Durant le 11 ème Forum des usages coopératifs qui s’est déroulé à Brest du 2 au 4 juillet 2024, Radio U a réalisé une dizaine d’interviews aujourd’hui mises en ligne . Pour faciliter la diffusion de ces contributions au Forum sur les "pas de côté", j’ai entrepris de les retranscrire (avec les limites du passage d’un oral à l’écrit).
Pour commencer cette série voici la transcription de l’interview de Laurent Marseault autour des deux ateliers qu’il a animé sur Démocratiser les démarches de prospective et
Introduction à la Robustesse, du concept à l’opérationnel, qu’il a co-animé avec Gatien Bataille et Manuel Ibanez.
Coopération et Robustesse, interview de Laurent Marseault par Radio U au Forum des Usages Coopératifs
Voici la transcription légèrement revue, réalisée avec l’aide du logiciel libre Scribe et en cours de validation par la personne interviewée
Introduction par Radio U
Du 2 au 4 juillet 2024, s ’est déroulé le Forum des Usages Coopératifs à Brest. Pour cette 11e édition, organisée par le service médiations et usages numériques de la ville de Brest, c’est sous le thème des pas de côté que les participants et participantes ont abordé différentes manières de coopérer sur des sujets d ’actualité et de société.
Rencontres, échanges, forums ouverts, conférences ou encore ateliers, Radio U a suivi plusieurs acteurs et actrices qui ont fait vivre ces journées.
Laurent Marseault
Bonjour, je m’appelle Laurent Marseault depuis 55 ans maintenant, et tous les ans c’est une année de plus. Je viens au forum des usages depuis leur création. C’est un des lieux importants en France ou même en francophonie qui permet de se rencontrer entre acteurs de la coopération pour aider à partager nos chantiers, nos expérimentations, nos doutes et de se tenir un peu chaud entre nous dans ces temps un petit peu fluctuants.
Et mon métier c’est d ’accompagner les humains pour qu ’ils mettent plus de coopération, de collaboration entre eux et principalement auprès des acteurs des transitions. Tous les gens qui ont envie que le monde aille un peu mieux, sachant que ce mieux est subjectif. Ceux qui ont envie de faire que ça aille mieux commencent à se débrouiller pour qu’ils puissent encore plus faire de la coopération et se tenir chaud entre eux.
Radio U : C ’est quoi ta relation avec le forum des usages coopératifs ?
Comment j ’y suis arrivé ? c’est une vieille histoire ! Avant le forum on avait une rencontre régulière qui s’appelait les Rencontres d’Autrans, dans les années 90, au début de l’internet qui commençait à être un peu socialisé. C ’est là qu’on s’est rencontré avec plein de personnes. À Montpellier, on avait monté une structure qui s’appelle Outils Réseaux et là, on a organisé des rencontres Moustic pour Mise en œuvre des Usages Sociaux et Sociétaux des TIC et en parallèle, il y a les rencontres, le forum des usages coopératifs qui s’est lancé et ensuite les rencontres Co-construire. Ce sont des histoires de rencontres qui permettent, entre acteurs, de se voir régulièrement et le Forum des Usages Coopératifs fait partie des moments réguliers et chaleureux qui nous permettent de tisser de la relation, de tisser du réseau.
Radio U Alors sur ces deux jours, tu animes plusieurs ateliers, alors il y en a deux qui utilisent des termes un petit peu... abstrait que les gens ne connaissent pas forcément, on parle de prospective et de robustesse. Est -ce que tu peux nous expliquer un petit peu ces termes-là ?
Pour la prospective, il y a plusieurs définitions possibles, mais surtout la celle qui nous intéresse, c’est le fait de redonner la capacité à des habitants, des citoyens, de travailler à des futurs désirables et viables. Et une fois qu’ils ont retravaillé leurs imaginaires, leurs récits de futurs désirables, les aider à penser les petits pas à effectuer, ou les pas de côté, qui permettent d ’aller petit à petit vers ces futurs désirables.
