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Des compétences émotionnelles au capital émotionnel : une approche théorique relative aux émotions

Un article repris de http://journals.openedition.org/eds...

Un article repris de la revue Education et socialisation, une publication sous licence CC by nc nd

Bénédicte Gendron, « Des compétences émotionnelles au capital émotionnel : une approche théorique relative aux émotions », Éducation et socialisation [En ligne], 23 | 2007, mis en ligne le 01 novembre 2022, consulté le 09 février 2023. URL : http://journals.openedition.org/edso/19477

Introduction

Le concept d’émotion fascine les hommes depuis l’Antiquité. Longtemps considérées comme perturbatrices, les émotions devaient être évitées à tout prix car opposées à la raison. En effet, la dimension émotionnelle apparaissait pratiquement toujours posée en altérité et en opposition à la dimension dite rationnelle ou logique. Cependant, avec l’émergence de nouveaux domaines de recherche et l’interdisciplinarité de certains travaux scientifiques, ce courant de pensée s’est estompé pour une réhabilitation des émotions. C’est ainsi que les émotions font aujourd’hui l’objet d’un intérêt grandissant en neurosciences, comme en témoigne la croissance exponentielle des publications dans ce domaine, depuis la fin des années 1990. Ce rebondissement s’explique par la convergence d’au moins trois facteurs : en premier lieu, l’essor des neurosciences cognitives ; en second lieu, de récents progrès techniques, comme l’imagerie fonctionnelle ; et enfin, une reconsidération de cette idée ancienne, avec l’introduction de la notion d’utilité des émotions. En effet, les émotions jouent chez l’homme un rôle critique dans la prise de décision, la perception, l’interaction et l’intelligence. Elles sont omniprésentes et influencent notre vie au quotidien. Elles ont leur place dans toutes les sphères des activités humaines ; donc au travail qu’il soit scolaire ou professionnel. Elles interviennent dans le fonctionnement de nombre de nos facultés, comme la mémoire, le raisonnement, la prise de décision ou encore l’adaptation sociale. Elles ont un rôle de nature purement social et sont décisives pour l’adaptation de l’individu et ceci, dès sa naissance jusqu’à l’âge adulte à des degrés divers. Pour cela, dans le champ de l’éducation, elles concernent autant l’enfant, l’élève, l’apprenant que l’adulte, l’enseignant, le professionnel. Aussi, leurs régulations renvoient à de réelles compétences et participent de la constitution d’un capital émotionnel utile pour faire face aux adaptations nécessaires et changements qu’interviennent dans nos sociétés.

Dans cet article, synthétisant des travaux précédents primés par l’Académie française [1], je me propose d’aborder la dimension des émotions et de leur régulation à partir d’une approche en termes de compétences renvoyant aux modèles d’intelligence émotionnelle. Ces compétences essentielles demeurent cependant « invisibles » dans les compétences évoquées autant dans les programmes de formation des enseignants que dans les modèles théoriques du capital humain. Pour cela, à partir d’une approche conceptuelle, pour sortir ces compétences sous la ligne de flottaison de l’iceberg, je montrerai qu’elles constituent un véritable « capital émotionnel ». En cela, leurs impacts questionnent les modes de fonctionnement et styles d’enseignement traditionnels de notre système scolaire et de formation et obligent à repenser la place des émotions à l’école et dans l’éducation et au travail de manière générale.

Émotions, intelligence émotionnelle, compétences émotionnelles et capital émotionnel

Les recherches dans le domaine des émotions en psychologie, en neuropsychologie et en management apportent des éclairages d’un point de vue des liens entre cerveau et apprentissage et également sur l’intelligence émotionnelle (IE) et leurs compétences associées et la performance. Ces avancées suscitent de nouveaux ponts entre disciplines ; entre autres, entre les modèles d’intelligence émotionnelle en psychologie et les travaux économiques sur les ressources humaines, particulièrement le capital humain, dont le capital émotionnel se veut une tentative et l’objet de cet article.

Émotions, régulation et compétences émotionnelles

Les théories sur l’origine des émotions

En psychologie, nombre d’auteurs ont tenté de conceptualiser l’émotion, tant sur le domaine touchant aux composantes, aux déterminants, aux effets sur les comportements ou encore à leurs fonctions. Divers courants de pensées et modèles théoriques ont émergé, chacun avec un paradigme de recherche propre. Les premières théories se sont basées sur les changements et l’activation physiologiques (James, 1884) qui jouent un rôle majeur dans le déclenchement des émotions. À la perception d’un stimulus, des changements périphériques se mettent en place. C’est la perception de ces changements qui constitue pour ces auteurs l’émotion. En outre, des changements physiologiques périphériques différents entraînent des émotions différentes, et un feed-back corporel (c’est-à-dire une perception viscérale) est nécessaire pour permettre l’émergence d’une émotion. Plus tard, Cannon (1927) proposera une théorie centrale des émotions où les émotions seraient induites par l’excitation du thalamus, qui en retour, provoquerait des changements physiologiques. Les changements physiologiques seraient donc non plus les causes mais les conséquences de l’expérience émotionnelle. Les théories cognitives se sont focalisées ensuite sur les aspects conscients des émotions ainsi que sur la notion d’évaluation. Elles ont émergé avec la naissance d’un nouveau courant de pensées, prenant en compte le rôle de la cognition face aux stimuli de l’environnement. Entre autres, Lazarus (1991) émet une théorie relationnelle, motivationnelle et cognitive des émotions. Il s’appuie sur le fait que les émotions résultent de l’influence mutuelle d’un sujet et de son environnement. L’homme est décrit comme un organisme évaluateur qui cherche constamment à évaluer la situation (« appraisal »), par rapport à son bien-être personnel, en se basant sur des normes, règles et caractéristiques sociales de l’environnement. Ce résultat serait par ailleurs indissociable de la notion d’adaptation (« coping »). Avec Scherer (1984), l’émotion devient multidimensionnelle. Elle est composée d’une évaluation, d’une activation physiologique, de l’expression motrice, de la motivation et de la subjectivité du sujet. Sa fonction fondamentale serait alors de permettre une bonne adaptation du comportement aux stimuli internes ou externes. D’autres chercheurs ont repris ce concept par la suite. Ainsi, Frijda (1986), introduisit une composante supplémentaire de préparation à l’action. Bower, (1981) assimile l’émotion à un réseau de nœuds interdépendants, représentant chacun un concept sémantique, permettant ainsi une diffusion de l’activation. L’intensité de l’émotion influencerait alors la mémorisation, via un système d’amplification entre le nœud émotionnel et la trace mnésique de l’information traitée. Enfin, le constructivisme tente d’expliquer l’émotion par le contexte social. Entre autres, pour Averill (1980), les émotions sont le produit de « constructions sociales » et dépendent essentiellement du contexte social dans lequel elles apparaissent. Mais déjà, en 1938, les doctrines de Wallon invoquaient le contexte social et interactionnel associé au phénomène émotionnel.

L’approche neurobiologique des émotions s’intéresse aux mécanismes fondamentaux du système nerveux à l’origine des émotions. Entre autres, Mac Lean (1990) élabore un modèle neuropsychologique de l’émotion faisant intervenir les grandes parties du système nerveux central. Plus tard, Damasio (1994) proposera la théorie des marqueurs somatiques (des perceptions corporelles conscientes) qui orientent nos raisonnements. Il définit des conditions pour distinguer des émotions primaires de celles secondaires. Ainsi, certains stimuli de l’environnement (qui ne sont pas nécessairement reconnus consciemment) sont analysés par les structures limbiques et provoquent des réactions innées (ex : peur) qui constituent les émotions primaires (générées selon une composante non-cognitive). À l’inverse, les émotions secondaires sont le résultat d’évaluations cognitives conscientes et non conscientes (générées cognitivement) élaborées sur la base d’apprentissages. Celles-ci étant ensuite transmises en retour au système limbique. Enfin, l’approche dimensionnelle de Lang et al. (1993) se focalise sur l’organisation des émotions qui s’effectue sur des continuums particuliers. Elle dépend en outre de la mobilisation de deux systèmes de motivation (aversif/appétitif). Selon les travaux de Hebb (1949), la motivation est définie comme facteur pouvant déterminer « la direction et la vigueur » des comportements. Dès lors, ces deux caractéristiques peuvent être représentées respectivement comme des paramètres quantifiables : la valence affective (positive/négative) et l’intensité de l’activation. L’intensité correspond à la disposition de l’organisme à réagir selon différents niveaux d’activation, tandis que la valence correspond à la disposition de l’organisme à émettre des comportements d’approche ou d’évitement. Les émotions, de par leur implication dans de multiples réponses et de par leur extrême variabilité, ont une composition psychophysiologique chargée, que Lang distingue par trois canaux d’expression : celui comportemental (par des actes conscients ou des séquences de comportement fonctionnel, ex : attaque, fuite, comportement d’approche sexuelle…), langagier (incluant la communication expressive, ex : cris de menace, attaque verbale… et l’évaluation du ressenti : description des sentiments ou attitudes générées) et celui physiologiques (ex : changements du tonus musculaire, des viscères, du système immunitaire…).

Le rôle des émotions

Les avancées en neurosciences et les récents progrès techniques de l’imagerie fonctionnelle ont permis d’en savoir plus sur les bases neurales de l’émotion et le fonctionnement du cerveau fournissant ainsi les bases indispensables pour aborder la complexité des phénomènes affectifs. Entre autres, plusieurs chercheurs contemporains ouvrant la voie des neurosciences affectives ont réactualisé l’idée ancienne selon laquelle les émotions ont un rôle adaptatif. Les émotions sont nécessaires au bon fonctionnement de nombre de nos facultés, comme la mémoire, le raisonnement, la prise de décision ou encore l’adaptation sociale. Par exemple, les émotions jouent un rôle essentiel dans la mémoire autobiographique par renforcement. Lorsque nous sommes en proie à l’émotion, notre capacité à conserver des souvenirs dans notre mémoire épisodique se renforce. Ainsi, les évènements émotionnellement neutres seraient plus rapidement oubliés alors que les souvenirs d’évènements émotionnels seraient plus tenaces. Cependant, dans le cas de stress intense ou prolongé, la réaction émotionnelle peut alors nuire à la performance de la mémoire épisodique. Il en va ainsi des situations dans lesquelles nous avons ressenti un malaise ou fait face à une difficulté suite à une expérience antérieure. Dans ces moments, la mémoire implicite pourra nous rappeler des évènements passés et le corps exprimera le souvenir émotionnel de la situation (peur, nervosité, sudation, etc.).

Également, face à une situation où la survie est en jeu et qu’une décision s’impose, chaque personne, à partir d’un répertoire fourni de comportements, sera confrontée à la nécessité de choisir. Dans la tradition philosophique occidentale, les processus de prise de décision sont rapportés à la faculté de penser, à l’aptitude de raisonner correctement sur les diverses possibilités d’action offertes. Il en va ainsi de l’approche des sciences économiques ; les théories standards de l’utilité ou de la satisfaction de l’agent entendent guider une prise de décision dite « rationnelle » sans cependant décrire de manière adéquate la façon dont les gens prennent spontanément les décisions.

