y pas de perte non plus. Une méthode comme l’apprentissage par problèmes ou l’apprentissage par recherche vise des compétences plus larges (transversales) en particulier, l’analyse, le sens critique, l’évaluation, la créativité ou encore la recherche et la validation d’informations le plus souvent hors de portée de tests standardisés. Encore une fois, difficile de classer des méthodes dans y associer les objectifs poursuivis. C’est une question de validité du test.
C’est un constat auquel je suis de maintes fois arrivé dans le domaine des « effets des technologies et du numérique sur l’apprentissage ». Typiquement, on y compare un groupe d’élèves avec TICs et un groupe sans TIC, on prend la précaution de faire un prétest (identique pour les deux groupes) avant l’expérimentation et un posttest après l’expérimentation. On en déduit alors le gain entre les deux groupes. On conclut bien souvent par des résultats mitigés voire un NSD (No Significant Difference, pas de différence significative). Il n’y a pas ni gain ni perte sur les connaissances et compétences cognitives. Les auteurs concluent souvent sur des effets ailleurs, hors de portée des évaluations classiques, probablement sur des compétences de haut niveau (analyse, synthèse, créativité …) ou des compétences transversales (chercher et valider l’information, exercer son esprit critique, travailler en équipe, évaluer les productions de pairs …). Le lecteur intéressé par mes analyses ira voir cet article (que j’ai écrit en 2010) portant sur les effets des technologies et du numérique.
En voici un extrait particulièrement ciblé sur notre problématique :
Les recherches les plus fréquentes, souvent construites sur une comparaison « avec et sans technologie » et axées sur les effets en termes de « réussite » des apprenants dans un contexte limité (par exemple : une institution donnée, un outil particulier, une discipline spécifique) ont la plupart du temps été marquées par un no significant difference, un phénomène amplement relevé dans la littérature (Russell, 2009). Remarquons que ces effets en demi-teinte peuvent être étendus à des recherches « avec telle ou telle méthode pédagogique comparée à l’enseignement dit traditionnel ». Les méta-recherches pionnières de Kulik et al. allaient également déjà dans ce sens, les légères différences observées entre les dispositifs étant bien souvent entachées de variance importante ou alors noyées dans un bruit de fond lié à la variété des disciplines, aux différentes méthodes pédagogiques encadrant les outils, ainsi qu’aux modalités d’évaluations des apprentissages réalisés (Kulik et al., 1980). Environ vingt ans plus tard, Morgan dans son analyse des effets des LMS (Learning Management System) parle de pédagogies accidentelles pour les qualifier (Morgan, 2003).
Les causes les plus probables de ces résultats peu probants et peu décisifs, en termes de stratégie institutionnelle, par exemple, sont selon nous :
- soit que le véhicule technologique n’implique pas nécessairement une refonte des ressources ou de la pédagogie utilisée (le dispositif pédagogique) … pas plus que le camion qui amène les victuailles au supermarché n’améliore la nutrition d’une communauté (Clark, 1983),
- soit que les objectifs, les méthodes et les évaluations se modifiant par les usages « bien pensés » des TIC (les Technologies de l’Information et de la Communication), la comparaison avec des approches plus traditionnelles est rendue difficile ou caduque,
- soit encore que les effets recherchés (en termes de compétences ou de savoir-être) restent hors de portée des évaluations certificatives encore largement basées sur des compétences de bas niveau comme la restitution ou l’application (Bloom, 1956).
