Un article d’ Olivier Ryckewaert repris du blog du A.M.O.O.R. (assistance à maîtrise d’ouvrage par Olivier Ryckewaert), une publication sous licence WTFPL
En février, on s’était dit qu’on ferait un « service minimum » sur la saison 4 qu’on voulait faire juste avant l’été, pour se concentrer sur une nouvelle formule en Septembre, qui mêlerait cours en ligne et séquence en atelier.
Et puis le confinement est arrivé, on a avancé la saison 4, et rien n’a été comme prévu.
Le Mooc n’est pas encore fini – on le prolonge d’ailleurs jusqu’en juillet en version simplifiée – mais la partie animation XXL s’est achevée ce jeudi 14 mai.
Nous allons prendre le temps de bien décortiquer ce qui s’est passé dans les semaines qui viennent, mais ce billet a pour vocation de débriefer à chaud une expérience d’animation de collectif en période de confinement, qui pourrait (participer à) préfigurer l’avenir de la formation des adultes et /ou de mobilisation de collectifs tant qu’on aura pas trouvé un vaccin ou un traitement face au virus.
Saison 4, le making of
Bon, pour commencer, on a décidé d’ouvrir la saison 4 du Mooc innovation publique le lundi 23 mars… le vendredi juste avant.
Cécile Joly, la responsable de l’innovation publique au CNFPT nous le propose, à Catherine Blairon et moi, et on dit banco. Dans ces conditions, la seule médiatisation possible, c’est nos réseaux pros, les réseaux sociaux, et les alliés (Profil Public et la 27° Région ont relayé, qu’ils en soient remerciés). Ce qui est une peu juste. Mais bon, notre esprit à ce moment c’est : advienne que pourra, profitons de la période pour diffuser l’innovation publique.
Sandrine Barret (lafourmi-orange) nous avait dessiné Catherine et moi pour la Saison 2 (je crois qu’elle avait détesté l’exercice du portrait)
Avec Catherine, quand on se parle pour la première fois de la saison, on se dit qu’aucun de nos repères bâtis en 3 exercices n’est plus valabl. De quoi sera faite la Saison 4 ? Difficile de le savoir.
Jusqu’aux plus petits des détails : ainsi, on avait l’habitude de donner un rendez-vous en ligne le jeudi soir aux participants pour faire le point et bosser une ou deux questions. Avec le confinement, quel est le bon créneau : le matin, le soir ? Comment font les confinés pour gérer les PCA (Plans de continuité des Activités) et leurs familles, et où on s’insère dans tout ça ?
C’est sur ce point qu’on a défini l’ambiance de cette saison : puisqu’on ne sait pas, on va leur demander. Ce sera bien la saison de l’autogestion ! Et on a fait un Framadate pour choisir le créneau ensemble (pour finir…le jeudi soir, comme depuis 2 ans).
Sans trop savoir si ça prendrait, on se dit qu’on pourrait proposer aux participants de préparer le rendez-vous en ligne. Je réalise donc un petit Google Form avec des images qui parlent d’innovation, leur demandant de dire ce que ça évoque pour eux. Et là, bim, 35 réponses. Alors qu’à ce moment, on compte 300 participants en tout. Il semble bien qu’on ait un taux de participation très élevé. Le rendez-vous en ligne arrive, et nous le confirme. On a 75 personnes qui se connectent, qui participent, qui nous pousse à aller plus loin.
Nous avons donc continué, testé des outils, des pratiques, créé un espace de discussion informel sur Discord, animé des séances d’intelligence collective, proposé des activités en lien avec le sujet de l’innovation publique (rendre sa veille créative, interviewer pour apprendre et non pour confirmer, prototyper, etc.). A la fin, on peut dire que nos participants se sont emparés du Mooc comme jamais.