Donc l’idée, c’est d’aider les gens à se réapproprier leurs avenirs. Et cette notion de prospective, est une notion qui a été, d’après nous, trop phagocytée par les consultants qui font des choses qui sont très sérieuses, qui coûtent la peau des fesses et dans des contextes dans lesquels on ne va mettre que des spécialistes autour de la table. L’idée, c’était un gros boulot de vulgarisation autour de cette notion pour redonner du pouvoir aux gens.
Le deuxième sujet sur la robustesse. On a été très, très inspiré par Olivier Hamont, biologiste à Lyon, qui est venu faire une conférence à co-construire, en Belgique. Et à la fin de sa conférence, on a eu envie de monter une formation suite à ses beaux propos. L’idée de la robustesse, c’est que l’on est où on va être dans un monde de plus en plus fluctuant, qui va fluctuer dans tous les sens, avec des fluctuations politiques, des fluctuations environnementales, de climat, économique, etc. Et comment, un monde fluctuant, peut-il continuer à être vivable à court terme et viable à long terme ?
On a beaucoup travaillé pédagogiquement là-dessus, et on a présenté lors du forum, à la fois la notion de robustesse, mais aussi, comment les gens pouvaient passer du concept à l’action.
Radio U : J’imagine qu’il y a beaucoup de réflexion dessus, mais concrètement, comment est-ce qu’on peut participer ? Cette idée de robustesse, comment, les gens peuvent faire pour s’y intéresser ?
Une des premières choses, et cela c’est une des caractéristiques de beaucoup de gens qui sont ici, c’est que toutes les idées qu’on a eues, on les a partagés. Donc, on a un petit site qui s’appelle la robustesse.org, sur lequel il y a plein de ressources et où on continue à en déposer.
Ensuite l’élément un petit peu opérationnel derrière c’est en fait réapprendre. La robustesse ne peut se concevoir que collectivement, comment on va travailler des liens entre des humains. Et donc, l’idée, travailler des liens entre les humains, c’est de leur apprendre à coopérer. Donc, ça, c’est vraiment de réaffirmer que c’est la coopération qui permettra de..., et d’arrêter de travailler qu’en, logique de structure, mais plutôt en logique de territoire. On parlait tout à l’heure de maillage, de tricotage, ça c’est fondamental.
La deuxième chose, c’est de prendre le temps, prendre le temps d’arrêter d’être performant, prendre le temps d’arrêter de courir comme des petits hamsters dans des roues. Et dire qu’à un moment, il faut qu’on s’arrête et s’apercevoir que ce monde de performance, c’est un monde qui aboutit à des burn-out individuels, collectifs et environnementaux. S’apercevoir qu’on est dopé à la performance. Donc, identifier nos habitudes, qui sont en fait des habitudes qui reproduisent les crises. Comment on se regarde dans le miroir et on prend le temps de prendre conscience que si, on ne s’arrête pas, on est en train de simplement annihiler la vie sur terre. Si on fait l’hypothèse qu’on est des êtres vivants, on va vers un vaste suicide collectif.
Et une fois qu’on a pris conscience qu’il faut coopérer, qu’on ne pourra pas le faire tout seul, qu’il faut prendre le temps de ringardiser la performance et de se poser les vraies questions, et là, il y a des méthodos pour ça, le troisième volet, c’est de dire : toutes nos actions doivent servir ce qu’on appelle la santé commune.
La santé commune, c’est la santé des personnes, la santé des sociétés et la santé des écosystèmes. Dans les écosystèmes, ça doit servir le sol, l’eau et la biodiversité. Et donc nos projets doivent servir cela. Continuer nos projets, c’est comment je vais faire alliance, faire lien avec des personnes pour que nos projets servent. Et si nos projets ne servent pas cela, forcément, c’est des projets qui vont tuer soit la biodiversité, soit les sociétés, soit les humains.