Sur ce point, les dernières avancées en neurologie et psychologie nous invitent donc à revoir les mécanismes de la décision, en y intégrant la dimension des émotions et des compétences émotionnelles et à les prendre en compte dans les modèles de capital humain. En effet, les processus émotionnels sont impliqués, d’une façon ou d’une autre, dans ceux qui président à la prise de décision. Ces mécanismes dépasseraient les processus d’évaluation rationnelle en rapidité, en économie de moyens, et en efficacité selon Damasio (1994). Précisément, la prise de décision des sujets humains serait guidée par un ensemble de marqueurs somatiques positifs ou négatifs qui procurent une « sensation viscérale » concernant le choix d’une option donnée et attirant l’attention de la personne sur les conséquences négatives ou positives de son action. Les émotions nous permettraient alors d’évaluer le caractère désirable ou non d’une décision et finalement aux processus de se concentrer sur la solution des problèmes pour lesquels ils sont les plus efficaces. Selon l’émotion ressentie, nous serions donc orientés vers l’approche (émotion positive) ou la fuite ou l’évitement (émotion négative). Loin de constituer un obstacle à la prise de décision rationnelle dans la vie quotidienne, les émotions, en permettant l’harmonisation des différents processus cognitifs se révéleraient être la condition indispensable d’adaptation et de réaction optimale à une situation donnée. Aussi, les émotions ont un rôle de nature purement social (Averill, 1990). Les humains étant fondamentalement des êtres sociaux, les émotions sont décisives pour l’adaptation sociale de l’individu et ceci, dès sa naissance à des degrés divers. Elles continuent à l’être, par la suite, en tant qu’adaptations circonstanciées à des modèles sociaux. En effet, d’une part, en vertu de « codes sociaux [2] », l’acteur social doit accorder ses expressions émotionnelles aux impressions qu’il souhaite produire. D’autre part, il y a un ordre social qui impose une dialectique de l’expression émotionnelle et de son usage, tant public que privé. De fait, une des fonctions des émotions est également de communiquer des informations à autrui, ainsi que notre état d’esprit ; ce qui, à partir de leur détection et leur interprétation sous-jacente, permet à un groupe de reconnaître les dispositions de chacun de ces membres (justifiant par là le fait que les personnes aient besoin d’apprendre des autres pour savoir comment gérer leur environnement et eux-mêmes).

Aussi, ces différents exemples montrent l’importance de la régulation émotionnelle et particulièrement des compétences émotionnelles qui lui sont rattachées. C’est d’ailleurs suite à ces recherches que la notion d’intelligence émotionnelle a vu le jour, complétant la notion insatisfaisante de quotient intellectuel et nous amenant à considérer l’ensemble de ces compétences de régulation émotionnelle comme un réel capital.

Régulation et compétences émotionnelles

La régulation émotionnelle renvoie particulièrement aux compétences émotionnelles qui permettent à l’individu de moduler et gérer son état émotionnel ; et ainsi d’apporter une réponse émotionnelle appropriée aux situations changeantes et complexes de la vie moderne. Pour certains, elle fait référence à la notion d’intelligence émotionnelle, Parmi les modèles d’IE, le modèle de Goleman (2001) qui reprend les apports des travaux de Salovey et Mayer, définit l’IE comme la capacité à reconnaître et à maîtriser les émotions en soi et chez les autres. Elle est décomposée en quatre principales compétences regroupées sous deux catégories : compétences personnelles et sociales ; respectivement, la conscience de soi ou auto-évaluation (capacité à comprendre ses émotions et à reconnaître leur incidence), la maîtrise de soi ou auto-régulation (capacité à maîtriser ses émotions et impulsions et à s’adapter à l’évolution de la situation), la conscience sociale ou empathie (capacité à détecter et à comprendre les émotions d’autrui et à y réagir tout en comprenant les réseaux sociaux) et la gestion des relations sociales ou aptitudes sociales de communication (qui correspond à la nécessité d’inspirer et d’influencer les autres tout en favorisant leur développement et en gérant les conflits). Aussi, cette approche par les compétences autorise de nouveaux ponts avec les modèles du capital humain de l’économie des ressources humaines.

Tableau 1. Compétences de l’intelligence émotionnelle de Goleman (2001)

Compétences émotionnelles Personnelles Sociales
CONSCIENCE Auto-Évaluation ou Conscience de soi Empathie ou Conscience sociale
MAÎTRISE Auto-Régulation ou Maîtrise de soi Aptitudes sociales de communication

Des compétences au capital émotionnel

Qualités ou dispositions individuelles et compétences émotionnelles

Certaines recherches appréhendent en termes de « qualités », « dispositions individuelles » ou encore d’« attributs », « d’attitudes » ou de « traits » interpersonnels et intrapersonnels ce que Goleman décrit et nomme « compétences émotionnelles ». C’est ce concept de « compétences » dans le modèle de Goleman qui a suscité mon intérêt et qui sert d’appui à mon approche étant donné que la notion de « compétence » est également une notion mobilisée en économie des ressources humaines. En effet, au-delà du débat sur la notion « d’intelligence », c’est l’appréhension des habiletés en termes de « compétences » qui m’intéresse ici car elle nous autorise à transférer une analyse économique au domaine des compétences émotionnelles permettant une réhabilitation des émotions dans l’approche économique : la « raison » des émotions (Gendron, 2004a). Particulièrement, la déclinaison de l’IE en « compétences », nous permet de rapprocher ces travaux de l’approche économique de la théorie du capital humain dans le sens où elle laisse entendre que ces aptitudes ne sont pas intégralement le fait de notre patrimoine génétique ou « innées » ou encore « naturelles » mais sont l’objet d’expériences et peuvent faire l’objet d’un apprentissage ; ce que laisse moins à penser la notion « d’intelligence ». D’autant que la notion « d’intelligence émotionnelle » n’échappe pas aux questions et critiques afférentes au concept « d’intelligence ». D’ailleurs, en psychologie, le travail sur le concept d’intelligence a été partiellement abandonné et remplacé par l’études des processus mentaux et de traitement de l’information étant donné la mise en doute de l’universalité des prédictions de ses mesures et la mise en évidence de l’influence des aspects culturels et sociaux dans les processus qu’elle sous-tend. En outre, l’intelligence reste un phénomène inféré, inaccessible directement, observable seulement à partir de l’opérationnalisation en comportements, en tâches de résolution de problèmes qui en sont les produits supposés. En cela, une approche en termes de « compétences » peut pallier l’incapacité de rendre compte de la complexité à partir d’un découpage en processus élémentaires (tout en acceptant les limites de son observation directe).
La déclinaison de l’IE en compétences autorise des modes de production autres que les seules sous-entendues dans la production des compétences techniques. En effet, ces compétences émotionnelles renvoient à des compétences comportementales intra et inter-personnelles débordant des domaines traditionnels que sont les connaissances techniques et spécifiques professionnelles ou des savoirs et savoir-faire traditionnellement étudiés dans la théorie du capital humain. La notion de compétences émotionnelles envisage et engage d’autres modes de compréhension et d’action que la seule conception en termes d’habiletés mentales. Elle réfère aux savoirs être et aux compétences comportementales relevant aussi du domaine de la conation [3] sur le développement conatif de l’enfant publié aux Presses universitaires de France au début des années quatre-vingt-dix pour voir réintroduite cette dimension des émotions développées par Wallon, un grand psychologue français du développement, abandonnée par les chercheurs et pédagogues franco-européens au bénéfice d’une vision globalisante de la cognition (suite aux travaux de l’école génétique genevoise piagétienne). La composante conative de la compétence relève de la volonté, de l’affectivité, des émotions et des motivations. Et considérer des compétences émotionnelles ne renvoie plus seulement à un patrimoine génétique, ou encore à des talents innés, mais dépend essentiellement de capacités apprises à travers les expériences de vie de la personne. L’IE définie selon Goleman se construit durant le développement de l’enfant au sein de sa famille et du groupe social dans lequel il évolue et participe à une certaine personnalité. Ces différents paramètres auront une influence considérable sur l’acquisition des compétences de l’individu pouvant expliquer les différences que l’on peut observer d’un individu à un autre.
Cependant, les compétences se distinguent de la personnalité et de ses traits [4]. Les traits sont des « schèmes caractéristiques de comportements ou de dispositions à éprouver des sentiments et à agir d’une certaine manière distinguant une personne d’une autre, supposés uniformes et stables pendant toute la vie » (Myers, 1998). À l’inverse, les compétences, telles celles décrites dans les modèles de l’IE, sont évolutives et dynamiques, et peuvent faire l’objet d’apprentissages. Elles se distinguent de la personnalité qui cette dernière est par définition non contextualisée et détachée de l’action et considérée comme stable dans le temps et l’espace. Elles doivent être également distinguées des « comportements » ou de d’autres termes comme aptitude, attitude, capacités requises, qualification ou connaissance. La compétence se « reconnaît » à travers ses rapports à l’action et au contexte, et à sa nature (Bellier, 2000). Dans son rapport à l’action, la compétence se construit, se développe, s’actualise et s’améliore dans l’action, à travers entre autres, la réalisation et la production. Aussi, la compétence s’opère ou s’en acte dans un contexte donné : « on est compétent dans une situation donnée pour résoudre un problème donné et non pas en général ». Cependant, même si le transfert de la compétence est possible, il ne relève pas de l’évidence. Il n’est d’ailleurs pas sans poser de difficultés dans le cadre de la mise en œuvre de validations des acquis d’expérience.

Enfin, la compétence de manière générale est, par sa nature, une combinaison de l’intégration de différents éléments : des savoirs, des savoir-faire et des comportements, certes, mais aussi la compréhension de la situation, des modes de coopération, des informations qui viennent caractériser telle situation par rapport à telle autre. Savoir, savoir-faire, et comportements ne sont pas la compétence mais « des éléments de la compétence, dont l’essence réside dans la mobilisation au bon moment et de la bonne manière de ces diverses capacités ». Ainsi, cela signifie que l’activité mentale de guidage et d’organisation de l’action permet l’action réussie mais également aussi qu’une grande partie de la compétence est inconsciente (mais observable par autrui), implicite, voire mal connue par l’acteur lui-même « qui est compétent parce qu’il ne se demande plus comment être compétent ». Il aurait « développé le bon processus de résolution de problème et ne perd pas d’énergie à chercher la “méthode” : il agit. ». Cependant, si la compétence pour Bellier renvoie à une démarche cognitive, la compétence émotionnelle renvoie également selon nous à une démarche conative, toutes les deux adaptées aux problèmes à résoudre.

Compétences émotionnelles et capital émotionnel

Dans tous les champs de l’activité humaine où les émotions sont présentes, entre autres, dans l’éducation, à l’école ou encore au travail, les compétences émotionnelles sont cruciales. Elles sont utiles et constituent une ressource cruciale pour les personnes dans la constitution et l’utilisation optimale du capital humain. Ces compétences — qualifiées autrement de compétences non techniques ou encore de compétences comportementales interpersonnelles et intrapersonnelles — débordent des domaines traditionnels liés aux connaissances, à l’intelligence intellective [5], ou encore aux qualités et qualifications techniques. Issues d’un apprentissage précoce et évoluant tout au long de la vie, ces compétences émotionnelles varient d’une personne à l’autre ; certaines personnes étant mieux dotées que d’autres et cette différence n’est pas sans conséquences. Par exemple, la difficulté ou l’échec à gérer ses propres émotions peut avoir de graves effets, allant de la chute de productivité dans le domaine du travail scolaire, professionnel à l’incapacité d’apprendre dans le domaine de l’éducation ou de la formation (due à l’anxiété, au stress…), ou encore peut participer à la dégradation des relations humaines (due à un excès de colère par exemple…). Ces compétences émotionnelles (entre autres, celles renvoyant à la régulation émotionnelle abordée ci-avant) s’avèrent primordiales pour réussir à la fois économiquement, socialement et personnellement… En cela, l’ensemble de ces compétences émotionnelles constituent selon nous un réel capital à la fois pour les personnes mais également pour les entreprises et la société dans son ensemble et concerne toutes les formes d’organisation (famille, classe, entreprise, association…). Cependant, s’agissant de compétences, celles-ci peuvent être développées et perfectibles (notre cerveau étant plastique et apprenant, il est possible de compenser les insuffisances par l’apprentissage). En cela, il importe d’entretenir, de développer et/ou perfectionner ce capital ; un capital que je qualifie d’émotionnel et que j’ai défini de la manière suivante : « le capital émotionnel est l’ensemble des ressources renvoyant aux compétences émotionnelles inhérentes à la personne, utiles au développement personnel, professionnel et organisationnel » (Gendron, 2004d, 2005b). Posséder un capital émotionnel s’avère un atout individuel même si ses retombées dépassent cette seule dimension et concernent autant la sphère privée que publique, que l’éducation, le travail, et a des retombées économiques et sociales.