Une séquence de restitution des exercices de préparation : sur l’écran les réponses des participants dans un écran partagé, dans la colonne de droite leurs réactions en direct, en parallèle le serveur Discord pour nous interpeller, pour un résultat d’une richesse incroyable.
Nous finissons la séquence des animations avec un peu plus de 2500 personnes, ce qui est comparable aux deux précédentes éditions (la première aillant fait bien mieux), mais avec des taux d’engagements incroyables. Un exercice préparatoire sur les brises glaces nous a valu 115 réponses. Nous sommes montés à 95 personnes en ligne pour notre rendez-vous du jeudi (et encore on pense qu’on était aux limites physiques de la plateforme qui hébergeait notre rendez-vous). Ces séances étaient enregistrées, l’une d’entre elles a été vue 230 fois…
Il y a bien entendu un effet confinement. Certains avaient bien plus de temps qu’ils n’en ont en temps normal. Cependant, il est permis de penser qu’il n’y a pas que cela qui a joué.
L’abolition des distances sociales pour pallier la distance physique
Je reviens sur le serveur Discord, qui réunit à ce jour plus de 200 personnes (quasi jour et nuit). Il nous a permis d’installer un espace où il était possible de nous interpeller directement, mais aussi de s’auto-organiser (nous avons à ce jour 8 ou 10 groupes de discussions sur des sujets aussi différents que les objectifs du développement durable, les bibliothèques ou le retour du confinement qui vivent leur vie sans nous, sauf si on nous le demande), dans un joyeux mélange des genres, sans aucune barrière entre « stagiaires » et « profs », où tout le monde se tutoie (ce qui se fait beaucoup dans la territoriale, finalement) et échange ses pratiques. Il a indiscutablement créé l’ambiance détendue de cette saison du Mooc.
D’autres éléments ont joué pour cette abolition des distances :
- pour préparer les rendez-vous en ligne, on a privilégié les films où on s’adressait directement aux participants ,
- le travail de préparation faisait l’objet d’une restitution fidèle, et d’un partage avec tout le monde en séance et par la suite (parce que tout le monde peut apprendre de tout le monde, enfin en tout cas on en est persuadé),
- Quand une demande voyait le jour pendant le rendez-vous en ligne ou sur le forum, on se mettait en situation de proposer des ressources correspondantes dès le lendemain,
- quand on donnait des exercices un peu complexes, on les faisait nous-même et on les mettait en ligne pour encourager la participation,
- on a utilisé une foultitude d’outils collaboratifs en ligne, ce qui a permis à un bon nombre de les découvrir et les tester « grandeur nature » sans avoir besoin de s’engager personnellement,
-* quand on a eu une demande de commencer la semaine de cours le dimanche et pas le lundi, on a dit banco. On ne peut pas défendre l’innovation centrée utilisateur et ne pas écouter un minimum les siens !
Le dosage de l’effort
Chaque séance collective a fait l’objet d’un débrief à chaud entre Catherine et moi. Cela nous a permis de confronter nos points de vue (qui ont ceci de particulier qu’ils se rejoignent à chaque fois alors même qu’ils se forgent avec des socles de connaissances très différents) et d’ajuster les curseurs.
Ainsi, après 2 semaines un peu complexes et finalement assez descendantes sur la veille et l’interview (du type : voici des outils, essayez les), nous avons opté pour une préparation centrée sur un sujet où chacun a un avis (en l’espèce les brise-glace avant les ateliers) et où nous pouvions nous appuyer sur l’expertise de nombreux participants pour construire des conclusions communes.
De manière générale, nous avons essayé de mettre en oeuvre des séquences qui créaient des communs, jusqu’à un annuaire des outils en ligne utilisés par nos participants que nous avons mi en ligne la dernière semaine.
Exemple de communs : les participants indiquaient leurs outils numérique sur un tableau interactif, qu’on a remis en forme en catégorisant les plateformes. A la fin, c’est devenu un catalogue mis à disposition de tous.
