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La « plateformisation » de la formation

5 avril 2018 par Vincent Bullich MOOC 6710 visites 0 commentaire

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/2096

L’essor qu’ont connu les MOOC au cours de la décennie a révélé une forme nouvelle d’organisation de la production et de la valorisation des contenus éducatifs : la plateforme. Devant la multiplication des acteurs économiques présentant ce type de fonctionnement dans le champ de l’éducation et de la formation professionnelle, nous interrogeons, dans le cadre de cet article, un possible mouvement de « plateformisation » propre au domaine. Au travers de trois cas d’étude, nous avons ainsi cherché à identifier certains traits distinctifs, certaines propriétés caractérisant un tel mouvement. Deux aspects ont été privilégiés : le premier se rapporte aux stratégies mises en œuvre par les acteurs économiques pour attirer et fidéliser des membres autour des biens et services qu’ils proposent ; le second concerne les techniques de « mise en activité » de ces membres. Au final, l’article éclaire les transferts tant idéologiques qu’organisationnels qui s’opèrent dans le sens, semble-t-il unique, du monde informatique vers le monde éducatif.

Un article de Vincent Bullich publié par la revue Distances et Médiations des Savoirs, une revue sous licence CC by sa

Mots-clés : plateformes numériques, MOOC, industrialisation de la formation, marchandisation, économie de la promesse, mutations du travail pédagogique

Introduction

L’essor des MOOC [1] au cours des années 2011/2012 a suscité un renouveau prégnant des travaux sur la médiatisation de l’enseignement. Une rapide recherche sur deux bases de données scientifiques atteste en effet de l’engouement franc pour l’objet de la part des chercheurs en sciences humaines et sociales. Ainsi, plus de 6100 documents intégrant le mot-clé « MOOC » sont indexés par le moteur de recherche ISIDORE [2] et près de 216000 documents sont référencés par Google Scholar [3]. La plupart de ces documents ont été produits entre 2010 et 2017 et ceux présentés comme étant les plus « pertinents » sont des articles proposant généralement une appréciation de la portée pédagogique de ces cours à distance d’un genre nouveau. Au-delà des considérations quantitatives, une courte synthèse bibliographique met en évidence la nature des principaux questionnements dans l’espace de la recherche francophone. Dans un premier temps, les travaux se sont notamment concentrés sur les spécificités de ce format d’enseignement et sur les caractéristiques médiatiques des MOOC (p. ex. Mangenot, 2014). Dans cette perspective, le caractère radicalement innovant mis en avant par les thuriféraires de ces technologies pédagogiques a notamment été questionné (p. ex. Boullier, 2014), tout comme l’ont été les conséquences attendues pour l’institution universitaire ainsi que celles concernant les qualités des savoirs transmis (p. ex. Compagnon, 2014). Au final, c’est l’amplitude du phénomène, fréquemment présenté comme une évolution « disruptive », qui a été appréciée au regard de l’histoire de l’industrialisation de l’éducation et nuancée (p. ex. Mœglin, 2014). Ensuite, certains travaux ont porté plus particulièrement sur les relations pédagogiques médiées par ce type de technologies (p. ex. Wilhelm, 2016), sur les manières spécifiques par lesquelles elles affectent l’activité de l’enseignant comme celle des étudiants (p. ex. Adelman, 2015), sur les potentialités de reconfiguration des positionnements de chacun (p. ex. Boullier, 2015). En outre, certaines études se sont intéressées à ces dispositifs numériques hors de l’université, en questionnant leur intégration aux processus de transmission des savoir-faire en entreprise (p. ex. Dejoux Lirsa, Charrière-Grillon, 2016). D’autres encore ont visé à rendre compte des imaginaires à la base des pratiques d’enseignement et des mutations des apprentissages qu’induiraient ces cours en ligne (p. ex. Oliveri, Rasse, 2017). Enfin, les MOOC ont été abordés par le prisme des politiques éducatives. Le clivage est alors patent : si certaines prises de position apparaissent comme éminemment critiques (p. ex. Engel, 2014) d’autres, en réaction, se font plus compréhensives et envisagent notamment le phénomène comme une voie possible vers l’idéal « d’éducation ouverte » (« open education ») (p. ex. Cisel, 2015).

Bien que la dimension économique ne soit généralement pas évacuée de ces études, elle apparaît néanmoins comme secondaire, périphérique, le propos se concentrant sur les propriétés éducatives de ces objets médiatiques. Des exceptions notables nous renseignent toutefois ainsi sur les modèles économiques des principaux acteurs – qualifiés de « plateformes » – proposant ce type de contenus (Depover, 2014). Dans une même perspective, certains travaux documentent les sources de revenus, le jeu des licences de diffusion au cœur des enjeux de valorisation, les partenariats conclus entre ces acteurs économiques avec les grandes universités américaines (Durance, 2014). Est également étudiée l’inscription de ces activités dans leur contexte socio-économique d’émergence ; contexte marqué notamment par une crise des moyens des établissements d’enseignement supérieur, ainsi que la constitution rapide d’un oligopole international (Compagnon, 2014). Enfin, l’organisation de la production des contenus pédagogiques est abordée : sont ainsi notamment éclairées la tension entre injonction permanente à l’innovation et la standardisation des formats exigée par le contrôle des coûts et les objectifs de rentabilité, et, plus globalement, l’implication de ces contenus dans l’intensification de la concurrence entre universités (Boullier, 2013).

Dans la continuité de ces travaux, l’étude, dont le présent article se propose de rendre compte, a visé à apprécier les propriétés des acteurs dont l’activité économique est exclusivement liée à la valorisation de MOOC (ainsi que de leurs déclinaisons plus récentes en SPOC et COOC [4]). Le regard s’est dès lors moins porté sur les contenus proposés que sur les conditions de leur production et celles de leur valorisation. Plus précisément, la recherche a porté sur les modalités d’application de modes d’organisation industrielle identifiables dans l’économie numérique et généralement synthétisée dans le terme « plateforme » au champ de la formation (enseignement supérieur et formation professionnelle). Deux aspects ont concentré notre attention : le premier se rapporte aux stratégies mises en œuvre par les acteurs économiques pour attirer et fidéliser des membres autour des biens et services qu’ils proposent ; le second concerne les techniques de « mise en activité » de ces membres. Méthodologiquement, il s’est agi de mettre en perspective un « modèle » de plateforme, élaboré à partir de nombreux travaux antérieurs avec des cas d’études relevant exclusivement de la formation. L’hypothèse centrale a été celle d’une adaptabilité de ce modus operandi numérique à n’importe quelle sphère d’activité et, donc, en l’occurrence à la formation ; hypothèse qui apparaît partagée puisque certains auteurs n’hésitent pas à annoncer un « capitalisme des plateformes » (Srnicek, 2017).

Afin de mettre à l’épreuve cette hypothèse et de sélectionner des cas d’étude, nous avons volontairement laissé de côté les plateformes dominant le marché des MOOC (Coursera, Udacity, Khan Academy) parce qu’à la fois les plus connues et les plus étudiées, ainsi que celles liées à des initiatives publiques, parapubliques ou assimilées, par exemple OpenEducationEuropa (plateforme mise en place par la Commission européenne), EdX (plateforme à but non lucratif liée au MIT et à Harvard) ou encore la plateforme de MOOC de France Université Numérique (mise en place par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche). Nous avons opté pour des plateformes commerciales nettement moins étudiées, mais faisant figure de « challengers » robustes : Skillshare, Udemy, OpenClassrooms (les deux premières ayant été fondées aux États-Unis, la troisième en France). L’étude s’est découpée en quatre phases : la première a consisté en une exploration documentaire réalisée principalement à partir d’articles de presse ; s’est ensuivie une étude des discours promotionnels de chaque acteur tels que visibles sur les sites de ceux-ci, puis une analyse des clauses contractuelles consignées dans les conditions générales d’utilisation (CGU) de ces plateformes. Nous avons enfin éprouvé nous-mêmes les dispositifs proposés en nous inscrivant à la fois comme « apprenant » (à titre gratuit) et comme « enseignant/formateur » (quand il était techniquement possible de le faire). Par le biais de cette observation participante médiatisée, nous avons pu avoir accès à un ensemble de données factuelles supplémentaires.

Les résultats de cette étude seront présentés en suivant un plan tripartite : une première partie exposera le cadre conceptuel en explicitant notamment les deux concepts que nous mobiliserons pour asseoir notre propos : celui de « plateforme » et celui de « plateformisation ». La deuxième partie consistera en une critique de « l’économie des promesses » que manifestent les principaux discours promotionnels de ces acteurs. La troisième partie s’intéressera aux procédures destinées à « mettre en activité » les membres de ces plateformes. En conclusion, nous reviendrons sur l’adaptabilité du modèle d’organisation en plateforme au champ de la formation et sur l’appréciation de l’ampleur et des conséquences de ce mouvement de « plateformisation ».