3. Les classes inversées, quels effets ?
Contrairement à ce qu’une lecture du fameux mais pervers « Les leçons à la maison, les devoirs en classe » (le slogan initial de la classe inversée en 2007-2008 : Lectures at home and Homework in class) pourrait laisser entendre, il s’agit bien dans le chef des promoteurs de la méthode et des praticiens qui s’y engagent de REDONNER DU SENS A LA PRESENCE, de mieux accompagner (que ce soit comme activateur ou comme facilitateur) l’élève dans son apprentissage, de tenir compte des niveaux et des difficultés des uns et des autres, des styles d’apprentissage … bref, d’être davantage en mesure de différentier les apprentissages. Il s’agit donc bien de mettre en place davantage de méthodes actives et interactives en classe en externalisant certains éléments relatifs à la pure transmission de savoirs (que ce soit à la maison, en classe dans des groupes d’élèves travaillant ces savoirs en ilots, dans des lieux spécialement équipés dans l’école elle-même). L’activité en classe est donc centrale (souvenons-nous du pôle « activation » de Hattie) et non pas le fait que les savoirs soient transmis par des textes ou des vidéos, c’est de l’histoire ancienne. Nous allons passer en revue quelques articles récents sur la mesure des effets de la classe inversée (le plus souvent ou des classes inversées parfois). Les titres originaux de nos sources sont donnée ci-dessous en intertitres bleus. Nous commençons d’abord par des articles sur les méthodes actives, une catégorie large qui contient la ou les classe(s) inversée(s).
Active learning increases student performance in science, engineering, and mathematics
Chez des étudiants de premier cycle (undergraduate students) de différentes disciplines, les recherches de Freeman et al. (2014) démontraient par une méta-analyse (255 études) que l’effet majeur de ces méthodes (par rapport à d’autres plus traditionnelles, frontales, expositives … des lectures au sens anglo-saxon) était une augmentation des résultats moyens des élèves (environ 0,5 écart-type) et une réduction du taux d’échec des élèves [PNAS, Proceedings of the National Academy of Sciences, 2014, 111 (23)]. La figure ci-dessous, tirée de cet article, illustre notre propos (partie A, l’augmentation des scores lors des évaluations (l’indice Hedges’s g est proche du « d » de Hattie) ; partie B, la réduction des taux d’échec) :
Toward a set of design principles for mathematics flipped classrooms : A synthesis of research in mathematics education
Chez des étudiants de K-12 (équivalent du primaire et du secondaire chez nous), des recherches de Chung Kwan Lo (2017) se basent sur une méta-analyse d’études comparant un enseignement en classes inversées à un enseignement traditionnel (lectures en anglais, des exposés) et ceci en mathématiques [Educational Research Review, 2017, 22, pp 50-73]. La figure résume les résultats en montrant un avantage certain aux classes inversées.
Les auteurs de cette étude dégagent aussi (dans un autre article ci-dessous) des aspects plus qualitatifs de leurs analyses (nous les citons ici car nous pensons, qu’au-delà de l’intérêt objectif des chiffres, des recherches « meta » et qualitatives devraient aussi être faites). Les classes inversées apporteraient des avantages sur les points suivant : (1) un accroissement du temps d’activité (time on tas) et de l’application, (2) intégration de nouvelles connaissances modifiant les préconceptions et (3) la possibilité de recevoir des feedbacks « en temps réel » (sans attendre que les enseignants aient corrigé les copies).
A critical review of flipped classroom challenges in K-12 education : possible solutions and recommendations for future research
Dans un autre article toujours de 2017, les auteurs du précédent retirent différents constats (des défis) et des perspectives de solutions relatives au design (scénario, méthodologie …) des classes inversées [Research and Practice in Technology Enhanced Learning, 2017, 12:4]. Il s’agit ici d’un article basé sur 936 articles (coulis à des revues et évalués par les pairs) sur l’enseignement (général cette fois) en K-12. Le schéma ci-dessous présente les différentes phases et activités « en classes inversées » trouvées dans les articles (on remarquera la prédominance du Type 1 somme toute classique, La classe inversée mais aussi d’éléments du Type 2 comme les présentations par les étudiants).