Bref, nous avons dosé l’effort demandé, mais aussi l’impact de cet effort sur le collectif : si parfois l’exercice devait servir à soi même, il nous semblait indispensable d’organiser le partage et la co-construction.
Le flow
C’est une blague récurrente du Mooc innovation publique, on organise un concours avec les participants et s’ils gagnent, Catherine prononce le nom de son inventeur, Mihály Csíkszentmihályi. Est-ce à cause de cela si nous nous sommes autant investis dans sa réalisation ? On ne peut l’exclure…
Le flow, c’est donc la création de la concentration du groupe. Je ne vais pas rentrer dans les détails sur ce que c’est, mais il s’agit globalement (de ce que j’en ai compris) de permettre à quelqu’un d’avoir un sentiment de maitrise sur ce qui se passe, d’être capable de repousser un peu la barre de ses compétences, grâce à une capacité à absorber des informations nouvelles sans anxiété ni ennui. C’est ce qu’on cherche à réaliser.
Pour cela, on explique beaucoup le sens de ce qu’on propose, on interagit le plus possible avec les participants, on essaye de s’amuser, sans trop de pression (c’est pas parce que c’est important que c’est grave), et surtout on incite à faire, parce que si le mieux est l’ennemi du bien, le bien est parfois l’ennemi du faire (coincé(e) par la peur de faire un truc moche ou raté, on ne le fait pas, alors que la meilleure façon de faire un truc bien, sinon la seule, c’est d’abord… de le faire, quitte à recommencer).
De la transférabilité dans le monde réel
Cette expérience, un peu hors du temps, comporte-t-elle des éléments reproductibles ? Précisément, je ne suis pas encore capable de dire quoi, il va falloir décortiquer tout ça, comme je le disais au début. Il n’en demeure pas moins que quelques éléments se dessinent, même à chaud :
Il faut des formateurs, des animateurs, des facilitateurs qui ne se mettent pas en surplomb de leur groupe. La distance physique étant là, il faut abolir la distance sociale.
Il faut de la matière froide, et de la matière chaude : un cours en ligne enregistré ne peuit pas seul susciter l’adhésion. Et il ne suffit pas de prévoir 3 heures par semaine pour répondre à des questions, il faut de l’animation. Le séquençage des semaines avec
- les cours le dimanche,
- en même temps que la préparation d’un rendez-vous en ligne,
- une piqûre de rappel le mardi,
- le rendez-vous en ligne le jeudi
- et la mise ligne du film de la séance et des éléments attenants le vendredi
ont participé à l’attention du groupe.
Enfin il faut des outils performants et simples d’utilisation pour les formateurs/animateurs/facilitateurs, et qu’ils soient capables de les utiliser à plein. Nous avons ici mobilisé tout ce que le web compte de services libres > gratuits > premiums > payants (dans l’ordre de choix), mais si on avait eu des outils dédiés, c’eut été mieux. Notamment pour héberger des films, l’option « non référencé » de Youtube, ça ne peut pas être une solution sur la durée, mais dans le genre service souple et immédiat c’est parfait. Il faudrait des outils aussi souples.
Il faut donc multiplier les interactions, prévoir des espaces informels, doser l’effort demandé.
En fait, c’est un peu comme le management d’un groupe dans la vraie vie, mais sauf qu’il n’est pas devant vous. Alors vous devez redoubler d’efforts pour rendre l’expérience passionnante, et ainsi atteindre votre objectif. Sans oublier de disposer de nombreux indicateurs de l’engagement que vous créez. Qui a dit que le numérique faisait faire des économies sur tout ?
Entendons-nous bien : je mesure le peu de révélations de ce papier pour des professionnels. Mais il a le mérite de se construire sur une expérience de grande ampleur, finalement, et non en théorie (où tout se passe bien). En cela, il préfigure certainement pour partie ce qui sera notre quotidien dans les prochains mois, où les distances resteront de mise.
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