INTRODUCTION
En décembre 2022, le ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe, déclare vouloir faire de la lutte contre le non-recours l’une des priorités des prochaines années. Le ministère des Solidarités lance le 31 mars 2023 l’appel à projets relatif à l’expérimentation « Territoires zéro non-recours », « L’objectif de l’ensemble des projets sera de développer des démarches ciblées pour informer et accompagner les personnes sur leurs droits » [1]. Les pouvoirs publics s’emparent actuellement de la question et encouragent les initiatives de lutte contre le non-recours aux droits sociaux. En ce sens, les acteurs locaux cherchent à développer une action publique adaptée aux besoins et aux particularités du territoire en s’assurant de mettre en place les conditions favorables pour permettre aux personnes de sortir de leur impuissance d’agir, sortir du non-recours et leur permettre de participer activement à la vie locale. La pertinence de traiter localement la question du recours est une priorité affichée des politiques publiques.
Nous proposons d’étudier les conditions potentiellement favorables au développement d’un recours aux droits, à une échelle locale, à travers la notion du développement local.
DÉVELOPPEMENT LOCAL, UNE DYNAMIQUE FAVORISANT LE RECOURS AU DROIT SOCIAL ?
« Aux yeux des professionnels, le non-recours aux droits provient des difficultés des personnes à demander des aides, mais très peu parlent de l’incapacité des structures à favoriser l’accès aux droits » (Fabienne Delahaye, cheffe de projet au sein du laboratoire social le Centsept, qui coordonne une des expérimentations) (Hemmerich, 2023).
Dans un modèle de développement local, l’accent est mis sur le pouvoir d’agir des acteurs locaux (population, association, pouvoirs publics) pour prendre en charge leur propre développement, plutôt que d’être dirigés par des décisions prises à des niveaux supérieurs. Ce modèle collaboratif vise l’engagement actif et participatif de la population dans les processus de prise de décision affectant leur territoire.
Le développement du pouvoir d’agir est le « processus par lequel des personnes accèdent ensemble ou séparément à une plus grande possibilité d’agir sur ce qui est important pour elles-mêmes, leurs proches ou la collectivité à laquelle elles s’identifient. » (Le Bossé, 2016). L’action est fondée sur la valorisation des capacités des personnes, qui sont les mieux placées pour définir elles-mêmes les enjeux de leur difficulté et les solutions à envisager (Le Bossé et Dufort, 2003) ; et qui peuvent exercer “un plus grand contrôle sur l’atteinte d’objectifs importants pour” elles (Bacqué et Biewener, 2013). Les personnes sont donc considérées comme des acteurs du territoire (pas comme bénéficiaires), elles sont associées.
Le développement du pouvoir d’agir contribue à l’émancipation des personnes et implique leur participation pour co-construire l’action publique. Il vise la coopération et la collaboration entre les différents niveaux de gouvernement et les acteurs locaux en reconnaissant, valorisant “les ressources, réussites et opportunités des personnes” (Ninacs, 2008) et en les articulant avec les ressources de leur environnement pour atteindre des objectifs communs. L’enjeu est de créer les conditions permettant aux personnes d’exercer pleinement leurs droits et de favoriser le bien-être des individus en augmentant leur liberté de choix et leur possibilité réelle d’agir (Vidal-Gomel, 2021).
Ces conditions recherchées visent à faciliter « la capacité d’un individu à faire usage des ressources à sa disposition pour les convertir en réalisations concrètes » (Fernagu-Oudet, 2012, p. 10).
FAVORISER LE RECOURS DES INDIVIDUS EN DÉVELOPPANT LEUR POUVOIR D’AGIR
L’engagement de tous les acteurs mène donc à repenser l’engagement individuel. Des liens sont identifiables entre la subjectivité individuelle mobilisée et une potentielle responsabilité collective concernant l’influence exercée sur ces représentations (S.Kerr,1982).
Pour appréhender l’analyse du point de vue individuel, la typologie explicative du non recours de l’ONEDORE (Warin, 2017a) nous permet de distinguer les enjeux liés aux représentations de ceux liés au contexte. En effet, on y différencie des explications liées au contenu de l’offre, aux pratiques professionnelles/institutionnelles, à l’intérêt personnel, aux représentations et normes personnelles et aux ressources économiques, sociales et psychiques.
A travers ces modèles, il apparaît donc que les intérêts individuels et le jeu des différents acteurs sont interdépendants et complémentaires.