Le capital émotionnel et ses caractéristiques

Pour parler de « capital émotionnel », il me faut voir si ce celui-ci vérifie les caractéristiques générales du capital en termes de ressources et d’effets ou de retombées.

Caractéristiques générales du capital…

En économie, le capital est défini, de manière générale, comme un ensemble de biens possédés par un agent qui lui procurent des revenus ou encore comme une ressource dans laquelle on peut investir, qu’il est possible d’accumuler et qu’on peut utiliser pour engendrer un flux d’avantages dans le futur. On parle de manière équivalente d’actif faisant référence à la mobilisation d’un stock de capital qui s’identifiera aux « ressources » de l’agent, alors que les flux du capital seront relatifs aux effets de ces ressources sur la situation économique de l’agent. Aussi, l’usage du terme « capital » accolé au qualificatif « émotionnel » peut surprendre. Le rapprochement des deux termes « capital » et « émotionnel » suggère, d’une part, que l’on évoque une ressource qui peut s’accumuler et être utilisée et utile à l’occasion mais, d’autre part, entend proposer un concept nouveau, qui induit a priori une distinction avec deux autres types de capital : le capital humain et social (et culturel).

Si divers que soit l’usage de ces notions, le détour par le capital social, humain et émotionnel sert un même objectif : comprendre comment des individus et des institutions peuvent atteindre le plus efficacement et le plus équitablement possible des objectifs communs. Ainsi, le recours à une telle sémantique économique tient pour partie, aux conditions intellectuelles et avancées de la recherche dans le domaine du management et des compétences qui motivent à développer un concept complémentaire à la théorie standard du capital humain7 [6]. Mon propos se limitera ici à mettre en évidence les caractéristiques générles et les principaux impacts et retombées du capital émotionnel, comme composante du capital humain défini dans un sens plus large que celui défini par la théorie du capital humain.

Le capital humain au sens strict – spécifique du général issu de la formation qui ont trait à l’activité économique – défini dans les publications de Théodore Schultz (1961) et Gary Becker (1964) constitue un actif, un patrimoine sous forme de capacités intellectuelles et professionnelles qui augmentent la capacité productive de la main-d’œuvre. Renvoyant à l’éducation et la formation dans son application la plus courante, la durée de scolarité et les degrés de qualification en sont les mesures caractéristiques. [7]Dans une version élargie, le concept de capital humain peut s’appliquer à toute activité qui améliore la qualité et la productivité de la main-d’œuvre. En cela, les compétences émotionnelles pourraient être assimilées à du capital humain. Cependant, chacune, expérience et formation spécifique et générale et les compétences émotionnelles augmentant la productivité de manières différentes et selon des mécanismes différents mais particulièrement les caractéristiques et particularités (et son processus de production) du capital émotionnel, nous incitent à traiter les compétences émotionnelles comme des formes distinctes et différentes du capital humain telles que décrites et définies jusqu’à maintenant par Gary Becker. Les compétences émotionnelles relèvent selon nous aussi du capital humain si on adopte une vision élargie (le concept de « capital humain » utilisé dans la suite et les schémas renvoie à celui restrictif défini par la théorie standard). Enfin, il est communément admis en économie de définir le capital de manière équivalente à un actif, à un patrimoine susceptible de lui procurer un revenu. Précisément, il est ici fait référence à la mobilisation d’un stock de capital identifié pour notre propos aux « ressources en compétences émotionnelles » de l’agent, alors que les flux du capital seront relatifs aux effets de ces ressources sur la performance des acteurs en situations économiques et sociales ; entre autres, les impacts et effets ou retombées de ces compétences.

Caractéristiques en termes de ressources

La pertinence du capital émotionnel par rapport au capital humain et social et ses retombées économiques et sociales sont visibles à plusieurs égards mais restent encore insuffisamment considérées. Le capital émotionnel accorde de l’importance aux modes informels d’apprentissage et aux compétences acquises par l’apprentissage pratique. Parce que confondues aux « traits de caractère », à des « qualités » ou à des « attributs » personnels, les compétences émotionnelles restent encore aujourd’hui des compétences « iceberg », des compétences « au-dessous de la ligne de flottaison » non considérées à leur juste valeur autant dans le domaine des ressources humaines que dans le champ de l’éducation. Le contexte et les formes d’acquisition des compétences émotionnelles diffèrent de celles des compétences décrites par Gary Becker (1964) et peuvent justifier que ces premières restent mal ou peu considérées dans les modèles du capital humain [8]. En effet, relevant selon nous d’une forme « implicite » d’éducation que l’on peut retrouver chez Pourtois et Desmet (2004), ces compétences jouent néanmoins « en sourdine » avec force et prégnance sur le développement des personnes. C’est dans ce sens que je partage le point de vue de Heckman et ali. (1999), « a broader view of the way skills are produced in a modern economy is more appropriate. Once this body of research becomes accepted into the mainstream, the public discourse on skill formation will be substantially altered. Current policies regarding education and job training are based on fundamental misconceptions about the way socially useful skills embodied in persons are produced. They focus on cognitive skills as measured by achievement or IQ tests to the exclusion of social skills, self discipline and a variety of non-cognitive skills that are known to determine success in life. The preoccupation with cognition and academic “smarts” as measured by test scores to the exclusion of social adaptability and motivation causes a serious bias in the evaluation of many human capital interventions ». Le capital humain a longtemps été mesuré à l’aide d’indicateurs comme le nombre d’années de scolarité par rapport au temps alloué à se former ou plus généralement à le constituer. Mais cette définition opérationnelle du capital humain ne tenait pas compte de la complexité, de la polyvalence et de l’hétérogénéité de l’apprentissage humain, de ses contextes et occasions qui se déroulent sur toute une vie et surtout, des différentes formes de compétences dépassant le cadre de l’éducation institutionnelle et formelle.

L’acquisition et le développement de ces compétences émotionnelles ne s’effectuent pas uniquement par l’enseignement et l’apprentissage en classe. Outre le système d’enseignement, d’autres institutions, la famille, le milieu de travail, les médias, les organisations religieuses et culturelles… participent à la transmission et au développement de ces compétences. Précisément, les compétences émotionnelles constitutives du capital émotionnel se construisent et se développent durant le développement de l’enfant au sein de sa famille et du groupe social dans lequel il évolue. Ce capital s’acquiert et se développe par l’action et l’interaction de manière implicite dans des contextes éducatifs formels et informels depuis l’enfance. Participant à lui forger une certaine personnalité, ces différents paramètres ont une influence considérable sur l’acquisition de ses compétences pouvant expliquer les différences que l’on peut observer d’un individu à un autre. Pour Dunn (1998, p. 178) « individual differences in very young children’s understanding of other’s emotions and inner states are marked. These differences not only show considerable stability from early in the preschool period to the school years, but are related to a wide range of other developmental outcomes, including moral sensibility, perception of others’ reactions and of self-competence, and adjustment to school ».

Ainsi, au-delà du milieu scolaire, le milieu familial, le milieu communautaire (clubs, religion…) ou encore le milieu du travail [9] sont autant de milieux d’apprentissage participant au stock de capital émotionnel. Si l’acquisition et le maintien et l’évolution de ce capital résultent en partie d’un effort et d’expériences propres à l’individu, il dépend aussi de l’existence d’un milieu matériel, institutionnel et social favorable et de dispositions sociales appropriées. Et, par le biais de l’apprentissage et de l’expérience, ce capital est évolutif et dynamique. Déjà, les efforts consacrés pour l’acquisition de ces compétences durant la première enfance sont des éléments indispensables à la croissance équilibrée de la personne et dans ce sens renvoient à un investissement qui, par la suite, pourra contribuer positivement à la vie sociale et économique de l’individu, à son mieux-être et bien-être pouvant contribuer à sa meilleure performance dans des domaines diverses (personnel, professionnel, organisationnel, social) et une meilleure cohésion sociale.

Caractéristiques en termes d’effets

La constitution, l’accumulation et l’accroissement de ce capital ne sont pas sans impacts et effets ou retombées plurielles. Pourquoi le capital émotionnel est-il si important, entre autres, en éducation et dans le monde du travail, particulièrement celui scolaire et professionnel ? Le capital émotionnel a des impacts sur la constitution du capital humain et l’utilisation optimale des différents capitaux de l’individu (capital social et culturel, et capital humain) et des retombées à la fois personnelles (en termes de satisfaction, de bien-être, ou de mieux-être, d’épanouissement, de satisfaction…), sociales (relations et interactions sociales, intégration et cohésion sociale), et économiques (individuelles sur la constitution du capital humain, productivité au travail… et collectives sur la performance et rendement dans et des organisations.).

Du point de vue de ses impacts, la constitution d’un capital émotionnel « équilibré [10] » (s’inscrivant dans la sphère du capital social, renvoyant à un capital social démocratique) est à la fois à la base d’une socialisation démocratique possible et participe à celle-ci.

À partir des différentes expériences issues de ses différents milieux d’apprentissage évoqués ci-avant, l’enfant va construire son capital émotionnel. Aussi, ce capital sera à la base ou va lui permettre la constitution de son capital humain. Déjà Wallon (1934, 1938) soulignait l’importance évolutionniste des émotions, leur valeur adaptative, leur rôle dans le développement mental en tant que premières sources d’échanges avec autrui, premier lieu de représentation, et premières formes d’activité réflexive. Et dans cette perspective, elles constituent des pré-requis du développement cognitif.

Aussi, au niveau individuel, nos émotions nous accompagnent tous les jours et peuvent nous nuire ou nous aider, tout dépend de l’utilisation que nous en faisons. Comme Goleman (1999) le mentionne, la perte de contrôle des émotions peut « rendre stupides des gens très intelligents » ; celle-ci ne donnant plus accès à la raison. Également, elles participent à notre équilibre. Palmer, Donaldson et Stough (2002) ont constaté que les personnes ayant une intelligence émotionnelle élevée, renvoyant aux compétences émotionnelles, bénéficiaient d’un avantage permettant de prévoir leur satisfaction dans la vie ; entre autres, que ces personnes étaient plus susceptibles d’avoir recours à un style de défense d’adaptation et de manifester par conséquent une adaptation psychologique plus saine.

Aussi, si la dimension émotionnelle ne constitue pas le fondement essentiel de l’identité de la personne, elle en assure selon Guitouni (2000, p. 16), « l’unité en opérant la jonction entre les dimensions cognitives et instinctives de l’être ». En outre, du point de vue de l’apprentissage et des comportements, nombre de recherches (Kort, Reilly et Picard, 2000 ; Ocde 2000 ; Ocde-Ceri 2004) en neuro-cognition mettent en avant le lien et les effets des émotions sur l’apprentissage. L’absence de capital émotionnel chez l’élève peut être responsable de déséquilibres et de tensions et constituer une faiblesse et perturber l’apprentissage et à terme la constitution du capital humain. Ainsi, Mayer, Caruso et Salovey (2000) ont constaté des relations négatives entre une dotation faible de compétences émotionnelles et des comportements difficiles de violence et de perturbation chez des étudiants, facteur important contribuant à l’échec scolaire. D’autant que l’échec scolaire, par contagion émotionnelle, se renforce mutuellement avec l’influence des pairs : les enfants qui échouent ont tendance à avoir des pairs ayant une attitude négative vis-à-vis de l’école.

