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Caractériser le sens de l’expression « internationalisation du supérieur » dans le modèle institutionnel des alliances d’universités européennes : analyses quantitatives et qualitatives

8 janvier 2024 par Cédric Brudermann RIPES 247 visites 0 commentaire

Un article repris de http://journals.openedition.org/rip...

L’internationalisation du supérieur (IS) constitue une priorité des politiques éducatives des établissements dans le contexte actuel (Beacco et al., 2022 ; Cosnefroy et al., 2020 ; Beacco, 2019 ; Harfi et Mathieu, 2006). Pour autant, en Europe, l’opérationnalisation de cette stratégie de gouvernance a pris des formes si diverses au cours de l’histoire récente qu’il paraît légitime aujourd’hui de s’interroger quant au sens que cette expression recouvre encore (Knight, 2004).

Pour nourrir la réflexion autour cette question, cette étude s’attache à caractériser les matérialisations que l’IS a vocation à prendre dans les écosystèmes de formation et de recherche des alliances d’ » universités européennes » (AUEs). Pour ce faire, une analyse quantitative et qualitative des fiches institutionnelles de présentation (en anglais) des 17 AUEs ayant vu le jour en 2019 dans le cadre d’un appel à projets initié par la Commission européenne a été conduite. Les résultats indiquent que, dans ce modèle institutionnel, (i) les politiques d’IS sont essentiellement articulées autour de quatre axes directeurs, (ii) que ces axes engagent à entrevoir la mise en œuvre de l’IS sous l’angle de conduites diverses et (iii) que le déploiement de ces conduites converge vers la poursuite d’un même objectif de haut niveau : contribuer au progrès social du continent européen.

Un article repris de la revue Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, une publication sous licence par défaut CC by

Cédric Brudermann, « Caractériser le sens de l’expression « internationalisation du supérieur » dans le modèle institutionnel des alliances d’universités européennes : analyses quantitatives et qualitatives », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 39(3) | 2023, mis en ligne le 27 décembre 2023, consulté le 08 janvier 2024. URL : http://journals.openedition.org/ripes/5341

1. Contexte et problématisation

Les états-nations du système international se trouvent actuellement plongés dans une situation d’interdépendance croissante (intensité des flux d’échanges de marchandises, capitaux et informations à l’échelle planétaire, par exemple) et font régulièrement face à des défis planétaires qui dépassent le cadre juridiquement « limité » de leurs souverainetés respectives : urgence climatique, crises sanitaires ou terrorisme international. L’intrication structurelle résultant de cette conjoncture se trouve en outre renforcée depuis deux décennies sous l’effet du rapprochement sans précédent entre les états et les peuples (Mattelart, 2005 ; Rasse, 2005) que la mondialisation et le « tournant numérique » (Heinderyckx, 2015) ont tous deux favorisé. Cette situation d’interconnexion entre le local, le national et le mondial ne s’est pas faite sans entraîner de profonds bouleversements dans les pratiques sociales à l’œuvre dans de nombreuses sphères personnelles et professionnelles.

C’est le cas du monde de l’éducation, qui, à un niveau plus spécifique, a vu nombre de ses pratiques pédagogiques renouvelées (classe inversée, hybridation de cours, télécollaboration avec des partenaires distants, etc.), compose avec de nouvelles modalités d’accès / de transmission du savoir ou revisite les espaces (à distance, sur place, bimodalité, etc.) et les temporalités (a.synchrone) de travail servant de cadre aux expériences d’apprentissage.

Dans l’enseignement supérieur en particulier, le contexte de transformation actuel a contribué à faire de l’internationalisation une priorité des politiques éducatives des établissements (Beacco et al., 2022 ; Cosnefroy et al., 2020 ; Beacco, 2019 ; Harfi et Mathieu, 2006) et l’opérationnalisation de cette stratégie de gouvernance a pu, en Europe, prendre diverses formes au cours de l’histoire récente : harmonisation des systèmes nationaux d’enseignement supérieur (Processus de Bologne), anglicisation des formations (Frath, 2014), promotion de la mobilité entrante, sortante et virtuelle (Cavalli et Egli Cuenat, 2019), stratégies de coopération à l’international sur projets ciblés, coopération internationale entre universités de pays différents, réseaux de coopération intégrés dans le cadre de programmes académiques partagés (Master ou doctorats Erasmus Mundus par exemple), développement de « l’internationalisation sur site » (Beelen et Jones, 2015) ou hybridation – voire globalisation (MOOCs, SPOCs, enseignement à distance, etc.) – des offres de formation.

Ainsi que ces quelques exemples le montrent, l’expression « internationalisation du supérieur » s’apparente à un mot-valise – voire un « slogan » (Schmenk et al., 2019) – en ce sens qu’elle tend à renvoyer à une multitude d’objets et donc à ne pas répondre à une définition précise : « l’internationalisation est un terme de plus en plus utilisé pour parler de la dimension internationale de l’enseignement supérieur et, plus largement, de l’enseignement postsecondaire. C’est un terme qui signifie différentes choses pour différentes personnes et qui est donc utilisé de différentes manières. Bien qu’il soit encourageant de voir que l’internationalisation fasse l’objet d’une utilisation et d’une attention accrues, une grande confusion règne quant à sa signification » (Knight, 2004, p. 5, notre traduction). La nébuleuse sémantique qui gravite autour de cette expression est par ailleurs vouée à s’épaissir encore si l’on considère que, sur le sol européen, les objectifs d’internationalisation du supérieur tendent depuis 2019 à être recherchés en synergie dans le cadre d’un format institutionnel d’un genre nouveau : les alliances d’ » universités européennes » (AUEs).

En raison des significations multiples imputables à l’expression « internationalisation du supérieur » (IS) dans le contexte actuel, il semble légitime de chercher à faire la lumière sur ce que cette dernière signifie encore vraiment. Pour faire le point sur cette question, nous nous proposons dans ce qui suit de caractériser les matérialisations que cette stratégie de gouvernance a vocation à prendre dans les écosystèmes de formation et de recherche des AUEs. Nous justifions le choix de ce contexte académique en vertu du fait que ces institutions constituent des établissements transnationaux et que leur bon fonctionnement découle nécessairement de choix préalablement effectués en matière d’IS par leurs équipes de gouvernance. Dans cette étude, le matériau d’analyse mobilisé pour interroger l’expression IS concerne en outre les fiches institutionnelles de présentation (en anglais) des 17 AUEs qui ont vu le jour en 2019 dans le cadre d’un appel à projets initié par la Commission européenne.

Dans ce qui suit, une description succincte des AUEs est d’abord proposée. S’ensuivent des explications relatives au choix, à la constitution et au traitement du corpus ayant servi d’appui à la présente étude. Les résultats issus de l’analyse des données retenues sont, enfin, présentés. Ces derniers débouchent sur une discussion critique autour de la manière dont ils éclairent / brouillent la compréhension du concept d’IS dans le cadre du modèle institutionnel des AUEs.