Les auteurs en retirent différents défis pour les étudiants, les enseignants et aussi au niveau institutionnel. De là, ils proposent différentes recommandations que nous synthétisons ici :
Envers les étudiants :
- Expliciter les attentes et expliquer la façon de travailler (le dispositif) aux élèves
- Préparer les élèves à la façon d’apprendre en « mode inversé » (commencer en classe)
- Concevoir finement les productions vidéos (Mayer, théories cognitives du multimedia)
- Délimiter le temps de travail en autonomie (en enseignement supérieur, max 20 min)
- Associer une plateforme pour les interactions en dehors de la classe (soutenir les élèves même à distance ou en autonomie).
Envers les enseignants :
- Continuer à se former « aux classes inversées » : échanger, mutualiser, évaluer … avec les autres
- Préparer le matériel (les ressources, les outils …) progressivement … envisager d’exploiter des ressources tierces (cfr 1).
Au terme de ce billet relatif principalement à l’efficacité des classes inversées en ce qui concerne les résultats des élèves, nous souhaitons répondre même partiellement à la question suivante : à qui profitent les effets observés ? Est-ce un décalage moyen relatif à l’ensemble de la classe (un décalage global), est-ce que ce sont « les plus forts » qui en profitent le mieux ou alors « les plus faibles » ? Quelques recherches répondent à ces questions. En général, lors d’un pré-test ou en fonction de résultats antérieurs, les élèves sont classés selon leurs performances (souvenons-nous le plus souvent sur la base de questionnaires de connaissances ou d’applications) en « faible » (low), en « moyen » (médium) et « fort » (high). Les effets (les différences entre le test initial et final après expérimentation) sont alors catégorisés selon ces trois populations.
Investigating the impact of Flipped Classroom on students’ learning experiences : A Self-Determination Theory approach
Dans cette première recherche de Stylianos et al. (2018) située pour des élèves K-12, ici des 14-16 ans), 3 cours (studies) ont été observés : un cours de technologies (TIC) avec des élèves de 14 ans (Study#1), un cours d’algèbre avec des élèves de 16 ans (Study#2) et un cours de sciences humaines et socio-économie (humanities) avec des élèves de 14 ans (Study#3) [Computers in Human Behavior, 2018, 78]. Cette intéressante recherche, menée conjointement par des enseignants et des chercheurs, portait à la fois sur des éléments cognitifs (les acquis d’apprentissage, learning outcomes, savoirs et compétences) mais aussi sur des éléments relatifs à la motivation, à l’autodétermination … nous y reviendrons dans le prochain billet.
Suite à un pré-test, les élèves ont été classés en 3 groupes (Low, Medium et High) à la fois pour le groupe contrôle et le groupe expérimental (classes inversées). La figure ci-dessous présente les gains pour les 3 catégories d’élèves dans les trois études :
L’étude montre que si tous les étudiants bénéficient de l’approche en classes inversées, les plus forts gains relatifs sont ceux des élèves de la catégorie des élèves les plus faibles. Plusieurs hypothèses se côtoient actuellement : soit les élèves les plus forts, ceux qui ont le mieux intégrés « la coutume scolaire » sont davantage déstabilisés par cette méthode plus ouverte, plus autonome ; soit les élèves les plus forts sont relativement non-dépendants de la méthode proposée ; à l’inverse les élèves les plus faibles, peu enclins à adopter les routines de l’école ou alors avides d’exercer des compétences d’un autre ordre (par exemple, les créatifs que l’école pénalise comme dirait Ken Robinson) trouvent dans la classe inversée une sorte d’exutoire ; soit … Il serait donc injustifié voire fallacieux de croire que ces méthodes interactives et interactives seraient défavorables aux élèves les plus faibles.
La pédagogie inversée : recherche sur la pratique de la classe inversée au lycée
Terminons par une dernière étude réalisée cette fois en francophonie pour des élèves de Lycée. Vincent Faillet (2014) montre « que les élèves de bon niveau en sciences dans le système de classe traditionnelle sont globalement moins performants en classe inversée alors que les élèves de niveau plus faible dans la classe traditionnelle sont plus performants dans le système de classe inversée. Cette inversion de la performance est à rapprocher avec une adaptation des élèves de bon niveau au système traditionnel et une tendance à travailler plus pour les élèves de moins bon niveau lorsqu’ils sont dans un système de classe inversée » [STICEF, 2014, 21].