Si Wallon évoquait déjà dans Les origines du caractère de l’enfant (1949, p. 94), la place des émotions dans son développement et l’importance de l’accommodation pour que celles-ci décuplent les forces, Carl Rogers, préconisait en 1976 dans Liberté pour apprendre, du point de vue professionnel, le facilitateur comme style d’enseignant : un enseignant empathique qui sache accepter « aussi bien le contenu intellectuel que les attitudes émotionnelles, s’efforçant de donner à chaque aspect l’importance la plus exacte que celui-ci revêt pour la personne ou pour le groupe » (Rogers, p. 163). Les compétences de communication, entre autres, sont essentielles dans des fonctions d’accompagnement et d’encadrement de personnes, d’équipes, d’élèves… Ce sont ces compétences que l’on trouve essentiellement développées chez les personnes charismatiques, ou encore les figures dites de « leadership » et que doivent détenir ou qui devront être développées de plus en plu [11] s chez les responsables entre autres de fonctions éducatives (enseignants, éducateurs, formateurs…) (Gendron, 2006). Mialaret écrivait déjà en 1977 que « la connaissance était très souvent appauvrie par l’absence de résonances affectives1 [12] » mais surtout soulignait l’importance de l’établissement d’une « authentique communication » dans les métiers d’éducateur : « Il est indispensable que l’enseignant connaisse les moyens d’établir cette communication sans laquelle ni son enseignement, ni son éducation ne pourront atteindre leurs buts » (Mialaret, 1977, p. 11). Ces attitudes pédagogiques de l’éducateur décrites par Mialaret (1977, p. 111) : « l’ouverture à la communication, le désir d’accepter l’autre et le désir de le comprendre » renvoient pour nous à de réelles compétences, particulièrement aux compétences émotionnelles sociales. Ces compétences sont en effet fondamentales (et une condition nécessaire de tout acte éducatif comme le précise Mialaret) et nécessaires entre autres pour pouvoir motiver autrui, pour mobiliser autour d’un projet une équipe, une personne, pour prévenir des conflits… Par exemple, percevoir la mauvaise humeur d’un élève, d’un collègue, d’un salarié permet de prendre en compte les raisons de son état émotionnel et de l’aider à agir sur les causes avant que sa motivation ne s’estompe. Savoir se mettre « à la place de », adopter le point de vue de ses camarades de classe, de ses collègues, de ses salariés pour mieux comprendre comment ils vivent les choses, comment ils les envisagent est une condition essentielle de communication réussie. Celle-ci doit permettre de se projeter dans un environnement qui favorise leur propre sentiment de réussite, qui leur donne envie de mobiliser leur énergie, et donne du sens à ce qu’ils font et à ce dans quoi ils sont engagés volontairement ou non (on soulignera ici dans cette orientation les travaux sur le rapport aux savoirs, ou encore les travaux du sens de l’expérience scolaire de l’équipe de recherche Éducation et scolarisation (ESCOL). Également, l’écoute qui repose sur une ouverture émotionnelle à autrui, sur une co-naissance intuitive, expérientielle est essentielle : un enseignant, un manager motivant et compréhensif passe du temps en classe auprès de ses élèves ou dans les lieux de travail de ses salariés, s’imprègne de l’atmosphère afin de ressentir et de percevoir les difficultés et les besoins. À l’inverse, les carences en compétences émotionnelles des enseignants comme des dirigeants d’entreprises dans les rapports humains peuvent diminuer leurs performances ainsi que les performances de l’ensemble des personnes qu’ils encadrent. Ainsi, un enseignant qui ne sait pas répondre aux situations de violence en classe risque vite de perdre la maîtrise de sa classe, son crédit et la confiance des enfants. Également, des critiques trop acerbes de l’enseignant adressées à des élèves qui ne sauraient pas relativiser, peuvent plonger certains élèves dans un état d’anxiété et dès lors les rendre fragiles, instables, agités, attendant le moment où tombera la sentence inexorable les chassant de la classe. À l’inverse, den Brok, Fisher, et Scott (2005) montrent qu’un enseignant au profil de leader, c’est-à-dire aux compétences émotionnelles développées, peut accroître la motivation, l’intérêt pour la discipline et la performance de ces élèves. Comme le soulignent Peters, GragerLoidl et Supplee (2000), l’organisation de l’enseignement et les compétences sociales et personnelles des enseignants sont les deux facteurs principaux qui influencent la réussite scolaire de l’enfant.

Dans d’autres sphères du travail, on retrouve ce phénomène. Un patron qui arrive en colère et s’exprime « sans trop le penser » ou encore est continuellement déprimé sera sans doute un très grand démobilisateur pour ses salariés qui l’entourent. Des études montrent que chez les salariés qui reçoivent moins d’attention, de considération ou moins de support, la régulation émotionnelle est plus difficile et entraîne plus de souffrance en milieu professionnel (Castro, 2004). Un climat délétère au travail mettant à l’épreuve les émotions peut, si mal géré, donner lieu à une contagion émotionnelle bloquante pour l’entreprise. Également, un associé qui ne comprend pas ses partenaires ou qui ne considère pas les besoins des autres s’attirera à la longue les reproches et le ressentiment de ses pairs. À l’inverse, une relation de bonne qualité avec des collègues crée un environnement professionnel positif qui suscite des sentiments de satisfaction et de bien-être professionnel pouvant se traduire par une productivité accrue et un moins fort absentéisme (voir amener jusqu’à un certain état de « fluidité [13] »).

Tout comme l’élève ou l’apprenant, le travailleur peut donner le meilleur de lui-même (Gendron, 2005a), et d’autant mieux qu’il se sentira considéré (expérience de Hawthorne d’Elton Mayo). Il renvoie à un ancien adage pourtant simple : on ne travaille bien, que lorsque l’on se sent bien. Et comme le souligne Fischer (2002, p. 7), la satisfaction d’un travailleur n’est pas sans retour et retombée sur ses engagements au travail et avec son équipe : « positive affect while working does appear to be important in predicting affective commitment and spontaneous helping behaviour ». On peut également penser qu’il en va ainsi aussi pour l’apprenant dans son « métier d’élève ». Aussi plus le travail et les responsabilités sont complexes plus les compétences émotionnelles sont nécessaires et présentes. Un certain nombre de recherches montrent que l’anxiété, la dépression sont le lot des élèves présentant des difficultés émotionnelles perturbant leur performance scolaire. On retrouve ce même phénomène au travail dans le cadre des phénomènes de « burn out » (dépression) et la profession enseignante n’est pas épargnée : « Educator endurance, efficacy and humanitarian discipline relate negatively to stress, burnout and illness, but positively to health and personal accomplishment ». Teachers with a low sens of instruction efficacy tend to become mired in classroom problems, are stressed and angered by student misbehavior, pessimistic about student potential to improve, and focus more on subject matter than student development » (Friedman, 2003, p. 195). Ria et al. (2003) montrent que les émotions ont un impact dans la construction de connaissances professionnelles, particulièrement chez les enseignants débutants. En effet, les compétences émotionnelles s’articulent en synergie avec l’intelligence intellectuelle et les connaissances. D’ailleurs, celles et ceux qui réussissent à un haut niveau allieraient les deux formes de compétences. Ainsi, dans le domaine du travail auprès d’entreprises, de directeurs d’établissements scolaires, de responsables d’équipe ou de leaders nombre de travaux indiquent que les personnes qui atteignent des sommets sont celles qui ont obtenu les meilleurs résultats aux tests d’intelligence émotionnelle (Goleman, 1999 ; Gond et Mignonac, 2002 ; Hess, 2003). Également, plusieurs études montrent qu’il est économiquement avantageux d’embaucher des personnes en fonction de leur intelligence émotionnelle (Brown, 2004).

Enfin, du point de vue social, ce capital émotionnel et les compétences qui lui sont associées font partie des compétences clés décrites dans le rapport de l’Ocde-Deelsa (2002), des compétences permettant aux individus de participer efficacement dans de multiples contextes ou domaines sociaux ; ces compétences contribuent à la réussite globale de leur vie et au bon fonctionnement de la société. Nombre de ces compétences renvoient aux compétences émotionnelles reposant sur un cadre normatif dans lequel la démocratie et le respect des droits de la personne sont des caractéristiques essentielles. Considérées comme valides à l’échelle internationale pour l’OCDE, elles sont nécessaires pour faire face à la complexité de la vie moderne. En cela, et étant donné leurs effets et retombées, ce capital émotionnel s’avère crucial pour la réussite de vie et l’épanouissement de l’individu mais aussi vital pour le bon fonctionnement et la croissance économique et sociale des organisations (entreprises, institutions…) et également pour la cohésion de la société. Et c’est parce que ce capital se voit aujourd’hui modifié (accroissement des formes de non-respect, de la violence, de l’agressivité, montée de l’individualisme, du non-engagement ou de sa diminution [14]…) qu’il est pris conscience — « par l’absence » — de sa modification, raréfaction ou sa disparition (de ce capital, ou de ces compétences « clés » qui constituent, dans leur ensemble, un capital). Tout autant que le capital social, le débat autour du capital émotionnel cristallise selon nous des enjeux d’une grande actualité, fournissant un cadre propice au développement de travaux empiriques sur des aspects essentiels et trop souvent négligés de la vie sociale. D’ailleurs, l’usage du mot capital entend signaler la volonté d’appréhender cette réalité de la vie sociale d’un point de vue économique afin de légitimer l’intervention publique étant donné ses enjeux et effets pluriels. Les retombées économiques et sociales du développement de ces compétences (autant au niveau individuel, collectif que micro et macro) devraient justifier leur financement public et amener à préconiser la prise en charge publique de politique d’éducation visant le développement du capital émotionnel. Les travaux récents de Heckman, Prix Nobel d’Économie vont dans ce sens.

Le capital émotionnel, une approche complémentaire au capital humain

Si le capital humain réfère aux compétences, aux savoirs que détiennent les individus, généralement résumées par le terme « connaissances », et le capital social et culturel, aux réseaux, normes, valeurs ou tradition culture héritée du société donnée, le capital émotionnel réfère aux compétences émotionnelles décrites dans la première partie de notre travail. Ce capital influence la création, le développement, l’acquisition et l’utilisation du capital humain tout comme il facilite le développement du bien-être personnel, social et économique. Plus qu’une variable additionnelle, le capital émotionnel est également une ressource cruciale permettant aux personnes et aux institutions d’être plus performantes dans l’atteinte de leurs objectifs et projets. À l’instar du capital social et culturel, il peut être un facteur explicatif des différences que l’on peut observer entre les individus, les entreprises et les sociétés, du point de vue de l’accumulation, le développement, et l’utilisation du capital humain.

La formation du capital humain : du triangle pédagogique du savoir au capital humain

Nombre de variables interviennent dans les situations éducatives : les relations enseignant-apprenant, apprenant-apprenant, l’apprenant en phase d’apprendre et de penser un nouvel objet, la façon dont l’enseignant intervient (sa formation). Toutes ces variables sont empreintes d’une dimension sociale et culturelle influençant aussi bien la situation de classe que les individus qui la constitue (les élèves et l’enseignant). Pour cela, l’approche de la construction des connaissances de Houssaye (1988) sera mobilisée et élargie pour compléter le modèle standard du capital humain et établir un « triangle du capital humain ».

Le triangle pédagogique de Houssaye

Houssaye définit l’acte pédagogique comme l’espace entre trois sommets d’un triangle : l’enseignant, l’élève et le savoir. Ce triangle pédagogique rend compte des interactions qui s’opèrent entre l’enseignant, le sujet et l’apprenant dans la construction du savoir. Il constitue un outil de réflexion du mode de gestion des relations entre le professeur, les apprenants et le savoir. Les relations présentes dans une situation de classe sont souvent représentées par un triangle. Les trois pôles représentant les trois protagonistes, c’est-à-dire l’enseignant ou le formateur, l’élève ou l’apprenant et le savoir, la connaissance. Le modèle du triangle pédagogique de Houssaye (1988) rend compte de ces interactions à travers l’analyse des différents schémas relationnels qui s’opèrent en classe (cf. figure 1). Il modélise l’agir pédagogique. Entre ces trois pôles pris deux à deux, Houssaye identifie trois processus. Le premier axe formateur – objet d’apprentissage renvoie au processus « enseigner ». Le second axe apprenant – objet d’apprentissage s’intéresse au processus « apprendre ». Et le troisième axe apprenant – formateur rend compte du processus « former » [15]. Les côtés du triangle sont les relations nécessaires à tout acte pédagogique. La relation didactique est le rapport qu’entretient l’enseignant avec le savoir et qui lui permet d’« enseigner », la relation pédagogique est le rapport qu’entretient l’enseignant avec l’élève et qui permet le processus « former », enfin la relation d’apprentissage est le rapport que l’élève va construire avec le savoir dans sa démarche pour « apprendre ».