2. Alliances d’universités européennes : définition

Les AUEs relèvent d’une initiative portée par la Commission européenne et s’articulent avec le Programme Erasmus+ qu’elle opère. Dans les pages 134 et 135 du Guide du Programme Erasmus+ du 05 novembre 2019 (Commission européenne, 2020), les AUEs sont définies comme des « réseaux ascendants d’universités à travers l’UE [l’Europe, notre ajout] » destinés à « jouer un rôle de premier plan dans la création d’un Espace européen de l’Éducation dans son ensemble ». Les orientations générales que ces institutions sont invitées à poursuivre pour cela sont les suivantes :

« Partager une stratégie intégrée et commune à long terme pour l’éducation […] qui va au-delà de toute coopération bilatérale et multilatérale potentielle existante » (Commission européenne, 2020) ;

« Créer un « campus » européen interuniversitaire d’enseignement supérieur » (Commission européenne, 2020) ;

« Créer des équipes européennes de création des connaissances » (Commission européenne, 2020).

Dans le modèle organisationnel des AUEs, « le terme “Universités” doit être entendu dans son sens le plus large, qui inclut tous les types d’établissements d’enseignement supérieur » (Commission européenne, 2020) et, pour prétendre à l’appellation d’“Universités Européennes”, les AUEs doivent compter un minimum de trois établissements issus de trois pays européens différents.

Par ailleurs, les AUEs ont toute latitude pour impliquer, si elles le souhaitent, « des partenaires associés qui contribuent à la mise en œuvre de tâches / activités ou soutiennent la diffusion et la durabilité de l’alliance » (Commission européenne, 2020, p. 137), même si, « pour des questions de gestion contractuelle, les “partenaires associés” ne sont pas considérés comme faisant partie des partenaires de l’Université européenne et ne reçoivent aucun financement. Leur participation et leur rôle dans les différentes activités doivent toutefois être clairement définis » (Commission européenne, 2020., p. 137).

Enfin, un des principes directeurs des AUEs concerne la mobilité intégrée des usagers (étudiants, personnels administratifs et techniques, enseignants, chercheurs, etc.), cette dernière ayant vocation à être démocratisée au sein de ces écosystèmes de formation et de recherche : « la mobilité intégrée à tous les niveaux, y compris au niveau licence, master et doctorat sont une constante. Au moins 50 % des étudiants de l’alliance doivent bénéficier de cette mobilité, qu’elle soit physique, virtuelle ou mixte » (Commission européenne, 2020., p. 135).

A ce jour, 45 alliances ont été constituées suite à la diffusion de trois appels à projets émis par la Commission européenne en 2019, 2020 et 2022. Ces derniers ont respectivement donné naissance à 17, 24 et 4 AUEs.

3. Constitution d’un corpus

Pour mieux comprendre ce que l’expression IS signifie et appréhender les matérialisations concrètes que cette dernière est destinée à revêtir dans les écosystèmes de formation et de recherche des alliances, nous nous sommes intéressé aux éléments de langage mis en avant dans les supports institutionnels de présentation des « seules » 17 AUEs qui ont vu le jour en 2019 (cf. annexe). Nous justifions cette limitation à deux égards :

 Les quatre lauréats de l’appel de 2022 viennent tout juste d’être proclamés à l’heure où nous écrivons ces lignes et les fiches de présentation de ces nouvelles AUEs ne sont pas encore disponibles sur le site de la Commission européenne ;

 La compilation des fiches des 41 AUEs lauréates des deux premiers appels à projets donnait lieu à un corpus et à des analyses trop volumineux pour cadrer avec les exigences éditoriales d’un article de recherche. Nous avons donc préféré ici nous limiter à l’étude des fiches portant sur les 17 AUEs originelles.

Nous envisageons ensuite les fiches de présentation des AUEs comme des lieux potentiels de consignation de ce qui y est (entre autres choses) entendu par IS. Comme nous l’avons précédemment exprimé, l’opérationnalisation de ces écosystèmes supranationaux de formation et de recherche résulte nécessairement de choix pris par les comités exécutifs des alliances – notamment en matière d’IS – pour s’accorder sur des objectifs partagés et formaliser des projets pédagogiques d’établissement à partir de schémas directeurs communs. Dans cette optique, cartographier les choix arrêtés devrait donc, en retour, pouvoir renseigner sur le·s sens conféré.s à l’entrée IS dans le modèle institutionnel des AUEs.

Nous justifions enfin les supports d’analyse retenus – les plaquettes institutionnelles de présentation des AUEs [1] – en vertu du fait que :

 Contrairement aux informations mises en ligne sur les sites Internet des AUEs, les fiches de présentation des alliances publiées par la Commission européenne obéissent à un format de présentation standardisé leur conférant une homogénéité relative. Cette dernière s’avère doncparticulièrement utile à des fins d’analyse car, à partir de renseignements en lien avec des rubriques similaires, il devient dès lors possible de comparer les caractéristiques des alliances entre elles et, dans notre cas, d’interroger les faisceaux sémantiques éventuels que les AUEs véhiculent autour de l’idée d’IS ;

 Ces fiches ont par ailleurs toutes été rédigées dans une seule et même langue –l’anglais – une caractéristique qui s’avère également pratique à des fins d’analyse dans une visée comparative ;

 Ces fiches se veulent enfin synthétiques et leur contenu obéit à une feuille de style de deux pages. Les fiches de présentation des 17 AUEs retenues forment ainsi un corpus de 34 pages (17 AUEs x 2 pages), soit un volume suffisamment robuste au plan scientifique pour nous intéresser au.x sens dévolu.s à l’expression IS dans le contexte institutionnel des AUEs tout en n’étant pas trop volumineux au plan quantitatif pour cadrer avec les contraintes éditoriales de longueur imposées aux articles scientifiques. Par ailleurs, pour faciliter le traitement du contenu des fiches de présentation retenues, nous en avons centralisé le contenu au sein d’un document-support unique que nous avons appelé « matrice ». [2]. Cette dernière héberge le corpus qui a servi d’appui aux analyses quantitatives et qualitatives dont nous rendons compte dans ce qui suit.

4. Analyses quantitatives

La matrice comptabilise 8138 mots. Pour en analyser le contenu sous un angle quantitatif, nous avons d’abord entrepris d’y rechercher les items y apparaissant le plus fréquemment au moyen de l’outil Voyant tools. Nous projetons en effet sur les items les plus récurrents du corpus – en tant qu’items les plus robustes au plan statistique – un potentiel à rendre compte des faisceaux sémantiques que les AUEs mettent le plus régulièrement en avant (au plan statistique) à leur propos (toutes considérations confondues).

1659 résultats – en tant que valeur maximale de récurrence proposée par l’outil Voyant Tool – ont ainsi été obtenus. Parmi eux, six mots vides (stopwords) ont été identifiés – à savoir based (n = 32), 4EU (n = 24), CIVIS (n = 19), YUFE (n = 18), long (n = 16) et sea (n = 15) – et, de ce fait, exclus de nos analyses. A l’issue de cette phase de tri, un ensemble de 53 items apparaissant 1437 fois (toutes entrées cumulées) et équivalant à 17.65 % du volume de texte que compte le corpus a été isolé et représenté sous forme d’un nuage de mots (Figure 1). Ces items sont présents entre 14 et 106 fois dans le corpus, selon les entrées considérées.

