1. Introduction
L’inclusion scolaire vise à contrecarrer l’exclusion sociale en présentant une école prête à répondre aux besoins de tous, et ce, sans avoir à mettre en place une organisation différente (Beauregard et Trépanier, 2010 ; Prud’homme et Ramel, 2017 ; Thomazet, 2008). Cela fait référence au principe de dénormalisation où on prend en compte les besoins de tous sans exception (Aucoin et Vienneau, 2010). En effet, il ne s’agit plus de demander aux élèves de s’adapter à l’école, mais plutôt d’adapter l’école à tout le monde.
Le paysage scolaire québécois a beaucoup changé au fil des ans. Par exemple, en 2015-2016, les élèves ayant un handicap ou étant en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage représentaient 21,6 % des effectifs scolaires (CSE, 2017). Cette hausse, en plus des problèmes sociaux de plus en plus complexes vécus par les familles, a fait en sorte que les services à l’élève ont dû évoluer. Les interventions ne peuvent maintenant plus uniquement être centrées sur l’enfant. Il faut désormais tenir compte de la famille et cela exige la mise en place d’actions interdisciplinaires concertées (Beaumont et al., 2011 ; CSE, 2017). Cela va de pair avec l’importance accordée par le gouvernement du Québec, depuis plus de deux décennies, à la collaboration entre l’école, la famille et la communauté, incluant les services sociaux (MEQ, 1999 ; MELS, 2008).
Cependant, l’éducation inclusive nécessite des changements importants dans les milieux de pratique, notamment l’instauration de moments d’échanges entre les différents professionnels pour favoriser la collaboration, ainsi qu’optimiser les services à l’élève (Beaupré et al., 2010 ; Gaudreau et al., 2008) et leur organisation (Choi, 2016). L’éducation inclusive, de même que la capacité à collaborer avec les professionnels des autres disciplines, doit se développer dès la formation initiale à l’enseignement (Bélanger, 2010 ; Choi, 2016 ; Gaudreau et al., 2008). Actuellement, la formation initiale dans les professions de la relation d’aide prépare peu à la collaboration interprofessionnelle (Larose et al., 2013) et, dans le but d’arrimer la formation initiale aux nouvelles réalités des milieux de pratique, un projet de recherche permettant de développer les compétences propres à la collaboration interprofessionnelle a été mis sur pied à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Le but du projet de recherche est d’amener les acteurs clés œuvrant auprès des jeunes en difficultés et leurs familles, soit les enseignants en adaptation scolaire et sociale (orthopédagogie) et les travailleurs sociaux, à travailler ensemble dès le début de leur formation. Le présent article exposera le contexte de réalisation du projet, la théorie relative à la collaboration interprofessionnelle et aux groupes de codéveloppement professionnels, la méthodologie employée, ainsi que les résultats de la recherche qui seront, par la suite, discutés.
2. Un contexte de formation initiale ancré dans la pratique professionnelle
Depuis les années 1980, l’UQAC héberge la Clinique universitaire d’orthopédagogie (CUO) (Doucet et Côté, 2012). Cette dernière a été institutionnalisée en 2010 et depuis, elle œuvre dans le respect de ses trois missions, soit la formation universitaire, la recherche et, par l’offre de services orthopédagogiques à la population du Saguenay, les services à la communauté (Baron et al., 2019a). À la CUO, des services d’évaluation et d’intervention orthopédagogiques sont offerts aux élèves du secteur jeune. Ces services sont dispensés par les étudiants en quatrième et dernière année de formation inscrits au baccalauréat en enseignement en adaptation scolaire et sociale. Ces étudiants, encadrés de professeurs et de professionnels du milieu appelés orthopédagogues-conseils, reçoivent les élèves deux soirs par semaine, d’octobre à mars (20 semaines), à raison de 50 minutes par rencontre (Baron et al., 2019a ; Doucet et Côté, 2012).
5Il s’agit ici d’un contexte de formation riche permettant l’arrimage de la théorie à la pratique. Au fil des ans, la clientèle de la CUO, à l’instar de celle des milieux scolaires, a changé. Il a été constaté que les besoins des élèves n’étaient plus seulement axés sur les apprentissages, mais également sur des difficultés personnelles et sociales. La vie familiale et sociale étant impossible à départager de la vie scolaire, une collaboration a été mise sur pied entre l’adaptation scolaire et sociale et le travail social afin de répondre aux besoins des élèves et de bonifier l’offre de service à la CUO (Baron et al., 2019b). Ainsi, certains étudiants des deux disciplines ont pu suivre la même famille (l’enfant bénéficiait d’un service en orthopédagogie et la famille en travail social) et d’autres étudiants, pour leur part, ont suivi des familles et des élèves différents tout en partageant leur expertise. Cette démarche a pour but d’adapter la formation initiale aux besoins réels du milieu en reproduisant une collaboration interprofessionnelle dans un contexte de clinique universitaire. Ce jumelage vient également pour compenser les compétences que les étudiants de l’autre discipline doivent développer. Par exemple, les étudiants de travail social sont moins à l’aise d’approcher les enfants, tandis que ceux de l’orthopédagogie ont à travailler l’approche avec les familles. Ce projet de recherche représente donc un virage important dans la formation universitaire de premier cycle en considérant l’interprofessionnalité comme un enjeu de recherche, mais aussi de formation. De plus, cette initiative a également contribué à la création officielle d’une clinique universitaire en travail social à l’UQAC.