Fig. 1. Schéma du triangle pédagogique selon Houssaye (1988)

Houssaye définit cette relation pédagogique tripolaire basée sur un principe issu du bridge où un joueur fait le mort, ou est passif : « La situation pédagogique peut être définie comme un triangle composé de trois éléments, le savoir, le professeur et les élèves, dont deux se constituent comme sujets tandis que le troisième doit accepter la place du mort ou, à mettre à faire le fou. » (Houssaye, 1988, p. 233). Pour l’auteur, en règle générale, toute situation pédagogique privilégie la relation de deux éléments sur trois du triangle pédagogique ; le troisième faisant le fou ou le mort. Cette métaphore illustre par exemple, le cas où dans l’enseignement traditionnel, le savoir ou le programme étant priorisé, le corps enseignant scrupuleux tentera de respecter des programmes trop lourds alors que les élèves resteront non entendus ou chahuteront car désintéressés ou auront décroché. À l’inverse, un enseignement non-directif pourra privilégier la relation pédagogique et dès lors, le savoir devenir inexistant ou réinventé.

Aussi, ce modèle ne contextualise pas l’acte pédagogique : absence d’époque, de culture et de milieux sociaux données… En cela, la prise en compte des contextes est nécessaire pour une utilisation plus large. En effet, tout acte pédagogique se passe à un moment historique et géographique, dans un environnement humain, politique, social mais également dans un climat émotionnel particulier. L’adoption d’une lecture globale et systémique d’une situation pédagogique incluant les différents pôles et axes du triangle pédagogique situant l’action dans un contexte plus large que le micro-système de la classe est nécessaire et proposons, pour cela, un triangle revisité et élargi.

Le triangle du capital humain et son inscription dans la sphère sociale et culturelle

Pour rendre compte de la construction des savoirs et du capital humain de manière plus large, le triangle pédagogique de Houssaye doit être complété des facteurs sociaux, culturels et émotionnels intervenant dans la relation pédagogique et situation de classe. Tout éducateur, formateur, chercheur ou encore responsable des ressources humaines s’intéressant à la formation et à la gestion du savoir, des connaissances, des compétences, ou plus largement du capital humain et à son développement, ne peut ignorer ces facteurs sociaux, culturels, environnementaux et psychologiques qui interfèrent dans la constitution et l’exploitation des connaissances en classe ou ailleurs. Déjà en 1977, Mialaret soulignait que la complexité des faits éducatifs ne pouvait être réduite à l’expression seule des relations maître-élèves. Pour Mialaret, l’éducation est une fonction à « N » variables comprenant la société, le système scolaire dans l’ensemble, les programmes curriculaires, les méthodes et techniques pédagogiques, les règles générales d’architecture scolaire, le système général de recrutement et de formation des enseignants, l’établissement et le micro-milieu dans lequel il est installé, l’équipe professorale, la salle de classe et ses équipements, la personnalité et compétence de l’enseignant, le groupe-classe en tant que réalité psycho-sociologique et l’ensemble des relations qui se créent entre les éducateurs et élèves et les élèves entre eux. Précisément, Mialaret considère l’éducation comme un ensemble de relations asymétriques. Aussi, il propose l’étude de la structure générale des relations caractéristiques d’une situation éducative à l’aide de huit triades qu’il rassemble en trois classes principales : « les relations éducatives maître-élèves, stricto sensu ; les relations des élèves entre eux ; les relations de l’environnement (géographique et social) et de la situation éducative » (Mialaret, 1977, p. 33-34).

Dans le modèle du « triangle du capital humain » que nous proposons, nous incluons ces différents éléments. Ce triangle rend compte de la triade « enseignants-élèves-capital humain » en intégrant, d’une part, les dimensions émotionnelles des situations éducatives. Et d’autre part, au-delà de la prise en compte de la dotation en capital émotionnel, ce triangle est encastré ou enchâssé dans une sphère sociale et culturelle considérant les différentes dotations possibles en capital social et culturel des acteurs concernés dans le procès de constitution du capital humain. En effet, chaque personne est unique de par ses origines socio-culturelles sur le plan psychologique et affectif et au niveau cognitif. Ainsi, en situation de classe, les enseignants tout comme les élèves arrivent avec des dotations différentes en capitaux (en nature, en qualité et quantité) pouvant rentrer en conflit les uns avec les autres, ou ne pas faciliter la dynamique socio-éducative.

Avec l’explosion et la massification scolaires, ces hétérogénéités socioculturelles accrues ne sont pas sans avoir modifié cette dynamique. Là où le système éducatif cherchait par la sélection et l’uniformité scolaire à gommer ces différences, la massification de l’école ne permet plus aujourd’hui de composer avec l’hétérogénéité trop grande des acteurs constituant la classe. Aussi, l’inscription du triangle du capital humain dans une sphère sociale et culturelle illustre cette prise en compte des différences afin de mieux comprendre le procès de constitution et de production du savoir et plus généralement du capital humain. En effet, la croissance massive de la scolarisation accueille désormais des jeunes de tous les milieux sociaux (riches, pauvres, etc…) et culturels (étrangers compris) à l’école primaire, au collège et au lycée avec des handicaps différents (pour les plus défavorisés : accompagnement scolaire par les parents pouvant être déficient, difficultés de compréhension de la langue par les élèves de familles immigrées, poids des difficultés économiques et sociales des familles sur la scolarité de leurs enfants, etc.). Au-delà des dotations en capital économique différentes, la classe se compose d’acteurs aux dotations en capital social et culturel différentes. Entre autres, les contextes familiaux et sociaux ont un impact sur l’éducation et le développement des compétences émotionnelles.

Le premier cadre de socialisation demeurant la famille, l’enfant va y former la base de ses valeurs, de ses habitus. Aujourd’hui, étant donné l’importance des séparations et des divorces, provoqués par le primat de l’amour sur l’institution, les couples sont plus fragiles. Les familles recomposées, monoparentales, concubines coexistent désormais avec les familles de premier mariage. Ces bouleversements peuvent se traduire par une importance plus grande accordée au développement individuel et personnel des membres du groupe domestique. La famille ayant moins pour objectif de produire des êtres obéissants, soumis à la hiérarchie familiale et sociale, que de créer une ambiance au sein de laquelle ces composants (enfants et adultes) se sentent reconnus d’abord comme « personnes » originales. La famille constituant un espace de référence pour la construction de l’identité intime et de la personne, les normes éducatives peuvent se voir ainsi modifiées et les compétences développées ne plus correspondre aux normes attendues à l’école.

L’école, au-delà des connaissances et savoirs transmis, constitue le second cadre de socialisation où certaines valeurs seront transmises. La diversité des cadres premiers de socialisation (famille) conduit à une hétérogénéité (différence de valeurs, de normes…) et une diversité importante au sein des élèves. Et, il peut donc y avoir soit coïncidence, soit conflit entre les valeurs véhiculées par ces deux cadres, famille et école. Déjà en 1977, Mialaret, soulignait que l’établissement d’une « authentique communication qui définit la véritable éducation », était rendu difficile par la différence entre « les origines, les milieux, les façons de vivre et de pensée des éducateurs actuels d’une part, et des élèves d’autres part ». Ainsi, des familles isolées, exclues ou mal intégrées peuvent ne pas partager les valeurs et normes de comportements de la société ou des pays d’accueil et engendrer une asymétrie de la relation de l’élève à l’école. Ces dotations différentes font que certains élèves ou enseignants se retrouvent dans une situation d’étrangeté par rapport à la situation scolaire. Ainsi, par exemple, certaines valeurs, et cultures (socialisation déviante) peuvent être contreproductives et aller à l’encontre de l’apprentissage et en conséquence empêcher ou ralentir la constitution de capital humain (Foster, 1974) individuelle et collective (par effet de contagion émotionnelle). En conséquence, des élèves issus de parents relativement peu scolarisés disposeront d’un capital culturel faiblement enraciné dans la culture scolaire. Privés d’une partie de ces fondements de la culture scolaire, ils risquent d’être engagés dans un processus d’appropriation du savoir caractérisé par une modulation différentielle de leur rapport au savoir et à la forme scolaire.

Également, un certain nombre de travaux scientifiques (Gilly, 1989, Vincent et al. 1994) mettent en évidence que les attitudes et les engagements cognitifs dans les situations d’apprentissage, les comportements et les stratégies de résolution de problèmes dépendent énormément des représentations qu’ils ont des savoirs dispensés et les enjeux qu’ils représentent. McDermott (1976), Buckley and Cooper (1978) montrent comment, en classe, certains enfants pouvaient développer des stratégies allant à l’encontre de l’apprentissage. Ainsi, dans certains cas, le fait de ne pas faire ses devoirs peut constituer, chez certains enfants, la condition pour être accepté par le groupe de pairs sous l’effet de ces pairs.

Dès lors, le triangle pédagogique de Houssaye nécessite d’être inscrit dans une sphère socio-culturelle qui n’est pas sans impact et effet dans les relations dans la classe. Chaque acteur (enseignants, élèves) vient avec ses dotations différentes en capital social et capital culturel qui peuvent rentrer en conflit ou en contradiction et gêner la transmission de savoirs. Plus les différences culturelles et sociales sont grandes plus les risques de divergences de points de vue, de comportements, de conflit, seront importants. Ces différences combinées à des compétences émotionnelles non appropriées peuvent freiner, altérer l’apprentissage, voire ne pas l’autoriser. Dans un contexte d’enseignement, certains facteurs telles que la situation ou l’appartenance sociale et culturelle de l’apprenant, la conformité de l’apprenant aux exigences et normes scolaires, sa culture, ses compétences émotionnelles, tout comme ceux de l’enseignant, influenceront le procès de constitution du capital humain. En cela, ces contextes différents doivent donc être pris en compte pour compléter le triangle pédagogique (Houssaye, 1988) afin de rendre compte des interactions et facteurs multiples en jeu entre « savoir, élèves et enseignants ». Aussi, par ce triangle du capital humain, nous proposons une vision synthétique des principaux facteurs qui interviennent dans l’établissement d’une dynamique (socioéducative) non sans souligner la complexité des dimensions en jeu et leurs multiples interactions.
Capital humain et capital émotionnel : quels liens ?

Le capital émotionnel, un capital crucial pour la constitution du capital humain

Le capital émotionnel importe dans la constitution du capital humain. En effet, comme nous l’avons développé d’un point de vue général dans la première partie, les compétences émotionnelles interviennent dans le procès de constitution du capital humain. Aussi, en situations de classe, nombre d’enseignants soulignent que l’apprentissage et la constitution de savoirs ne peuvent s’opérer que lorsque le climat et l’atmosphère de la classe sont sereins et pacifiés. Les compétences émotionnelles requises pour vivre en communauté, telles celles nécessaires à l’école et en classe ne sont pas toujours présentes et chez tous les élèves. « La distance psychologique de l’éducateur à l’élève n’est plus celle du maître au disciple de jadis » (Mialaret, 1977, p. 11). Particulièrement, les compétences émotionnelles sociales et personnelles de savoir vivre et de savoir être en collectif : savoir communiquer, savoir gérer un conflit, savoir respecter la parole de l’autre (renvoyant aux règles de socialisation démocratique mais également à des capacités personnelles -capacité à s’exprimer, à dépasser sa peur) peuvent ne pas être développées chez certains enfants. Or ces compétences sont nécessaires et cruciales pour autoriser l’apprentissage en situation de classe et des interactions adéquates. Le type d’interactions pédagogiques (conflictuelles, calmes, sereines…) renvoyant au capital émotionnel faciliteront ou non l’apprentissage et donc la constitution du capital humain (illustré dans notre schéma en figure 2 par les flèches atteignant ou non le sommet du triangle). La constitution du capital humain est dépendante du capital émotionnel et du capital social et culturel. Mais nous allons voir que l’utilisation optimale et maximale du capital humain et du capital social et culturel dépend également du capital émotionnel.

