Un article repris de Vertigo, la revue électronique en sciences de l’environnement, une publication sous licence CC by nc nd
Introduction
1aire face aux changements climatiques et aux perturbations des grands systèmes de la biosphère suppose que s’enclenchent des transformations rapides et à long terme dans plusieurs domaines : la régulation économique et les infrastructures technologiques, bien sûr, mais aussi l’organisation sociale et territoriale des activités quotidiennes et des modes de vie. C’est ce que nous entendons par le terme « transition sociale et écologique » (Markard et al., 2012). Cet article se penche sur deux de ces domaines qu’il importe de considérer à l’aune de la transition sociale et écologique et qui sont au cœur de la thématique de ce numéro spécial de Vertigo, soit l’organisation des villes et l’avancement des connaissances. Les villes jouent un rôle important dans la transition, notamment parce qu’elles interviennent dans la régulation de pratiques touchant à la fois au cœur de la vie citoyenne et à certains régimes sociotechniques parmi les plus déterminants pour la lutte contre les changements climatiques, comme les transports en commun, l’habitation et l’aménagement du territoire et divers systèmes logistiques complexes (Wolfram, 2018). Quant à l’avancement des connaissances, la transition implique de faire appel à des approches et des méthodes scientifiques orientées par des objectifs de transformations sociales et écologiques.
Cet article a pour objectif de proposer et de rendre compte d’un programme de recherche sur la transition sociale et écologique des villes, ancré dans une approche de science de la transformation, soit celui de la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’UQAM. S’inscrivant dans une communauté scientifique grandissante qui cherche et teste activement des solutions urbaines aux problèmes sociaux et écologiques (Ehnert et al., 2018), la Chaire a pour mission d’étudier et d’accompagner la transition en cours en s’intéressant plus particulièrement aux innovations portées par les acteurs locaux et urbains de la transition sociale et écologique, ainsi qu’aux changements institutionnels inspirés de ces innovations. Nous développons d’abord les principes de la science de la transformation qui orientent ce programme de recherche, puis nous présentons les travaux des chercheuses et chercheurs selon une grille portant sur les deux questions centrales et sur les trois chantiers thématiques dans lesquels ils sont investis.
La recherche participative et partenariale pour une science de la transformation
L’épistémologie participative et partenariale prend une place grandissante dans les sciences de l’environnement. Si, en sciences sociales, les traditions de la recherche-action proposent déjà depuis quelques décennies des stratégies favorisant à la fois la co-production de connaissances scientifiques et des recherches « socialement pertinentes » (Argyris et Schön, 1989), on constate aujourd’hui l’existence, au sein des sciences de l’environnement, d’un certain consensus autour de l’idée que la transition sociale et écologique nécessite une posture scientifique d’engagement envers des objectifs à long terme, porteurs de transformation. D’où l’expression transformative science que nous traduisons ici (faute d’un substantif adéquat) par « science de la transformation » (Miller, 2014). Les approches de gestion ou de pilotage des transitions (Rotmans et Loorbach, 2009) et celles d’expérimentation des projets de transition dans les milieux de vie urbains et dans les espaces d’action collective (Wittmayer et al., 2014 ; Hodson et al., 2017 ; Berstein et Hoffman, 2018) inspirent les travaux de la Chaire et sont représentatives de cette science de la transformation. Ces travaux sont menés en proche collaboration avec des organisations et mouvements citoyens, des organisations intermédiaires, des instances municipales et des acteurs institutionnels. Cette collaboration peut prendre plusieurs formes, allant de la participation citoyenne directe au sein des projets à des formes de collaboration plus encadrées (par exemple au sein d’un comité de pilotage de projet). Dans tous les cas, il en ressort des connaissances visant à appuyer la transformation sociale.