L’étude « concerne deux classes de première scientifique (n1=28 et n2=30) qui ont été suivies sur une année scolaire dans un lycée parisien. Pour ces deux classes, le cours de sciences physiques et chimiques1 a été conduit soit en enseignement traditionnel (leçon en classe et exercices d’application hors du temps scolaire) soit en enseignement inversé (leçon hors du temps scolaire et exercices d’application en classe). Ainsi, sur un total de quinze chapitres traités dans le programme, huit ont été abordés dans le cadre d’un enseignement traditionnel et sept dans le cadre d’un enseignement inversé ». En s’appuyant sur les différents tests réalisés tout au long de l’année (relatifs à la matière vue en mode inversé ou en mode traditionnel selon les chapitres), un indice de performance a été calculé : il s’agit de la différence algébrique entre la moyenne classe inversée et la moyenne académique. Plus l’indice de performance est élevé, plus l’impact de la classe inversée sur la moyenne est bénéfique. La figure ci-dessous illustre les résultats (indices de performance) obtenus par chaque pour l’une des classes (la classe 2 où l’effet de la classe inversée est le plus fort) :
On remarque que ce sont les élèves de niveau faible (C et D) qui sont majoritairement performants en classe inversée (indice de performance positif). Tous les élèves qui sont moins performants (indice de performance négatif) se révèlent être de bon niveau académique (A+, A voire B).
4. Quelques mots de conclusion … en attendant d’autre recherches
(1) Selon nous (et bien d’autres chercheurs antérieurs), il n’est pas possible de comparer des méthodes entre elles sans considérer les objectifs (et les modes d’évaluation de leur atteinte). Si une méthode vise à développer l’esprit critique, c’est sur ce point (aussi) que doivent porter les évaluations (ce qui ne veut pas dire qu’il faut éclipser l’atteinte d’autres objectifs de type mémoriser, appliquer …)
(2) Conclure trop vite que des méta-analyses portant sur la comparaison de différentes méthodes via des observables comme l’acquisition de connaissances et leur application (les résultats) peuvent être généralisées à d’autres compétences de haut niveau (selon Bloom) ou à des compétences transversales.
(3) Même si ces analyses montrent que des méthodes comme les projets ou les situations problèmes sont moins bien classées (par rapport à ces tests toujours), cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas performantes pour d’autres compétences. C’est un appel aux Sciences de l’éducation et aux praticiens pour le développement d’instruments de mesure de ces compétences que les anglo-saxons appellent parfois « floues » (Fuzzy compétences).
(4) La ou les classes inversées poursuivent un vaste panel de compétences qui dépassent le bas niveau selon Bloom. Les recherches montrent que les résultats des élèves sont meilleurs en particulier pour les élèves les plus faibles (différenciation et variété des approches expliquent cela). Des effets sont attendus « ailleurs » là où se nichent les compétences transversales de plus en plus reconnues comme impératives pour survivre, vivre et continuer à se développer dans la Société en mutation qui se prépare. Mesurons-les.
(5) La plupart des recherches citées ici porte sur le modèle originel de La classe inversée (que nous avons appelé Type 1). Il serait intéressant d’étendre le panel par d’autres recherches sur des dispositifs de Type 2 ou de Type 3 (voir la typologie que j’ai proposée) qui accentuent encore davantage les compétences de plus haut niveau ou les compétences transversales. Nous pensons sans exclusive (le Congrès CLIC 2018 nous en a donné une foule d’exemples) aux dispositifs mis en place par Marie Soulié (les tâches complexes), Soledad Garnier (les miniflips et les professeurs de 10 ans), Christelle Caucheteux (la classe renversée au Lycée) … et tant d’autres.
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