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L’appel à communications
Les parcours d’apprentissage, enseignement supérieur et lieux de travail : soutenir les transitions en période de complexité
Les établissements d’enseignement supérieur (EES) se sont transformés dans toute l’Europe et au-delà, sous l’effet des évolutions économiques, sociales et politiques qui ont entraîné une mondialisation et une commercialisation croissante du système universitaire. Ces transformations ont notamment eu pour effet d’élargir l’accès et la participation de groupes sociaux qui ne seraient pas entrés dans l’enseignement supérieur auparavant, tels que les étudiants adultes (Scott, 2001 ; Fleming, Loxley et Finnegan, 2017). Un autre changement, impulsé par les politiques européennes, a été initié par le processus de Bologne (CE2010). Cela a contribué à renforcer les liens entre universités et employeurs pour mettre l’accent sur la préparation des étudiants au marché du travail afin de les rendre aptes à l’emploi : à eux de développer des compétences d’employabilité et de rédiger un portfolio s’ils veulent réussir dans un monde compétitif et individualiste. Comme le souligne Tomlinson : “Il ne suffit plus d’être diplômé, il faut être un diplômé employable“ (2012, p. 25).
Les étudiants adultes dans les universités vivent ainsi un certain nombre de transitions à leur entrée à l’université et durant leurs études, qui ont un impact sur leur parcours d’apprentissage et leur identité : pour beaucoup, il s’agit d’une expérience transformatrice, mais comme le souligne Reay (2003), elle peut aussi comporter le risque de rendre plus instables les équilibres et les relations antérieurs. De la même manière, la transition des diplômés vers le marché du travail peut apporter des avantages, mais peut aussi comporter des risques. Les étudiants adultes, en particulier ceux issus de la classe ouvrière, ne sont pas sur un même pied d’égalité lorsqu’il s’agit d’intégrer le marché du travail (Thompson, 2012 ; Merrill et al, 2020), car la concurrence avec les jeunes diplômés sur ce marché produit des inégalités d’âge, de classe, de genre et de race (Burke, 2014). Les étudiants adultes "non traditionnels" ont besoin d’une période de transition plus longue que les étudiants "traditionnels" pour trouver un emploi et, lorsqu’ils y parviennent, c’est souvent à un niveau inférieur que celui des diplômés. Ces étudiants sont donc confrontés à une inadéquation entre leurs qualifications acquises dans l’enseignement supérieur et la demande sur le marché du travail.
Ces transformations dans l’enseignement supérieur ont contribué à mettre l’accent sur le concept de transition, et ce, dans deux directions différentes. D’un côté, l’éclairage a été porté sur les enjeux liés aux expériences d’entrée dans l’enseignement supérieur afin de mieux soutenir les chances d’une population toujours plus importante (par exemple, les étudiants “non traditionnels”). D’un autre côté, ce sont les futurs contextes professionnels qui ont été l’objet d’une attention croissante pour prévenir la surcompétence, l’inadéquation des compétences et le chômage. Ces deux processus (entrant et sortant) sont profondément liés, car les transitions de l’enseignement supérieur vers le lieu de travail et vice-versa ne sont pas linéaires et peuvent se reproduire à différents moments de la vie d’une personne. Les transitions se produisent, en fait, tout au long du parcours d’une vie. De nombreuses études soulignent leur fréquence et leurs multiples configurations : “faites de discontinuités mineures et d’interruptions majeures durant un parcours individuel” (Chudzikowsk, 2012, p. 298) – par exemple, à travers un changement de rôle professionnel, un changement de cadre de travail (Greer & Kirk, 2022), un départ à la retraite (Beehr, 2014) ou une perte d’emploi (Gowan, 2014).