Et une fois qu’on a re-réfléchit nos projets à la lumière de cette santé commune, on leur fait passer ce qu’on appelle des tests de robustesse. Les tests de robustesse c’est d’analyser en regardant un peu autour de nous, et cela c’est assez facile, quelles sont les fluctuations géopolitique, les flux, les fluctuations économiques, les fluctuations environnementales. Dans ces fluctuations, quelles sont ce qu’on appelle les valeurs aberrantes ? Donc les choses que l’on dit que c’est pas possible, mais si c’est possible ! Et si ces valeurs aberrantes se produisent ou se reproduisent comment notre système va répondre à cela ?
Et si le pétrole passait en fois deux, et si l’argent n’avait plus de valeur, et si un nouveau virus arrivait et qui, au lieu de bloquer nos petites narines, bloquait internet pendant six mois... Une fois qu’on a réfléchi à ça, et, petit un que notre système sert la santé commune, et petit deux passe les tests de robustesse, on va pouvoir travailler leur modèle économique ou leur modèle organisationnel. On remet le modèle économique comme modèle de sortie et l’organisation comme modèle de sortie des questions fondamentales. Quelles sont les questions qui permettent la viabilité et en tout cas l’envie de faire société et d’êtres vivants parmi les vivants sur cette jolie planète.
Radio U : Comment concrètement, est-ce qu’on peut faire pour sortir de cette performance et partir sur la robustesse ? Est-ce que tu as des exemples, peut-être, de structures qui ont fait cette démarche ?
Une des premières choses, c’est de ringardiser la performance de re-ringardiser l’ultra performance. Il est assez facile de voir qu’actuellement, les humains en burn-out, il y en a des kilos, les sociétés en burn-out, on en a quelques exemples en France aujourd’hui, qui montrent que ce n’est pas la grande forme. Et au niveau des écosystèmes, on sait que c’est grosso-modo l’hécatombe. Si on prend un tout petit peu de recul, la grande extinction des dinosaures, la dernière grande extinction s’est passée sur à peu près deux cent huit mille ans. Là en deux cents ans, on a été capable de faire mille fois plus que durant l’extinction des dinosaures.
Et en fait, c’est dramatique, c’est prendre conscience que ce qu’on est en train de faire, c’est simplement catastrophique. Et donc, quelle est la question ? Est-ce que la question est de travailler à la robustesse de ma structure, où la robustesse du fait qu’on puisse continuer à vivre sur terre ? Voilà donc, c’est où est-ce qu’on positionne la question ? Un des trucs, c’est effectivement d’aider à questionner la question.
Et par rapport à la performance, c’est à la fois de s’inspirer du vivant, se reconnecter, parce que quand tu regardes une forêt, la forêt, et elle a pas de business plan, elle n’a pas de DRH, elle n’a pas de N+1 et pourtant ça fonctionne et c’est relativement robuste. Donc quelles sont les caractéristiques de ce vivant, robuste et qu’on pourrait du coup mettre ?
Après, une fois qu’on a fait ça, c’est quelles sont les choses qu’on met pour être plus performant ? Et donc regarder les nouveaux indicateurs qu’on nous fournit, qu’on fait ou qu’on nous demande de faire, et de dire, si cela devient les indicateurs ou l’orientation de nos sociétés, et qu’on les pousse en disant maintenant ça, ça devient la norme, est-ce que ça nous entraîne vers du mieux ou du collapse ? Cela permet de repérer tout de suite, les éléments de performance qui son taratogènes.
Radio U : Est-ce que cette robustesse peut s’appliquer à grande échelle, à l’échelle d’un gouvernement, par exemple, ou est-ce que c’est plutôt réservé à des structures plus modestes ?