Figure 1. Identification des 53 items les plus récurrents du corpus

La Figure 1 propose une représentation graphique des degrés relatifs de récurrence que les 53 items les plus fréquents du corpus occupent les uns par rapport aux autres, la fréquence de récurrence des items considérés y étant proportionnelle à leur taille.

Ainsi, sur la seule base des sept items comptabilisant individuellement plus de 50 entrées dans le corpus, il apparaît tout d’abord que les AUEs (european, n = 106 ; university, n = 64) se dépeignent dans leurs brochures de présentation comme des instances à visée éducative (education, n = 57) dont l’objectif premier est de promouvoir l’enseignement et la recherche (research, n = 79 ; learning, n = 55), en particulier auprès des étudiants (students, n = 71). Dans ces écosystèmes de formation et de recherche, la mobilité (mobility) semble en outre revêtir un enjeu important, cet item étant mentionné à 55 reprises. Il découle de l’analyse des sept items les plus récurrents (n > 50) du corpus que, dans les AUEs, l’IS est prioritairement à relier aux efforts de promotion et de structuration de la mobilité qui y prévalent.

Parallèlement à cela, les 53 items les plus récurrents du corpus tendent à indiquer que le développement (develop, n = 20) des AUEs (alliance, n = 20 ; university, n = 64 ; universities, n = 43) en Europe (Europe, n = 16, EU, n = 30) constitue une réponse au besoin d’y créer (create, n = 23) un modèle (model, n = 18) éducatif (education, n = 57) d’un genre nouveau (new, n = 32) pour le supérieur (higher, n = 16). D’après ces mêmes items (Figure 1), la fonction sociale des AUEs se déclinerait ainsi en trois objectifs (aims, n = 14) de haut niveau :

 Favoriser (promote, n = 15) le développement (development, n = 31) de connaissances (knowledge, n = 23) et de compétences (skills, n = 15) auprès des étudiants (students, n = 71) ;

 Contribuer à la formation de citoyens (citizens, n = 18) pour l’Europe (European, n = 106) de demain (future, n = 23) ;

 Partager les résultats issus de la recherche (research, n = 79) avec la société civile (society, n = 17 ; community, n = 17) pour l’aider à résoudre (overcome, n = 19) les défis (challenges, n = 32) sociétaux (social, n = 20) locaux (local, n = 16 ; regional, n = 19) et planétaires (global, n = 19) auxquels elle fait actuellement face.

L’analyse des 53 items les plus récurrents du corpus suggère enfin que viser ces objectifs dans une optique transnationale d’alliance requiert de la part des équipes de gouvernance de s’accorder sur des politiques d’IS destinées (autant que faire se peut) à les combler. En la matière, les points de convergence les plus fréquemment mentionnés dans le corpus ont trait à / aux :

 Modalités de coopération (cooperation, n = 18) à envisager entre membres partenaires (partners, n = 19) des alliances (shared, n = 20 ; institutions, n = 15) pour faciliter la création de campus (campus, n = 19) et d’organes de gouvernance (governance, n = 18) partagés (joint, n = 46) ;

 La promotion (developing, n = 15) de la mobilité (mobility, n = 55) auprès des usagers des AUEs : étudiants (student, n = 25) comme membres du personnel (staff, n = 42) ;

 Recours à l’innovation (innovation, n = 36 ; innovative, n = 47). D’après les items les plus récurrents du corpus, « innover » dans une logique d’alliance semble, d’une part, consister à concevoir des programmes (programmes, n = 25 ; curricula, n = 22) académiques (academic, n = 21) de formation (educational, n = 21) souples (flexible, n = 15) et partagés (common, n = 34) ; d’autre part, à promouvoir la mise en œuvre de d’expériences d’enseignement (teaching, n = 41)-apprentissage (learning, n = 55) « ouvertes » (open, n = 24) et appuyées par le numérique (virtual, n = 19 ; digital, n = 20).

En définitive, ces analyses quantitatives informent quant aux principales stratégies d’IS envisagées par les AUEs pour répondre à la demande sociétale. Au-delà de l’identification d’orientations génériques cependant, l’analyse quantitative du contenu de la matrice n’indique rien quant aux matérialisations concrètes que ces stratégies d’IS ont vocation à prendre en termes concrets au sein des alliances. Pour essayer d’en savoir plus à ce propos, le contenu de la matrice a donc été traité selon des critères qualitatifs.

5. Analyses qualitatives

5.1. Aspects méthodologiques

Pour les besoins de ces analyses qualitatives, nous avons tout d’abord passé le contenu de la matrice au crible d’un logiciel (QDA Miner Lite) permettant tant d’en coder les segments de texte que de les étiqueter d’après des catégories sémantiques émergeant au fil de l’eau. Ce faisant, en conformité avec la méthodologie d’analyse thématique décrite dans les travaux de Braun et Clarke (2012), le recours à cet outil a permis d’identifier dans le corpus des structures de sens à travers des ensembles épars de données qualitatives, les catégorisations opérées n’ayant pas tant été effectuées sur la base de leur composition syntaxique (mots, syntagmes, groupes nominaux, etc.) ou de leur taille (en termes de nombre de mots, par exemple) que sur celle de leur sens. A partir de cette base de travail, chaque « thème » sémantique (Braun et Clarke, 2012) identifié a ensuite été indexé à une quantification. A l’issue du traitement du corpus, les segments de texte associés aux catégories sémantiques mises en lumière ont finalement été regroupés et quantifiés au sein d’un tableur en ligne (https://cutt.ly/​QVIZbfv). Le Tableau 1 ci-dessous dresse la liste des 34 catégories sémantiques identifiées suite au traitement du corpus et rend compte du nombre d’étiquettes (segments de textes) leur ayant été associées dans le cadre de cette même analyse.

Tableau 1. Catégories sémantiques isolées dans le corpus et nombre d’étiquettes s’y rapportant

Dans le Tableau 1, les catégories ont été classées par ordre décroissant du nombre d’étiquettes qu’elles comptabilisent. Au plan quantitatif, le Tableau 1 montre que la catégorie sémantique la plus régulièrement mise en avant dans les plaquettes de présentation des AUEs concerne la « coopération avec la société civile » (n = 35 étiquettes), tandis que la thématique que l’on y aborde (relativement) le moins a trait à « l’égalité des chances » (n = 2 étiquettes). L’analyse qualitative a par ailleurs débouché sur l’identification de 374 étiquettes. Il en découle que le nombre moyen d’étiquettes par catégorie équivaut ici à 11 entrées (374 / 34 = 11), avec 17 catégories positionnées au-dessus et autant se situant en deçà de ce seuil dans le Tableau 1.

