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5 clés pour mettre en place des écosystèmes coopératifs territoriaux

4 octobre 2022 par Michel Briand Coopérations 261 visites 0 commentaire

Intervention de Patrick Beauvillard (Institut des Territoires Coopératifs) au séminaire « Plan Biodiversité » du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire (14 janvier 2019)

un articlerepris du site de l’institut des territoires coopératifs ; une publication sous licence CC by nc nd

e souhaite démarrer en introduisant la notion de complexité. Complexe ne veut pas dire compliqué. Complexe vient du latin « complexus » : ce qui est tissé ensemble. La biodiversité est évidemment une question complexe : les questions écologiques ont des implications économiques, sociales, requestionnent les systèmes de gouvernance, etc.

On ne peut répondre durablement à un problème complexe qu’en associant l’ensemble des parties prenantes dans un processus de coopération. En tant qu’acteurs de la territorialisation du plan biodiversité, il me semble que pour mener votre mission vous devrez contribuer au développement, voire à l’émergence d’un véritable processus de coopération entre les acteurs de votre territoire.
Mon intention est de vous proposer quelques clés pour y parvenir.

Clarifions ce que l’on entend par coopération car on confond souvent des concepts très différents : mutualisation, collaboration ou alliance ne sont pas coopération. Pour définir le mot coopération, je vous propose son étymologie. Co : ensemble – Opera : œuvre. Coopérer c’est être co-auteur d’une œuvre commune. Cette définition pose deux enjeux : comment, à partir d’objectifs et d’intérêts différents voire divergents, faire émerger l’aspiration à une œuvre commune ? Et comment engager les parties prenantes pour qu’elles soient non seulement chacune actrice de sa construction, et qu’elle en devienne co-auteure ?

Vaste sujet qui pourrait facilement occuper 3 jours ensemble… Mais il me reste 7 ou 8 minutes, et je vais vous donner 5 clés pour y parvenir. Certaines vont vous surprendre. Elles peuvent être contre-intuitives, et aller à l’encontre de nos pratiques habituelles. Elles sont issues du travail que nous menons depuis 5 ans : nous les avons identifiées en étudiant la manière de coopérer de plus de 70 collectifs, dans toutes formes et domaines d’activités.

Clé #1 : Le processus coopératif est premier, le projet second.

Un processus coopératif mature est extrêmement puissant. Il permet de déployer les capacités des acteurs bien au-delà de ce que l’on pourrait imaginer à priori. Voilà pourquoi, si votre priorité est de réussir le projet que vous entreprenez, votre devoir est paradoxalement de mettre ce projet en second, et de commencer par construire le processus coopératif qui vous permettra d’y parvenir.

Second ne veut pas dire secondaire : si votre projet est fondé sur la coopération, commençons par développer la « maturité coopérative » du collectif, pour ensuite définir ensemble les objectifs détaillés du projet, ses livrables et son plan d’action. C’est ce que nous faisons en Charentes avec un collectif qui souhaite travailler sur la culture comme levier de développement territorial, ou en région Grand-Est dans le cadre de l’émergence du « Pôle Européen du Chanvre ».

Grandir en maturité coopérative va permettre aux acteurs de dépasser très largement les intentions de départ : 10, 15, 50 co-auteurs seront toujours beaucoup plus performants qu’un chef de projet qui se concentre sur le résultat à atteindre et tente d’animer un collectif espérant que la coopération viendra naturellement. La coopération n’est pas automatique : Investissons pour développer la « coopérativité ».

Clé #2 : Ce ne sont jamais des structurent qui coopèrent, ce sont des personnes.

Et pourtant, visualisez la dernière table de réunion inter-organisations à laquelle vous avez participé : devant chaque personne, il y avait un petit chevalet pour la présenter. Qu’y avait-t-il d’inscrit en gros sur ce chevalet ? Le prénom de la personne ? Son nom ? Sa fonction ? Le nom de sa structure ? Parfois même, on peut lire le nom de la structure sans même que le nom de la personne soit inscrit. Et à la réunion suivante, c’est le même petit chevalet, mais une autre personne est derrière : elle remplace son responsable qui ne peut être présent et se fait représenter…

Cette confusion entre le rôle des acteurs et leur identité empêchent la coopération. Ce ne sont jamais les rôles qui coopèrent. Ce sont les personnes, les personnes physiques. Sans leur engagement il n’y a qu’une coopération de papier entre leurs structures. Pour que cet engagement existe, il est nécessaire que le projet de coopération nourrisse les valeurs et aspirations de ces personnes, et pas seulement les objectifs de leur organisation et de leur rôle dans cette organisation. La coopération est au cœur du processus humain. Elle est essentiellement un processus d’interrelation. Or nos environnements professionnels, et en particulier le monde institutionnel auquel vous appartenez, n’ont pas suffisamment développé la capacité à créer des relations interpersonnelles de qualité. C’est un défi : Apprendre à prendre en compte les personnes.

Clé #3 : Les racines de la coopération sont profondes, et implicites.

J’évoquai à l’instant les aspirations des personnes. Nous avons souvent des difficultés à les exprimer : elles sont là bien sûr, mais le plus souvent gardées au plus profond de soi, voire même non pensées. La troisième clé est d’apprendre à voir ce qui ne se voit pas, à écouter ce qui ne se dit pas, à accéder au sensible.