Cette science de la transformation peut s’appliquer à diverses unités d’analyse et d’intervention, dont les trois suivantes correspondent aux travaux des membres de la Chaire. La première vise l’action et l’organisation « grassroots », c’est-à-dire celle des mouvements citoyens, ancrés dans un territoire, un quartier ou un milieu de vie. Les initiatives de la transition socioécologique sont souvent de ce ressort et leur analyse permet de mettre en lumière des pratiques émergentes et un discours relativement nouveau sur le rôle de l’organisation sociale au niveau local. La deuxième unité d’analyse et d’intervention concerne plutôt l’action institutionnelle et touche donc au vaste domaine des politiques publiques et de la gouvernance de la transition sociale et écologique. À Montréal, la récente création du Bureau de la transition écologique et de la résilience participe au nouvel élan de l’action institutionnelle pour la transition, mais les chercheuses et chercheurs de la Chaire n’ont pas attendu sa création, en 2019, pour aborder l’institutionnalisation de l’adaptation aux changements climatiques dans les politiques de la Ville de Montréal, les politiques en matière de transport et d’habitation durable, ou encore la gouvernance multiacteurs de la transition. La troisième unité d’analyse et d’intervention porte sur les interactions entre les différents niveaux d’innovation et d’institutionnalisation. Le recours à la perspective multiniveaux des transitions (multi-level perspective) (Geels, 2002) permet alors de mieux comprendre les relations entre les innovations locales, les régimes sociotechniques et institutionnels, et les dynamiques plus globales comme l’urgence climatique ou l’impact de la pandémie de coronavirus (COVID-19).
Ce qui importe, dans ce programme scientifique, c’est à la fois de mieux connaître ces unités d’analyse et d’intervention et d’expérimenter des solutions et des innovations avec le milieu et les acteurs concernés. Ainsi, le programme scientifique de la Chaire s’articule autour de deux questions de recherche qui visent explicitement l’approfondissement des connaissances sur les transformations, la pérennisation des initiatives et des expérimentations de transition, et la structuration d’un champ institutionnel de la transition :
- La pérennisation : Quels sont les facteurs qui permettent aux initiatives locales pour la transition de réussir des transformations sociales et écologiques dans la durée ?
- La structuration : Comment ces initiatives peuvent-elles s’institutionnaliser afin de générer une transformation à plus large échelle ?
Ces questions s’appliquent à un large spectre de thématiques et de domaines d’activité qui relèvent notamment du champ de l’action urbaine. La programmation scientifique de la Chaire investit principalement trois de ces domaines qui constituent autant de « chantiers de transition », notion qui permet une certaine segmentation thématique tout en accentuant le caractère transformateur des projets menés par les membres. Il convient donc, pour les prochaines sections de cet article, de présenter les travaux des chercheuses et chercheurs de la Chaire autour de ces trois chantiers de transition.
Urgence climatique et transition
Les déclarations d’urgence climatique que des centaines de gouvernements municipaux de partout dans le monde, dont la Ville de Montréal, ont adoptées ces dernières années démontrent bien la volonté des villes et du monde municipal de jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre les changements climatiques. L’action climatique municipale, toutefois, est en soi un domaine à défricher et un champ d’expérimentation relativement ouvert. En ce qui concerne les travaux des membres de la Chaire dans le chantier sur l’urgence climatique, ils se rencontrent tous sur la question de la structuration. Ils s’interrogent donc sur l’émergence de nouvelles formes institutionnelles municipales, sur l’évolution des anciennes, et sur les nombreux défis que posent ces transformations.
Les travaux de la professeure Sophie Van Neste (INRS) et de son équipe du Labo Climat Montréal abordent les rouages internes des processus à la Ville de Montréal afin de mieux évaluer les possibilités d’y intégrer l’adaptation aux changements climatiques (Labo Climat Montréal, s.d.). Même lorsque la volonté politique va dans le sens de la transition écologique, une certaine organisation institutionnelle, des enjeux d’expertise et une pression pour le développement posent des défis considérables aux professionnels de l’adaptation. La posture particulière du Labo Climat Montréal est d’analyser et de participer à positionner le climat non pas comme comme un objet d’action collective à part, mais plutôt comme une manière de réinterroger les processus de gouvernance et de planification urbaine. Il s’agit de voir comment le climat doit faire partie de moments clés de prise de décision et d’organisation institutionnelle, mais aussi comment il transforme les pratiques quotidiennes de fabrication de la ville et des infrastructures collectives des milieux urbains. Le Labo Climat est une expérimentation, dans une ville pleine d’expérimentations et de projets pilote. Dans ce contexte, il vise la mise en relation des acteurs, et cherche à encourager la structuration des apprentissages et l’appropriation des enjeux que posent les changements climatiques par les acteurs de terrain. C’est largement au travers d’expérimentations, de projets pilotes, et grâce à la motivation de professionnels au sein de l’administration et de citoyennes et citoyens exposés aux aléas climatiques, que des dossiers d’adaptation avancent, sans pour autant que l’institutionnalisation des gains et des innovations soit assurée. Dans cette optique, il convient d’étudier les trajectoires d’engagement des acteurs de changement sur le climat pour comprendre leur capacité à faire évoluer les enjeux de l’adaptation aux changements climatiques au sein de l’administration municipale et dans l’espace public, avec ou sans l’appui des institutions. Dans ces enjeux, le défi est souvent de sortir des contraintes techniques et de montrer ce que l’évolution des infrastructures signifie pour le cadre de vie. Par exemple, comment la résilience face aux pluies intenses et aux vagues de chaleur s’inscrit dans des choix de milieux de vie avec des services de proximité et de transport collectif, des aménagements végétalisés et espaces verts conçus pour répondre aux aléas climatiques tout en offrant un quartier convivial accessible à tous. Quand les acteurs sont en mesure de traduire l’adaptation aux changements climatiques dans des enjeux de ce type, il nous semble alors que l’adaptation, et la transformation des pratiques et des milieux qu’elle implique, est au moins en marche.