5.2. Traitement des données

Dans cette étude, l’analyse des données tend d’abord à réaffirmer, comme cela était le cas dans le cadre des analyses quantitatives présentées supra, que la concrétisation du modèle institutionnel des AUEs requiert de la part des institutions qui en sont membres de coopérer dans une optique intra-AUEs (catégorie n° 19) en vue de transformer l’existant (catégorie n° 5 : radical change) [3] et d’œuvrer à la conception (prototype, transform, build (n = 2), transformative, create (n = 4)) d’institutions d’échelle continentale (European, n = 11) véritablement (truly, n = 4 ; true, n = 1) intégrées (integrated, integration, integrating) et rassemblées autour de vecteurs pluriels d’unité institutionnelle : identité (identity, n = 2), stratégie (strategy, n = 3) et lieux de vie (campus, n = 6) partagés (common, n = 3). Pour atteindre cet objectif de convergence institutionnelle, le corpus indique qu’il s’avère nécessaire pour les institutions membres des AUEs de :

 Faire preuve d’innovation organisationnelle (catégorie n° 18). Selon le corpus, cet effort est principalement voué à porter sur deux aspects : les modalités de fonctionnement (transform the functioning, n = 4) des AUEs et les processus de coopération (transform the cooperation, n = 3 ; cooperative engagement) engagés entre institutions partenaires (partners, n = 6) ;

 Travailler dans une optique expérimentale (prototype the university, n = 2 ; to act as a laboratory ; innovative model, n = 2, test new models) avant d’envisager l’éventuelle pérennisation ultérieure des solutions retenues. En l’espèce, une date est donnée pour la fin de la phase de travail expérimental : l’année 2025 (by 2025).

Pour favoriser la mise en œuvre de modalités de gouvernance (governance, n = 12 ; governing, n = 2 ; management, n = 6) à même d’embrasser un cadre institutionnel d’échelle supranationale (inter-university, n = 1 ; transnational, n = 1), le corpus indique ensuite que les AUEs ont besoin d’œuvrer à la conception (creation, n = 2 ; develop, n = 2 ; implementation, n = 3) de modalités de pilotage (structures, n = 5 ; structure, n = 4 ; board, n = 1 ; bodies, n = 1) partagées (joint, n = 6) d’un genre nouveau (new, n = 3). Sur ce point, la catégorie n° 7 fournit plusieurs exemples : élection d’un.e secrétaire général.e (Secretary General), mise en place d’un conseil d’administration (governing board), nomination d’un comité de pilotage mutualisé (a joint steering committee) ou création de structures de gouvernance impliquant les étudiants (n = 4).

Parallèlement à cela, l’analyse des données montre que, pour faciliter la structuration de leurs modèles de gouvernance partagés, trois leviers sont pressentis par les équipes des AUEs :

 Mise au point de feuilles de route communes (catégorie n° 31) ;

 Recours à l’innovation pédagogique (catégorie n° 27) ;

 Suppression des barrières structurelles (catégorie n° 24) – notamment administratives, juridiques, sociales, culturelles et financières (administrative, legal, social, cultural or financial) – pouvant exister entre institutions membres des AUEs.

Enfin, la catégorie n° 10 montre que les efforts de structuration déployés dans les AUEs ne visent pas seulement à concourir à la « formation de consortiums qui agiront comme de nouvelles entités fédérées » (forming a consortium that will act as one new and federated entity, notre traduction) mais également à faire advenir les alliances comme des modèles (model, n = 9) institutionnels de référence en matière d’éducation (n = 5), de recherche (n = 3) et d’innovation (n = 5).

En définitive, ainsi que ces éléments d’analyse l’illustrent, les éléments de discours mis en avant dans les supports officiels de communication des AUEs rendent compte, d’une part, d’un consensus autour de la nécessité, pour les institutions membres des alliances, de fusionner, en vue d’évoluer ensemble vers la constitution d’un modèle institutionnel véritablement transnational ; d’autre part, des interrogations que ces mêmes institutions se posent quant aux voies concrètes à imaginer pour atteindre ce même objectif.

En tant que tels, les éléments de langage passés en revue ici s’apparentent à des déclarations d’intention. Ils n’informent de fait que peu autour de la manière dont le rapprochement et la collaboration intra-AUEs – et les stratégies d’opérationnalisation de l’IS qui les sous-tendent – sont envisagés en termes concrets au sein des alliances. Ce constat pose donc de nouveau la question de l’identification des stratégies d’IS pressenties par les AUEs pour remplir l’objectif de rapprochement inter-institutionnel qu’elles se fixent.

5.3. Matérialisation de l’internationalisation du supérieur dans les AUEs : une proposition de caractérisation

Les AUEs, en tant qu’écosystèmes éducatifs à visée transnationale, incarnent, tout du moins en théorie, une forme d’archétype de l’IS. Comment cette dernière s’y matérialise donc concrètement ? Comme nous allons à présent le démontrer, l’analyse du contenu de la matrice révèle que, dans ces institutions, l’opérationnalisation de l’IS se décline en plusieurs axes et conduites. Dans ce qui suit, nous présentons lesdits axes et caractérisons les conduites d’opérationnalisation de l’IS qui en relèvent à l’aune d’éléments de discours extraits du corpus.

5.3.1. Stratégie d’IS n° 1 : envisager la coopération dans une optique d’alliance

L’analyse du corpus montre tout d’abord que, dans le modèle institutionnel des AUEs, l’IS a trait à la collaboration, au sens large, et que cette stratégie a vocation à y prendre plusieurs formes :

 La catégorie n° 1 indique en effet que les AUEs envisagent de coopérer avec la société civile (public and private sector, and citizens ; wide diversity of stakeholders ; European regions and cities ; mobilises society at large ; local governments and enterprises, etc.) pour « relever des défis communs » (to address joint challenges). Cette entrée correspond à la catégorie sémantique qui enregistre le plus grand nombre d’étiquettes dans le corpus (n = 35). La récurrence relativement grande dont cette catégorie fait montre par rapport aux autres (Tableau 1) semble ainsi témoigner de l’importance que les membres des AUEs confère à cette stratégie pour véritablement jouer leur rôle social au sein de la société européenne du vingt-et-unième siècle ;

- La coopération se matérialise également au travers d’éléments de discours exprimant la volonté de la part des membres des AUEs de mutualiser leurs ressources : offres de formation (catégorie n° 21), équipements, infrastructures et expertises respectives (IT infrastructures ; pooling expertise and platforms) (catégorie n° 6). Sur ce dernier point, la catégorie sémantique n° 11 montre que la mutualisation est prioritairement vouée à porter sur les domaines d’expertise principaux des alliances, ces derniers constituant d’ailleurs souvent le noyau dur à partir duquel les membres des AUEs ont choisi de s’agréger, ainsi qu’en témoignent les intitulés mêmes des alliances : les beaux-arts pour l’alliance « EU4ART », les sciences humaines et sociales pour « CIVICA » ou la mer et les océans pour « SEA-EU ».

5.3.2. Stratégie d’IS n° 2 : envisager la mobilité dans une optique d’alliance

L’analyse du corpus montre ensuite que la promotion de la mobilité intégrée – tant auprès des personnels (catégorie n° 20) que des étudiants (catégorie n° 2) – constitue un deuxième axe de structuration de l’IS dans les AUEs.