Le capital émotionnel, un capital « booster » du capital humain et du capital social

Si le capital émotionnel importe dans la constitution du capital humain, il est plus qu’une variable additionnelle. Le capital émotionnel est un capital « booster » dans le sens où il permet de potentialiser les deux autres types de capital. Il est essentiel pour utiliser de manière optimale le capital humain et le capital social (nous avons illustré cette relation par la figure 3, p. 41). L’individu ne pourra utiliser pleinement son capital humain et social que s’il possède un capital émotionnel approprié et les compétences respectives pour les « exploiter » pleinement (dans le sens potentiel et positif du terme). Nombre d’exemples rendent compte de la diminution des capacités à utiliser et mobiliser pleinement son capital humain lorsque certaines compétences émotionnelles sont peu développées.

Fig. 2. Triangle du capital humain et capital émotionnel

Source : Gendron, 2004d

 Faible auto-régulation de ses émotions et utilisation non-optimale de son capital humain

Nous prendrons l’exemple des situations de stress et de sous-estime de soi pour illustrer notre propos. Dans l’exemple d’une situation de stress, selon le développement des compétences émotionnelles d’autorégulation et de conscience de soi, la personne (l’enfant ou l’adulte) gérera plus ou moins bien les situations stressantes. En effet, comme ont pu le montrer maints chercheurs, les personnes ne réagissent pas de la même façon lorsqu’ils sont confrontés aux mêmes évènements stressants et cette variation est reliée au développement des compétences émotionnelles.

Du point de vue biologique, le stress, défini comme étant « des tensions faibles ou fortes, éprouvées depuis toujours, et déclenchées par des événements futurs désagréables ou agréables » est perçu comme des « forces potentiellement destructrices ». Aussi, on parle « d’état de stress » pour décrire les « changements physiques provoqués par une situation stressante ». Le réflexe de l’organisme qui agit contre les agressions extérieures va déclencher un ensemble de réactions nerveuses et hormonales et permettre une mobilisation des forces physiques et mentales. Par exemple, l’élévation du rythme cardiaque et respiratoire (dû notamment à une décharge d’adrénaline) permet de mieux oxygéner les muscles ; c’est une réaction animale (préparation à la fuite ou au combat face à un danger). Mais il peut aussi faire perdre les moyens et nuire à l’action et réduire sa performance dans le cas où l’individu ne croit pas pouvoir faire face correctement à la situation à laquelle il est confronté ; cela provoquera chez lui un sentiment de malaise. Cependant, pour certains individus, le stress est vital à leur performance, et vient décupler leurs chances de mener à bien ce qu’ils entreprennent car vécu comme un « défi » ou source de « motivation » comme condition sine qua non de leur réussite. Pour d’autres individus, le stress inhibera leurs capacités et les empêchera de mener à bien ce qu’ils ont entrepris et d’utiliser, par exemple pour l’étudiant en situation d’examen, de manière optimale ses connaissances, ses savoirs engrangés, de manière générale, son capital humain.

Fig. 3. Lien capital émotionnel, capital humain et capital social

Source : Gendron, 2004d

Si l’approche biologique a pu expliquer ces différences individuelles par le biais d’une capacité d’adaptation différente chez chaque individu, des expériences d’approches psychologiques ont montré que ces différences individuelles doivent être aussi expliquées par un acte de pensée différent faisant intervenir ici des variables socioculturelles. Le stress est dès lors défini comme « un état psychologique issu de la perception d’un déséquilibre entre les attentes perçues et l’autoévaluation de ses propres capacités à rencontrer les exigences de la tâche ». L’agent stressant ne serait pas celui objectivé dans la nature, mais plutôt celui qui est perçu par l’individu. L’individu n’est pas passif, il va rechercher activement des informations en donnant du sens à ce qui l’entoure, en privilégiant certaines informations provenant de l’environnement, tout en en oubliant d’autres. Ce traitement de l’information est constitué de plusieurs variables : l’individualité, le contexte ou encore l’approche socioculturelle de tel ou tel événement. Déjà dans les années 60, des chercheurs (Arnold, 1960 ; Lazarus, 1968) expliquaient les conséquences émotionnelles de la confrontation à un événement particulier à partir de théories incorporant des critères d’évaluations rudimentaires. Plus tard, les travaux sur le coping [16] de Lazarus et Folkman (1984) montrent que, lorsque la personne est face à une situation stressante, son comportement ainsi que sa perception de l’environnement sont modifiés car celle-ci procède, souvent de manière inconsciente, à une évaluation cognitive (cognitive appraisal) de la situation. Et chaque individu réagit de façon différente face à une situation semblable. Ce qui peut être véritablement stressant pour une personne donnée ne peut être que gênant pour quelqu’un d’autre. C’est la façon de voir, de ressentir et d’évaluer un évènement qui le rend plus ou moins stressant. Cette évaluation mobilise particulièrement les compétences émotionnelles personnelles de l’auto-évaluation (confiance en soi) et de l’auto-régulation (contrôle de soi). Une estime de soi et une confiance en soi fortes participeront à une meilleure appréciation de soi et une meilleure adaptabilité à des situations stressantes et en conséquence à la mobilisation optimale de son capital humain. À l’inverse, une faible auto-régulation et auto-évaluation de soi peuvent venir compromettre cette utilisation optimale du capital humain.

 Faible auto-évaluation de soi et non utilisation maximale de son capital humain

Si la dimension personnelle des compétences émotionnelles importe dans la mobilisation optimale du capital humain, elle importe également dans son utilisation maximale. Nous renvoyons ici à l’idée d’internalité qui réfère du point de vue de la psychologie aux concepts d’attributions causales, d [17]e lieu de contrôle et d’efficacité personnelle. En effet, la croyance en un contrôle personnel sur sa propre destinée apparaît comme un facteur qui permet de relier l’optimisme, la dépression, la motivation, la confiance en soi à la perspective temporelle. C’est ce que mettent en avant les travaux sur les attributions causales et les théories du « locus of control » [18] (LOC) ou lieu de contrôle (l’individu a-t-il tendance à attribuer les causes à lui — interne — ou à autrui — externe —). Dans l’approche du LOC, les individus croyant exercer un contrôle sur leur environnement s’engagent ainsi plus facilement dans des comportements que les individus qui ne pensent exercer aucun contrôle. De tels individus pensent en effet connaître la conséquence de leur comportement et n’en prévoient pas la possibilité de répercussions négatives. Ainsi, les individus disposant d’un LOC interne avec un haut degré d’attente d’efficacité sont moins sujets au stress que ceux qui n’ont guère confiance en eux. Le stress est ressenti par l’individu lorsque ce dernier ne se sent pas à la hauteur des demandes qu’il perçoit. Les travaux de Bandura, Adams et Beyer (1977, p. 126) proposent un raisonnement similaire. Ils définissent l’attente de résultat comme « la conviction que l’on peut avec succès adopter le comportement nécessaire en vue d’atteindre les résultats escomptés ». Ces attentes d’efficacité déterminent le degré et la durée de l’effort à fournir pour produire un résultat dans un environnement contraignant. S’inscrivant dans cette longue tradition de recherche, les travaux sur le sentiment d’efficacité personnelle (Atkinson, 1964 ; Vroom, 1964 ; Bandura, 1988) partagent avec la plupart des conceptions actuelles de la motivation en formation l’idée que les croyances qu’a l’apprenant en ses capacités à réussir jouent un rôle crucial dans son engagement et ses performances. L’idée centrale commune à ces notions est que la confiance d’un individu en sa capacité dans une tâche donnée détermine en partie la façon dont il va faire face à cette tâche et le niveau de performance qu’il va effectivement atteindre, pour peu que celle-ci dépende au moins en partie des actions de l’individu. Nombre d’études indiquent aussi que les apprenants s’investissent rarement dans une activité qu’ils ne s’estiment pas en mesure de réaliser. De même, les apprenants ont généralement tendance à se désintéresser des activités dans lesquelles ils se sentent peu efficaces (voir Bandura, 1997, pour une revue). Un des acquis majeurs de ces recherches est de démontrer que les performances d’un apprenant ne dépendent pas seulement de ses compétences « objectives », mais également de sa confiance en sa maîtrise de celles-ci. Des apprenants ayant des compétences cognitives supérieures à la moyenne peuvent donc avoir des croyances d’efficacité scolaire faibles, avec toutes les conséquences négatives qui y sont associés (cf. travaux sur l’illusion d’incompétence). Inversement, un apprenant ayant de faibles acquis de départ mais qui croit en ses capacités à les utiliser efficacement peut fortement développer ses compétences. Parfois, plus que les compétences intrinsèques des élèves, ce sont donc les représentations qu’ils ont d’eux-mêmes qui déterminent leurs performances. Or, ces représentations de soi se construisent aussi en classe sous l’influence des comparaisons dont les élèves font en permanence l’objet (Monteil et Huguet, 2002). On voit clairement les risques de cercle vicieux inscrit dans de telles relations [19] et l’impact non anodin des types d’évaluation scolaire et le jugement du « maître » sur la perception de soi de l’apprenant (Bressoux et Pansu, 2003). Également, on perçoit bien ici que ce sentiment d’efficacité conditionnera la mobilisation maximale ou non de son capital humain. D’où, l’importance de la compétence d’auto-évaluation.

Aussi, l’existence d’une relation entre sentiment d’efficacité personnelle et performance ou persévérance est établie chez des apprenants de tous âges [20]. En cela, la compétence d’auto-évaluation est cruciale. C’est ici qu’elle joue pleinement son rôle soit de booster si l’estime et la confiance en soi sont fortes, soit de réducteur ou d’inhibiteur si l’évaluation de soi et de ses capacités dans un domaine donné est défavorable ou sous-estimée. Ainsi, une évaluation correcte ou faussée de soi [21] conditionnera la mobilisation maximale ou non de son potentiel en capital humain. Si cette évaluation peut prédire en partie les résultats scolaires [22], elle n’est pas non plus sans impact sur les choix d’orientation scolaire et professionnelle.

Au-delà de l’impact du capital émotionnel dans la constitution du capital humain, ce capital importe également dans l’utilisation optimale et la mobilisation maximale du capital humain. Tout comme les adultes passent une partie importante de leur vie au travail, les enfants passent aussi plusieurs heures par jour à l’école. Le milieu de travail comme l’école sont générateurs d’exigences particulières et stressantes. Et chaque tension provoquant une réaction de stress peut par absence de capital émotionnel entamer le capital humain. À l’inverse, un capital émotionnel équilibré sera un atout pour la personne. Ainsi, des compétences émotionnelles personnelles fortement développées, telles qu’une confiance et estime de soi élevées, permettent de réagir plus favorablement à des situations de stress et autorisent une utilisation plus optimale de ses ressources en capital humain qu’une personne à faible auto-régulation et estime de soi. À l’inverse, une faible auto-régulation de ses émotions entraînera une utilisation non-optimale de son capital humain et, une faible estime de soi induira une utilisation non-maximale (sous-utilisation) de son capital humain.

 Capital émotionnel et constitution et mobilisation du capital social

Le capital émotionnel n’est pas sans lien avec le capital social. Des compétences émotionnelles sociales développées participent de l’intégration sociale et de la constitution du capital social. Comme défini précédemment, le capital social et culturel réfère aux réseaux, normes, valeurs ou tradition et à la culture héritée d’une société donnée. Aussi, si pour Bourdieu ces réseaux sont en partie « hérités », l’entretien, la mobilisation de ce capital social et la production de l’autre partie du capital social non héritée dépendent étroitement des compétences émotionnelles (personnelle et sociale — de communication —) de la personne.