3. Cadre théorique
Pour favoriser le développement des compétences professionnelles propres à la collaboration (CPIS, 2010) et soutenir le développement professionnel des étudiants en formation, il a fallu mettre en place, à l’intérieur des cours offerts dans chacune des formations initiales, certains dispositifs dont celui des groupes de codéveloppement professionnels (Baron et al., 2021). La section suivante propose de se pencher, en premier lieu, sur la collaboration interprofessionnelle, en second lieu, sur la définition, les objectifs et le déroulement des groupes de codéveloppement professionnel puis, en dernier lieu, sur l’objectif de l’article.
3.1. La collaboration interprofessionnelle
Cody et al. (2016) définissent la collaboration comme un espace qui permet le travail conjoint où au moins deux acteurs sont en interaction et doivent partager une responsabilité face au travail à réaliser qui s’inscrit dans un environnement structuré. La collaboration se compose de quatre caractéristiques soient 1) l’intensité ou l’intérêt accordé au travail ; 2) l’ouverture d’esprit des acteurs (tant l’ouverture à soi que l’ouverture à l’autre ; 3) la communication ; et 4) la globalité (Cody et al., 2016 ; Marcel et al., 2007). Elle est influencée par l’engagement et le désir de collaborer des acteurs, la parité dans la prise de décisions, le partage de buts communs et d’objectifs partagés, la confiance entre les acteurs, le sentiment d’appartenance au groupe, la clarification des rôles et la reconnaissance des complémentarités, ainsi que la valorisation du modèle de collaboration incluant la création d’un espace-temps (Beaumont et al., 2011 ; Friend et Cook, 2010 ; Letor et al., 2007 ; Marcel et al., 2007). Si la collaboration entre les acteurs d’une même discipline ou profession peut s’avérer parfois difficile sous l’influence de ces facteurs, la collaboration interprofessionnelle n’est pas en reste.
En contexte universitaire, l’interdisciplinarité se définit comme l’intégration de concepts liés aux connaissances représentatives de chaque discipline (Fourez, 2001 ; Fourez et al., 1997) où l’apport de chacune est utilisé de façon à conceptualiser des situations particulières (Fourez, 2001). Le travail interdisciplinaire doit être finalisé de façon pragmatique et théorique pour arriver à une représentation conceptuelle et langagière commune (Fourez et al., 1994). Dans le cadre de ce projet, le terme interprofessionnalité sera privilégié à l’interdisciplinarité vu l’aspect clinique du projet. L’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2010) définit l’interprofessionnalité par une activité ou un apprentissage réalisé conjointement par au moins deux professionnels exerçant des professions différentes qui sont parvenus à une compréhension commune et unique, et ce, grâce au jumelage de leur expertise. Pour parvenir à cette représentation partagée, voire même négociée, la collaboration interprofessionnelle autour d’un but ou d’objectifs communs, où les connaissances de chacun des acteurs sont complémentaires, est nécessaire (Allenbach et al., 2017 ; Fourez et al., 1997).
Le Référentiel national de compétences en matière d’interprofessionnalisme, initialement créé pour le domaine de la santé, propose six domaines de compétences à la collaboration interprofessionnelle applicables aux professions de la relation d’aide telles que l’enseignement et le travail social. Ces compétences sont : les soins centrés sur la personne, ses proches et la communauté ; la communication interprofessionnelle ; la clarification des rôles ; le travail d’équipe ; le leadeurship collaboratif ; et la résolution de conflits interprofessionnels (CPIS, 2010). Ces domaines et les compétences s’y rapportant servent à forger l’esprit critique nécessaire à la pratique de la collaboration entre les professionnels (CPIS, 2010). En effet, l’esprit critique favorise l’introspection et l’ouverture à l’autre, ce qui assure le bon fonctionnement du travail en interprofessionnalité (Baron et al., 2018). Cependant, quelques obstacles peuvent entraver le bon déroulement de la collaboration, dans ce cas entre les milieux scolaires et sociaux, notamment en ce qui a trait aux actes spécifiques propres à chaque profession (Allenbach et al., 2017 ; CSE, 2017), tels que les enjeux propres à la confidentialité et aux difficultés de communication. Ces difficultés peuvent affecter les actions de collaboration ainsi que la réponse adéquate centrée sur les besoins de la famille.
Il importe donc de mettre en place des dispositifs soutenant la création d’un continuum de services intégrés mobilisant tous les acteurs dans le but de soutenir la réussite des élèves (Deslandes, 2010) et où tous partagent une vision commune dans l’organisation des services et de la complémentarité de chacun (CSE, 2017). C’est dans cette vision d’organisation et de support à la collaboration que, dans le contexte de la CUO, des groupes de codéveloppement professionnels ont été créés afin de supporter le développement des compétences nécessaires à la collaboration interprofessionnelle et d’offrir une structure de partage assurant l’influence de facteurs positifs et obligeant à prendre un temps d’arrêt pour échanger et pour assoir la prise de décision sur les actions les plus appropriées.