Parmi les acteurs de changement qui, partant de la société civile, tentent d’influencer le processus d’institutionnalisation de la lutte contre les changements climatiques, il faut compter la Coalition climat Montréal qui fait l’objet de la « recherche-activiste » de Joey El-Khoury (chercheur membre de la Chaire). Depuis 2015, les acteurs grassroots de cette coalition – des groupes citoyens promouvant la démocratie directe ou la conservation de lieux précis, des ONG environnementales, des acteus industriels et des réseaux divers – mobilisent une multitude de stratégies pour influencer le cadrage des enjeux climatiques urbains et pour l’adoption d’actions municipales visant la carboneutralité de Montréal (El-Khoury, 2021). Adoptant une position de « chien de garde/chien de guide », ces « entrepreneurs de gouvernance et de politique publique climatique » articulent de manière dynamique les dimensions scientifiques et politiques qui caractérisent la transition urbaine pour la carboneutralité. Ce faisant, ils ont considérablement contribué à façonner l’émergence et la consolidation à Montréal d’une « arène de transition » pour la carboneutralité, démontrant ainsi le potentiel « émancipateur » de leurs actions pour la transition socioécologique de la ville. Les implications d’un tel processus sont autant théoriques que pratiques ; elles mettent par exemple en lumière l’importance de la mise en œuvre du prochain plan climat de la Ville de Montréal à l’échelle des arrondissements et des quartiers.
Les questions liées aux échelles de gouvernance de la transition se posent avec autant d’acuité dans le domaine des transports urbains. Le Partenariat de recherche conjoint sur le climat et les transports (JCCTRP), mené par le professeur Mark Purdon (UQAM) et des collègues de l’Ontario, de la Californie et du Vermont, s’interroge donc sur la coordination et la planification des systèmes de transport au sein de divers niveaux de gouvernance : de la région métropolitaine aux quartiers urbains, quels outils d’aide à la décision et quels cadres institutionnels peuvent favoriser une meilleure prise en compte des relations complexes entre les systèmes de transport et l’aménagement du territoire (JCCTRP, s. d.) ? Toutefois ces outils d’aide à la décision et de planification, comme la nouvelle génération de modélisations des systèmes de transport, ainsi que les cadres institutionnels émergents, comme le Sustainable Communities and Climate Protection Act adopté par la Californie en 2008, sont mis en œuvre de manière inégale par les administrations régionales et municipales. Il importe donc d’étudier ces formes de structuration sur la base d’une approche comparative afin de mieux en comprendre les facteurs d’adoption, ainsi que leur efficacité dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Si l’étalement urbain et la dépendance à l’automobile représentent des défis majeurs pour la transition socioécologique des villes, il n’est pas moins important de tenir compte du cadre bâti et des défis de soutenabilité en habitation. Or, en analysant les discours environnementaux sur l’habitation durable au Québec sous l’angle du cadre théorique de la transition socioécologique urbaine et de la théorie des pratiques, les recherches de Guillaume Lessard (chercheur membre de la Chaire) tendent à montrer la constance d’une approche en silo qui évite de traiter du rôle de l’habitation dans la forme urbaine et dans la structuration des pratiques de mobilité (Lessard, 2020). Il est donc impératif de s’interroger davantage sur la place qu’occupent divers secteurs d’activité (construction, transport, aménagement, et cetera) eu égard aux trajectoires de développement de la région montréalaise et à la manière dont ils contribuent à structurer les pratiques, sans quoi des solutions qui semblent adéquates prises séparément risquent ultimement de contribuer à préserver un statu quo non soutenable.