Cadre conceptuel

Cette première partie a pour objet de proposer une définition des deux notions centrales de cet article : la plateforme et la « plateformisation ». Ces définitions sont en grande partie le résultat de travaux antérieurs, travaux que nous avons menés en propre [5] ou alors réalisés par des chercheurs d’horizons variés, mais dont les études visaient toutes à la caractérisation des innovations numériques au sein des filières industrielles.

La plateforme comme mode d’organisation de la production et de la valorisation

Dans le langage usuel, une plateforme se rapporte généralement à un dispositif numérique accessible par Internet et mis en place afin de produire un service d’intermédiation entre, d’une part, des acteurs qui proposent un bien ou un service et, d’autre part, des acteurs qui demandent à en bénéficier. Par métonymie, le terme désigne également les acteurs industriels qui mettent en place ce type de dispositif.

Du point de vue scientifique, le terme de plateforme est initialement mobilisé par des chercheurs en sciences de gestion et en sciences économiques aux États-Unis [6]. Le concept prend forme dès la fin des années 1980 dans le prolongement des « théories de la firme » [7] qui connaissent alors un fort regain d’intérêt. Suivant cette perspective, une « plateforme » désigne une modalité spécifique d’organisation de la production et ne concerne à cette époque aucunement des dispositifs liés au numérique ou à Internet. Cette organisation est caractérisée par la complémentarité d’un noyau de composants « essentiels » et stables auquel s’adjoint une multitude de composants périphériques et variables. La production se trouve donc distribuée entre une pluralité d’intervenants de statuts et d’envergures différents, menant des activités hétérogènes, mais concourant toutes à la réalisation d’un produit ou service « cardinal » qui est proposé par le gestionnaire de la plateforme (« platform leader », Gawer, Cusumano, 2002). Ce qui est mis en avant dans cette approche est donc la dimension « architecturale », caractérisée par la modularité, la distribution des fonctions et l’agrégation systémique de celles-ci (suivant une logique de « cluster », terme qui sera remplacé par celui d’« écosystème » par la suite) (Wheelwight et Clark, 1992).

D’un point de vue strictement économique, ces acteurs sont « coordonnés » par un jeu de tarification et de subventions croisés : certaines catégories d’utilisateurs de la plateforme « financent » les utilisations d’autres catégories [8], à l’instar, par exemple, des annonceurs qui « financent » les programmes audiovisuels auxquels accèdent gratuitement les téléspectateurs. En cela, de nombreux médias fonctionnent de manière analogue aux plateformes puisqu’ils articulent différentes « faces » ou « versants » de marché par des tarifications asymétriques (Sonnac, 2006). Néanmoins, on ne saurait assimiler le fonctionnement des médias traditionnels et celui des plateformes numériques de diffusion de contenus. En effet, quatre aspects majeurs permettent de singulariser, selon nous, ce type d’organisation.

Premièrement, l’activité de ces plateformes ne consiste pas en l’achat et en la revente de biens (ou de droits de diffusion par exemple) à des consommateurs finaux, mais bien plutôt en l’articulation de plusieurs marchés, c’est-à-dire en la proposition de différents biens ou services à chaque catégorie d’utilisateurs de la plateforme (principe des marchés « multi-versants »). L’absence de transactions en amont de la part du gestionnaire de plateforme, qui (généralement) ne paie pas pour l’obtention des contenus/produits/services qu’il propose est ainsi un critère discriminant décisif. En cela, le fonctionnement d’une plateforme numérique s’assimile à celui d’une « place de marché » plutôt qu’à celui d’un magasin (Hagiu, 2007). En outre, une telle organisation favorise le transfert du risque industriel vers les producteurs de contenus puisque le gestionnaire de la plateforme n’achète pas les biens et services proposés.

On retrouve par conséquent ici une logique de « courtage informationnel » et transactionnel (Mœglin, 2004), en ce que les gestionnaires de plateforme partagent un même principe de non-intervention directe dans la production des contenus qu’elles diffusent/commercialisent (Evans et al., 2006). Toutefois, là aussi, la plateforme présente des traits spécifiques qui la distingue de l’intermédiation commerciale ou des activités d’appariement, aussi sophistiquées soient-elles, que mène le courtier. En effet, la « finalité de la plateforme réside moins dans sa capacité à prélever un bénéfice direct sur les transactions qu’elle autorise que dans sa capacité à produire et capter des externalités liées à ces mêmes transactions » (Bullich et Guignard, 2014, p. 203). En cela, une « plateforme numérique » est un dispositif qui vise généralement une double finalité économique : à l’intermédiation commerciale (générant une rémunération qui prend dans la plupart des cas la forme d’une commission sur les transactions) s’ajoute généralement une autre fin économique. Celle-ci est originellement fonction de l’activité de base du gestionnaire de la plateforme, mais on s’oriente vers la généralisation des ventes de produits liés (par exemple des terminaux ou des services complémentaires) et – surtout – vers la valorisation systématique de données provenant des activités des membres de chaque versant.

Se révèle ici le troisième trait majeur du modèle organisationnel de la plateforme : le dispositif socio-technique au centre de l’organisation est tout autant un outil de diffusion d’informations et de biens et services en direction de chaque versant qu’un dispositif d’inscription et d’enregistrement des traces des actions de ses utilisateurs. En effet, la captation et le stockage des données de tous types d’activités (humaines et non humaines) via une multitude de capteurs est une fonction décisive pour la viabilité de l’organisation. Pour cette raison, le dispositif produit et traite de l’information en continu et en temps réel ; il s’adapte ainsi constamment aux activités de chacun, par le truchement d’une supervision et de rétroactions (« monitoring ») généralement automatisées.

Dernière spécificité, la plateforme en tant que dispositif est un opérateur de mise en activité. Elle est conçue pour ajuster les interactions entre des populations et activités hétérogènes et pour ce faire, produit une régulation spécifique, adaptée à ses objectifs propres, au moyen de différents outils techniques et normatifs (Bullich, 2015). Ces outils prennent généralement la forme de métriques et mesures affichées aux yeux de tous et qui comptabilisent, objectivent les « performances » liées aux activités de chacun. Ils se concrétisent également dans les « prises », les capacités d’actions qu’offrent les différentes interfaces ainsi que par l’envoi incessant « d’invitations » à l’action (s’apparentant quelques fois à des injonctions déguisées) que la plateforme produit via des flux d’alertes et de notifications adressées à chaque terminal. Enfin, des normes d’usages sont explicitement prescrites dans le cadre des conditions générales d’utilisation (CGU). Cet aspect est essentiel pour l’étude que nous allons présenter dans les paragraphes suivants.

La « plateformisation » comme avatar numérique des processus d’industrialisation et de marchandisation de l’éducation

