Un article repris du site Ingénieurs sans frontières (ISF), une publication sous licence CC by sa
Aujourd’hui, c’est quoi le rôle social des ingénieur·es ?
Aujourd’hui, l’organisation du travail est très segmentée. Cette segmentation, qui apparaît avec le fordisme, donne à tous·tes les travailleur·euse·s une mission précise (qui se traduit souvent par une fiche de poste) et des rapports hiérarchiques qui viennent encadrer cette mission. Ainsi, cette segmentation est associée à une organisation pyramidale dans laquelle l’ingénieur·e se trouve proche du sommet. Il a alors le statut de « cadre », c’est-à-dire d’encadrer l’activité de l’organisation. Ce statut le place aussi en dehors d’un certain nombre de rapports hierachiques et lui laisse une certaine place pour prendre des initiatives et des décisions. Et même chez les cadres, on observe une segmentation du travail. Chaque segment (ingénieur·e·s, directeur·rice·s financier·es, RH…) a sa spécialité et son champ d’action. De ce fait, l’ingénieur·e est le·a seul·e responsable de la technique et de la manière dont elle est pensée et mise en place. Ainsi, cette organisation du travail entraîne aussi une dépossession du pouvoir de décision des citoyen·nes, et en premier lieu des travailleur·euse·s, sur les enjeux autour de la technique et de sa place dans la société.
Ce rôle social n’est pas inné. Il est acquis tout au long de la formation d’ingénieur·e. Celle-ci est principalement construite autour d’une formation technique puisque c’est sur ce segment que sera recruté le·a futur·e ingénieur·e. À ce cursus, s’ajoutent souvent des cours de « sciences sociales » qui tournent souvent autour de l’organisation des entreprises et du travail (notamment avec un stage en entreprise) et du management. Ces cours ont plus pour objectif de faire comprendre à l’étudiant·e quelle sera sa place, et surtout quelle ne sera pas sa place, dans l’entreprise que de lui apprendre à avoir un regard critique et réflexif sur son rôle dans cette organisation.
Demain : un nouveau rôle pour l’ingénieur·e ?
Cette place de l’ingénieur·e est largement dénoncée et désertée, notamment pour la responsabilité qu’a la profession dans les crises écologiques actuelles. À ISF, nous partageons ce constat, mais nous ne pensons pas que la société n’a pas besoin d’ingénieur·e. Nous pensons en revanche que le rôle qu’occupe aujourd’hui n’est pas le bon et nécessite d’être repensé. Pour cela, nous proposons que l’ingénieur·e devienne un animateur·rice de la technique. Il nous semble que cela serait une place qui permettrait d’avoir une appropriation plus démocratique des questions techniques dans la société. Ce changement du rôle de l’ingénieur·e implique aussi, selon nous, une réorganisation et une dé-segmentation du travail.
En étant animateur·rice de la technique, l’ingénieur·e doit pouvoir accompagner la compréhension de la technique et des enjeux autour de cette question pour la société. Cette appropriation pourrait se faire en suivant les principes de l’éducation populaire. C’est-à-dire de mettre en place des pratiques d’animations pour faire réfléchir à un sujet, ici la technique. Ce rôle pourrait aussi permettre de sortir de la posture d’expert dans laquelle se trouve actuellement l’ingénieur·e (et les scientifiques en général) pour adopter une posture de personne ressource capable d’accompagner le processus de formation et la prise de décision autour des enjeux techniques. C’est ça, pour nous, ce qui se cache derrière l’idée d’un·e animateur·rice de la technique.
Cette modification du rôle de l’ingénieur·e impliquerait une transformation du cursus de formation. Celui-ci serait toujours construit autour de la technique, mais avec laquelle viendraient s’articuler des modules de sciences sociales critiques. Ces modules, plutôt que de faire apprendre à l’étudiant·e quelle sera sa place dans l’organisation, auront pour objectif de faire adopter une posture critique et de comprendre les organisations sociales dans lesquels iels agissent pour pouvoir au mieux animer les questions techniques dans ces espaces.
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