Le développement du pouvoir d’agir, comme outil d’émancipation, s’accompagne d’une conscientisation et de l’articulation du « pouvoir de », du « pouvoir avec » et du « pouvoir sur », ce qui correspond à « l’articulation entre émancipation individuelle, collective, et projet politique ; la réflexion sur la nature et les différentes formes du pouvoir, pour en dégager les apports » (Bacqué et Biewener, 2013).
Le développement du pouvoir d’agir peut donc être considéré comme une démarche éthique à questionner, territorialiser, et une invitation à plus de transparence et d’égalité relationnelle parmi les différentes parties prenantes des politiques publiques.
CONCLUSION : UNE COOPÉRATION LOCALE POUR FAVORISER LE RECOURS ?
Le développement local repose sur la mobilisation de nombreux acteurs et de dispositifs institutionnels particuliers, qui facilitent et consolident les dynamiques établies et qui participent à amplifier la cohérence du territoire. La qualité de cette dynamique de coopération (J. Rawls, 2020) influe directement sur les inégalités sociales. Si elle est bonne, non seulement l’information circulera mieux et touchera les concernés plus facilement, mais la responsabilité individuelle sera aussi stimulée par un pouvoir d’agir plus grand. Il s’agit pour les acteurs locaux de détecter chacun de leur côté, d’analyser collectivement et d’agir globalement pour porter vers les institutions concernées.
La notion de développement local est donc fondamentalement créatrice d’une dynamique émancipatrice. Ce que nous visons par cette logique de coordination locale correspond bien à la notion d’Action Sociale telle que définie dans ce contexte d’étude sur le non-recours : “L’action sociale désigne l’ensemble des moyens mis en œuvre par les différents acteurs intervenant dans le champ social, dont les protagonistes sont les collectivités territoriales et l’État, pour garantir une cohérence et une harmonie optimales au sein de la société, notamment par des dispositifs législatifs ou réglementaires et par des actions et aides matérielles ou financières visant à soutenir les personnes les plus en difficulté à vivre dans des conditions suffisantes et dignes, à acquérir ou à préserver leur autonomie et à s’adapter à leur environnement.” (Warin, 2017b).
BIBLIOGRAPHIE
Le Bossé, Y. (2016). Le développement du pouvoir d’agir dans l’intervention sociale - Yann Le Bossé - www.education-populaire.fr. https://www.education-populaire.fr/developpement-pouvoir-agir-yann-le-bosse/
Le Bossé, Y. , Dufort,F. (2001). Le pouvoir d’agir (empowerment) des personnes et des communautés : une autre façon d’intervenir. In F. Dufort, J. Guay (dir.), Agir au cœur des communautés : la psychologie communautaire et le changement social. Presses de l’Université Laval. pp. 75-115.
Dufort F. & Guay J. (dir.) (2001). Agir au cœur des communautés. La psychologie communautaire et le changement social. Laval (Québec) : Presses de l’Université Laval.
Bacqué, M., Biewener, C. (2015). L’empowerment, une pratique émancipatrice ? Paris :La Découverte. https://doi.org/10.3917/dec.bacqu.2015.01
Fernagu Oudet, S. (2012). Concevoir des environnements de travail capacitants : l’exemple d’un réseau réciproque d’échanges des savoirs, Formation emploi, N° de Revue, 7-27.
Hemmerich, M. (2023). Du nouveau sur le front de l’accès aux droits. Alternatives Économiques, 432, 94-96. https://doi.org/10.3917/ae.432.0094
Megglé, C. (2023,). Expérimentation « Territoires zéro non-recours » : l’appel à projets est ouvert. Banque des Territoires. https://www.banquedesterritoires.fr/experimentation-territoires-zero-non-recours-lappel-projets-est-ouvert
Ninacs W. A. (2008), Empowerment et intervention : développement de la capacité d’agir et de la solidarité. Québec :Les Presses de l’Université Laval.
Rawls, J. (2020). La justice comme équité : Une reformulation de Théorie de la justice. Paris : La Découverte.
Vidal-Gomel, C. (2021). Chapitre 5. Des apports de l’ergonomie constructive pour concevoir des formations capacitantes. In, C. Vidal-Gomel (dir.), Formation et prévention des risques professionnels : Vers des formations capacitantes (pp. 212-245). Dijon : Éditions Raison et Passions.
Warin, P. (2017). Chapitre 1. Modèles d’analyse et définition du non-recours. Dans : , P. Warin, Le non-recours aux politiques sociales (pp. 17-44). Fontaine : Presses universitaires de Grenoble.
Warin, P. (2017). Glossaire. Dans : P. Warin, Le non-recours aux politiques sociales (pp. 233-240). Fontaine : Presses universitaires de Grenoble. https://www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/le-non-recours-aux-politiques-sociales--9782706125713-page-233.htm
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