3.2. Les groupes de codéveloppement professionnel
Le groupe de codéveloppement professionnel est une approche de formation qui mise sur les interactions entre les participants d’un même groupe dans le but de favoriser le développement professionnel (Aita et al., 2015 ; Lemay et al., 2008 ; Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000). Il s’agit d’une modalité de soutien par les pairs et de perfectionnement qui permet la création de collaborations fructueuses (Champagne, 2019), en plus du développement de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être (Aita et al., 2015). En effet, la composition hétérogène d’un groupe de codéveloppement professionnel a un impact positif parce que cela ajoute à la richesse des propos et des interventions (Bélanger, 2018). Cela peut permettre, dans certaines situations, de se doter d’une équipe de travail alors que les fonctions font en sorte que le travail se fait le plus souvent de façon isolée (Lemay et al., 2008).
Alors que, dans les milieux de pratique, les gens ont tendance à sous-estimer leur richesse, il a été observé que ces groupes permettent de développer une posture d’expert-conseil (Payette, 2000). Il s’agit d’un dispositif qui permet de réfléchir à la fois individuellement et collectivement (Bélanger, 2018). Le principe des groupes de codéveloppement est d’apprendre de sa propre pratique en partageant des expériences positives ou négatives avec ses pairs, dans le but de réinvestir ce qui a été appris dans sa propre pratique (Aita et al., 2015 ; Payette, 2000). Ainsi, cela permet de reconnaitre les compétences de chacun et de hausser le sentiment d’efficacité personnelle nécessaire à la réussite des activités (Duchesnes et Gagnon, 2013). Cela favorise la coconstruction de savoirs ancrés dans la pratique issus à la fois de l’expérience et de la théorie (Payette, 2000) et permet aussi de coconstruire en faisant appel aux connaissances issues de la recherche (Caron et Portelance, 2017). Il s’agit d’une approche qui s’adapte à diverses situations problématiques ou non, ainsi qu’à différents domaines (Payette, 2000). De plus, les groupes de codéveloppement professionnels peuvent contribuer à la formalisation d’une nouvelle pratique (Lemay et al., 2008).
Le dispositif du codéveloppement professionnel repose sur cinq objectifs (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000). Le premier est d’apprendre à être plus efficace en découvrant, au contact de l’autre, de nouvelles façons de penser et d’agir puisque l’expérience professionnelle de chacun, qu’il soit de la même profession que soi ou d’une autre, est unique et riche. Cette rencontre avec l’autre est liée au second objectif qui est de prendre un temps pour réfléchir à sa pratique professionnelle. En effet, le partage de sa pratique et de son expertise oblige à réfléchir à ses propres compétences qu’elles soient relatives à un savoir expérientiel ou à un savoir scientifique. Le troisième objectif est celui de faire partie d’un groupe professionnel où prévalent la confiance et la solidarité entre les acteurs, et ce, peu importe leur profession et leur titre professionnel puisque tous les participants sont égaux lors du processus. Le quatrième objectif est d’apprendre à aider en devenant un consultant et aussi d’apprendre à être aidé en devenant client. Cela demande de l’humilité tant dans le partage de son savoir ou de sa pratique, mais aussi pour formuler une demande d’aide. Finalement, le dernier objectif est de consolider son identité professionnelle en étant au contact de l’autre, qu’il soit de la même profession ou d’une autre.
Les groupes de codéveloppement professionnels se déroulent en 6 étapes distinctes pour lesquelles un temps imparti est prédéterminé et se doit d’être respecté (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000). Ces dernières sont : 0) la préparation ; 1) l’identification de la situation problème par l’équipe de travail ; 2) la demande de clarification par les autres membres du groupe et la reformulation du problème ; 3) le partage de pistes de solution ; 4) le plan d’action que l’équipe compte mettre en œuvre et 5) la mise à l’essai et les retombées (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000). Il s’agit donc d’un dispositif de formation efficace nécessitant l’engagement de chacun et permettant le développement de compétences professionnelles dans le but de trouver des solutions à un problème observé. La qualité du travail de groupe est dépendante de celle faite en individuel (Payette, 2000), puisque la préparation de chacun, ainsi que leur disposition à participer au codéveloppement, permettent le bon déroulement des séances et la mise à profit des échanges réalisés dans le but de dénouer certains problèmes issus de la pratique professionnelle.
3.3. Objectif
L’objectif de l’article est de connaitre la perception des étudiants inscrits au baccalauréat en enseignement en adaptation scolaire et sociale et en travail social quant à l’utilisation du dispositif de groupes de codéveloppement professionnels comme soutien à la collaboration interprofessionnelle, et ce, au regard des cinq objectifs visés par le dispositif.
4. Méthodologie
La section sur la méthodologie de la recherche propose de se pencher, dans un premier temps, sur les participantes puis, dans un deuxième temps, sur le déroulement du projet pour terminer par les détails relatifs à la collecte et à l’analyse des données.
4.1. Participants
Le critère d’inclusion relatif au recrutement des participants était d’être inscrit aux cours « Intervention auprès des familles en travail social » (4SVS229) du baccalauréat en travail social (TS) et « Clinique en orthopédagogie 1 » (3ORT806-08) du baccalauréat en adaptation scolaire et sociale (ASS) et, de ce fait, avoir vécu l’expérience interprofessionnelle. Bien que les 45 étudiants inscrits aux deux cours aient participé au projet pédagogique, l’échantillon de cette recherche est constitué de 5 étudiantes inscrites en TS et de 20 étudiantes inscrites en ASS. L’ensemble des participantes (n=25) est composé de femmes, genre largement surreprésenté dans les professions de la relation d’aide. Afin de respecter les normes éthiques, les étudiantes participantes ont été appelées à signer un formulaire de consentement libre et éclairé.
