La notion de réflexivité connaît un grand succès en formation. Tout le monde en parle, mais elle n’est pas toujours facile à mettre en œuvre. La réflexivité est une approche pédagogique qui consiste à réfléchir, à prendre du recul, à mettre à distance son action.
Parmi les méthodes utilisées pour la favoriser, l’entretien d’explicitation figure en bonne place. C’est une forme d’entretien visant à aider une personne à décrire et à analyser en détail ses actions et ses pensées pendant une tâche spécifique. Il permet de rendre explicites les savoirs implicites et les compétences mobilisées lors de cette tâche.
Pour en parler plus concrètement, le Living Lab Sofa a rencontré Isabelle Guérin, Responsable de formation au Cnam Pays de la Loire sur les sites de Cholet et d’Angers.
Elle nous raconte comment elle l’utilise.
Living Lab Sofa : dans quel contexte avez-vous eu recours à cette méthode ?
Isabelle Guérin : je l’ai utilisée dans le Master Gestion des établissements sanitaires et médico-sociaux (GESM). C’est un secteur où l’échange de pratiques est très important. Je cherchais un moyen de leur permettre de faire un pas de côté par rapport aux problématiques auxquelles ils sont confrontés sur le terrain. Ils ont parfois du mal à exprimer ce qu’ils ont mis en place en situation de travail pour les résoudre. J’avais étudié l’entretien d’explicitation dans une formation à l’analyse des situations de travail et je trouvais que cela pouvait être une bonne méthode pour faciliter des retours d’expérience (Rex).
Living Lab Sofa : concrètement, comment l’avez-vous organisé ?
Isabelle : lors d’une séance de Rex, je leur ai demandé de se mettre en binôme pour parler d’une situation de travail qu’ils avaient vécue, pour qu’ils expliquent comment ils avaient agi et quelles compétences ils avaient développées à cette occasion. Je n’ai pas parlé d’entretien d’explicitation, car c’est notre jargon. Je leur ai demandé de décrire une situation de travail et de valoriser les compétences à l’œuvre dans cette situation. L’atelier s’est déroulé pendant une heure et demie, chaque étudiant prenant à tour de rôle le rôle de la personne qui écoute ou de celle qui expose la situation.
Living Lab Sofa : quel cadre avez-vous posé à cette occasion ?
Isabelle : le cadre posé est celui de l’entretien d’explicitation, à savoir mettre en place un climat de bienveillance, sans jugement. Il s’agit de se mettre d’accord sur le déroulé de cet entretien (dit le contrat) afin que le cadre soit clair et accepté mutuellement. L’écoute active est au cœur de l’entretien. L’interviewé doit être accompagné à décrire les actions de la situation vécue. Cette technique est centrée sur la description uniquement des actes réalisés dans une situation réelle. Tout l’art de l’exercice relève de la capacité à reformuler les mots exprimés sans les interpréter. L’interviewé doit rester dans une position de parole incarnée. L’intervieweur doit reprendre les mots exacts de l’interviewé sans interpréter. Il faut respecter le temps de verbalisation (les silences par exemple) : « Et quand tu dis que tu as fait, comment l’as-tu fait ? ». Il faut prendre l’émotion, mais ne pas rester dessus. Cela demande beaucoup d’attention. Donc, on ne peut pas vraiment mettre un temps limite ou minimum. On prend ce que livre la personne, mais si elle veut s’arrêter, cela fait partie du contrat. Ce n’est pas structuré comme une animation de séance classique.
Living Lab Sofa : comment sont exploités ces entretiens ?
Isabelle : une fois les entretiens réalisés par les binômes, il y a un feedback collectif sur ce qu’ils ont vécu pendant ces entretiens. Certains ont expliqué qu’ils s’étaient finalement replongés dans la situation au point de la revivre parfois. Le fait de la mettre en mots leur permettait non seulement de raconter la situation, mais aussi d’analyser ce qui s’était passé, et d’énoncer les compétences qu’ils avaient mobilisées pour y répondre. Ils découvrent d’ailleurs qu’ils ont souvent mobilisé des compétences communes, individuelles ou collectives, en plus de l’écoute active. Cela permet de parler d’analyse de situation de travail et de redéfinir ce que sont les compétences.
Living Lab Sofa : quelle est la plus-value de cette forme d’entretien ?
Isabelle : en tirant le fil, les étudiants en sont venus à se dire que la méthode utilisée pouvait aussi leur être utile dans le cadre de leur activité, qu’il pouvait y avoir un transfert dans la pratique professionnelle. En tant que futurs managers, ils seront amenés à travailler avec leurs équipes et à rencontrer des situations problématiques. Cette forme d’entretien peut faciliter leur expression. Les étudiants s’exprimant peu d’habitude se sont sentis plus à l’aise pour exprimer leur vécu. Et pour ma part, j’étais dans un rôle d’accompagnement très gratifiant, j’adore !
Living Lab Sofa : quelle est la limite à l’usage de l’entretien d’explicitation ?
Isabelle : il faut aussi penser à l’espace, que les personnes soient confortablement installées, à la fois pour s’exprimer ou pour recevoir ce qui se dit. Il faut bien poser le cadre et s’assurer que chaque partie est d’accord pour jouer le jeu. Il ne faut pas non plus tomber dans une écoute trop psychologique ou empathique. Il faut pouvoir accueillir les émotions mais guider pour recentrer sur les actions décrites. Ce n’est pas chose facile suivant ce que l’on reçoit de la personne interviewée. Enfin, il faut être en forme aussi, car cela demande beaucoup d’attention et d’énergie pour écouter ! On parle du travail avec des humains !
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