Encore moins que le terme plateforme, le néologisme « plateformisation » ne présente pas d’acception précise, clairement stabilisée et dont l’emploi ferait consensus. Principalement porté par des entrepreneurs (p. ex. Chamboredon, 2016) et les « gourous » de l’économie numérique (Colin et Verdier, 2012 ; Babinet, 2016), le substantif a néanmoins investi depuis peu la terminologie universitaire (p. ex. Jamet et Vincent, 2016 ; Guibert et al., 2016). Nous recourons à la notion – que nous mobilisons avec prudence (ce qui explique les guillemets que nous avons accolés au terme) – afin de désigner l’essor de formes de production « distribuée », conjuguant intermédiation en ligne et activités de production hors ligne, à même de se substituer progressivement à des formes plus intégrées d’organisations dont les parangons sont la firme et, dans le cadre de notre étude, l’université (ou tout établissement d’enseignement). Ces organisations – regroupant traditionnellement en leur sein, au travers de leurs différents services et divisions, toutes les fonctions nécessaires à la production et à la valorisation – sont ainsi concurrencées par des formes plus « souples » d’entités productives, procédant par externalisation des tâches et par la mobilisation d’intervenants pluriels.
Dans la perspective qui est la nôtre, la « plateformisation » est donc intrinsèquement liée aux technologies numériques et aux capacités d’interconnexion des réseaux. Elle est conduite par des nouveaux entrants en provenance des secteurs de l’informatique et du Web qui, dans leur recherche de profit, s’appliquent à imposer un ensemble d’innovations « disruptives » dans un nombre croissant de champs professionnels et sociaux. Cette pensée de la « disruption », irriguée par les thèses sur la « destruction créatrice » de J. Schumpeter (1942), est au cœur des stratégies de ces acteurs qui, par la mise en place de dispositifs socio-techniques spécifiques, cherchent à modifier en profondeur les pratiques et modes d’organisation antérieurs. En l’occurrence, l’organisation en plateforme présente un avantage décisif au regard des spécificités du monde éducatif : elle apparaît comme potentiellement vectrice de gains de productivité, voire même en capacité d’abolir « la fatalité des coûts croissants » (Compagnon, 2014). En effet, trois éléments se combinent efficacement pour abaisser les coûts de production tout en augmentant drastiquement la surface de prospects. Le premier est lié à la médiatisation des enseignements : les MOOC peuvent ainsi être vus par tous sans que n’augmentent (excessivement) les coûts de la plateforme (suivant un principe d’économie d’échelle). Le second se rapporte aux coûts de production. Comme indiqué ci-avant, le gestionnaire de la plateforme n’investit pas directement dans la production de ces MOOC. En outre, les frais liés à ses immobilisations (bâtiments, mobiliers, etc.) sont nettement moindres que ceux afférents à un établissement de formation et – surtout – ne croissent pas en fonction du nombre de cours proposés. Le troisième est lié aux coûts de main-d’œuvre. Les enseignants/formateurs qui proposent des cours ne sont pas directement rémunérés par le gestionnaire de la plateforme, mais rétribués au prorata des inscriptions des apprenants à leur cours. L’absence de salariat pour cette partie de la main-d’œuvre permet évidemment une économie significative. Le nombre d’enseignants est potentiellement illimité sans que, ici aussi, n’augmentent (excessivement) les coûts de la plateforme. Par conséquent, la plateforme apparaît comme une réponse possible à la loi de Baumol et Bowen appliquée à l’éducation [9], qui intégrerait donc, par son entremise, le « secteur progressif » [10].

En cela, la « plateformisation » apparaît comme un avatar numérique de deux « procès » [11] qui configurent de longue date l’activité éducative : l’industrialisation et la marchandisation. Nous reprendrons ici les propositions de P. Mœglin (1998) qui envisage l’industrialisation comme la conjonction d’un processus de « technicisation » (incorporation croissante d’outils/machines comme facteur de production), de « rationalisation » (définition d’un savoir opérationnel et mise en œuvre de procédures de comptabilisation et d’évaluation) et « d’idéologisation » (comme production d’un ensemble de représentations sociales accompagnant ce processus et adhésion des individus à celles-ci). Le « procès » de marchandisation peut, quant à lui, être défini comme la transformation d’une « valeur d’usage » propre à un contenu, en l’occurrence éducatif, en « valeur d’échange » par la mise en disponibilité sur un marché en vue d’un enrichissement, de l’obtention d’un profit. L’idée de marchandisation se rapporte donc foncièrement à un mode de valorisation alors que l’industrialisation désigne une dynamique touchant le mode de production. C’est précisément au prisme de ces deux processus conjoints que nous allons aborder nos cas d’études : les phénomènes relatifs à la marchandisation apparaîtront en filigrane tout au long de l’article. Pour ce qui est de l’industrialisation, nous laisserons de côté les aspects en rapport avec la technicisation des pratiques (par manque d’espace), pour nous centrer, d’une part, sur les manifestations de la rationalisation propres aux plateformes (partie 3) et, d’autre part, sur les discours idéologiques s’intégrant dans une « économie des promesses » (partie suivante).

Coordination des versants et « économie des promesses »

Ainsi que nous l’avons indiqué ci-avant, la plateforme est foncièrement une organisation socio-technique visant à la coordination d’activités et d’acteurs hétérogènes. Il s’agit en effet pour le gestionnaire de la plateforme de produire un service d’appariement entre deux ou plusieurs « versants de marché » et de valoriser cet appariement de façon directe (prélèvement d’une commission sur les transactions) et indirecte (valorisation des données). Une des caractéristiques saillantes mise en évidence par les travaux économiques sur ce type d’organisation est le phénomène « d’effets de réseaux indirects » qui s’y rapporte inéluctablement (Evans et al., 2006). En termes simples, le nombre et la qualité des participants à un versant sont fonction du nombre et de la qualité des participants des autres versants. Considérant cette propriété, nous avons dans un premier temps étudié la teneur des argumentaires commerciaux énoncés sur les pages Web des plateformes sélectionnées. Nous avons inscrit ces argumentaires, ainsi que les représentations sociales sur lesquels ils s’appuient, dans une « économie des promesses » (Chateauraynaud, 2011). Dans la sociologie des sciences et techniques, ces « promesses » constituent des modalités de « construction collective du futur », modalités produites à partir de discours et de représentations à même de déterminer les pratiques (Joly, 2010). Ces « promesses » ont donc des effets performatifs et sont susceptibles de contribuer significativement à la mise en œuvre d’une activité, en orientant durablement les décisions des acteurs. En l’occurrence, nous avons cherché à identifier à la fois les promesses transversales, principalement liées à l’outillage numérique de la relation pédagogique, et les promesses relatives aux deux « versants » que sont les apprenants et les enseignants/formateurs.

Des activités « sur mesure »

La promesse sans doute la plus mise en avant par ces plateformes est celle de la personnalisation. Celle-ci s’adresse tant aux étudiants qu’aux formateurs. Tout d’abord, cette promesse se décline sous la forme d’un usage que l’on annonce tout à la fois immédiat, continu, ubiquitaire et à volonté. En effet, sur le versant « apprenants », les plateformes considérées mettent en avant les possibilités d’un apprentissage suivant des modalités « ATAWAD » (« Any Time, AnyWhere, Any Device »). Skillshare explique ainsi que le format vidéo des MOOC qu’elle héberge est optimisé pour une lecture sur terminaux mobiles, permettant de suivre un enseignement durant n’importe quel « moment creux ». Autre aspect particulièrement vanté, la dimension « à la demande » (« on demand ») du cursus. La flexibilité et le choix des temporalités est un argument crucial : pas de contraintes d’horaires, une amplitude temporelle du cursus qui varie selon l’apprenant, à qui l’on propose d’être « libre » d’apprendre « à son rythme ». En outre, Udemy met en avant le fait que les enseignants sont également particulièrement disponibles et prompts à dispenser « un accompagnement personnalisé en temps réel ».

La personnalisation vantée passe également par l’abondance de l’offre proposée : les catalogues sont copieusement fournis afin de s’assurer de disposer de produits qui conviennent aux aspirations de chacun. L’argument est d’autant plus décisif pour les plateformes dont le modèle d’affaires repose sur l’abonnement : il s’agit de conserver les clients/apprenants le plus longtemps possibles en renouvelant continûment les offres de formation. Un aspect remarquable et récurrent de ces plateformes est donc la mise en avant de chiffres impressionnants concernant leur catalogue de formation : plus de 17000 cours sont ainsi proposés par Skillshare et pas moins de 55000 sont proposés par Udemy. OpenClassrooms se distingue de ses homologues d’outre-Atlantique et affiche un total de cours nettement inférieur (mais dépassant le millier tout de même). Ceci s’explique en grande partie par la diffusion plus restreinte des cours francophones ainsi que par le positionnement plus exigeant de la plateforme française (l’accès pour les enseignants étant notamment moins ouvert : voir infra). De même, le nombre d’enseignants/formateurs particulièrement élevé (plus de 270000 formateurs pour Udemy !) est présenté comme un gage de qualité des services de la plateforme : à chaque apprenant correspond donc un cours et correspond donc un enseignant. Au cœur de la logique argumentative se trouve donc l’efficience du « matching ». Ce dernier est potentiellement optimisé par l’ensemble des données dont dispose la plateforme. De manière analogue au fonctionnement des sites de rencontres, ces plateformes produisent en effet d’incessantes recommandations en direction des apprenants en fonction des informations personnelles délivrées via les formulaires d’inscription. Néanmoins, l’acuité de l’algorithme d’appariement est surtout vantée auprès des enseignants impétrants à qui l’on promet ainsi un public pour leurs productions futures : la machine serait en effet capable de trouver des étudiants à même d’être intéressés pour tous les cours qu’ils seraient en mesure de proposer. La sélection et l’orientation sont par conséquent déléguées à l’outil décisionnel informatique qui, en tant que « courtier » automatisé et alimenté par des données précises, serait bien plus à même que les individus à procéder à un « fit » [12] optimal.