La constitution de réseaux et leurs mobilisations par l’individu est liée à la capacité de son détenteur à créer et entretenir des liens et des relations sociales. Aussi, des compétences émotionnelles sociales développées facilitent les relations sociales et participent à la constitution de ces réseaux sociaux. En effet, les compétences sociales se concrétisent dans la relation et la collaboration, ce qui implique compréhension d’autrui, écoute, empathie… Les personnes qui montrent des compétences sociales élevées semblent plus fréquemment être alliées avec autrui. De ces compétences émotionnelles sociales, précisément de ces aptitudes sociales de communication et de sa conscience sociale, dépendront la constitution et la mobilisation du capital social que la personne pourra mobiliser en temps et à des fins utiles. Dans ces formes extrêmes, les compétences en communication sont extrêmement développées chez les gourous qui les utilisent à des fins de manipulation et à l’autre extrême, l’absence de compétences de communication sociale caractérise les personnes au développement troublé ou pathologique (exemple : le cas du syndrome d’autisme [23]). Dans sa forme équilibrée et idéale, une personne dotée de ces compétences sociales émotionnelle de communication prendra la figure du leadership (Gendron, 2004d). Aussi, nous illustrerons nos propos de la relation capital émotionnel équilibré et capital social à partir de l’exemple de la constitution ou mobilisation des réseaux sociaux (composante du capital social).

 Basse évaluation de soi et faible utilisation de son capital social

Si les liens sociaux participent à la production du capital social, leur mobilisation ou utilisation comme « capital » dépend de la conscience de soi, particulièrement son évaluation de soi : sa confiance et son estime de soi). En effet, la constitution mais aussi la mobilisation du capital social dépend de l’aptitude de la personne à s’insérer et à agir au sein d’un groupe, ce qui commence par la confiance en soi et l’estime de soi-même. Au niveau de l’individu, une faible estime de soi et confiance en soi rend difficile la capacité à entrer en relation avec d’autres, à s’intégrer (voire, s’insérer dans la société). Nombre de travaux dans le champ de l’éducation ou encore du travail montrent les effets dramatiques lorsque ce capital émotionnel personnel d’estime de soi et de confiance en soi se voit entamé ; particulièrement lors de la perte ou l’affaiblissement de l’estime de soi suite à un échec scolaire, ou encore suite à la perte d’un emploi, la personne aura plus de difficulté à retrouver de la motivation pour s’engager dans un nouveau projet ou à retrouver un travail qu’une personne non affectée. En effet, l’échec, quel que soit sa nature, constitue toujours une épreuve pour l’individu. Par exemple, l’expérience du chômage, au-delà de la perte de l’emploi, peut être aussi synonyme de perte de la conformité et d’appartenance à une collectivité, une organisation. Dans ce contexte, la personne peut perdre une partie de son contrôle sur la perception que les autres ont de lui (Hayes et Putman, 1981). Aussi, dans cette situation, le lien social (camaraderie, entourage, professionnel…) joue un rôle crucial dans les relations sociales et la disparition de ce lien peut impliquer une certaine perte d’identité (Aeppli, Hotz et al. 1996). Et par là, peuvent se voir affectés les moyens de maintenir l’intégrité de son image de soi.

C’est ce que nous avons également pu observer dans des travaux précédents sur les représentations sociales du baccalauréat professionnel (Gendron, 2001c, 2005a) dont les résultats de recherche sont à l’origine de cet essai. Des élèves en échec scolaire en fin de collège manifestaient le sentiment de ne plus être des êtres « normaux » et déclaraient avoir rompu ou avoir vu leurs camarades de classe dans la norme de réussite scolaire se désintéresser d’eux. De cette perte d’identité d’élèves « normaux », il a découlé pour certains d’entre eux des comportements plus agressifs et d’hostilité envers le comportement et la norme scolaire ; norme estimée désormais par eux et pour eux comme inaccessible ; et s’ensuit la naissance et le développement d’une nouvelle identité, celle d’élève « cancre » ou de « mauvais élève ». Comme ils se sentaient isolés, ont pu s’ensuivre rapidement le désintéressement, l’agitation, la rébellion… autant de comportements d’asociabilité pouvant mener à l’exclusion, voire au décrochage et l’abandon scolaire. Dans le cadre de ce travail, ces élèves orientés en filières professionnelles déclarent avoir retrouvé confiance en eux, et leur estime de soi (« finalement, je ne suis pas idiot ») grâce aux pédagogies « différentes » et « innovantes » développées par les enseignants dans ces filières ; des pédagogies œuvrant à la reconstruction de l’élève « blessé » et grâce au développement, entre autres, de nombre de compétences renvoyant aux compétences émotionnelles (Gendron, 2001c, b). Ces élèves en échec scolaire ont retrouvé le chemin de la réussite en retrouvant l’estime d’eux-mêmes et une confiance en eux grâce à un travail amorcé par les enseignants sur le développement de ces compétences. Ce capital émotionnel reconstitué a participé à la reconstitution de leur capital social : amélioration de leurs rapports et relations sociales avec les camarades de classe, les enseignants, les maîtres de stage, et l’entourage ; moindre agressivité, meilleure sociabilité, plus grande participation et cohésion en classe mais aussi au travail.

Aussi, tout capital social n’est jamais acquis définitivement. Nous voulons souligner ici la dynamique affective du soutien social [24] (renforcement de l’identité sociale de chaque individu, de l’auto-estime, de la confiance en soi, etc.) qu’engendre toute interaction sociale (Cobb, 1976) et son importance pour le maintien des relations sociales de l’individu et l’évitement de l’effritement de son réseau social et son isolement. En effet, nombre de travaux ont montré le lien entre absence de liens sociaux et pauvreté. Cela fonctionnant comme un cercle vicieux, les personnes en situation d’exclusion peuvent voir leur capital social décroître rapidement. La perte de confiance en soi, d’estime, la dévalorisation, le défaitisme… peuvent entraîner un retrait, l’isolement, jusqu’à un risque plus grand de difficultés de santé physique et/ou psychologique (exemple, le phénomène de dépression), et conduire à un comportement pouvant tendre à la passivité ou à la dépendance, voire la possibilité d’agressivité envers la société ou encore envers les autres ou vers soi (exemple : violence, comportement de déviance, alcoolisme, tendance suicidaire…).

 Forte estime de soi et forte utilisation de son capital social

Si la personne a une estime de soi positive et a confiance en elle, elle utilisera pleinement ou tout au moins mobilisera son capital social. Son capital émotionnel agira ici comme booster. En effet, dans le domaine du travail, bon nombre de recherches depuis les années 70 ont mis en avant l’influence des réseaux dans l’obtention des emplois (Degenne et Forsé, 1994). Cependant, si les réseaux sociaux constituent un mécanisme de valorisation du capital humain (la référence : une caution qui s’ajoute à la valeur du capital humain), leur activation et mobilisation par le candidat dépendra de son capital émotionnel. Ainsi, dans la recherche d’emploi, un candidat ayant confiance en lui et une forte estime de soi mobilisera sans craintes ou appréhension (d’illégitimité) son réseau de relations personnelles pour atteindre son objectif (trouver un emploi). Cependant, la mobilisation de ce capital ne sera effective, ou n’aboutira sur un résultat positif que si cette confiance en soi et estime de soi (à prétendre à l’emploi par exemple) est fondée, et reconnue et légitime par l’autre ou les autres membres du réseau. Cette relation ne deviendra « ressource » et ne prendra son sens de « capital » que si les membres mobilisés aux différents maillons de la chaîne des relations ou du réseau activé ont et manifestent une « confiance » certaine [25] vis-à-vis du membre demandeur de l’activation (celui initial ou dernier demandeur si la relation nécessite plus d’un intermédiaire) ; c’est ce qui peut être observé dans le cas de « recommandation » d’un candidat pour un emploi. Ces ressources sociales inhérentes aux relations utilisées à des fins économiques nous renvoie aux travaux de Gravonetter (1982) sur la « force des liens faibles » ou encore trouvent des échos dans le courant de l’« économie des conventions ». Cependant, dans les réseaux de relations personnelles qu’un individu peut mobiliser, toutes les relations ne se « valent » pas : certaines sont plus efficaces que d’autres, ce qui crée ici aussi des inégalités et certaines peuvent être contre-productives ou déviantes (réseaux de gangs délinquants). Aussi, si une forte estime de soi facilite la mobilisation de son capital social, une trop forte ou surévaluée estime de soi peut avoir des conséquences néfastes ou dramatiques (ex : un manager non à l’écoute des signaux alarmants de santé de son entreprise émis par les salariés risque de mener l’entreprise à la faillite) et peut engendrer la persévérance dans des décisions personnelles fausses ou erronées (nous renvoyons ici aux travaux sur les effets de persévération dans l’action ou de l’activité de décision, Joule et Beauvois, 2002).

Le capital émotionnel s’avère donc plus qu’un capital additionnel. Il est un capital « booster » qui « énergise » le capital humain et le capital social et culturel de l’individu. Aussi, étant donné que sa construction est le fait de l’éducation et d’expériences de vie et ce tout au long de la vie, on peut se poser la question des conséquences de dotations différentes au niveau individuel. À l’instar de ce qu’a montré Bourdieu, les disparités de réussite au sein des cursus, entre les diverses classes sociales, tiendraient principalement à des inégalités de dotation des élèves en « capital culturel », ignorées (et par là même légitimées) par le système scolaire et ses agents, qu’en est-il pour le capital émotionnel ? C’est la question que je soulève dans un second article de ce cahier où je montre que le capital émotionnel peut être un élément d’explication des différences observées en termes de performance scolaire, d’orientation, d’évolution de carrière et d’évolution dans l’emploi entre les filles et les garçons dans le cadre d’une éducation sexuée.

Conclusion - Du capital émotionnel au développement des personnes : vers une éducation durable et équitable et la perspective de développement personnel tout au long de la vie

Loin de constituer un obstacle à la prise de décision rationnelle dans la vie quotidienne, les émotions et leur régulation se révéleraient être la condition indispensable d’adaptation et de réaction optimale à une situation donnée de l’individu et ceci dès sa naissance jusqu’à l’âge adulte à des degrés divers. En cela, développer les compétences émotionnelles devient indispensable. Ces compétences émotionnelles sont aussi importantes que les autres compétences plus « traditionnelles ». Ces dernières permettent à l’individu de moduler et gérer son état émotionnel et ainsi d’apporter une réponse émotionnelle appropriée aux situations changeantes et complexes de la vie moderne. Elles participent du développement sain et des comportements ad hoc en situations d’interactions sociales de la personne. Elles constituent un véritable capital qu’il importe de considérer étant donné que ce dernier conditionne la constitution et l’utilisation optimale du capital humain et du capital social et culturel. Aussi, le capital émotionnel agissant comme un booster, est à la fois un atout social et économique aux niveaux personnel, professionnel et organisationnel. Un capital émotionnel équilibré ou approprié, au-delà de son impact sur la constitution du capital humain, est crucial pour faire face aux changements et faciliter de nouveaux modes d’adaptation pour permettre aux individus d’envisager de nouvelles façons de penser leurs relations à ces transformations de la société, particulièrement du point de vue professionnel et faire face également aux situations changeantes et complexes de la vie d’aujourd’hui en général. Ce capital est à la base, à la fois, du développement durable des personnes, de leur adaptation, et de leur formation effective tout au long de la vie, mais également participe de leur capacité à réagir et interagir adéquatement à des situations stressantes en développant leur résilience.