Nous limitons souvent notre compréhension aux seuls éléments visibles et conscients : on cherche à comprendre un projet, par son contexte, ses objectifs, ses résultats attendus, la cartographie des parties prenantes, les processus de décisions, les outils et moyens déployés… Or, étudier un système humain sous ce seul angle c’est un peu faire comme l’homme qui a perdu ses clés et les cherche sous le réverbère juste parce que c’est là qu’il y a de la lumière. Ce qui va faire la réussite du projet ne se trouvent pas en surface mais dans des couches profondes, entre les plis : les compétences tacites, les représentations et les croyances, les stratégies cognitives qui orientent les motivations et l’action des acteurs, les habitudes, les automatismes…

Chaque personne a son implicite. Chaque collectif a son implicite. Chaque territoire également. C’est la raison pour laquelle une stratégie qui peut merveilleusement bien fonctionner à un endroit, ne fonctionne pas nécessairement dans un autre territoire. Aucun marin n’imagine partir en mer sans sa carte marine, sur laquelle figurent des repères, invisibles car immergés, mais dont la prise en compte est essentielle pour naviguer en surface. Apprendre à se saisir de cette dimension cachée, non-consciente, implicite est indispensable à l’émergence de systèmes coopératifs. C’est ce que vise l’Observatoire de l’Implicite que nous avons créé.

Clé #4 : Tout prévoir empêchent la coopération ! Sachez laisser du vide.

Je cite Bertrand Piccard : « On dit que la nature a horreur du vide, mais c’est faux. C’est l’être humain qui a horreur du vide, et qui veut à tout prix remplir tous ses doutes par des explications. Nous oublions que l’interrogation est porteuse d’ouverture. » C’est le vide qui permet de créer. Dans un espace où tout est prévu, où chaque journée est prédéfinie du matin au soir, il ne peut pas y avoir de créativité, d’émergence, d’innovation. Quand nos agendas sont trop remplis, ils limitent notre disponibilité à l’autre, et donc à la co-opération. Quand l’ordre du jour de nos réunions est trop chargé : comment voulez-vous avoir une chance d’être co-auteur d’une œuvre commune ? Quand tout est déjà cadré, écrit et défini : comment puis-je mettre mon empreinte puisqu’il n’y a pas d’espace ? Nous menons en ce moment à l’InsTerCoop un projet partenarial, lauréat d’un programme européen pour le développement rural. Nos réunions de gouvernance coopérative sont peu fréquentes (2 ou 3 par an) mais organisées sur deux jours. L’ordre du jour fait 2 lignes : 2 sujets que nous allons explorer ensemble pendant la session.

C’est cet espace créé et laissé vide qui permet aux acteurs de prendre leur place, de devenir co-auteurs et de contribuer à l’effet boule de neige du projet et à son impact grandissant.

Notre peur du vide, l’injonction à aller vite nous fait faire des erreurs préjudiciables. Souvent dans nos réunions, nous passons directement de la phase « problème » et la phase « résolution », sans laisser d’espace de « digestion » entre les deux. Or, nous sommes des êtres organiques : nous avons besoin de digérer les choses qui nous arrivent, besoin d’un espace de « vide » pour permettre de s’approprier la problématique, prendre en compte les éléments implicites dont nous venons de parler, et élaborer une juste réponse. Apprivoiser le vide, ré-introduire des espaces de disponibilité et de digestion est essentiel. Il faut savoir aller lentement pour aller vite.

Clé #5 : Penser en termes de dialogie

Nous courrons après les bonnes pratiques, mais la vraie bonne pratique serait d’apprendre à penser « dialogique ». Prenons un exemple.

Beaucoup de projet démarrent par la recherche d’une « vision et d’objectifs partagés ». C’est évident : nous avons besoin d’unité pour construire des actions communes. Mais cette unité se fait souvent par la recherche d’un plus petit commun dénominateur : si la vision et les objectifs sont réduits à la seule part commune à tous, ils ne sont plus réellement motivant pour personne : on est d’accord, mais on n’agit pas car on a perdu le moteur de l’action.

Cet exemple met en évidence une dialogie entre « unité » et « diversité ». Nous avons besoin de l’unité qui va donner au projet sa puissance, son impact, sa lisibilité. Et nous avons besoin de la diversité qui va donner la vie, la richesse, et permettre d’élargir le cercle des parties prenantes. « Diversité et unité » constituent ce qu’Edgar Morin, le théoricien de la pensée complexe, appelle une dialogie : deux logiques complémentaires, qui peuvent également être concurrentes, voire même antagonistes. A l’InsTerCoop, nous avons ainsi identifié 12 dialogies qui constituent les principes d’action de la coopération et permettent de gagner en maturité coopérative. Penser dialogique permet d’agir en complexité.

Pour conclure, je veux vous dire que la coopération est un levier de résilience et de développement. Les 5 clés que je viens de présenter contribuent à la création de ces écosystèmes territoriaux coopératifs :

  • Mettre le processus coopératif en premier
  • Prendre en compte les personnes
  • Accéder à l’implicite
  • Laisser du vide
  • Penser dialogique

Licence : CC by-nc-nd

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