A cet égard, les éléments de texte issus du corpus tendent à indiquer que, pour les personnels, les périodes de mobilité sont à entrevoir comme des actions de formation continue / développement personnel (career development, n = 2 ; professional development).

Du côté des étudiants, la mobilité est envisagée sous divers formats – physique (physical, n = 9), virtuel (virtual, n = 8) et hybride (blended, combined, combining) – et l’innovation (innovative, n = 7) constitue manifestement la voie royale privilégiée par les alliances pour en faciliter (facilitate, n = 2 ; seamless, n = 3) la mise en œuvre ; des exemples de telles innovations sont ainsi proposés dans le corpus : développement d’accords de mobilité ouverte (open mobility agreement), conception de parcours d’études flexibles (flexible study paths), mise au point d’un format institutionnel de « carte étudiante européenne » (European student card), implémentation de référentiels dédiés à la mobilité (a comprehensive mobility framework ; a tailor-made mobility matrix system) ou promotion d’un système de mentorat visant à faciliter la mobilité (mentor system to facilitate mobility). D’après les segments de texte relevant de la catégorie n° 2, la finalité de ces diverses initiatives est d’augmenter de manière significative la mobilité étudiante (a significant increase in student mobility) au sein des AUEs. Sur ce point, des objectifs sont fournis : atteindre à terme, selon les cas, un taux de mobilité étudiante situé entre 50 % (n = 1) et 100 % (n = 2) des effectifs.

Pour promouvoir la mobilité et faciliter sa mise en œuvre, deux pistes sont en outre esquissées dans le corpus :

 Mise en place de modalités – parfois exploratoires (pilot, n = 2) – de diplomation communes (catégorie n° 8) (joint, n = 8 ; shared, n = 2 ; common, n = 1) ;

 Valorisation du libre accès (catégorie n° 26) et partage des connaissances (allowing learners complete access to courses of all connected universities) : science ouverte (open science, n = 4), ressources éducatives libres (open educational resources, n = 2), campus ouvert (open campus) ou données ouvertes (open data).

5.3.3. Stratégie d’IS n° 3 : envisager la pédagogie universitaire dans une optique d’alliance

Pour opérationnaliser le déploiement des offres de formation dans une optique d’alliance, l’analyse du corpus indique que plusieurs conduites d’IS sont plébiscitées par les AUEs.

Il est en effet tout d’abord question (catégorie n° 9) d’y implémenter des pédagogies dites « innovantes » (innovative, n = 9) : création de structures institutionnelles aux objectifs variés (the Teaching and Learning Academy, the creation of a European Doctoral School, Open labs), organisation d’évènements intra-AUEs (Annual Summit), partage de bonnes pratiques (to share and jointly optimise their teaching techniques ; setting up best practice examples), mutualisation des connaissances (knowledge sharing), usage du numérique (promote the latest digital technologies ; use frontline technologies) ou développement de nouveaux concepts (pioneer new concepts of education, n = 2), solutions (the CIVIS innovative pedagogies module) et approches (develop a multidisciplinary methodology) pédagogiques.

Parallèlement à cela, l’analyse du corpus montre que, pour contribuer à l’enrichissement de leurs offres de formation partagées, les AUEs envisagent tant d’irriguer par la recherche les enseignements qu’elles prodiguent (catégorie n° 4) que de soutenir la recherche scientifique (catégorie n° 17).

Ces divers apports ont, enfin, vocation à déboucher sur des aboutissements divers en matière de pédagogie universitaire :

 Personnalisation des parcours de formation (catégorie n° 14) en introduisant par exemple de la flexibilité (flexible, n = 6 ; flexibility) dans les expériences d’apprentissage proposées. Pour ce faire, quelques-unes des solutions pratiques mentionnées dans le corpus concernent le développement de micro qualifications (micro credentials, n = 2), de passeports de compétence (competence passport), de structures académiques dédiées à la formation (Teaching and Learning Academy) ou l’encouragement de la mobilité intégrée (n = 2) ;

 Mise en œuvre de méthodes d’instruction centrées sur l’apprenant (catégorie n° 33) (student-centred methods / frameworks / curricula) ;

 Promotion de l’apprentissage par défi (challenge-based) (catégorie n° 29) ;

 Encouragement de la création de communautés de pratique (catégorie n° 28) : learning community.ies (n = 2), knowledge creation community.ies (n = 2) ou community of practice (n = 1) ;

 Mise en œuvre de solutions pédagogiques favorisant l’égalité des chances (catégorie n° 34) et l’inclusion (catégorie n° 13) ;

 Développement de l’interdisciplinarité (catégorie n° 22).

5.3.4. Stratégie d’IS n° 4 : envisager des objectifs pédagogiques communs au sein des alliances

La dernière stratégie d’IS identifiée dans le corpus renseigne sur les objectifs de formation à viser dans une optique d’alliance.

Au plan pédagogique, les catégories mises en évidence indiquent ainsi que les AUEs se donnent tout d’abord pour but (catégorie n° 15) de doter les étudiants qui les fréquentent de « compétences du 21ème siècle » (21st-century skills) : éducation aux médias et à la pensée critique (media literacy and critical thinking), développement de compétences transversales (transversal skills), interdisciplinaires (interdisciplinary competences) et compétitives (competitive skills) ou encouragement à la formation d’un esprit d’entreprise (foster an entrepreneurial, ownership-taking mind-set). Pour conduire les étudiants à développer / approfondir de telles compétences, plusieurs pistes pédagogiques sont avancées dans la catégorie n° 15 : aménagements de parcours d’apprentissage (i) adossés à des expériences de travail dans le monde réel (real-world work experience), (ii) s’appuyant sur les apports issus de la recherche scientifique (development-oriented and research-based education environment) ou (iii) faisant appel à l’auto-direction (non-classical curricula with self-directed learning pathways).

Parallèlement à cela, le corpus indique que les objectifs formatifs poursuivis dans les AUEs concernent :

 La promotion de valeurs européennes (promote European civic values ; values, n = 4 ; European, n = 7, catégorie n° 23) qui, comme la solidarité, l’inclusion, l’égalité, le respect des droits de l’homme ou l’accès à la protection sociale (solidarity and inclusion, equality, respect for human rights and access to welfare) sont envisagées dans le corpus comme des vecteurs de transmission d’un sentiment d’appartenance à l’Europe (European identity ; identity.ies, n = 4) et des appuis (catégorie n° 25) à la formation aux enjeux actuels en matière de citoyenneté (citizens, n = 5) européenne (European, n = 6). A cet égard, les étudiants des AUEs semblent être perçus comme des individus destinés, à terme (future, n = 2), à s’investir (engaged, n = 2 ; contribute) dans la construction d’une Europe multiculturelle, multilingue, inclusive et ouverte sur le monde (contribute to a multicultural, multilingual and inclusive Europe that is open to the world) ;

- Le développement du plurilinguisme (catégorie n° 16), en tant qu’enjeu clé du processus de mondialisation (a key issue in the globalisation process) et façon d’inciter les étudiants à participer à l’internationalisation des curriculums (stimulating student input to internationalising the curriculum). Sur ce point, si la valorisation des langues-cultures en contact au sein des AUEs ressort comme une préoccupation forte pour ces institutions (variety of language resources ; several other languages ; linguistic diversity, n = 2, etc.), c’est la langue-culture anglaise qui semble néanmoins appelée à y jouer un rôle plus prépondérant, en tant que lingua franca (n = 2).