La transition dans les milieux de vie
Outre l’objet que représentent les politiques urbaines en transport, en aménagement et en habitation, la transition sociale et écologique des villes invite à mieux comprendre l’organisation sociale du territoire en relation avec les besoins et les aspirations des citoyennes et citoyens. C’est pourquoi les chercheuses et chercheurs de la Chaire considèrent les milieux de vie — une unité d’analyse à la fois floue dans ses délimitations, mais pertinente pour l’attrait qu’elle exerce auprès des acteurs locaux — comme un terrain d’expérimentation et d’innovation crucial pour la transition sociale et écologique des villes. Ainsi, les membres de la Chaire qui s’investissent dans ce chantier de transition se positionnent comme accompagnateurs de projets citoyens de transition dans les milieux de vie et contribuent ainsi à l’avancement des connaissances au sujet de la pérennisation des initiatives locales de transition.
C’est particulièrement le cas avec le projet Nos milieux de vie ! qui a donné lieu à un partenariat fondateur avec l’organisme Solon. Ce projet, inspiré du modèle des expérimentations de transition, avait pour objectif d’accompagner les citoyennes et citoyens de deux milieux de vie de Rosemont–La Petite-Patrie dans l’élaboration d’une vision sociale et écologique désirable et dans la mise sur pied de projets locaux contribuant à réaliser cette vision (Audet et al., 2019). D’un point de vue théorique, ces objectifs traduisent l’idée que le pilotage du changement au sein d’un milieu de vie repose notamment sur une plus grande réflexivité collective, c’est-à-dire la capacité d’identifier et de se représenter des problèmes complexes, de concevoir des interventions, de comprendre leurs écueils, et de faire vivre malgré tout un projet de transformation. À l’issue du projet, en plus des réalisations citoyennes autour de l’aménagement participatif de deux places publiques et de l’adoption du programme de mobilité partagée Locomotion (porté par Solon), notre équipe a pu établir que le processus de Nos milieux de vie ! a permis d’augmenter le pouvoir d’agir citoyen chez les participants (Le Guerrier, 2020).
Forte de ce succès, l’équipe de la Chaire a lancé en 2020 un processus plus large, touchant l’ensemble des membres de Solon et les citoyennes et citoyens désireux d’y participer, visant à co-construire un récit de la transition sociale et écologique des milieux de vie urbains. Des séances participatives où différentes formes d’expression artistique ont côtoyé la réflexion citoyenne ont permis de formuler des propositions autour de quatre thèmes principaux : le temps, l’économie, la résilience et la justice sociale. Il s’agit, à partir de là, de synthétiser ces propositions et de les exprimer dans plusieurs formats afin que ce récit puisse remplir trois fonctions principales : l’augmentation de la réflexivité citoyenne d’abord, l’élaboration d’un document pouvant servir aux organisations locales, comme Solon, dans leurs efforts de plaidoyer auprès des institutions et des autorités locales, et l’inspiration de projets locaux capables de matérialiser divers aspects du récit.
Les types de projets qui pourraient émerger de cette démarche sont variés. Or, certains projets sont déjà à l’étude, tant du côté des organisations citoyennes que du côté de la recherche scientifique, notamment à l’égard de la dimension économique du récit. Les travaux de Christoph Stamm (chercheur membre de la Chaire) portent sur un projet de ce type : la création d’une monnaie locale (Stamm, 2021). Actuellement, la création de l’argent par les banques privées répond uniquement à l’impératif de gains pécuniaires escomptés, sans égards aux impacts environnementaux et sociaux. Face à la difficulté d’une réforme monétaire globale, des citoyennes et citoyens se réunissent pour créer des monnaies alternatives à l’échelle locale (Seyfang et Longhurst, 2016). À Montréal, un groupe s’est constitué pour créer « l’îlot », une monnaie qui se veut démocratique, sociale et écologique. Cependant, la réalisation de cette promesse d’une « monnaie meilleure » rencontre divers défis de pérennisation et de structuration qui sont autant d’occasions pour la recherche participative et partenariale que préconise la Chaire.