Sur le versant « apprenants », cette promesse de personnalisation entretient des liens ténus avec le mythe de la « démocratisation de l’accès au savoir » par la technique (Wilhelm, 2016), les outils numériques étant présentés – paradoxalement – comme vecteur d’un rapport im-médiat aux connaissances et compétences. Sur le versant « enseignants/formateurs », la personnalisation est avant tout liée à l’autonomie dont ils sont censés disposer pour transmettre leur savoir. Néanmoins, si la liberté d’action apparaît peu contrainte quant aux contenus des cours proposés, il en va différemment pour les formats proposés qui doivent respecter certains gabarits (durée des vidéos, nombre de vidéos pour un même cours, régularité des mises en ligne, etc.) précisément définis (voir infra).

Des outils « d’empowerment »

L’idée « d’empowerment » (« encapacitation ») est également au cœur des promesses énoncées par ces plateformes. À ce propos, la devise de Skillshare est édifiante : « At Skillshare, we believe that everyone can teach and that everyone should have the same chance to succeed. That’s why we created an inherently meritocratic platform. By teaching the skills needed in tomorrow’s world, Skillshare empowers people to advance their careers, improve their lives, and pursue the work they love. » [13] Transcendant sa raison d’être économique, la plateforme se pare ainsi de vertus morales et politiques, puisque reconnaissant le talent de chacun et contribuant à son épanouissement. De manière générale, l’accroche narrative (« storytelling ») que proposent ces plateformes, sur leur blog notamment, est celle d’une vocation, d’une impulsion altruiste visant à la réduction de la « fracture pédagogique ». Les fondateurs de Skillshare expliquent ainsi qu’ils ont fondé la plateforme afin de « combler le déficit de compétences professionnelles et offrir un accès universel à un apprentissage de qualité » [14]. L’abolition des frontières spatiales et temporelles que permettraient ces plateformes concourt à cette « encapacitation », cette augmentation de la capacité d’agir de chacun, ainsi que nous l’explique Udemy : « par la mise en relation de formateurs et d’étudiants présents aux quatre coins du globe, nous avons la possibilité à chaque instant d’impacter positivement des vies partout dans le monde. » Une nouvelle fois, le représentant français apparaît à ce sujet nettement en deçà de ses homologues américains, car la mise en récit de son activité sur son blog dédié manifeste moins le sentiment de mener une mission universelle en fonction d’idéaux profondément humanistes qu’un positionnement, somme toute plus modeste, d’adjuvant efficace à la réussite professionnelle.

Figure 1 : Page d’accueil du volet enseignant/formateur du site Udemy sur laquelle sont mis en avant les principaux « mantras » de la société : instruire le monde, s’accomplir et percevoir une rémunération ce faisant, s’intégrer à une communauté.
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Source : https://www.udemy.com/​teaching/​ ?ref =teach_header

Par ailleurs, cette « encapacitation » passe foncièrement par l’inclusion des « tous » (c’est-à-dire des membres et affiliés) dans l’activité de la plateforme. La participation constante est ainsi requise et est présentée comme une modalité d’acquisition de connaissances et d’exercice de ses compétences. On retrouve ici l’idéologie très en vogue dans la Silicon Valley du « learning by doing ». Cette variante numérique de la praxis est notamment formulée au travers des « mantras » des « makers » [15] californiens. Ainsi, les plateformes étudiées présentent les apprentissages qu’elles proposent comme « actifs », « fun », « pratiques » ; l’objectif est d’acquérir moins des connaissances que des « compétences », moins des savoirs que des « savoir-faire ». Les travaux des autres membres, dont une partie sont exposés, sont également présentés par Udemy comme des « sources d’inspiration », des « idées » pour les activités professionnelles de chacun. Cette promesse « d’encapacitation » sur le versant « apprenants » est assortie, pour OpenClassrooms, d’une garantie surprenante : un emploi est assuré dans les 6 mois suivant l’obtention d’un diplôme certifié par la plateforme. Dans le cas contraire, les frais de parcours sont intégralement remboursés [16].

Figure 2 : Promesses d’OpenClassrooms en direction des futurs apprenants : la formation en ligne comme « accélérateur » de carrière et « passeport » pour l’emploi, « garanti ou remboursé ».
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Source : https://openclassrooms.com/​

Sur le versant « enseignants/formateurs », « l’encapacitation » se réalise par le truchement d’une mise en visibilité par ces plateformes des aptitudes pédagogiques de chacun. Udemy affirme ainsi viser à ce que les « passions » s’expriment et se transmettent, que soient « reconnus » les « compétences » et le « talent » des individus désireux de devenir formateurs alors que Skillshare se présente comme un moyen de « lancer sa carrière » tout en « travaillant à la maison ». Les deux plateformes se positionnent ainsi comme un tremplin vers une carrière d’enseignant plus « traditionnelle » tout en étant une source de « compléments de revenus » (point sur lequel insiste OpenClassroom). De manière générale, le socle idéel convoqué ici est celui de l’économie de la réputation (Karpik, 2013) : il s’agit de gagner en notoriété afin de gagner en numéraires. La conversion se réalise suivant plusieurs modalités : paiement à la commission en fonction du nombre d’inscrits, « primes » de cooptation et de « parrainage », rémunération par des annonceurs. Les sommes en jeu sont mises en avant tels des prix à remporter : Skillshare explique ainsi que plus de 5 millions de dollars ont été distribués aux enseignants/formateurs depuis sa création en 2010 ; Udemy insiste sur les 17 millions de participants à la plateforme comme autant de clients potentiels ; OpenClassrooms expose des chiffres plus modestes – 2,5 millions d’étudiants mensuels et 70000 euros versés en 2015 – avec, néanmoins, la même visée d’assurer les candidats enseignants/formateurs de rétributions à venir. Le niveau de visibilité n’est pas uniquement lié au plébiscite des enseignements proposés ; il résulte en grande partie d’une activité continue et exigeante de promotion des MOOC. Or, ainsi que nous l’expliquerons ci-après, cette activité est réalisée par les enseignants/formateurs eux-mêmes, ou alors, dans le cas d’Udemy, peut être assurée par la plateforme contre une ponction de 50 % des revenus liés au cours promu.

L’inclusion dans une « communauté »

Le troisième maître-mot prégnant dans l’argumentaire de ces plateformes est celui de « communauté ». La condition première à cette promesse est l’accès « libre », sans contraintes (autres que pécuniaires) à ces plateformes. Idéalement, elles ont donc une vocation universelle ainsi que l’illustre la devise d’OpenClassrooms : « Tout le monde peut apprendre, tout le monde a quelque chose à partager ». Pour cette raison, aucun prérequis ni aucun niveau de formation ne sont exigés. Cet aspect est tout à fait envisageable pour ce qui est du versant étudiant, ces plateformes se posant en alternative aux « institutions traditionnelles » et leur sélection à l’entrée [17]. Il apparaît plus surprenant pour ce qui est des enseignants qui peuvent proposer des enseignements à leur entière convenance. Exception faite pour OpenClassrooms, qui impose un principe de certification, Skillshare demande uniquement que soit respectée une charte de bonnes pratiques éducatives (nommée « Skillshare’s minimum educational standards »), tout comme Udemy qui nous renseigne en début de création de cours sur les « exigences de base » de la plateforme (exigences plus formelles que franchement pédagogiques). Par conséquent, et à l’exception de la plateforme française, la qualité des enseignements n’est en aucun cas soumise à évaluation, et les enseignants ne doivent présenter ni qualifications ni expériences préalables.

Du point de vue des apprenants, la « communauté » se manifesterait dans la collaboration entre tous, promise par l’ensemble des plateformes étudiées. Celles-ci mettent en effet nettement en avant des propriétés d’entraide entre les membres de deux versants, entraide qui se manifesterait en raison de la simple présence d’outils pour ce faire : forums d’apprentissage, évaluations par les pairs en documents partagés, espaces de discussion privés. De façon attendue [18], « l’horizontalité » et la « collaboration directe » entre les individus sont au cœur des discours. Ces deux traits seraient vecteurs d’un « enseignement de proximité », ainsi que l’affirme le fondateur d’Openclassrooms (Nebra, 2015) : la solitude de l’apprenant derrière son écran est ainsi palliée par un travail en commun, l’éloignement étant compensé par la présence médiatisée et la « participation de chacun ». En outre, « l’échange avec les pairs » fait office de méthode d’apprentissage : le « mentorat » est notamment préconisé par Openclassroom et présenté comme une garantie de succès pour les apprenants. La sortie du cadre des établissements d’enseignement « traditionnels » apparaît également comme une promesse de réussite : la lourdeur organisationnelle de telles institutions est remplacée par un collectif « souple », une « communauté » de valeurs et de pratiques, suivant des conceptions en tous points conformes à « l’idéologie californienne » hégémonique dans la Silicon Valley (Wilhelm, 2016). Enfin outre, OpenClassrooms met en avant l’existence d’un réseau d’alumni propre à la plateforme, des « anciens prêts à [vous] aider » dans les démarches d’insertion professionnelle. La « communauté » dépasse donc le groupe de camarades de classe, mais se compose également de futurs « collaborateurs » et « partenaires professionnels ».