6. Triangulation des analyses quantitatives et qualitatives

Dans les AUEs, des orientations politiques stratégiques de haut niveau sont prises en matière de gouvernance opérationnelle – à entendre comme les décisions stratégiques qui précèdent et servent de base à la planification des actions mises ensuite en œuvre – pour y organiser la structuration des expériences d’apprentissage que ces dernières sont vouées à offrir à leurs usagers. A l’aune des éléments d’analyse proposés supra, il apparaît qu’une des orientations stratégiques retenues par les alliances pour ce faire concerne l’IS, que cette dernière s’articule essentiellement autour de quatre axes directeurs et que l’opérationnalisation desdits axes sur le terrain est envisagée sous l’angle du déploiement d’un nombre variable de conduites. Ces dernières s’apparentent donc aux traductions concrètes que les décisions de haut niveau en matière d’IS ont vocation à prendre sur le terrain au sein des AUEs. Le tout s’articule dans une organisation complexe dont nous avons essayé de rendre compte graphiquement par le biais de la Figure 2.

Figure 2. Caractériser le sens de l’expression « internationalisation du supérieur » dans le modèle institutionnel des AUEs : proposition de représentation graphique

Par ailleurs, à propos du sens à conférer à la mobilisation de l’organisation complexe dont la Figure 2 rend compte au sein des AUEs, la catégorie n° 3 du Tableau 1 (défis sociétaux à relever) indique que le recours à l’IS – en tant que stratégie de gouvernance parmi d’autres (centre de la Figure 2) – vise à apporter des éléments de réponse aux défis (challenge.s, n = 13) majeurs (pressing, n = 2 ; grand ; major) auxquels les sociétés (society.ies.al, n = 11) européenne (Europe.an, n = 9) et mondiale (global, n = 6 ; world, n = 4) sont actuellement confrontées. D’après le corpus, ces derniers concernent par exemple le besoin de / d’ :

 Soutenir le développement des connaissances et de faire avancer la recherche (contribute to the advancement of knowledge) ;

 Promouvoir le développement des sociétés (development of societies) ;

 Participer à la construction d’une Europe apaisée, durable et prospère (for a peaceful, sustainable and prosperous Europe of tomorrow) ;

 Contribuer au développement économique (contribute to economic development) ;

 Soutenir la croissance verte / bleue et la durabilité (supporting green / blue growth and sustainability) ;

 Relever les défis (interdisciplinaires) de société liés à la santé mondiale (face interdisciplinary societal challenges related to Global Health).

Il découle de ces exemples que les AUEs poursuivent des objectifs formatifs et scientifiques de haut niveau (catégorie n° 3) prioritairement destinés à répondre aux besoins de société de la société européenne (et mondiale) du vingt-et-unième siècle. La catégorie n° 32 (responsabilité sociale) suggère en retour que les AUEs envisagent la formulation de réponse à ces mêmes besoins comme une responsabilité sociétale qui leur incombe. Ce positionnement souligne de ce fait la nécessité pour les AUEs d’évaluer le potentiel des solutions qu’elles proposent (catégorie n° 30 ; évaluation des initiatives portées) à répondre aux objectifs qu’elles se fixent car c’est sur la base de telles évaluations que ces institutions pourront faire la preuve (ou non) de leur efficacité à servir les objectifs sociétaux qu’elles poursuivent et, ce faisant, démontrer leur capacité à assumer leur responsabilité sociétale. L’IS semble en ce sens liée à des enjeux de légitimité.

L’analyse du corpus montre enfin que les initiatives jugées comme « valides » par les AUEs sont vouées à être mises en partage avec la sphère sociétale dans le cadre d’une mission de service qui ne se pose dès lors plus en termes de maillage du territoire et d’adaptation au bassin d’emploi local / national mais de satisfaction de besoins émanant d’acteurs divers (les étudiants, la société civile et le monde socio-économique notamment) et répartis sur un continent entier. Dans cette optique, la catégorie n° 12 (valorisation sociétale) souligne que, le moment venu, la valorisation sociale des initiatives mises en œuvre au sein des AUEs pourra (will, n = 14) porter sur divers plans : renforcement du sentiment d’identité européenne (contribute to the reinforcement of a consciousness of European identity), soutien de la croissance économique (leading to sustainable economic growth) ou participation à la formation de ressources humaines pour permettre à l’Europe de résoudre ses plus grands défis sociaux et technologiques (equipping Europe with the human capital needed to resolve its greatest social and technological challenges).

6.1. Caractériser les conduites prioritaires d’opérationnalisation de l’IS dans les AUEs

A partir du constat que, dans les AUEs, l’IS constitue une stratégie de gouvernance parmi d’autres et que cette dernière s’articule plus particulièrement autour de quatre axes pouvant à leur tour être opérationnalisés par le biais de conduites diverses (Figure 2), il devient possible de s’attacher à dresser les contours de ce qu’ » internationaliser le supérieur » tend à signifier de façon prioritaire dans le contexte des AUEs.

En effet, si nous envisageons les quantifications auxquelles les entrées du Tableau 1 sont indexées comme des indicateurs du degré d’importance que les AUEs confèrent à ces conduites pour appuyer la mise en œuvre de l’IS en leur sein, une représentation graphique prenant pour base les contours de la Figure 2 peut être élaborée (Figure 3).

Figure 3. Poids relatif (en termes de fréquence d’apparition dans le corpus) des conduites d’IS identifiées, selon les axes auxquelles elles se rattachent

En la matière, la Figure 3 agrège sous forme de nuages de mots les conduites associées à chaque axe et permet de comparer visuellement le poids relatif qu’elles occupent les unes par rapport aux autres (en termes de fréquence d’apparition dans le corpus) au sein de chaque axe. L’infographie ne permet pas en revanche de comparer visuellement le poids relatif des diverses entrées qu’elle intègre dans une optique inter-axes [4].

Pour ce faire toutefois, si l’on ne retient que les catégories qui, dans le Tableau 1, atteignent un seuil de représentativité arbitrairement fixé à ≥ 12 étiquettes (et donc douze apparitions dans le corpus) par nos soins, il en ressort qu’au sein de chaque axe « internationaliser le supérieur » revient en priorité à :

 Coopérer avec la société civile et mutualiser les équipements (axe n° 1) ;

 Encourager la mobilité étudiante et développer des modalités de diplomation commune (axe n° 2) ;

 Irriguer les enseignements par la recherche, promouvoir l’inclusion, faciliter la personnalisation des parcours de formation et soutenir la recherche (axe n° 3) ;

 Faire la promotion du plurilinguisme et concourir au développement de « compétences du vingt-et-unième siècle » (axe n° 4).