4.3. Déroulement du projet
Des entrevues de groupe ont été réalisées avec les participantes de la recherche en octobre, puis en décembre 2018 et constituent les données de la recherche. Entre les deux entrevues de groupe, il y a eu deux séances de codéveloppement professionnel réalisées en novembre et en décembre 2018, et ce, en contexte interprofessionnel où toutes les étudiantes inscrites aux cours participaient, et ce, qu’ils aient accepté ou non de faire partie du projet de recherche. Les groupes de codéveloppement professionnels ont eu lieu à l’intérieur des heures de classe et font partie du cursus des cours. Cela était possible puisque les cours d’adaptation scolaire et sociale et de travail social avaient lieu dans la même plage horaire. Pour chacune des séances, les groupes-classes étaient séparés en quatre groupes de codéveloppement professionnels interprofessionnels qui étaient supervisés par deux animateurs, soit par un professionnel ou un professeur de chaque discipline. Ces derniers étaient tous cochercheurs dans le cadre du projet. Lors du premier groupe de codéveloppement professionnel (novembre 2018), les équipes de travail disciplinaires devaient, dans le respect des règles d’éthique et de déontologie propres à chaque profession, présenter l’élève ou la famille auprès de qui ils travaillaient à la CUO et identifier un problème ou une interrogation à soumettre au groupe. Lors du deuxième groupe de codéveloppement professionnel (décembre 2018), les étudiantes devaient faire un retour sur ce qui avait été discuté lors du premier groupe, sur les solutions proposées et présenter une ou des interrogations persistantes liées à l’élève ou au milieu familial concerné, et ce, en respectant les étapes du dispositif.
4.2. Outil de collecte et analyse
Les données de la recherche ont été collectées grâce aux entrevues de groupe dont le canevas a été créé à partir des objectifs du projet de recherche ; ces derniers étant plus nombreux que l’objectif de l’article qui traite explicitement de l’apport des groupes de codéveloppement professionnel comme soutien à la collaboration interprofessionnelle. La première entrevue (octobre 2018) avait pour but de recueillir les perceptions et les appréhensions des étudiants quant au travail en collaboration interprofessionnelle. La seconde entrevue (décembre 2018) avait pour but de documenter le processus de développement des compétences à collaborer et, plus spécifiquement, l’apport des groupes de codéveloppement professionnels.
Les entrevues de groupe ont été réalisées en plusieurs sous-groupes dans lesquels les étudiantes étaient regroupées par discipline. L’entretien collectif a été choisi puisque, en se sentant soutenues par leurs pairs, les participantes s’expriment plus librement (Boutin, 2018). De plus, en regroupant des participantes faisant partie de la même catégorie socioprofessionnelle (trajectoire scolaire, âge, sexe), cela facilite la discussion (Boutin, 2018). C’est aussi pourquoi les groupes ont été créés de façon homogène, ne soit en ne mélangeant pas les étudiantes des deux disciplines. Les groupes ont été animés par une professionnelle de recherche qui n’était pas responsable des cours, et ce, afin d’éviter des enjeux éthiques et permettre aux participantes de s’exprimer librement.
Les entrevues ont été transcrites sous forme de verbatim puis ont été analysées avec le logiciel N’Vivo 11. Il est à noter qu’afin d’éviter notamment un biais de désirabilité sociale lors de la collecte de données sous forme d’entrevues de groupes, les données ont été anonymisées au moment de leur transcription, et ce, sans que l’équipe de recherche n’ait accès à l’identité de chaque participante. Aux fins de cet article, seule la transcription de la deuxième entrevue a été utilisée. L’analyse de son contenu et la création des critères de classification s’est faite en interjuge. Cela a permis l’identification, au sein des propos des étudiantes, des manifestations des objectifs du codéveloppement (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000), puis par l’analyse de ces derniers au regard du développement des compétences à collaborer.
5. Résultats
Dans le cadre de cet article, seule la question relative au dispositif du groupe de codéveloppement professionnel posée lors de la deuxième entrevue de groupe a été analysée. Il s’agissait de la question 7 : Selon vous, comment le dispositif du groupe de codéveloppement professionnel a contribué à vos apprentissages ? Cette section présente les résultats liés à l’analyse des propos extraits des entrevues qui a permis de dégager les cinq objectifs des groupes de codéveloppement professionnel (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000).
Un diagramme circulaire a été créé pour représenter le nombre de fois, en pourcentage, où les réponses des étudiantes, toutes disciplines confondues, faisaient référence à un objectif des groupes de codéveloppement professionnels. Chaque objectif, présenté en ordre d’importance, sera détaillé afin de présenter comment les étudiantes perçoivent l’apport des groupes de codéveloppement professionnels en contexte de collaboration interprofessionnelle. La section est organisée en fonction des objectifs suivants : 1) apprendre à être plus efficace ; 2) avoir un groupe d’appartenance où règnent la confiance et la solidarité ; 3) apprendre à aider et à être aidé ; 4) consolider son identité professionnelle ; et 5) prendre un temps de réflexion sur sa pratique professionnelle. Des extraits de verbatims des participantes en travail social (TS) et en adaptation scolaire et sociale (ASS) ont été ajoutés afin de soutenir la présentation des résultats.