L’agrégation d’abonnés est donc présentée comme une « communauté », suivant un glissement sémantique très courant dans les sphères d’activités numériques et ce, depuis les premiers temps du Web (Proulx, Latzko-Toth, 2000). Néanmoins, dans le cas des plateformes américaines, cette « communauté » est tout sauf homogène. En effet, les individus qui la composent profitent de régimes variables en fonction de leur capacité à payer les services des plateformes. Celles-ci proposent ainsi des tarifications variées donnant droit à des prestations différenciées. Ces stratégies de « versionnage » et de discrimination par les prix ont pour effet de pluraliser les statuts et régimes des membres, la « communauté » étant alors manifestement hétéroclite et les individus la composant différenciés en fonction des paiements auxquels ils consentent. Sur le versant « enseignants/formateurs », on retrouve la promesse de « travail collaboratif » ainsi qu’une même dialectique « communauté/distinction ». Chaque plateforme propose ainsi des forums spécifiques aux contributeurs, des « centres de ressources » permettant une mutualisation des documents de cours, ainsi que des services d’assistance, composés de pairs volontaires, dédiés aux tâches pédagogiques. Les discours se veulent rassurants et il s’agit de conforter le candidat enseignant/formateur ou l’impétrant en lui garantissant un soutien de la part des autres membres de la « communauté » (à défaut de collègues). Les logiques de distinction opèrent en fonction des niveaux d’activités et des notes que les membres de ce versant se voient attribuer par ceux de l’autre versant (voir partie 3). Un principe de classement se manifeste donc ici et les deux plateformes américaines mettent clairement en évidence dans leur offre de formation la présence de « Top teachers » (Udemy) ou de « Notable instructors » (Skillshare). On trouve là une parfaite illustration de la théorie des « marquee suppliers » et « marquee buyers », comme agents clés d’un marché multi-versant (Rochet et Tirole, 2003). En effet, plusieurs travaux ont mis en évidence le fait que la présence de certains membres de chaque versant avait une influence décisive sur les membres de l’autre versant. Ils apparaissent en cela décisifs à la production des effets de réseaux indirects nécessaire à ce type d’organisation. Par exemple, la présence de fournisseurs de contenus « premium » sur un versant permet de fédérer de larges audiences. De même, des « consommateurs » de premier plan peuvent favoriser la venue de producteurs de contenus (le cas le plus courant est celui de l’annonceur prestigieux qui, en s’associant avec une plateforme pour la diffusion de ses messages publicitaires, va générer un effet d’entraînement). Or, cette logique de distinction, cette échelle des réputations est d’autant plus nécessaire que le nombre de contenus proposé est élevé. Les deux plateformes américaines affichant plusieurs milliers de cours, il leur est donc nécessaire de procéder à un classement, à un traitement différencié en termes de visibilité des membres du versant « enseignant/formateurs ». Ce faisant, elles basculent inexorablement dans un « marché des superstars » (Rosen, 1981 ; Frank et Cook, 1996). Sont ainsi mis en avant des « super » enseignants dont les cours regroupent plus de 100000 abonnés/participants et qui continuent d’agréger massivement les inscriptions [19]. Par conséquent, en régime d’abondance d’une offre différenciée, le risque de concentration de la demande est particulièrement élevé. C’est là un des paradoxes de l’économie des contenus numériques auquel les MOOC n’échappent pas.

Les opérateurs de mise en activité

Ainsi que nous l’avons souligné ci-avant, il s’agit de considérer une plateforme comme un mode d’organisation et pas uniquement comme un appareillage technique. En ce sens, une plateforme comprend nécessairement un ensemble de règles visant à l’optimisation des actions de chaque membre en fonction d’un objectif de coordination des versants. Ces règles sont à la fois explicitées au sein de plusieurs espaces d’énonciation (blogs dédiés, CGU, messages personnalisés, etc.) et se manifestent également dans le design technique, ainsi que dans les différentes « prises » des interfaces et les configurations architextuelles [20]. Certains auteurs voient là l’expression d’une « fonction disciplinaire » (Benavent, 2016), en référence au concept de Michel Foucault (1975). Une plateforme présente en effet un ensemble tout à la fois technique et sémiotique de « correcteurs comportementaux » (Ertzcheid, 2017) destinés avant toute chose à susciter et configurer l’activité de ses utilisateurs. Cette « mise en activité » est une condition sine qua non de sa viabilité économique puisque, d’une part, elle ne produit pas les biens et services qu’elle propose (suivant une logique d’intermédiation) et que, d’autre part, une partie de ses revenus est liée à l’obtention puis à la valorisation des traces et données de ses membres (et plus il y a d’activité, plus il y a de traces). À partir de ces considérations, nous avons cherché à identifier les mécanismes par lesquels les plateformes étudiées procédaient à la « discipline » des individus. Dans cette perspective, nous nous sommes focalisé sur les modalités de régulation des activités des enseignants/formateurs (et avons laissé de côté, pour des raisons pratiques, le versant « apprenants »). Nous avons ainsi distingué trois types d’opérateurs de mise en activité : les premiers se rapportent aux discours « d’accompagnement » émis par les entreprises considérées ; les deuxièmes sont relatifs aux outils de mesures et métriques portant sur les activités concernées ; les troisièmes sont manifestés par les clauses contractuelles cadrant les obligations de chacun.

Le « coaching » pédagogique, technique et commercial

Les trois plateformes que nous avons étudiées mènent une même une activité de « coaching » en direction des producteurs de contenus pédagogiques. Celle-ci se scinde en trois catégories. La première est relative à des conseils d’ordre pédagogique. Visibles à la fois sur les pages de l’espace « enseignant/formateur » de chaque site ainsi que sur les pages des blogs associés, ces conseils sont généralement assortis de tutoriels vidéo. Ils portent essentiellement sur la construction des cours et la conduite de l’enseignement. Les cours proposés doivent ainsi répondre à un ensemble de normes formelles, relativement identiques d’une plateforme à l’autre, et relatives à la durée minimum de l’enseignement (généralement entre 30 minutes et une heure), la durée moyenne des cours (entre 5h et 15h), le découpage en séquences (généralement une dizaine de très courtes vidéos entre 5 et 20 minutes), la constitution des documents pédagogiques à fournir (diapositives de présentation, fichiers de textes concomitants), la définition des exercices d’application ainsi que celle des sujets d’examens ou modalités de validation de l’enseignement (généralement proposés sous forme de questionnaires à choix multiples, mais pouvant également consister en des exercices pratiques ou en projets tutorés plus ambitieux comme la réalisation d’un site Internet par exemple). L’enseignant/formateur se voit donc prodiguer un ensemble de conseils généraux via son espace personnel, mais également via sa messagerie. Des courriels lui sont en effet adressés automatiquement suivant chaque phase de production du MOOC, mais également pour le tenir informé du travail de ses « collègues ». De même, tout nouvel article du blog ou toute activité importante sur les forums de discussion propres aux enseignants/formateurs sont notifiés par courriels, la plateforme maintenant ainsi un flux incessant d’informations en direction de ses membres [21]. Un des aspects les plus remarquables de ces discours est la porosité qu’ils entretiennent par le choix du vocabulaire employé entre sphère éducative et sphère économique. Udemy préconise ainsi la réalisation d’une « étude de marché » avant de se lancer dans l’élaboration d’un enseignement ; OpenClassrooms fournit une carte très précise des thématiques « les plus attendus » par les apprenants ; Skillshare fournit un « guide de production de la classe à succès ». Les conseils pédagogiques y entretiennent une grande proximité avec des techniques de marketing : il s’agit d’analyser son « positionnement » ; d’identifier le « public-cible », de choisir des sujets « attractifs », d’analyser les commentaires sur les forums afin d’affiner « son offre » de cours. L’activité de l’enseignant/formateur se trouve ainsi d’emblée présentée à la lentille d’intersection des deux sphères éducatives et économiques.