Dans ce scénario contemporain caractérisé par des parcours "protéiformes" (Hall, 2004) et le "life design" (Savickas, 2021), mais aussi par des interruptions professionnelles dramatiques (par exemple, la récente grande démission suite à la pandémie de Covid-19), la nécessité s’impose de plus en plus de repenser une multiplicité d’avenirs professionnels, de contextes alternatifs de travail et d’itinéraires d’apprentissage. Des effets inattendus, des crises comme le potentiel de transformation (Akkermans et Kubash, 2017) sont des dimensions souvent liées aux expériences de transition. Les étudiants adultes qui entrent à l’université sont un exemple de la manière dont une pluralité d’impacts façonne leurs parcours d’apprentissage et leurs identités : pour beaucoup, il s’agit d’une expérience transformatrice - susceptible de rendre leur propre capital culturel et social plus différencié. Ce phénomène révèle comment l’interconnexion des questions d’identité, des itinéraires professionnels, des aspects de formation et des dimensions socio-économiques dépeint - potentiellement - un phénomène complexe et à multiples facettes.
D’un autre côté, la prédominance des hypothèses invariablement basées sur la théorie du capital humain (Becker, 1964) génère continuellement le risque d’adopter des perspectives linéaires et réductionnistes. Par exemple, les compétences transférables sont fréquemment représentées comme des marchandises à livrer sur le marché ou comme des atouts permettant aux individus d’être mieux outillés dans un monde incertain (Han, 2009). Holmes (2023), s’appuyant sur la théorie politico-économique de Macpherson, dénonce l’utilisation répandue d’une “approche possessive” dans laquelle l’individu est conçu comme "essentiellement le propriétaire de sa propre personne ou de ses propres capacités, ne devant rien à la société" (Macpherson, 1962, p. 3). Un scénario où le “self-contained individualism” (Sampson, 1988) pousse les sujets à "investir" en eux-mêmes, en s’engageant dans l’apprentissage tout au long de la vie pour développer des compétences et des spécificités (Field, 2006). Ces représentations courantes sous-estiment radicalement les facteurs systémiques qui conditionnent les relations entre les individus, les établissements d’enseignement supérieur, les employeurs, les décideurs politiques, etc. Des chercheurs tels que Tomlinson (2008), Kalffe et Taksa (2015), en contraste avec cette perspective dominante, ont adopté un modèle de positionnement social qui se concentre sur une perspective relationnelle et historique. D’autres recherches se sont inspirées de Bourdieu (1986) et de ses travaux sur les capitaux (sociaux, culturels et économiques) afin d’examiner les facteurs structurels qui influent sur les résultats des diplômés sur le marché du travail, lesquels continuent d’être différenciés en fonction de la classe, de l’origine ethnique et du genre (Merrill et al., 2020).
Les établissements d’enseignement supérieur sont, plus particulièrement, confrontés à toutes ces questions, car il leur est demandé de plus en plus de soutenir les transitions vers le monde du travail par le biais de modules dédiés, d’activités de tutorat et de services d’orientation. Tout au long de ce réseau d’interventions, ils véhiculent inévitablement une certaine culture de la transition et déclenchent – d’un point de vue foucaldien – certains types de processus de subjectivation.
Ce colloque sera consacré à l’exploration des perspectives processuelles, contextuelles, théoriques et méthodologiques de ce phénomène afin de mieux comprendre comment les transitions de l’enseignement supérieur (ES) vers le marché du travail prennent forme et comment les parcours se déroulent et les identités se déploient tout au long de la vie professionnelle. Une constellation de concepts et de significations est souvent liée aux transitions lorsque nous commençons à nous interroger sur leurs configurations et sur la possibilité de planifier ou de prévoir partiellement leurs effets. Pour ce faire, les concepts de flexibilité, d’employabilité (De Vos et al., 2021) et de compétence devraient permettre un passage en douceur d’un contexte professionnel à un autre (par exemple, les compétences transférables ou intersectorielles font partie intégrantes de nos recherches).
Pour préparer ce colloque, nous recevrons des propositions d’articles, de tables rondes et de symposiums qui traitent d’un ou de plusieurs sujets suivants :
- Les différentes manières de faire face à l’"impératif d’employabilité", tant du côté des établissements d’enseignement supérieur que de celui des étudiants : existe-t-il des espaces pour cultiver des attitudes critiques et imaginatives ?