5.1. Apprendre à être plus efficace
L’objectif apprendre à être plus efficace fait référence à l’appartenance du groupe en ce qui a trait au fait de trouver de nouvelles façons de penser et d’agir (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000). L’analyse des entrevues de groupe fait ressortir l’importance de la structure imposée par lors du déroulement des groupes de codéveloppement professionnels. Bien que certaines participantes aient fait ressortir le stress associé au respect du temps alloué à chacune des étapes du groupe de codéveloppement professionnel, elles ont aussi affirmé que cette structure leur a permis d’apprendre à gérer une rencontre et que la structure évite de s’éparpiller. Cela leur a aussi permis d’apprendre à être plus concises.
« Donc au niveau des apprentissages je pense que c’est vraiment de savoir comment organiser le tout lorsqu’on se rencontre pour ne pas s’éparpiller et finalement se rendre compte qu’on n’a pas atteint notre objectif » ASS3.
Les participantes ont aussi souligné que le contexte d’interprofessionnalité les a amenées à vulgariser leur propos afin que le vocabulaire employé soit accessible à tous. Cela a une influence importante pour leur pratique future, notamment en situation d’interprofessionnalité ou encore auprès de clients, d’élèves ou de familles.
« Bien c’est de prendre l’habitude de vulgariser, c’est sûr qu’on a l’habitude, parce qu’on est longtemps avec les T.S., donc on fait moins attention et quand on est tout seul encore moins, mais oui, c’est sûr que ça amène quelque chose à mes apprentissages. C’est de prendre l’habitude, de faire attention aux mots qu’on utilise » TS2.
5.2. Avoir un groupe d’appartenance professionnelle
Le deuxième objectif fait référence à l’importance, dans sa pratique professionnelle, de faire partie d’un groupe d’appartenance où règnent la confiance et la solidarité (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000). Dans un premier temps, les participantes ont souligné l’apport de l’organisation physique des lieux (disposition des tables en cercle) lors des groupes de codéveloppement professionnels qui rehaussait le sentiment de faire partie d’un groupe où tous les membres sont égaux.
« Bien ce qui est intéressant dans les codéveloppements c’est que, encore une fois, la disposition, on est comme toutes en cercle, ce n’est pas une présentation orale, donc c’est comme une table ronde si on veut. Donc on discute comme cela, comme si c’était une table pour souper ou peu importe. C’est vraiment facilitant. » TS1
Les étudiantes ont aussi souligné l’importance du climat de respect entre chacune et du respect du processus d’apprentissage, soit le fait de ne pas avoir peur de faire des erreurs. De plus, il a été mentionné que les groupes de codéveloppement professionnels leur ont permis d’avoir confiance en elles et cela leur a donné l’assurance nécessaire pour émettre leur opinion. Cela aura une influence importante dans leur pratique future, notamment dans l’intérêt à établir des relations interprofessionnelles et à les maintenir. Finalement, le partage d’outils et de connaissances a été fort apprécié et a contribué au sentiment d’appartenance au groupe professionnel.
« Puis moi je trouve que ce que ça m’a amené professionnellement, on le disait un peu au début, ça nous permet de nous faire confiance et de croire en notre expertise. Qu’on est étudiantes en travail social et qu’on a notre expertise, qu’on peut faire confiance en ce qu’on a appris. On est assis à la table, on dit qu’on étudie en travail social et qu’on travaille sur cela, puis adaptation scolaire travaille sur cela, donc ensemble on est capables de juxtaposer nos connaissances et de faire un tout » TS2.
Les propos de TS2 ramènent directement à la définition du travail en interprofessionnalité tel que décrit par l’Organisation mondiale de la santé qui fait référence à la création d’une compréhension commune grâce au jumelage des expertises (OMS, 2010).
5.3. Apprendre à aider et à être aidé
Cet objectif se définit par la double posture que les participants doivent prendre lors des groupes de codéveloppement professionnels. En effet, ils jouent le rôle de consultant en aidant et le rôle de client en étant aidé (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000) et cela revient en troisième position quant aux objectifs les plus évoqués lors des entrevues de groupe. De part et d’autre, tant en adaptation scolaire et sociale qu’en travail social, l’ouverture à l’autre et l’ouverture de l’autre ont été soulignées. Les étudiantes ont souligné l’importance de l’écoute et du partage des membres de l’autre discipline.
« Oui, puis autant elles ont présenté ceux [jeux éducatifs] qu’elles utilisaient avec leur propre jeune, autant qu’elles avaient des idées pour nous et nos problématiques aussi » TS1.
« La manière comment c’était fait aussi. Je ne sais pas si c’était pour tout le monde, mais nous on était assis en rond et on discutait, je trouvais que les T.S. étaient intéressés à nos cas, ils nous ont vraiment écoutés et ils ont posé pleins de questions. Ils étaient là pour nous aider » ASS3.
Alors que TS1 fait ressortir le fait que les participantes de l’autre discipline avaient des propositions en lien avec leurs problématiques, permettant ainsi d’inférer le fait que cela lui a plu, ASS3 a souligné l’intérêt porté par les autres étudiantes. Dans tous les cas, les deux étudiantes, bien que dans deux disciplines différentes, on fait ressortir l’aide reçu et l’intérêt ressenti dans le cadre des groupes de codéveloppement professionnel.