Cela peut s’appliquer à différentes échelles. Derrière cela, il y a aussi l’idée que les gens reprennent du pouvoir sur l’espace sur lequel ils ont prise. Actuellement, on a des gens qui souhaiteraient changer le monde ; c’est très bien, mais on ne sait pas par où commencer. Donc, derrière ça, il y a deux notions qui, pour nous, sont très importantes. (je dis nous, parce qu’on est plusieurs à travailler là dessus).
La première, c’est d’aider les gens à travailler leur zone de responsabilité : quelle est la zone sur laquelle je peux agir ? Et à partir du moment où chacun a trouvé sa zone d’action, on peut commencer à discute : comment ta zone d’action peut compléter la mienne et, à nous tous, permet de faire de la robustesse ? C’est un premier niveau.
Cette idée robustesse, ce n’est pas une bifurcation par rapport aux modalités de fonctionnement actuelles, c’est une inversion. Et donc, quand on dit inversion, c’est qu’actuellement, on est sur des gouvernements qui sont beaucoup basés sur le pouvoir. Et l’idée, c’est de passer d’une logique de pouvoir à une logique de puissance. Dans la logique de pouvoir « je veux ça et je sais comment on fait pour y arriver ». Cela aboutit à des guerres d’ego : qui aura le fusil plus grand que l’autre. La logique de puissance c’est « j’ai envie de ça, par contre, je ne sais pas comment faire ». Et à partir du moment où tu dis ça, c’est que cette envie là, on peut la partager. Moi aussi, j’ai une envie similaire et le comment faire, on va le fabriquer ensemble.
Une des étapes clés, c’est la co-construction, et la co-construction de solutions dans un monde qui est complexe est fondamentale. On revient sur l’idée de coopération, c’est comment on apprend à fabriquer de la solution ensemble, comme on le voit dans l’exemple de la convention citoyenne.
Il y a plein d’exemples dont on sait que techniquement, ça fonctionne. Après, c’est comment les personnes qui entendent les propositions passent encore une fois d’une logique de pouvoir à une logique de puissance. Ainsi, si jamais on veut dire : techniquement, tout est prêt par rapport à ça, et des fois, il faut attendre que l’ultra performance collapse pour que, du coup, il y ait de la place pour ce qui pousse.
Radio U : Est-ce que tu aurais un dernier message à passer aux auditeurs et auditrices de radio ?
Un message : c’est cultiver nos lieux d’espoir. Je pense qu’on est dans un monde où les gens ne vont pas bien, et comme dit Patrick Viveret, économiste et philosophe, « être heureux au vingt-et-unième siècle est un acte de résistance. »
Et donc, il est possible que, dans le monde dans lequel on est, il nous faille résister par rapport à des chemins qu’on nous indique comme les chemins tracés et on n’a pas le choix, mettent les gens plutôt en situation de désespérance, en situation de peur. Et on sait, que quand on est désespéré et qu’on a peur, on se replie sur soi et donc on n’est pas dans le tissage dont on parlait tout à l’heure.
C’est compliqué, d’être heureux tout seul chez toi. On est heureux en relation avec et, donc, pour moi, la radio, le fait de parler, d’échanger des messages cela crée du lien, et ce lien est fondamental pour retrouver des lieux d’espoir, pour les cultiver, pour montrer ce qui pousse, pour montrer qu’il y a plein de choses qui poussent, et cultiver nos espaces d’optimismes pour que par rapport à des environnements qui sont tristes, qui sont anxiogènes, montrer qu’il y a des endroits où on est heureux. Et là, moi, j’adore le forum parce qu’on rigole. Il y a plein de gens qui rigolent, et quand les gens voient des endroits où ça rigole, où les gens sont heureux et ça avance, ça donne envie de.
Je pense qu’il y a un gros enjeu dans le petit message cultivez vos lieux d’optimismes et faîtes des endroits où ça rigole où on est heureux. Je pense que c’est plutôt ça qui donne envie après aux gens de continuer à être vivant en fait.
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