A partir de cette sélection de conduites d’IS, le poids relatif que ces dernières occupent dans le corpus (en termes de récurrence) peut enfin être représenté sous forme d’une infographie (Figure 4) autorisant à les comparer dans une optique inter-axes.

Figure 4. Conduites prioritaires d’opérationnalisation de l’IS dans les AUEs et comparaison de leurs poids relatifs

6.2. « Internationalisation du supérieur » et logique d’interface

Par ailleurs, à l’aune des diverses analyses présentées supra, il apparaît que, comme nous le pressentions, les AUEs formalisent bien dans leurs plaquettes descriptives les orientations politiques qu’elles entendent suivre en matière de gouvernance éducative pour répondre aux besoins de formation de la société européenne du vingt-et-unième siècle et, au-delà, contribuer à remplir un objectif sociétal de plus haut niveau encore : contribuer à faire évoluer la communauté de destin établie en Europe vers un idéal de progrès social selon des critères fondés sur des valeurs partagées, en témoignent les notions de « valeurs européennes », d’ » identité européenne » ou d’ » inclusion » qui sont prévalentes dans le corpus (cf. les catégories n° 13, 23 et 25 du Tableau 1 par exemple).

Pour ce faire, la responsabilité sociale qui incombe aux AUEs est (autant que possible) de combler ces attentes sociales en déployant des projets pédagogiques d’établissement susceptibles d’y répondre. Ces derniers forment alors des fils conducteurs appelés à orienter la conception et la mise en œuvre des expériences d’apprentissage effectivement déployées au sein des AUEs pour (autant que possible) conduire les usagers vers la validation des objectifs de haut niveau formalisés dans lesdits projets d’établissement. D’après cette configuration, il s’agit alors pour les AUEs d’évaluer le potentiel des initiatives mises en place à répondre aux objectifs de haut niveau visés afin que ces institutions puissent faire la preuve de leur capacité à assumer leur responsabilité sociétale et, par suite, remplir (et démontrer leur capacité à assumer) leur rôle social au sein de la société européenne actuelle. Le tout s’organise dans une configuration complexe dont les contours peuvent être schématisés comme suit (Figure 5) :

Figure 5. Articulation entre objectifs politiques de société et solutions éducatives envisagées pour y répondre dans les écosystèmes de formation et de recherche des AUEs

Dans la Figure 5, le plan des objectifs politiques de société (niveau des instances communautaires) est balisé par le parcours en gris clair (à gauche). Le niveau des initiatives politico-pédagogiques portées par les AUEs pour y répondre est représenté par les flèches noires. Les préoccupations liées au besoin des AUEs d’évaluer leurs initiatives pédagogiques et de préjuger de leur potentiel à répondre aux besoins de formation de la société européenne du vingt-et-unième siècle sont, enfin, symbolisées par les flèches en gris foncé (à droite).

Dans cette articulation, les résultats des analyses quantitatives et qualitatives présentés plus avant montrent que l’IS revêt deux volets intimement liés au sein des AUEs :

 Celui de la conception des projets pédagogiques (gouvernance opérationnelle) et de la consignation des stratégies retenues par les partenaires des alliances pour viser des objectifs pédagogiques singuliers (carré en gras, au centre de la Figure 5) par ailleurs destinés à répondre à des besoins de la société européenne du vingt-et-unième siècle. A cet effet, l’analyse du corpus montre que l’IS constitue une stratégie de haut niveau parmi d’autres à mobiliser (le cas échéant) dans les projets pédagogiques des AUEs pour répondre à ces besoins, d’une part, et d’autre part que cette stratégie tend à s’y traduire principalement par le biais des quatre axes directeurs dont nous avons rendu compte plus avant (Figure 3) ;

 Celui du pilotage organisationnel, qui concerne l’opérationnalisation et la gestion pédagogique des orientations stratégiques retenues au plan de la gouvernance opérationnelle, en développant et déployant des solutions pédagogiques dédiées (carré en gras, à droite de la Figure 5). Dans cette étude, les solutions identifiées concernent un nombre variable de conduites répertoriées dans le Tableau 1.

 En définitive, cette configuration induit tout d’abord que, dans les AUEs, les conduites de mise en œuvre de l’IS ont vocation à porter sur le niveau micro de la gestion administrativo-pédagogique des expériences d’apprentissage proposées aux usagers comme sur le plan macro de la gouvernance / des décisions stratégiques à prendre en matière de pilotage éducatif pour structurer les projets pédagogiques d’établissement des alliances.

Elle indique par ailleurs que les évaluations portant sur les effets des initiatives mises en place sont destinées à porter sur deux niveaux. A cet égard, le niveau macro des projets éducatifs d’établissement des AUEs induit que les effets des politiques de gouvernance retenues soient appréhendés sous l’angle d’approches évaluatives descendantes (top down), visant à mesurer les effets desdits projets sur les pratiques apprenantes de niveau micro ; le plan micro des expériences d’apprentissage / de l’opérationnalisation effective des orientations stratégiques prises en matière de gouvernance requiert quant à lui de recourir à des approches ascendantes (bottom up) – partant du niveau « local » des terrains pédagogiques – pour évaluer si et dans quelle mesure les expériences d’apprentissage proposées permettent de / d’ (in)valider les objectifs de haut niveau poursuivis. Cette articulation en « miroir » – où le niveau de la gouvernance est appelé à fonctionner en dialogue avec le niveau pédagogique du terrain dans un mouvement de va-et-vient – donne en définitive à penser que, dans les écosystèmes de formation et de recherche des AUEs, mettre en œuvre une politique d’IS revient à fonctionner d’après une logique d’interface. Dans cette optique, le plan macro du pilotage organisationnel / de la gouvernance est représenté par le noyau central et le cercle intermédiaire dans la Figure 2, tandis que le volet micro de la gestion pédagogico-administrative des expériences d’apprentissage proposées aux usagers des AUEs a trait au cercle extérieur de la Figure 2.

7. Discussion

Si ces divers éléments d’analyse apportent un éclairage quant au sens que l’expression « IS » revêt dans le cadre du modèle institutionnel des AUEs, ces derniers méritent toutefois selon nous d’être nuancés en raison de certaines limites que nous reconnaissons à la méthodologie que nous avons appliquée pour les produire.

En premier lieu en effet, l’analyse thématique du corpus a été effectuée par nous seul. Dans le cadre d’un travail en équipe, la phase d’étiquetage aurait par exemple induit de procéder à des mesures complémentaires de comparaison inter-juges, lesquelles auraient sans doute à leur tour conduit à amender, supprimer ou augmenter certaines des catégories sémantiques dont nous avons rendu compte dans le Tableau 1.