5.4. Consolider son identité professionnelle
Cet objectif fait référence au processus de consolidation de l’identité professionnelle en comparant sa propre pratique à celles des autres (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000). Dans le cas de ce projet de recherche, cela inclut non seulement des pairs de la même discipline, mais aussi ceux d’une discipline connexe. Les participantes ont nommé l’importance du groupe de codéveloppement professionnel dans la connaissance du rôle professionnel de l’autre discipline.
« Ça m’a permis de voir c’est quoi leur rôle, puis comment ils font pour intervenir, ça, c’est quelque chose que je ne savais pas. Ça va me permettre de pouvoir référer quelqu’un en travail social si je pense que ça pourrait l’aider » ASS2.
Les participantes ont souligné la présence des professeurs et des professionnels des deux disciplines et leur apport quant aux questions posées qui ont poussé leur réflexion. De plus, le contexte interprofessionnel dans lequel se sont déroulés les groupes de codéveloppement professionnels a permis aux étudiantes de constater que la présentation des informations se faisait de manière différente dans les deux disciplines.
« Les filles en adaptation scolaire elles avaient vraiment une façon complètement différente de nous que nous on avait l’évaluation du fonctionnement social, le génogramme, l’écocarte, et eux c’était vraiment autre chose… » TS2.
5.5. Prendre un temps de réflexion sur sa pratique professionnelle
L’objectif des groupes de codéveloppement professionnels le moins évoqué dans les entrevues de groupe a été le fait de s’obliger à prendre un temps de réflexion sur sa pratique (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000). Cependant, les participantes reconnaissent l’importance de s’arrêter pour prendre ce temps de partage et de réflexion.
« Bien les codéveloppements, l’activité en tant que telle des codéveloppements c’est quelque chose de facilitant, parce que nécessairement on a toutes notre quotidien et nos travaux et tout cela, donc on est comme… Quand on est à la clinique, oui on est dans les mêmes 4 murs, on a les mêmes interactions, mais quand même on n’a pas nécessairement le temps d’aller voir l’autre et de lui dire « Es-tu correct, as-tu besoin d’aide ? On est vraiment centré sur nos choses, tandis que dans les codéveloppements, on se ramasse toutes à la même place et là c’est le temps d’échanger. Ça, c’est vraiment facilitateur » TS2.
En reconnaissant l’importance de prendre un temps de réflexion sur leur pratique professionnelle, elles ont nommé le fait qu’elles devraient le faire plus régulièrement. De plus, elles ont souligné l’importance de mettre en commun les informations relatives au même jeune, ainsi que l’apport des lieux physiques de la CUO (les locaux sont partagés) qui pourrait faciliter les échanges spontanés.
6. Discussion
Dans cet article, non seulement les cinq objectifs du groupe de codéveloppement professionnel sont étudiés, mais les éléments influençant ces derniers le sont aussi. C’est en ce sens que l’efficacité du dispositif au regard du développement de la collaboration interprofessionnelle est discutée, et ce, grâce aux propos recueillis en cours de projet de recherche interprofessionnelle auprès des étudiants des baccalauréats en adaptation scolaire et sociale, ainsi qu’en travail social. Ainsi, la discussion présentera, pour chaque objectif du groupe de codéveloppement professionnel, les liens entre l’atteinte de l’objectif, son influence sur la tenue du projet interprofessionnel ainsi que l’établissement d’une relation de collaboration interprofessionnelle, et ce, en lien avec les éléments théoriques présentés.
L’objectif du groupe de codéveloppement professionnel qui est d’apprendre à être plus efficace est intimement lié, dans sa définition, à celui de faire partie d’un groupe d’appartenance professionnelle où règnent la confiance et la solidarité (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000). En effet, la notion d’efficacité est liée à la découverte, au contact de l’autre, de nouvelles façons de faire et, pour que cela soit possible, il faut que les participants s’investissent dans le groupe, qu’ils se considèrent égaux et qu’ils aient confiance en l’expertise de l’autre. Ces deux objectifs des groupes de codéveloppement professionnels sont ceux qui ont été le plus souvent discutés par les participantes, et ce, avec le même taux de réponse. Pour ces deux objectifs, elles ont abordé, dans un premier temps, la structure fixe des groupes de codéveloppement qui oblige à être concis et qui permet de gérer une rencontre de façon efficace. De plus, pour les deux objectifs, les participantes, dans leurs propos, ont parlé de l’organisation physique des lieux. Les tables, étant installées en cercle, ont permis, conformément aux facteurs d’influence de la collaboration, de rehausser le sentiment d’appartenance au groupe, de créer un espace et de présenter physiquement un contexte où il y a parité dans les prises de décisions, où elles se sont senties égales, ce qui sont des facteurs facilitant la collaboration (Beaumont et al., 2011 ; Friend et Cook, 2010 ; Letor et al., 2007 ; Marcel et al., 2007). De plus, les participantes ont nommé l’apport du partage de connaissances et d’outils comme étant le reflet du désir de collaborer des membres du groupe (Beaumont et al., 2011 ; Friend et Cook, 2010 ; Letor et al., 2007 ; Marcel et al., 2007) et du respect dans les interventions (Larose et al., 2013). Finalement, il importe de souligner le fait que la vulgarisation du vocabulaire propre aux disciplines a été nommée. Cette compétence n’est pas sans lien avec le désir d’avoir un but commun et partagé (Beaumont et al., 2011 ; Friend et Cook, 2010 ; Letor et al., 2007 ; Marcel et al., 2007), de même que celui de maintenir la communication entre les parties en misant sur une représentation langagière commune, ce qui est un élément phare du concept d’interprofessionnalité et d’interdisciplinarité (Fourez et al., 1994).