En complément de ce « coaching » para-éducatif, les plateformes étudiées proposent un accompagnement technique. Celui-ci passe tout d’abord par l’envoi ou la mise à disposition de guides et de manuels (« handbooks ») destinés à perfectionner les pratiques vidéo des enseignants/formateurs. Ces ouvrages se présentent comme une compilation de conseils « pas-à-pas » visant notamment l’amélioration des propriétés formelles des cours. Dans le même esprit, les trois plateformes proposent leurs propres « cours pour formateurs » qui portent sur l’intégralité du processus de production des MOOC : cours de tournage, tutoriels sur les techniques de réalisation de vidéos (conseils relatifs au cadre, à l’éclairage, à la prise de son, au montage et à la post-production), mais également des conseils portant sur la mise en scène, le cours devant être « vivant » pour être « captivant » comme nous l’indique Udemy. En outre, elles disposent toutes d’une « équipe d’assistance » ou de « support » dont le rôle est précisément de fournir un accompagnement personnalisé à la production et la mise en ligne des cours. Enfin, SkillShare et Udemy imposent des « architextes » propriétaires (« templates » produits en interne) pour baliser l’écriture des documents liés aux cours [22]. L’objectif est, ce faisant, l’uniformisation des enseignements proposés par la définition et l’application d’un standard de qualité formelle.

Le troisième volet du « coaching » est lié aux modalités de commercialisation des cours et apparaît comme le plus fourni. En effet, les pages consignant l’ensemble des conseils pour « marchandiser » ou « monétiser » les cours représentent près de la moitié des pages de tutoriels pour Udemy et Skillshare. Ceux-ci se répartissent en deux types de contenus : les informations relatives aux modes de rémunération et les « astuces » (« merchandising tips ») permettant de mieux valoriser les cours. Les premiers expliquent les modalités de reversement des sommes gagnées aux enseignants/formateurs. Celles-ci prennent la forme de commissions sur les ventes réalisées (Udemy propose ainsi un modèle de vente à la pièce pour l’accès à chaque cours, le prix étant fixé conjointement par l’enseignant et la plateforme) ou sont fonction de la durée de visionnage par les abonnés (Skillshare) ou du nombre d’abonnés qui suivent un cours (OpenClassroom). En outre, les deux plateformes américaines proposent un système de primes de cooptation ou de « parrainage », un supplément de revenus étant consenti aux enseignants/formateurs ayant fait venir de nouveaux apprenants sur la plateforme. La seconde catégorie regroupe la majeure part des contenus mis en ligne par les gestionnaires de ces plateformes et concerne essentiellement les techniques de promotion des cours. Cette prépondérance se comprend aisément : il s’agit d’enrôler le formateur en qualité non pas de pédagogue, mais de communicant, d’en faire un « évangéliste » [23] pour la plateforme. De nombreux conseils sont mis en avant afin d’utiliser une panoplie d’outils médiatiques dans ce sens : proposer un blog et renouveler régulièrement son contenu éditorial, exposer des vidéos de présentation de cours sur une chaîne YouTube dédiée, créer des pages Facebook afin « d’animer » la communauté des inscrits à un cours, se constituer un compte Twitter ou Instagram pour les informer en temps réel et, au final, faire converger l’ensemble des membres de ces réseaux vers la plateforme. Dans le cadre d’Udemy, la promotion peut également se réaliser via des liens d’affiliation permettant une rémunération de cette activité. Sous certaines conditions un formateur peut ainsi devenir un promoteur « officiel » de la plateforme et être rémunéré comme tel (sous forme de commissions sur les conversions des prospects en clients). Les plateformes enjoignent également leurs membres à mettre en place des stratégies de promotions croisées entre enseignants proposant des cours complémentaires. Enfin, Skillshare met fréquemment en place des « concours » ou « défis » (« challenges ») en direction des enseignants/formateurs. Encadrés par l’équipe « succès enseignant » (« Teacher Success team »), ces épreuves consistent en la réalisation de cours en très peu de temps, cours qui vont ensuite être jugés par les enseignants/formateurs les plus plébiscités (« Top teachers »). L’objectif est double : il s’agit à la fois de mobiliser la « communauté » enseignante dans son ensemble et de conférer une visibilité accrue à certains de ses membres (notamment les nouveaux arrivants). La mise en activité se veut donc ludique, et nous allons retrouver ce procédé de rationalisation des activités qui se pare des atours du jeu dans la partie suivante sur les métriques.

Figure 3 : Page du manuel de l’enseignant (« Teacher Handbook ») de Skillshare sur les techniques de marketing visant à promouvoir les cours mis en ligne, attirer et fidéliser « une communauté d’apprenants ».
Original(png, 265k)

Source : https://www.skillshare.com/​teach/​handbook/​getting-started-on-class-marketing/​215282567

La « réquisition » par les métriques

Nous empruntons ce concept de « réquisition » à Yves Jeanneret par lequel il désigne « l’ensemble des moyens, matériels et idéologiques, conduisant à l’adoption d’instruments médiatiques » (2014, p. 14). Dans notre perspective, il s’agit d’envisager les différentes métriques employées par les plateformes dans leur capacité à mobiliser les individus. En cela, elles manifestent un très haut degré de rationalisation des activités : leur définition, les procédures de quantifications qui leur sont liées ainsi que les modalités de prises de mesure, le positionnement des indicateurs dans le déroulé des activités sont autant de symptômes d’une recherche d’optimisation dans le gouvernement des conduites des membres des plateformes étudiées.

Une nouvelle fois, nous allons ici privilégier le versant « enseignants/formateurs ». Ceux-ci sont immédiatement confrontés à des instruments de mesure ainsi qu’à des représentations de celles-ci dans leur espace personnel. Ils disposent en effet de « tableaux de bord » consignant les « performances » de leurs cours. Ces performances sont en outre reportées sur la page présentant le profil de chaque enseignant : le nombre de classes, le nombre d’étudiants pour chaque cours, le nombre de nationalités différentes des apprenants (Udemy), le nombre de projets tutorés (Skillshare) ainsi que la note attribuée par les apprenants aux cours (pourcentage de satisfaction pour Skillshare ; notation par nombre d’étoiles pour Udemy). En outre, les commentaires de la part des apprenants sont affichés dans la page de présentation des cours sur Udemy et Skillshare. De même, la compétence « d’animation de la communauté » est mise en visibilité sur Skillshare qui comptabilise et affiche les fils de conversation entre les enseignants/formateurs et les apprenants. Sont également présents sur ces pages les désormais habituels « signes passeurs » [24] des géants du Web : les fameux boutons de partage de Facebook et Twitter, ceux-ci permettant une promotion du cours sur ces réseaux. L’objectif est donc de développer son « audience », mais également de multiplier les bons commentaires, les appréciations favorables. Cette course à la bonne note est d’autant plus décisive que d’elle dépend, en partie, la visibilité de l’activité sur les pages d’accueil ou dans le cadre des résultats de recherche (les cours les mieux notés arrivant en haut de la liste). Étonnamment, OpenClassroom n’a pas recours à de telles métriques dans la promotion des enseignements qu’elle propose. La plateforme met uniquement en avant une bande-annonce du cours ainsi que le plan de celui-ci. Toutefois, les équipes de la plateforme disposent de tableaux consignant en temps réels les données d’utilisation, ce qui leur permet de produire en continu des analyses sur ce qui est fait et ce qui ne l’est pas par les enseignants/formateurs. Ces instruments de mesure permettraient donc un meilleur « suivi personnalisé » ainsi que l’indique le fondateur d’OpenClassroom (Nebra, 2015).

Afin d’éviter l’aspect « sanction » potentiellement lié à la visibilité des mesures, celles-ci sont présentées comme des « scores », les gestionnaires des plateformes encourageant donc les membres à améliorer leurs « scores » relatifs à chaque métrique. Cette présentation participe évidemment de la « ludicisation » [25] de l’activité, les « scores » constituant une forme de rétribution symbolique, une source de motivation intrinsèque à l’instar des procédés employés dans les jeux vidéo par exemple. Il n’empêche que l’efficacité du « scoring » vient foncièrement de son affichage public. Le procédé répond à une double visée. Il s’agit premièrement de susciter une compétition entre les membres du versant « enseignants/formateurs ». Celle-ci passe par la comparaison des scores de chacun suivant une logique de classements (« ranking »). Afin d’améliorer sa visibilité, les enseignants/formateurs sont incités à développer leurs actions en termes de marketing personnel (« self-branding ») [26] : soigner leur page de présentation, augmenter leur score de satisfaction par des contacts continus avec les apprenants, développer leur communication via les réseaux socio-techniques, etc. Secondement, l’affichage public des performances des enseignants/formateurs répond à une exigence d’information sur la qualité des produits en direction des « apprenants ». Les scores apparaissent ainsi comme des gages de qualité, une évaluation impartiale, puisque réalisés par les pairs, du niveau de l’enseignement. En outre, à partir du moment où une grande partie des mesures de l’activité sont consignées et publicisées, les enseignants sont moins mobilisés dans leur activité par les gestionnaires de la plateforme que par les membres de l’autre versant : les injonctions sont ainsi le fait des apprenants qui réclament eux-mêmes une régularité dans la production et la mise en ligne MOOC, une rapidité des retours sur les exercices, la personnalisation des contacts, etc. Par conséquent, ces systèmes de notation constituent à la fois une forme de régulation endogène et un puissant moyen de mobilisation des individus.