La transition des systèmes alimentaires
Les interactions entre les acteurs de l’alimentation, leurs fonctions dans les chaînes de production-distribution-consommation, les flux qu’ils mettent en œuvre, leurs formes d’organisation, leurs pratiques, ainsi que leurs représentations des enjeux de l’alimentation, forment ce que nous appelons des systèmes alimentaires (Brisebois, 2017 ; Brisebois et Audet, 2018). Les travaux des membres de la Chaire ont porté, depuis quelques années, sur une diversité d’enjeux liés à la structuration de ces systèmes alimentaires, tels que les tensions structurantes de la démarche d’innovation des marchés de quartier de Montréal (Audet et al., 2017), les besoins et les ressources en matière de mutualisation de l’approvisionnement des initiatives alimentaires (Arsenault-Hétu et al., 2018), la production sociale du gaspillage alimentaire à travers les interactions des détaillants et des consommateurs (Audet et Brisebois, 2018 ; 2019), et cetera. Depuis le développement de nos premiers partenariats avec des initiatives et leurs réseaux, le paysage des systèmes alimentaires montréalais a continué d’évoluer vers un plus grand niveau de structuration, ouvrant ainsi de nouveaux chantiers de recherche dans ce domaine.
Au sein des systèmes alimentaires montréalais, de nombreux organismes communautaires et leurs tables de concertation locales portent des innovations pouvant stimuler une transition sociale et écologique du système alimentaire, entre autres, en mettant en œuvre des rapports économiques basés sur la solidarité (par exemple, l’OBNL Partageons l’espoir), en relocalisant une partie de la production alimentaire et en mettant sur pied des moyens alternatifs pour rejoindre les consommateurs (par exemple, le projet Quartier Nourricier et Fruixi) ou en récupérant la production agricole invendue (par exemple le projet La saine alimentation, un défi alimenTERRE de La Corbeille Bordeaux-Cartierville). Dans le cadre d’une recherche doctorale s’intéressant à la gouvernance alimentaire locale dans une perspective de justice alimentaire et de transition socioécologique, Béatrice Lefebvre (étudiante au doctorat, UQAM) a réalisé un portrait de ces innovations sociales, ainsi qu’une analyse de leurs contraintes organisationnelles liées à la situation actuelle de la gouvernance alimentaire, notamment à la lumière de la création récente du conseil de politique alimentaire du système alimentaire montréalais (Conseil SAM). Des entretiens semi-directifs menés avec près d’une vingtaine d’organismes font ressortir qu’un des freins de ces innovations à induire une transition plus profonde du système alimentaire montréalais réside dans leur difficulté à influencer le milieu politique et à assurer la pérennité des actions.
La transformation des systèmes alimentaires montréalais, notamment dans la perspective de renforcer la sécurité alimentaire, nécessite aussi de s’interroger sur l’alignement des besoins, attentes, pratiques et interventions des multiples acteurs de ces systèmes. C’est là l’objet de l’étude Bien manger dans mon quartier qu’une équipe de la Chaire (voir Verville-Légaré et al., 2019) mène en partenariat avec le Réseau alimentaire de l’Est de Montréal (RAEM) depuis 2018. L’analyse porte sur les besoins des ménages à faible revenu et sur les barrières à l’accès aux aliments sains au sein du système alimentaire conventionnel et des réseaux alternatifs de production et de distribution locales, et sur les perspectives des organisations et des institutions qui gravitent autour du RAEM et qui interviennent auprès de ces mêmes ménages. Les résultats montrent des perspectives divergentes entre les acteurs des organisations et les ménages, tant en ce qui concerne l’accès aux sources conventionnelles qu’alternatives. Le faible revenu, les prix élevés des aliments, la recherche constante de rabais, les préférences culturelles et les difficultés de déplacement en temps et en transport en commun ou à pied illustrent la complexité des pratiques d’approvisionnement et d’alimentation en contexte de défavorisation. Les organisations reconnaissent que les facteurs spatio-temporels y jouent pour beaucoup, mais perçoivent les facteurs personnels (manque de connaissances en nutrition et compétences culinaires) comme une variable importante des pratiques des ménages à faible revenu. Il y a donc asymétrie de représentation entre les deux catégories d’acteurs et, en conséquence, le risque que les interventions des organisations ne correspondent pas aux besoins des ménages. Ces résultats renforcent encore l’importance de tenir compte des inégalités sociales dans le contexte de la structuration du système alimentaire montréalais et, de manière plus générale, dans sa transition écologique.