En ce qui a trait à l’objectif d’apprendre à aider et à être aidé (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000), cela a permis non seulement aux étudiantes d’agir avec humilité en demandant de l’aide, mais surtout de voir l’apport de l’autre discipline. Le contexte d’interprofessionnalité dans les groupes de codéveloppement professionnels a permis, en ce qui a trait aux facteurs d’influence à la collaboration, la reconnaissance des différences et des complémentarités (Allenbach et al., 2017 ; Beaumont et al., 2011 ; Fourez et al., 1997 ; Friend et Cook, 2010 ; Letor et al., 2007 ; Marcel et al., 2007). Bien que l’ouverture à l’autre et de l’autre aient été soulignées, les participantes n’ont pas évoqué le sentiment de compétence et d’efficacité personnelle et professionnelle qu’elles devraient ressentir lors des groupes de codéveloppement professionnels (Duchesnes et Gagnon, 2013 ; Payette, 2000). Elles ont référé davantage à leur posture d’aidé et sur le savoir-être que sur les savoirs et les savoir-faire (Aita et al., 2015). Cela peut être lié à leur posture d’étudiante en formation où, par le contexte du cours, la vision plus transmissive de la socialisation professionnelle en contexte universitaire peut avoir influencé leur posture (Chevrier et al., 2007).
Le quatrième objectif discuté par les étudiantes est celui de consolider son identité professionnelle (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000). Les étudiantes ont souligné le fait que, dans le groupe de codéveloppement professionnel interprofessionnel, le contact de l’autre discipline a permis de mieux connaitre leurs rôles et responsabilités. Cela est intimement lié aux facteurs influençant la collaboration (Beaumont et al., 2011 ; Friend et Cook, 2010 ; Letor et al., 2007 ; Marcel et al., 2007), plus précisément la collaboration interprofessionnelle (Allenbach et al., 2017 ; CSE, 2017). Cela est par ailleurs lié aux résultats d’une autre étude réalisée dans le même contexte (Baron et al., 2019) où les participants avaient nommé majoritairement la clarification des rôles et des responsabilités (CPIS, 2010) comme étant la compétence à la collaboration interprofessionnelle la plus développée. En effet, dans les milieux de travail, la méconnaissance du rôle de chacun, de même que des actes réservés à certaines professions, peut entraver grandement la collaboration (Allenbach et al. 2017 ; Beaumont et al., 2011 ; CSE, 2017). Par le passé, l’étude des groupes de codéveloppement professionnels pour les étudiants en adaptation scolaire et sociale comme dispositif soutenant la pratique réflexive dans le contexte de la CUO a permis de rendre compte de son apport dans la construction identitaire d’étudiants en formation (Baron et al., 2019a). En effet, les groupes de codéveloppement professionnels permettent d’amorcer des changements en tant qu’acteur social et réflexif (Bacon, 2005), ce qui contribue à la démarche de construction identitaire (Gohier et al., 2007). Cependant, dans ce contexte d’interprofessionnalité, il est possible de remarquer que les étudiants des deux disciplines sont moins dans l’expression des sentiments de compétence et de valeur de soi associés à leur construction identitaire (Gohier et al., 2007), mais plus dans la découverte de l’autre, de ses façons de faire et de leur apport dans leur pratique. Elles se sont également centrées sur les différences et les complémentarités des professions plutôt que sur les ressemblances. Cela aussi peut être lié au contexte de la formation initiale où les étudiants ne sont pas en consolidation, mais plutôt en construction de leur identité professionnelle (Larose, 2013) et que ce contexte de collaboration interprofessionnelle peut être déstabilisant. Cependant, bien qu’elles soient dans un processus de construction identitaire, les étudiantes ont montré de l’ouverture à l’autre et ne se sont pas senties menacées, ce qui peut être fréquent lorsque les participants sont en période de déséquilibre (Larose et al., 2013). De plus, en ce qui a trait à l’identité professionnelle, le fait que les participantes, dans les groupes de codéveloppement professionnels, s’impliquent et entrent en interaction avec les autres ne peut qu’être un facteur positif dans le processus de construction identitaire (Chevrier et al., 2007).
Finalement, l’objectif ayant été le moins discuté lors des entrevues de groupe est celui de prendre un temps de réflexion sur sa pratique professionnelle (Payette, 2000 ; Payette et Champagne, 2000). Dans leurs propos, les étudiantes ont souligné le fait que cela s’inscrivait dans le cadre des cours et qu’elles ont apprécié cela. Par la structure du projet de recherche et les contraintes de l’horaire universitaire, la valorisation du modèle de collaboration par la création d’un espace-temps allait de soi (Beaumont et al., 2011 ; Friend et Cook, 2010 ; Letor et al., 2007 ; Marcel et al., 2007). Les participantes n’avaient pas à fournir un effort de conciliation d’horaire pour participer aux groupes, ce qui, dans d’autres contextes et d’autres projets de recherche, s’est avéré un élément problématique ou un irritant pour les participants (Bélanger, 2018 ; Coulombe et al., 2019). Cependant, il importe de remarquer, dans leurs propos, qu’elles mentionnent qu’elles devraient prendre plus régulièrement le temps de faire le point ensemble et de s’arrêter pour réfléchir, et ce, tout en mentionnant l’apport, quant à la proximité, des locaux partagés.