Si les mesures et métriques sont censées « objectiver » le niveau de l’activité de l’enseignant/formateur ainsi que la qualité de celle-ci, elles sont également susceptibles de conduire à un « diktat du ranking », selon l’expression de D. Boullier, dont l’écueil principal est lié à « l’effet Matthieu » [27] qu’il génère. En effet, la corrélation entre qualité du cours et mise en visibilité de celui-ci est à même de favoriser un processus d’auto-renforcement, une circularité de la référentialité de la valeur : est valorisé ce qui est vu, est vu ce qui est valorisé (Citton, 2014). Dès lors, la présence de ces opérateurs de mises en activité est susceptible de produire des marchés de type « le gagnant rafle la mise » (« winner takes all » suivant l’expression de Frank et Cook, 1996), où une poignée d’acteurs concentrent une part excessivement prépondérante des revenus. Un tel phénomène, décourageant les autres enseignants/formateurs, peut ainsi nuire au niveau global d’activité de la plateforme. En cela, la mise en place de ces opérateurs est potentiellement contre-productive et nécessite d’être continuellement supervisée par les gestionnaires.
La contractualisation de l’activité

Le dernier opérateur étudié est relatif aux clauses contractuelles telles que fixées dans les conditions générales d’utilisation (CGU). Nous avons abordé ces conditions moins comme un facteur de mobilisation des enseignants/formateurs que comme un élément configurant leur activité, selon des termes qui, nous allons le voir, apparaissent très favorables aux gestionnaires des plateformes. Tout d’abord, il s’agit d’indiquer que les formateurs n’entretiennent pas de relations contractuelles directes avec les apprenants : il est donc impossible pour les seconds de se retourner contre les premiers en cas de non-respect des consignes d’enseignements. Ces rapports sont exclusivement cadrés par les CGU, qui s’imposent à tous les membres de la plateforme, et c’est donc le gestionnaire qui apparaît le seul à même d’entamer des procédures en cas de litige. Il s’agit d’indiquer également que, malgré ce qui vient d’être dit, le gestionnaire est caractérisé juridiquement comme un « hébergeur » de contenus et, qu’à ce titre, il n’est nullement responsable des propos énoncés par les utilisateurs [28] ni des contenus, de quelque nature que ce soit, qu’il médiatise (qualification qui l’abstrait notamment des problèmes de respect des droits de propriété intellectuelle). Il est donc à la fois le seul à même de régler les rapports entre versants tout en étant déresponsabilisé des actes qu’il coordonne. Cet aspect, très clairement stipulé de façon récurrente dans les trois CGU que nous avons étudiées, place par conséquent le gestionnaire dans une position très confortable en lui conférant à la fois une grande latitude dans la gestion des membres, une possibilité d’intervention directe en cas de problème et une (relative) neutralité auprès des autorités publiques.

Les CGU constituent, ensuite, un élément crucial du modèle économique de ces entreprises. C’est en effet par leur biais qu’elles peuvent s’approprier de manière exclusive les données des utilisateurs de la plateforme et qu’elles peuvent utiliser gratuitement l’ensemble des contenus déposés par ceux-ci (suivant un mécanisme de licence non exclusive). Ainsi que nous l’avons expliqué dans la première partie, une plateforme est tout autant un dispositif de diffusion qu’un dispositif d’inscription et d’enregistrement en continu de données. Or, afin d’être valorisées de façon optimale, ces données doivent faire l’objet d’une utilisation exclusive. À cet effet, les clauses contractuelles autorisent, d’une part, les gestionnaires de la plateforme à utiliser ces données comme bon leur semble, c’est-à-dire dans le cadre – interne – des activités liées au fonctionnement habituel de la plateforme, mais également à valoriser ces données auprès de tiers et dans un cadre commercial (exception faite pour OpenClassrooms). D’autre part, les CGU stipulent qu’il est formellement interdit aux utilisateurs de la plateforme ainsi qu’à tout autre individu de récolter et d’utiliser, dans quelque contexte que ce soit, les données relatives à ces plateformes (l’objectif étant ici surtout d’empêcher à de faux profils d’enseignants/formateurs de capter et valoriser ces données). En outre, les CGU prévoient une appropriation (partielle cette fois-ci) des contenus pédagogiques. Plus précisément, elles accordent au gestionnaire un « droit et une licence non exclusifs pour reproduire, distribuer, diffuser publiquement » les contenus des enseignants/formateurs. Rien d’étonnant dans ces termes ; en revanche ceux qui suivent sont nettement plus surprenants : « vous autorisez par les présentes Udemy à utiliser votre nom, pseudonyme, image ou voix dans le cadre de l’offre, la diffusion, le marketing, la promotion, la démonstration des Services, Cours, Contenus de l’entreprise ». Les clauses de Skillshare sont similaires et autorisent l’entreprise à utiliser le nom et l’image des membres dans le cadre de campagnes commerciales et promotionnelles. Une nouvelle fois, et pour des raisons de domiciliation juridique, il en va différemment pour OpenClassroom (puisque c’est la loi française, plus contraignante, qui s’applique) : l’entreprise apparaît ainsi nettement moins offensive en matière d’accaparement des données et des contenus et s’en tient à un positionnement privilégiant les licences libres de type « Creative Commons » [29], ce qui lui laisse tout de même grande amplitude dans l’utilisation de ces mêmes contenus.

Le denier point que nous souhaitons relever dans le cadre de cette étude des CGU se rapporte à la caractérisation des enseignants/formateurs en travailleurs indépendants. Les CGU apparaissent en effet comme une contractualisation de leur activité qui se substitue au contrat de travail. Le phénomène est révélateur d’un enjeu crucial : le recul actuel d’un rapport employé/employeur, qui soit à la fois pérenne et politiquement institué (via des compromis sociaux inscrits dans le droit du travail notamment), au profit de contrats ad hoc généralisant des rémunérations à la mission. Ce type de rapports hors salariat nous fait immanquablement penser aux formes d’organisation du travail « proto-industriel » comme le « travail à façon » ou le « tâcheronnage » [30]. À défaut de véritable contrat de travail, cette régulation contractuelle manifeste néanmoins une position de « parasubordination » des enseignants/formateurs aux gestionnaires de ces plateformes. Cette position est définie par A Casilli comme « une forme de dépendance. D’un point de vue épistémologique [poursuit-il], c’est la reconnaissance, en l’absence d’un lien d’emploi formel du droit accordé à une personne ou une entité économique d’être donneur d’ordres » (2017, p. 43). Et, en effet, les premiers apparaissent sous la coupe des seconds sans que pour autant ne soit établie contractuellement une relation de donneur d’ordres à employés. Par conséquent, les plateformes étudiées conjuguent habilement d’indéniables innovations (imputables en grande partie aux technologies numériques) à des formes déjà éprouvées et longtemps laissées de côté d’organisation de la production : pour le dire abruptement, le numérique ressuscite en certaines occurrences des rapports de production observables dès la fin du XVIIIe siècle. En outre, ces modes d’organisation s’inspirent également grandement des conventions et modalités qui prévalent dans la plupart des secteurs artistiques. En effet, les activités et métiers qui s’y rattachent ne relèvent généralement pas du salariat, mais présentent une diversité de statuts caractérisés, pour la majorité des individus, par l’insécurité professionnelle (rémunération à la mission ou via des droits d’auteurs, contrats courts), une très grande « flexibilité » (en termes de missions, d’amplitude et d’horaires de travail, de déplacements professionnels mais aussi de grille de rémunérations) et, malgré cela, une mobilisation de tous les instants mue par la « vocation » (Menger, 2003). Il est désormais patent que ces logiques se diffusent largement hors des sphères artistiques stricto sensu et que les opérateurs de plateformes numériques sont des instigateurs de premier plan de cette dynamique. Par conséquent, la figure de l’enseignant/formateur en tant que travailleur indépendant, figure que promeuvent ces plateformes s’inspirent de modèles éprouvés dans d’autres contextes ; la Lingua Numerici Imperii que déplore P. Engel (2014) est faite de néologismes tout autant que de résurgences ou d’emprunts.