- Les approches conceptuelles et théoriques de l’employabilité ;
- Des programmes d’employabilité et des stratégies pour gérer les "transitions non linéaires" dans l’enseignement supérieur et entre les établissements d’enseignement supérieur et les lieux de travail ;
- Des expériences de tensions entre les multiples rôles de l’enseignement supérieur : par exemple, le développement communautaire inspiré par la justice sociale peut être présenté en opposition avec les discours sur l’employabilité basés sur le développement du capital humain ;
- Les enjeux de génération lors de la transition entre l’enseignement supérieur et le monde du travail ;
- Les transitions de l’enseignement supérieur vers le travail, en fonction du genre : défis et réponses ;
- Des approches d’apprentissage innovantes et des stratégies didactiques visant à s’adapter à la complexité émergente des lieux de travail ; par exemple, la nécessité de développer un état d’esprit DEI (diversité, équité, inclusion) tout en reconnaissant les différences culturelles entre les organisations et les pays ;
- Le rôle du capital culturel et social et de l’habitus dans les transitions et l’employabilité ;
- Les approches méthodologiques de la recherche/des transitions de parcours.
Références
Akkermans, J. and Kubash, S. (2017). Trending topics in careers : A review and future research agenda. Career Development International, 22 (2) : 586–627.
Becker, G. (1964). Human Capital : A Theoretical and Empirical Analysis, with Special Reference to Education. New York : National Bureau of Economic Research.
Beehr, T. A. (2014). To retire or not to retire : That is not the question. Journal of Organizational Behavior, 35(8) : 1093–1108.
Bourdieu, P. (1986).“The forms of capital”. In R. J. (Ed.), Handbook of Theory and Research forthe Sociology of Education (pp.241-258). New York : Greenwood Press.
Chudzikowski, K. (2012). Career transitions and career success in the ‘new’ career era. Journal of Vocational Behavior, 81, 298–306.
Field, J. (2006). Lifelong learning and the new educational order.London : Trentham Books.
Gowan, M. (2014). Moving from job loss to career management : The past, present, and future of involuntary job loss research. Human Resource Management Review, 24(3) : 258–270.
Greer, T. W., and Kirk, A. F. (2022). Overcoming barriers to women’s career transitions : A systematic review of social support types and providers. Frontiers in Psychology, 13, 7 : 77- 110.
Hall, D.T. (2004). The protean career : A quarter-century journey. Journal of Vocational Behavior, 65 (1) : 1-13.
Han, S. (2009). Competence : Commodification of Human Ability. In K. Illeris (Ed.), International Perspectives on Competence Development (pp. 56-68) London : Routledge.
Holmes L. (2023). Graduate employability and its basis in possessive individualism. In Siivonen, P., Isopahkala-Bouret U., Tomlinson M., Korhonen M. and Haltia N. (Eds), Rethinking graduate employability in context. Discourse, policy and practice (pp. 29-50). London : Palgrave Macmillan.
Kalfa, S and Taksa, L (2015). Cultural capital in business higher education : reconsidering the graduate attributes movement and the focus on employability. Studies in Higher Education, 40 (4) : 580-596.
Macpherson, C. (1962). The political theory of possessive individualism : Hobbes to Locke. Oxford : Oxford University Press.
Merrill, B, Finnegan, F., O’ Neill, J., and Revers, S, (2020). ‘When it comes to what employers are looking for, I don’t think I’m it for a lot of them’ : Class and capitals in, and after, higher education. Studies in Higher Education, Vol. 45 (1) : 163-175.
Sampson, E. (1988). The debate on individualism. American Psychologist, 43 : 15–22. Savickas, M. L. (2012). Career adaptability. Boston (USA) : 48HRbooks.
Tomlinson, M. (2008). The degree is not enough´ : students´ perceptions of the role of higher education credentials for graduate work and employability. British Journal of Sociology of Education, 29(1) : 49-61.
Tomlinson, M (2012), Graduate Employability : A Review of Conceptual and Theoretical Themes, Higher Education Policy, 25 : 412-431.
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