7. Conclusion
L’objectif de l’article est de connaitre la perception des étudiants inscrits au baccalauréat en enseignement en adaptation scolaire et sociale et en travail social quant à l’utilisation du dispositif de groupes de codéveloppement professionnels comme soutien à la collaboration interprofessionnelle, et ce, au regard des cinq objectifs visés par le dispositif. Les résultats mettent en exergue, par l’étude de chaque objectif, les liens entre le dispositif du groupe de codéveloppement professionnels et non seulement l’établissement d’une relation de collaboration interprofessionnelle, mais aussi le développement de l’identité professionnelle des futures travailleuses sociales et enseignantes en adaptation scolaire et sociale ayant participé au projet.
Dans le cadre de ce projet, certaines limites peuvent être nommées. Le contexte de collaboration interprofessionnelle pourrait être qualifié d’artificiel. En effet, étant créé par des professeurs dans l’enceinte balisée de cours universitaires pour lesquels l’horaire est prédéterminé et où les périodes de codéveloppement professionnel sont inscrites à l’horaire, et ce, sans qu’ils aient à être négociés par les parties, on peut affirmer que les séances n’ont pas été réalisées dans un contexte professionnel conforme à la réalité. Cependant, cette pratique d’arrêter un temps pour travailler en équipe s’avère de plus en plus fréquente dans les établissements scolaires, notamment par l’instauration de communautés d’apprentissages professionnelles, et dans les services sociaux. Bien que le contexte de clinique universitaire ne soit pas identique aux différents milieux de pratique, il a été possible, dans d’autres projets de recherche, de voir que les étudiants en formation se sont butés aux mêmes obstacles que ceux identifiés dans la littérature (Baron et al., 2019) et ont développé les compétences visées par l’exercice. De plus, une autre limite importante est celle liée aux rôles à la fois de professeures titulaires des cours et de cochercheures responsable du projet de recherche qui a été exercé par les professeurs. Cela peut entrainer des biais de désirabilité sociale des étudiants. Pour ce faire, plusieurs précautions méthodologiques ont été prises afin d’empêcher l’identification des participants.
Au regard des résultats, des limites et des commentaires des étudiants ayant participé aux cours, certaines pistes d’amélioration peuvent être mises en place afin d’augmenter l’engagement des étudiants en ce qui a trait à l’établissement d’une relation de collaboration interprofessionnelle. Pour ce faire, augmenter le nombre d’opportunités d’échanges dans les plans de cours et varier les dispositifs seraient une solution. En effet, d’autres dispositifs pourraient être utiles tels que la réalisation de vignettes cliniques à discuter en équipe interprofessionnelle, ainsi que des cours théoriques sur la collaboration interprofessionnelle et les obstacles qu’il faut surmonter pour y parvenir (Baron et al., 2021). En ce sens, débattre de situations fictives soulevant des enjeux éthiques relatifs aux rôles et responsabilités de chaque profession peut permettre de faciliter la collaboration en contexte réel qu’il soit dans un contexte clinique que dans la pratique professionnelle future.
Il importe donc, par la mise en place d’activités interprofessionnelles comme les groupes de codéveloppement professionnels, de décloisonner les curriculums des formations initiales (Lenoir, 1998) et de mettre en place des activités permettant d’amorcer des changements de pratique. Il faut miser sur l’importance de projets de cette nature et sur les répercussions qu’ils auront pour les années à venir dans les différents milieux, tant scolaires que sociaux, et faire le pari que, par cette expérience de collaboration interprofessionnelle en contexte de formation, ces futurs professionnels auront le réflexe d’aller vers l’autre pour devenir acteurs de l’éducation inclusive et soutenir la réussite éducative des jeunes.
Bibliographie
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Pour citer cet article
Référence électronique
Marie-Pierre Baron, Nathalie Sasseville, Catherine Vachon, Carole Côté et Manon Doucet, « Le codéveloppement « inter »professionnel pour aller au-delà des disciplines en formation initiale », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 39(2) | 2023, mis en ligne le 13 juillet 2023, consulté le 12 octobre 2023. URL : http://journals.openedition.org/ripes/4758 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ripes.4758
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Auteurs
– Marie-Pierre Baron
Université du Québec à Chicoutimi, Chicoutimi, QC, Canada, marie-pierre_baron@uqac.ca
– Nathalie Sasseville
Université du Québec à Chicoutimi, Chicoutimi, QC, Canada, nathalie_sasseville@uqac.ca
– Catherine Vachon
Université du Québec à Chicoutimi, Chicoutimi, QC, Canada, catherine.vachon1@uqac.ca
– Carole Côté
Université du Québec à Chicoutimi, Chicoutimi, QC, Canada, carole_cote@uqac.ca
Manon Doucet
Université du Québec à Chicoutimi, Chicoutimi, QC, Canada, manon_doucet@uqac.ca
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