Le concept de citoyenneté alimentaire offre une autre perspective pouvant mieux éclairer les freins et leviers de ces transformations. Il désigne un ensemble de pratiques alimentaires (individuelles et collectives) favorisant le développement de systèmes alimentaires plus démocratiques, justes et écologiques (Wilkins, 2005) et inclut la conciliation de multiples objectifs sociaux et environnementaux au sein d’un même mouvement. La recherche menée par Katia Scherer (étudiante à la maîtrise, UQAM), en collaboration avec le Conseil SAM et la Fondation du Grand Montréal, vise à identifier et à analyser les pratiques de citoyenneté alimentaire dans le système alimentaire montréalais, ainsi que les principes et tensions qui structurent ces pratiques d’engagement. Ainsi, la notion de « tensions structurantes » développée par Audet et al. (2017) permet encore de mieux comprendre la coexistence des différents systèmes alimentaires (conventionnel, alternatif et d’urgence) qui influencent l’engagement des acteurs dans la transformation des systèmes alimentaires urbains.
Conclusion
À Montréal, des innovations sociales et écologiques émergent de l’activité de groupes citoyens, d’organisations communautaires et de la transformation de pratiques institutionnelles. Ces initiatives, pour espérer véritablement transformer la ville, doivent se pérenniser, s’organiser et, en s’intégrant ou en rivalisant avec les pratiques dominantes, se structurer. Car d’un point de vue sociologique, l’enjeu central de la transition sociale et écologique de la ville est bien de l’ordre de la structuration : la transformation des règles et des rapports de force qui régulent les activités urbaines. Dans les chantiers de l’urgence climatique, des milieux de vie et des systèmes alimentaires, les chercheuses et chercheurs de la Chaire mettent en lumière plusieurs de ces processus de pérennisation et de structuration, ainsi que les obstacles qui les empêchent. En s’associant avec les partenaires de la transition sociale et écologique montréalaise, ils contribuent à clarifier et à mettre en place certains fondements de cette transition.
Bibliographie
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Auteurs
René Audet
Professeur au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale, Université du Québec à Montréal, et titulaire de la Chaire de recherche sur la transition écologique, UQAM, courriel : audet.rene@uqam.ca
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Paru dans VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 8 Numéro 2 | octobre 2008
Éliane Brisebois
Agente de recherche, Chaire de recherche sur la transition écologique, UQAM, courriel : brisebois.eliane@uqam.ca
Camille Butzbach
Agente de recherche, Chaire de recherche sur la transition écologique, UQAM, courriel : butzbach.camille@uqam.ca
Joseph El-Khoury
Chercheur membre de la Chaire de recherche sur la transition écologique et chargé de cours à Université de Montréal, courriel : joseph.el-khoury@umontreal.ca
Béatrice Lefebvre
Étudiante au doctorat en sociologie, Université du Québec à Montréal, courriel : lefebvre.beatrice@courrier.uqam.ca
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Les poids du monde : évolution des hégémonies planétaires [Texte intégral]
Paru dans VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement, Lectures
Guillaume Lessard
Chercheur membre, Chaire de rceherche sur la transition écologique, courriel : guillaume.p.lessard@gmail.com
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Geneviève Mercille
Professeure adjointe au Département de nutrition, Université de Montréal, courriel : genevieve.mercille.1@umontreal.ca
Mark Purdon
Professeur au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale, Université du Québec à Montréal, courriel : purdon.mark@uqam.ca
Katia Scherer
Étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement, Université du Québec à Montréal, courriel : scherer.katia@courrier.uqam.ca
Christoph B. Stamm
Chercheur membre de la Chaire de recherche sur la transition écologique, courriel : christoph.stamm@umontreal.ca
Sophie L. Van Neste
Professeure au Centre Urbanisation Culture Société, INRS — Institut national de recherche scientifique, courriel : SophieL.VanNeste@ucs.inrs.ca
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