Cependant, issues d’apprentissages et d’expériences de vie, certaines personnes en sont mieux dotées que d’autres. Pour cela, le système éducatif, l’école, la famille, les partenaires éducatifs doivent désormais s’emparer de cette problématique et questionner leurs modes d’action et d’intervention. Au-delà des discussions avec les parents, ou les associations de parents d’élèves, ou encore les enseignants, les formateurs, les programmes scolaires à l’école mais aussi la formation continue pour adultes, les formations des personnels éducatifs… doivent participer au développement du capital émotionnel des personnes afin d’autoriser une éducation équitable et durable effective et permettre le développement des personnes tout au long de la vie. Ce capital émotionnel a des effets de long terme et ses compétences associées, « can lead to achievement from the formal education years of the child and adolescent to the adult’s competency in being effective in the workplace and in society » (Finegan, 1998).

Enfin, au regard des politiques publiques, étant donné que le capital émotionnel est le résultat d’une production, et que les compétences associées sont l’objet et le résultats d’apprentissages, pouvant être développées et améliorées, le capital émotionnel doit être considéré comme un réel investissement dans lequel les individus, les institutions et la société peuvent et doivent investir étant donné ses retombées à la fois personnelles, professionnelles et organisationnelles et sur la société afin de faire du capital émotionnel un réel atout personnel, professionnel, social et organisationnel. Nous rejoignons les conclusions de l’économiste Heckman, Prix Nobel d’économie en 2000, Invest in the Very Young (2000b) mettant en évidence le rôle clé du développement social et émotionnel chez les jeunes personnes. « In the final analysis, whether society approaches the issue of school readiness from either an economic or developmental perspective, neglecting to recognize the importance of social-emotional development, in addition to intellectual development, is a path that shortchanges both children and society ». Heckman, (2000b, p. 6).

Enfin, tout autant que le capital social, le débat autour du capital émotionnel cristallise selon nous des enjeux d’une grande actualité, fournissant un cadre propice au développement de travaux empiriques sur des aspects essentiels et trop souvent négligés de la vie sociale. L’usage du mot capital entend d’ailleurs signaler une volonté d’appréhender cette réalité de la vie sociale d’un point de vue économique afin de légitimer l’intervention publique étant donné ses enjeux et effets pluriels. Les retombées économiques et sociales du développement de ces compétences (autant au niveau individuel, collectif que micro et macro) devraient justifier leur financement public et amener à préconiser la prise en charge publique de politique d’éducation visant le développement du capital émotionnel. En effet, les compétences émotionnelles sont aussi importantes que les autres compétences plus « traditionnelles ». L’ensemble de ces compétences émotionnelles constitue un véritable capital qu’il importe de considérer étant donné que ce dernier conditionne la constitution et l’utilisation optimale du capital humain et du capital social et culturel. En cela, développer les compétences émotionnelles devient indispensable. Toute amélioration de ce capital ayant des retombées positives, ce développement devrait être considéré comme un processus et une démarche continue d’investissement.

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Notes

[2Je montre dans un article qui suit dans ce dossier que ces codes prennent une dimension genrée.

[3. Cependant, renvoyant aux émotions et à la dimension affective et comportementale, la composante conative de la compétence est souvent peu ou mal intégrée ; elle y est bien souvent juxtaposée ou ignorée ou considérée comme perturbatrice. Il aura fallu attendre l’ouvrage de Reuchlin (1990)[[La notion de conation semble apparaître pour la première fois chez Reuchlin dans l’article : « Processus vicariants et différences individuelles » publié dans la revue Journal de psychologie normale et clinique n° 2 d’avril-juin 1978, pp. 133-145.

[4Pour un développement, voir Morizot J. (2003), Le développement de la personnalité de l’homme de l’adolescence au milieu de la vie : Approches centrées sur les variables et sur les personnes, Thèse en psychologie, Université de Montréal.

[5Wechsler définit l’intelligence comme « the aggregate or global capacity of the individual to act purposefully, to think rationally, and to deal effectively with his environment (Weschler, 1958, p. 7). Mais déjà, en 1940, il évoque la dimension « non-intellective » et « intellective » de l’intelligence (Weschler, 1940) : la première renvoyant à la dimension affective, personnelle et sociale, dimensions de l’intelligence mentionnées comme importantes pour la prédiction en terme de réussite de vie : « non-intellective abilities are essential for predicting one’s ability to succeed in life », tout en questionnant son appartenance à l’intelligence : « the main question is whether non-intellective, that is affective and conative abilities, are admissible as factors of general intelligence. (My contention) has been that such factors are not only admissible but necessary. I have tried to show that in addition to intellective there are also definite non-intellective factors that determine intelligent behavior. If the foregoing observations are correct, it follows that we cannot expect to measure total intelligence until our tests also include some measures of the non-intellective factors » (Weschler, 1943, p. 103).

[6Cependant, je ne développerai pas ce point dans ce travail (pour un développement, voir Gendron, 2004d).

[7Le capital humain concerne la façon dont leur somme de connaissances leur permet d’accroître leur productivité et leurs revenus — et ainsi, de participer à l’accroissement de la productivité et de la richesse des sociétés dans lesquelles ils vivent. Dans une perspective de capital humain, il est implicitement sous-jacent que l’investissement dans les connaissances génère des retombées économiques, individuellement et, par conséquent, collectivement.

[8La difficulté de la description des processus d’acquisition participe selon nous à la difficulté de son évaluation et dès lors à sa considération. Cependant, nous partageons les pensées de Scherer lorsqu’il écrit : « Les compétences émotionnelles sont réellement importantes. On peut en mesurer sérieusement une bonne partie mais il faut y consacrer un peu de temps » (Bilan de Juillet-Août 2000, Université de Genève).

[9Des théoriciens et analystes accordent de plus en plus d’importance au processus d’apprentissage qui se réalise au sein des organisations et des collectivités. Le concept des « organisations apprenantes » exprime la réalité selon laquelle un groupe partage des connaissances, travaille en équipe, adhère à des normes et interagit pour générer une capacité organisationnelle d’apprentissage.

[10La notion de capital émotionnel est confronté aux mêmes problèmes en terme d’outil d’analyse que le concept de capital « social ». Même si cela n’implique pas nécessairement une position de valeur spécifique de la part de ceux qui s’en servent comme outil d’analyse, la définition du capital émotionnel a de fortes connotations normatives, et suppose que les compétences développées soient utilisées et mobilisées à bon escient et participent au développement sous-entendu « sain » ou « équilibré » de la personne, à la cohésion sociale et à la performance économique et sociale.

[11Au-delà des savoirs et savoirs faire, et relativement aux différents modèles de leadership existants, les caractéristiques personnelles les plus importantes du leadership, correspondant aux compétences de savoirs être, apparaissent être : un haut niveau d’énergie et d’engagement dans l’action (incluant persévérance, implication, capacité de prendre des initiatives et des risques, volonté de relever des défis, etc.) ; une connaissance de soi et une confiance personnelle, une capacité de souplesse, d’adaptation, et d’apprentissage ; une intégrité, une éthique personnelle et le sens des responsabilités ; des valeurs axées sur la collaboration et le service aux autres (internes et externes).

[12Mialaret G. (1977), p. 116.

[13Cet état est rapporté sous diverses appellations par des individus qui, dans une activité, quelle qu’elle soit, éprouvent une joie intense à donner le meilleur d’eux-mêmes ou à aller au-delà de leurs limites. La recherche et l’atteinte de l’état de fluidité reposent sur la capacité de mettre ses émotions au service de la « performance » et de l’apprentissage Décrit par Goleman (1997, p. 123) ce concept s’inspire entre autre des travaux de Hartmann E. (1973), The Functions of Sleep. New Haven : Yale University Press.

[14La sortie de l’ouvrage de Putnam R. (2000), Bowling Alone : The Collapse and Revival of American Community, New York : Simon & Schuster, généra de vives inquiétudes aux Etats-Unis concernant les raisons et les conséquences du déclin des relations sociales et la montée de l’individualisme. Ce sont ces raisons qui ont d’ailleurs motivé les recherches sur le thème du capital social.

[15Pour un développement du modèle de Houssaye, voir la bibliographie.

[16Lazarus et al. (1984), les capacités à « faire face » ou « coping » correspondent à l’ensemble des pensées et des actes développés par le sujet pour résoudre les problèmes auxquels il est confronté et ainsi de réduire le stress qu’ils engendrent. Le coping vise donc la minimisation du lien stress-détresse. Il comprend des processus autant conscients qu’inconscients. Au niveau inconscient, on pourrait citer les mécanismes de défenses observés par Freud comme le déni, le déplacement, l’agressivité objectale, l’intellectualisation, etc. Quant aux processus de coping conscients, ils sont soumis aux lois de l’apprentissage renvoyant à des stratégies d’ajustement au problème. Ces stratégies sont constituées de trois grandes classes : les stratégies d’ajustement axées sur le problème, axées sur les émotions et pour finir sur l’hygiène de vie. Les stratégies d’adaptation axées sur le problème visent toutes la diminution ou l’élimination du stress par un acte cognitif et comportemental en agissant directement sur la source de stress. L’attaque, l’évitement, les techniques de résolution de problèmes sont toutes des stratégies axées sur la résolution du problème. Les stratégies d’adaptation axées sur les émotions correspondent à une stratégie cognitive et émotionnelle qui permet de diminuer, voire d’éliminer le stress en percevant la source de stress différemment ; en cela, les compétences personnelles émotionnelles participent à cette adaptation.

[17La théorie de l’attribution s’intéresse à la façon dont les individus attribuent des causes aux événements et aux comportements, et assignent des causes et des responsabilités à différents aléas.

[18Sentiment caractéristique différent chez chaque personne et relatif à la croyance irrationnelle de maîtriser — interne — ou non — externe — son existence.

[19Un apprenant dont un échec ébranle la confiance en ses compétences devient moins susceptible de produire une performance élevée, ce qui en retour risque d’ébranler encore davantage son sentiment d’efficacité, et ainsi de suite. Heureusement, un autre acquis important de ces recherches est le caractère contextualisé et relativement flexible du sentiment d’efficacité.

[20D’autres travaux mettent en avant indirectement les compétences émotionnelles dans les ressources personnelles. Il en va ainsi des travaux sur la résilience. La résilience est définie comme « la capacité à conserver ses aptitudes dans le danger et poursuivre une croissance harmonieuse » ou encore comme « la capacité d’une personne ou d’un système social à vivre et à se développer positivement malgré des conditions de vie difficiles, et ce, de manière socialement acceptable » (cf. travaux de Boris Cyrulnik). Aussi, parmi les éléments de construction de la résilience on retrouve l’importance de l’estime de soi et l’appréciation de soi.

[21Une « bonne » estime de soi ou une estime de soi « juste », c’est se connaître de façon réaliste avec ses forces et ses limites.

[22Même quand on tient compte des résultats antérieurs ou des capacités cognitives mesurées au moyen d’un test standardisé.

[23L’autisme est caractérisé par un déficit central de la communication sociale, des interactions et du partage social, avec des anomalies dans le traitement des informations socioémotionnelles. En effet, les dysfonctionnements cognitifs et/ou socio-émotionnels, spécifiques chez les personnes autistes (voir depuis 1985 les travaux des équipes de BaronCohen, Dawson, Frith, Happé, Hobson sur l’autisme), joueraient un rôle essentiel dans leurs difficultés de communication et de partage social.

[24D’où la limite des solutions ou structures instrumentales d’appui (aides publiques…) privilégiant trop souvent le soutien de type instrumental par rapport au soutien affectif, de telle sorte qu’elles ne parviennent pas à donner suffisamment confiance aux porteurs de projet, ni l’estime de soi nécessaire à la concrétisation du processus de création ou à la sortie de l’assistanat, de la dépendance ou de la situation d’exclusion.

[25La plupart des relations sociales saines supposent un degré de confiance. On retrouve là la définition par Baron et Markman (2000) du capital social comme l’ensemble des ressources que les individus peuvent obtenir par la connaissance d’autres individus, en faisant partie d’un réseau social avec eux, ou simplement en étant connu d’eux et ayant une bonne réputation.

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