Ensuite, étiqueter un corpus revient à indexer des segments de texte à des catégories dédiées. Dans le cadre de cette étude, si l’intégralité du corpus a pu être traité et si les segments qui en relèvent ont tous pu être associés à des catégories sémantiques éparses, ce processus d’étiquetage nous a dans le même temps parfois contraint à faire des choix, en particulier lorsque des segments pouvaient potentiellement relever de plusieurs catégories. A cet égard, les choix effectués nous ont parfois conduit à renoncer et le présent codage n’a par exemple pas abouti à la mise en évidence d’une énième catégorie sémantique qui aurait pu avoir trait à l’apprentissage tout au long de la vie car le segment « life-long learning » est bien présent dans le corpus à cinq reprises mais n’apparaît pas dans nos analyses. De ce fait, d’autres choix en matière de codage auraient probablement amené à proposer des analyses légèrement différentes de celles dont nous avons rendu compte ici. Les apports au savoir qui en auraient découlé auraient donc eux aussi certainement différé en conséquence.

Enfin, pour les raisons que nous avons exprimées plus haut, nos analyses portent sur le contenu des fiches de présentation institutionnelles des seules 17 premières AUEs ayant vu le jour en 2019. De ce fait, des données non exploitées – relatives aux AUEs ayant été constituées à partir de 2020 – sont aujourd’hui disponibles. Des analyses ultérieures prenant appui sur ces données permettraient ainsi certainement (i) de statuer plus avant sur la question de la possible duplication des résultats proposés ici, (ii) d’établir des points comparaison / de divergence éventuels entre les présents résultats et ceux émanant d’un corpus plus vaste et donc plus robuste au plan statistique et, in fine, (iii) de / d’in.valider les propositions de caractérisation du sens conféré à expression « IS » que nous avons proposées.

8. Conclusion

Si l’internationalisation peut être définie comme un « processus qui, grâce à la mobilité internationale des étudiants et des enseignants, conduit à l’intégration des dimensions internationales et interculturelles dans les fonctions éducatives des institutions d’enseignement supérieur ainsi que dans leur gouvernance » (De Ketele et Hugonnier, 2020 : 19), les résultats dont nous rendons compte dans cet article permettent plus précisément de spécifier par quels biais, tout du moins dans le cadre du modèle institutionnel des AUEs (Figure 2). A cet égard, nos analyses indiquent que l’IS tend notamment à y être associée à deux volets de niveaux macro et micro formant une interface.

Par ailleurs, si les documents institutionnels de présentation des AUEs donnent à penser qu’il y a autant de projets pédagogiques que d’alliances – suggérant par là même un nombre tout aussi important de façons d’envisager l’IS au sein desdits projets pédagogiques – nos analyses montrent au contraire que (i) de nombreux points de convergence sous-tendent les manières dont les AUEs entendent mobiliser cette stratégie de gouvernance en leur sein (en témoignent les quatre axes de structuration proposés dans la Figure 2) et, au-delà, (ii) que ces institutions s’attachent à poursuivre un même objectif sociétal de haut niveau : contribuer au progrès social de l’Europe.

Enfin, dans un modèle institutionnel fonctionnant en réseau, langues et cultures (LC) ont un rôle primordial à jouer pour fédérer les usagers des AUEs autour de projets communs, organiser les enseignements, faciliter l’intégration de tous au sein de campus multisites et virtuels ou servir d’appui à la communication institutionnelle. De manière plus précise, dans la dynamique des AUEs, langues et cultures sont amenées à se côtoyer dans le cadre de temporalités (a.synchrones, dis.continues, etc.), spatialités (physiques, bimodales, hybrides, virtuelles, etc.), échelles (locales, nationale, continentale) et expériences d’apprentissage (formelles, informelles, individuelles, collectives, etc.) s’articulant sous des jours nouveaux. De ce fait, alors que le rôle pivot conféré aux LC – en tant que singularité des AUEs – ouvre de nouvelles perspectives pour la pédagogie universitaire, l’innovation et la recherche, il appelle dans le même temps à des réflexions / prises de décision stratégiques en matière de gouvernance linguistique : c’est sur la base de la résolution des questions afférentes aux LC que les alliances pourront en effet advenir comme des entités véritablement fédérées / intégrées et, ce faisant, viabiliser le modèle institutionnel qu’elles incarnent. Pour autant, sur ces questions, le corpus enregistre deux références au recours à l’anglais en tant que lingua franca et cette voie s’inscrit a priori en faux contre les douze déclarations d’intention en lien avec la promotion du plurilinguisme (catégorie n° 16 du Tableau 1) dont les AUEs font dans le même temps part dans leurs plaquettes de présentation. Ce positionnement paradoxal – puisque les déclarations d’intention de niveau macro (promotion du plurilinguisme) ne coïncident pas avec les solutions de terrain envisagées au niveau micro (recours au seul anglais en tant que lingua franca) pour permettre aux usagers de cultures, langues, nationalités et parcours de vie perçus comme différents de s’épanouir au sein des AUEs – interpelle et requiert d’explorer plus avant comment ces institutions traitent effectivement les questions afférentes aux LC en leur sein. Pour cela, l’exploitation des fiches de présentation institutionnelle des alliances créées après 2020 pourrait s’avérer utile et les résultats éventuellement triangulés et / ou comparés à des données de terrain.

Pour l’heure, conformément à notre hypothèse de départ, l’analyse du corpus montre qu’en tant qu’écosystèmes supranationaux de formation et de recherche, l’IS émerge dans les AUEs comme une stratégie de gouvernance à même de (i) fédérer les institutions partenaires / les usagers qui les fréquentent autour de préoccupations communes et (ii) de structurer les projets d’établissement qui sont les leurs d’après des lignes de conduites partagées. En cela, ces institutions constituent de bons candidats pour s’intéresser à la question de l’IS dans le contexte actuel.

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Licence : CC by

Notes

[1Ces supports sont accessibles sur le site de la Commission européenne à l’adresse électronique suivante : https://education.ec.europa.eu/european-universities-factsheets (dernière consultation, le 05 octobre 2022).

[2factsheets (dernière consultation, le 05 octobre 2022).
Qui peut être consulté en ligne à l’adresse électronique suivante : https://cutt.ly/yVILOn5 (dernière consultation, le 05 octobre 2022).

[3Ici et dans ce qui suit, les éléments de texte en italiques qui figurent après l’évocation des catégories sémantiques correspondent à des segments de textes (issus du corpus) leur ayant été associés lors du traitement des données. La numérotation des catégories sémantiques dans le texte reprend en outre celle que nous avons proposée dans les colonnes intitulées « N° » du Tableau 1.

[4L’entrée « Mutualisation des équipements » (n = 16) occupe par exemple un second plan dans l’axe 1 car elle est comparée à « coopération avec la société civile » qui compte 35 occurrences dans le corpus. La taille de la première est donc relativement plus petite par rapport à la seconde dans la Figure 3. Dans une optique inter-axes, l’entrée la plus importante (en termes quantitatifs de récurrence) de l’axe n° 4 (« irrigation par la recherche ») apparaît ainsi sous un format beaucoup plus grand que l’entrée « Mutualisation des équipements » de l’axe 1, alors que la première compte 17 entrées et la seconde 16. La comparaison inter-axes peut ainsi conduire à des interprétations erronées dans la Figure n° 3.

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