Conclusion

Au travers de nos trois cas d’étude, nous avons tâché d’illustrer certaines propriétés des acteurs économiques concourant à un mouvement de « plateformisation » appliqué à la formation et l’enseignement. Les acteurs de ce type se multiplient rapidement et, par exemple, un autre « champion » français, 360learning, soutenu par ISAI (le « fonds des entrepreneurs Internet français »), est en train de s’imposer sur le marché des cours pour entreprises. Si, contrairement à ce qu’annonçait Sebastian Thrun le fondateur d’Udacity en 2011, l’heure du « changement de monde » grâce aux MOOC est – toujours – loin d’être annoncée, il est donc néanmoins indéniable qu’une dynamique favorable au développement de cette forme spécifique d’industrialisation et de marchandisation de la formation est observable depuis quelques années. Il apparaît bien prématuré de se prononcer sur la pérennisation de ce modèle d’organisation dans le champ éducatif. Celui-ci n’arrive pas en terrain vierge : il doit évidemment composer avec d’autres modèles institués de longue date et rien ne permet de présager de sa fortune future. Même si ce type d’organisation présente des atouts tout à fait considérables (comme sa capacité à mobiliser une main-d’œuvre non directement financée ou son aptitude à valoriser les activités de ses membres via le marché des données personnelles), sa généralisation est à peine amorcée. En cela, la « plateformisation » n’est peut-être qu’un « épiphénomène » (Mœglin, 2014). Cette dynamique manifeste néanmoins selon nous un mouvement sans doute plus profond, plus global et largement antérieur, de glissement de la totalité des secteurs d’activité et champs sociaux vers un « solutionnisme technique » : « le numérique » étant censé apporter une réponse satisfaisante à l’ensemble des problèmes ou enjeux de la société (Morozov, 2013).

Nous avons cherché à apprécier au cours de cet article les modalités d’application d’un modus operandi, développé dans le cadre l’économie du Web et largement porté par les sciences de gestion américaines [31], au contexte spécifique de la formation. Nous avons principalement insisté, ce faisant, sur les transferts tant idéologiques qu’organisationnels qui s’opéraient dans le sens, semble-t-il unique, du monde informatique vers le monde éducatif. Il s’agit, avant de clore cet article, d’indiquer que cette « plateformisation » est également un facteur de convergence entre industries éducatives et industries culturelles. En effet, les aspects relatifs à la médiatisation, ceux liés à la mise en visibilité, les procédures de production comme celles d’appréciation de la qualité et d’orientation de la demande rapprochent immanquablement les deux secteurs. Le mouvement s’inscrit dans une tendance ancienne et déjà largement documentée (Mœglin, 2004), mais elle s’amplifie sous l’effet de la « pression numérique ». Gageons, sans trop prendre de risque, que cette pression devrait s’accentuer à l’avenir, et que de nouveaux modèles d’organisation ne manqueront de s’adjoindre à celui des plateformes présentées ici.

Bibliographie

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Licence : CC by-sa

Portfolio

Notes

[1Massive Open Online Course, syntagme généralement traduit par « formation en ligne ouverte à tous ».

[2ISIDORE est une plateforme de recherche permettant l’accès aux données numériques des sciences humaines et sociales (SHS) ; URL : http://www.rechercheisidore.fr/

[3Moteur de recherche d’articles scientifiques d’Alphabet. Lancé en 2004, il inventorie des articles approuvés ou non par des comités de lecture, des thèses, des citations ou encore des livres scientifiques ; URL : https://scholar.google.fr/

[4Acronymes respectifs de Small Private Online Course et Corporate Open Online Course, les premiers étant des cours organisés pour un public plus restreint et généralement plus local, les seconds étant la variante professionnelle des MOOC, liée à la diffusion des savoirs et à la formation aux compétences d’entreprise.

[5Voir notamment : (Bullich et Guignard, 2012 ; Bullich et Guignard 2014 ; MODIPIC, 2017)

[6Pour une présentation de ces travaux, voir notamment : (Gawer, 2009)

[7Pour une brève synthèse, se reporter à : (Weinstein, 2014).

[8Indiquons ici que D. Boullier a particulièrement insisté sur cette caractéristique pour ce qui est des plateformes de MOOC (2013).

[9À ce sujet, voir : (Mœglin, 2004)

[10ans la terminologie des deux économistes américains, le « secteur progressif » regroupe les activités économiques caractérisées par une forte progression des gains de productivité ainsi qu’une forte intensité capitalistique.

[11Le concept de « procès » est emprunté à B. Miège qui le définit comme « un mouvement de la société bien identifié, en cours, fait de mutations et de changements divers, et autour duquel, dans le temps long, s’affrontent et se confrontent les stratégies des acteurs sociaux concernés. » (2007, p. 18).

[12Selon les termes de P. Mœglin (2004 ; 2007) au sujet du « courtage informationnel » dans l’éducation.

[13« Chez Skillshare, nous croyons que tout le monde peut enseigner et que tout le monde devrait avoir les mêmes chances de réussir. Voilà pourquoi nous avons créé une plateforme intrinsèquement méritocratique.

En enseignant les compétences indispensables au monde de demain, Skillshare permet aux gens de faire progresser leur carrière, d’améliorer leur vie et de poursuivre le travail qu’ils aiment » (Notre traduction).

[14« We started Skillshare to close the professional skills gap and provide universal access to high-quality learning. »

[15Technophiles qui « réalisent des bidouillages légaux en promouvant une éthique qui associe le geste productif au plaisir (fun) de faire » ainsi que les définit M. Lallement (2015).

[16« L’engagement d’OpenClassrooms est simple : vous trouvez un emploi sous les 6 mois suivant l’obtention de votre diplôme ou nous vous remboursons votre parcours. »

[17Ces institutions traditionnelles sont en effet qualifiées des « gatekeepers », « portiers » refusant bien souvent l’accès aux connaissances, dans les argumentaires de Skillshare et Udemy.

[18Ce type de promesse a en effet déjà été identifié dans nombre de travaux antérieurs sur les MOOC, se reporter à l’introduction.

[19e problème est qu’une telle pratique est susceptible de décourager les autres enseignants/formateurs (voir infra).

[20Dans la définition d’Y. Jeanneret, l’architexte désigne l’ensemble des cadres qui configurent a priori « l’écriture comme la lecture » (lato sensu) (Bazet et al., 2017).

[21Indiquons ici que nous n’avons pu vérifier cet aspect pour OpenClassrooms car le processus d’affiliation des formateurs étant beaucoup plus contraignant pour cette plateforme que pour ces homologues américains, nous n’avons pu faire l’entière démarche visant à se déclarer comme tel.

[22Nous n’avons pas pu apprécier ce qu’il en était pour OpenClassroom : voir note précédente.

[23Selon l’expression d’Evans et al. (2006) qui reprennent une qualification en vogue dans le monde informatique dès les années 1980 et désignant les promoteurs zélés de certaines technologies numériques.

[24Selon l’expression d’Y Jeanneret et E. Souchier (1999) caractérisant ainsi un certain type de signes informatiques tout à la fois éléments de sens de l’écrit d’écran, « prise » actionnable et signifiant hypertextuel. Pour une analyse du bouton « like » de Facebook comme « signe passeur », voir Candel et Gomez-Mejia, 2013.

[25Application à des contextes professionnels de modus operandi relevant du jeu. Certains auteurs emploient le terme équivalent de « gamification » (Savignac et al., 2017).

[26Cette logique a auparavant pleinement été identifiée par J. S. Beuscart dans le cadre d’une recherche sur les musiciens utilisateurs du réseau MySpace : « en affichant des indicateurs publics de nombre de visites, d’écoutes et d’amis, incitent ses membres musiciens à produire un marketing d’eux-mêmes plus ou moins conscient, à se soucier de leur propre notoriété, matérialisée publiquement par quelques chiffres : nombre d’affichages de la page, nombre d’amis, nombre de commentaires, nombre d’écoutes des morceaux. » (Beuscart, 2008, p. 150).

[27L’expression est le fait de R. K. Merton (1968) qui désigne ainsi les mécanismes par lesquels les individus ou les acteurs plus favorisés tendent à bénéficier de conditions favorables et accroître ainsi leur avantage sur les autres.

[28Cette non-responsabilité quant aux contenus est une caractéristique majeure du statut juridique des plateformes et une raison du succès de ce mode d’organisation sur Internet (Gillespie, 2010).

[29olutions alternatives aux droits de propriété intellectuelle garantissant certains de ces droits tout en définissant des règles d’utilisation moins contraignantes que celles prévues par la loi.

[30À ce sujet, voir Leboutte, 1996.

[31De nombreux ouvrages pourraient être cités afin d’exemplifier cette assertion. Nous nous contenterons d’en citer un, à la fois récent et probablement le plus représentatif de l’engouement actuel outre-Atlantique pour cette forme d’organisation : Platform Revolution, co-écrit par deux visiting Professors du MIT et un consultant, et dont le chapitre « Education : The Platform as a Global Classroom » est édifiant (Parker et al., 2016).

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