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Ouvrage : Les prémices d’une nouvelle théorie de l’architecture ; « pour la santé du vivant ».

Un article repris de http://journals.openedition.org/ver...

Ammar Toumadher, « Titre : Les prémices d’une nouvelle théorie de l’architecture ; « pour la santé du vivant ». », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Lectures, mis en ligne le 31 juillet 2023, consulté le 11 septembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/40609 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.40609

Dans cet ouvrage Éric Daniel Lacombe trace les mouvements d’une théorie de la conception architecturale issue de son cheminement personnel en tant qu’architecte praticien et professeur. Il se réfère également à quelques œuvres choisies avec soin afin d’étayer sa pensée théorique. Cette dernière survient de la pratique elle-même du métier avec toute sa complexité, ses exigences, ses contraintes et ses paradoxes. De l’action né donc une poétique théorique, alimentée dans un premier temps par le débat entre l’homme et la nature et dans un deuxième temps par l’ouverture à la concertation.

Cet ouvrage s’inscrit dans la continuité des travaux de Lacombe et de la chaire « Nouvelles urbanités face aux risques naturels : des abris-ouverts », dont il est titulaire à l’École Nationale Supérieure d’architecture de Paris-la-Villette. Nous retrouvons ainsi en filigrane du livre l’influence de plusieurs projets portés par l’auteur, tel que la construction de la maison Rocher sur l’île Saint-Germain, une habitation en zone inondable à Paris pour lequel il a été lauréat du prix Cemex Building Award en 2007, ou encore la réalisation du quartier Matra à Romorantin, pour laquelle il a reçu, en 2015, le grand prix de l’aménagement « Comment mieux bâtir en terrains inondables constructibles » en France.

À travers ce livre, Lacombe interroge les enjeux associés aux changements climatiques, aux catastrophes et risques naturels, où le risque est une « pièce maîtresse de la transformation de l’aménagement du territoire », afin de reconsidérer la relation entre l’homme et la nature. L’auteur s’insère dans une pensée environnementale soucieuse d’appréhender la conception architecturale comme non déductible du milieu dans lequel l’œuvre s’inscrit et qui restitue sous différentes configurations le rapport au vivant. L’ouverture à la concertation implique une appréhension de la pratique architecturale comme activité multidisciplinaire devant prendre en considération une dite diversité des regards, des expertises et des angles des vues.

Ce manifeste dessine l’armature d’une théorie qui épouse les mouvements de la pensée créatrice et pratique et dont l’objectif est d’inventer une architecture induite par les changements climatiques en cours et encouragée par la volonté de renouer la relation avec les autres espèces vivantes. Cette architecture permettrait aux habitants de « se familiariser avec le danger, acquérir peu à peu une expérience sensible grâce à laquelle ils seront en mesure de juger de leur sécurité et de déterminer les mesures qu’ils peuvent prendre » (Lacombe, 2023, p.33). Il s’agit ici d’insuffler une nouvelle culture de l’habité, celle du faire avec, de l’anticipation, de l’adaptation, de la transformation du risque en réelles potentialités, soit de « contribuer à une nouvelle culture de l’habité dans des abris ouverts » (Lacombe, 2023, p.33).

La pensée de Lacombe appelle en cela à instaurer « une visée éthique d’un nouvel art architectural » (Lacombe, 2023, p.44), qui inciterait chez les habitants « un souci pour l’environnement » (Lacombe, 2023, p.44) et appuierait l’idée « d’en faire le support d’initiatives individuelles et collectives susceptibles d’engendrer de nouvelles pratiques des supports entre humain et non humains » (Lacombe,2023, p. 44). L’engagement de la population envers l’environnement, leur adhésion à cette éthique écoresponsable et participante permettrait selon l’auteur d’espérer « un effort durable en faveur de la santé du vivant » (Lacombe, 2023, p. 45). Lacombe place « la santé du vivant […], au même titre que la liberté, l’égalité ou le bien-être ». Il s’agit pour lui d’« une valeur humaine et non pas une propriété de la nature physique ou biologique », qu’il définit « plus précisément comme la capacité d’un milieu biologique à se reproduire durablement » (Lacombe,2023, p.25).

Dans son ouvrage, l’auteur marque l’importance de l’engagement des concepteurs et des habitants envers la santé du vivant. En tant que bien commun, elle doit être préservée, restaurée, réhabilitée, protégée. Pour que cet engagement prenne effet, Lacombe met en avant l’importance de l’invention de conditions d’habitat qui conduiraient les habitants à prendre conscience de la valeur du monde vivant qui les entoure, « à se préoccuper de ses transformations, des risques qu’il court » (Lacombe, 2023, p.34). Il s’agit aussi de la prise de conscience de l’habitant du fait que lui-même fait partie de la chaine du vivant dont il ne perçoit qu’un infime horizon. Afin de produire une telle architecture qui éveille les consciences, il serait important d’insérer dans les milieux professionnels et autres, des architectes qui auraient déjà « mobilisé les questions environnementales touchant les lieux où ils construisent » (Lacombe,2023, p.35), aller chercher des manières de faire dans d’autres esprits créatifs que ceux des architectes et impliquer la voix de l’habitant.

Dans cette perspective, l’architecture « devient art lorsqu’elle favorise une réflexion critique de ses habitants sur les manières d’être que leur impose la tradition architecturale » (Lacombe, 2023, p.38). La création architecturale est donc à saisir en tant qu’œuvre collective produite par et à travers le regard critique de l’habitant. Il est important que la voix de l’habitant s’intègre dans la démarche conceptuelle de l’architecte afin de produire une architecture sur mesure. Consulter les potentiels habitants permettrait de faire comparaître les conflits ordinaires émergeant de l’interaction entre ces derniers. Les conflits ordinaires deviendraient ainsi « source de création et de créativité […], « le milieu de l’intervention de l’architecte » (Lacombe, 2023, p.28), et l’horizon d’émergence de principes conceptuels inédits.

Aussi, faire du sur mesure exigerait une éthique mise en place en faveur de toutes les composantes du milieu et rejetant l’appréhension de l’architecture comme objet de consommation. Cela demanderait autant, la considération de la notion d’intégration dans la culture ; le fait d’embrayer l’émergence de nouvelles cultures à travers la mise en forme des projets ; et l’incitation à s’engager avec la nature afin de réinstaurer les relations et les interactions requises entre les hommes eux-mêmes et entre les hommes et les autres espèces.

La pensée projective de Lacombe se dévoile bien à travers les principes extrapolés de ses courts récits de la pratique développés dans le troisième chapitre, qui montre comment la pratique du projet constitue le cœur même de sa théorie, la source de construction de sa pensée. Les éléments graphiques, les coupes, les façades, les axonométries, les plans et les images annotés permettent de visualiser concrètement les principes.

Le recours à ces principes dans la mise en forme des projets demeure contextualisé. Ce sont les dispositions sociales, administratives, environnementales et naturelles, les paramètres reliés à la programmation, aux normes et aux réglementations, entre autres, qui dirigent dans un sens ou dans un autre les choix conceptuels ou plus encore la pensée créatrice des concepteurs. La pensée créatrice ne pouvant s’affirmer linéairement et individuellement, il y a toujours ce besoin de passer par la recherche, par la concertation, par la consultation, par la participation pour faire émerger les principes adéquats, confirmer ceux choisis préalablement, pour aboutir à la fin à une réponse inédite, originale, qui s’inscrit adéquatement dans son milieu et qui s’inscrit dans la durée malgré les contraintes et les imprédictibles transformations environnementales et naturelles.

Cet ouvrage nous permet de saisir explicitement que l’architecture comme médium entre les humains et les non humains, engendre une porosité sociale et fait liaison entre l’homme et la nature. L’appréhension collective de l’architecture serait au service « d’une pensée clinique multiforme au chevet du vivant » (Lacombe, 2023, p.180). Prendre soin de la santé du vivant pourrait s’appréhender de différentes manières, transformer la vulnérabilité en potentialités, se jouer des risques et essayer de les contenir dans une certaine mesure, maîtriser toutes les contraintes possibles reliées aux sites d’intervention afin de pouvoir intervenir adéquatement et vivre avec.

Nous y comprenons également, à travers les choix des projets analysés, que cette pensée projective peut s’appliquer à différentes échelles d’intervention, de la maison individuelle à l’aménagement de tout un territoire. La théorie de Lacombe est aussi universelle dans le sens où elle peut être appliquée dans toute contrées géographiques. Elle prend source également dans différents milieux. Dans cet ouvrage, Lacombe livre une pensée écologique, qui puise ses racines dans le sens premier de l’écologie, la science qui étudie les relations entre les êtres vivants (humains, animaux, végétaux), et le milieu organique ou inorganique dans lequel ils vivent, ou encore dans sa définition comme représentative de toutes les relations réciproques entre l’homme et son environnement moral, social, économique. Architecturer les relations entre les hommes, l’homme et son environnement, restituer les liens et les relations entre tous les êtres vivants, recrée de l’harmonie et de l’équilibre seraient les devises de la théorie projective de mise en valeur par cette publication.

Licence : CC by-nc-nd

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