Un article d’Audrey Auriault et Elzbieta Sanojca présenté aux rencontres RésAAlt "Réseau pour l’Apprendre en Alternance", les 20 -22 novembre 2024 à Lyon.
La crise économique de 2008, puis la crise sanitaire du 2019, ont fait émerger l’idée d’une société en crise qui se manifeste dans ses multiples dimensions : environnementale, sociale, économique, sanitaire (Fassin, 2022). Dans le champ des formations universitaires des initiatives se multiplient pour introduire les préoccupations socio-environnementales dans des parcours de formation. C’est dans ce contexte que se situe l’expérimentation d’un bloc des compétences intitulé “Former dans une société en transition” intégré dans une licence professionnelle préparant aux métiers de formation et d’accompagnement à l’université Rennes 2.
Cette communication rend compte d’une organisation particulière des contenus et de l’accompagnement pédagogique des cours en alternances en formation des adultes. La question de fond concerne le comment d’une prise en compte des préoccupations sociétales ( peu formalisées en savoirs stabilisés) pouvant être intégrée dans les modalités de parcours universitaire (relativement conventionnel). Dans le contexte de formation des adultes en alternance, cette préoccupation se double de deux difficultés substantielles liées à la nature de l’expérience et la validité des connaissances théoriques. Alors que la capacité à relier l’expérience aux savoirs universitaires reste un principe de base de la pédagogie de l’alternance, comment capter une expérience des apprenants qui relève davantage des pratiques d’engagement citoyens (plus ou moins affichées) et qui se vie en rupture de pratiques professionnelles effectives ? Aussi, quels contenus théoriques peuvent être mobilisés pour soutenir la problématisation et la conceptualisation des questions qui émergent dans des contextes professionnels extrêmement changeants.
Nous partons du principe que dans les dispositifs de formation en alternance, la réflexivité reste un socle de l’apprentissage et elle se construit par la négociation des savoirs d’expérience et des savoirs dits “académiques” (Sanojca, Triby, 2022). Cette négociation nécessite une pédagogie spécifique : celle qui facilite la prise de conscience de l’expérience de l’apprenant (comment dire son expérience ? Comment réfléchir sur l’expérience ?) mais aussi une pédagogie qui s’ancre dans un champ de références théoriques valides et actualisées .
Soubassement théorique pour penser la transition dans une pédagogie d’alternance en formation des adultes
Dans ce travail nous expliciterons un choix théorique original pour construire l’ingénierie pédagogique d’un bloc des compétences en licence professionnelle. Il s’agit des travaux d’un spécialiste en biologie moléculaire, Olivier Hamant, qui vulgarise les apports de sa spécialisation pour permettre la compréhension des problèmes systémiques de nos sociétés. Dans son ouvrage : “Troisième voie du vivant”, il met en visibilité le concept de robustesse à côté de deux autres : la coopération et la circularité du vivant. Ce triptyque conceptuel constitue un support pour penser une alternative à la fluctuation accélérée du vivant et plus largement de la société. Car ce qui pose réellement problème n’est pas tant le changement que son extrême rapidité caractéristique de notre société, pointée déjà par des sociologues sous les termes de société liquide (Bauman, 2006) ou d’accélération (Rosa, 2010). Pour Hamant, la robustesse équivaut au maintien de la stabilité du système malgré les fluctuations. Elle émerge de processus sous-optimaux, c’est à dire ni trop forts, ni trop faibles, et elle prévaut sur l’efficacité et la performance dans un environnement à fortes instabilités.
La circularité correspond à un réseau d’interactions qui crée les conditions et ou le gâchis n’est plus un problème, puisque les déchets sont entièrement recyclés. Rapportée aux activités humaines, la circularité correspondrait à une meilleure éco-conception et au recyclage des produits. Cela implique de pouvoir être parfois contre-performant à court terme pour éviter les pièges de rétroaction à long terme. Quant à la coopération elle est inhérente au vivant ; elle émerge lorsque les pénuries deviennent perceptibles que ce soit dans les systèmes biologiques ou dans les systèmes sociaux . Lorsque les personnes coopèrent, la réussite du projet collectif l’emporte sur la réussite des projets individuels. Comme toute transaction entre humains, la coopération implique de multiples interactions sociales et environnementales, y compris incohérentes, qui dépassent les intérêts à court terme, pour la survie du groupe. Enrichie par nos travaux antérieurs, nous utilisons le termes de coopération comme “une capacité à créer des liens pour réaliser volontairement une oeuvre collective” (Dejours cité par Sanojca, 2018, p. 9).
C’est autour de ces trois concepts : robustesse, circularité, coopération que nous avons construit une ingénierie pédagogique adaptée au parcours en alternance et dont cette communication rend compte.
Traduction pédagogique du principe de robustesse, de circularité et de la coopération
Le terrain pédagogique choisi pour cette communication concerne le bloc de compétences “Former dans une société en transition” dispensée à l’Université Rennes 2 auprès des étudiants en licence professionnelle Formateur-Conseil indépendant et salarié (FCIS). Autant sur le fond et sur la forme, les enseignements proposés prennent en compte trois contraintes :
- qu’elle soit, la transition n’est pas une matière en soi (ni une discipline) et de ce fait, elle nécessite une posture interdisciplinaire à la fois ouverte et critique.
- « Enseigner la transition » passe par une pédagogie de l’action, innovante et participative. Cette pédagogie s’appuie sur le terrain, lors de projets, sur le temps d’alternance ;
- « Enseigner la transition » résulte d’un processus collectif et transformateur. C’est une d’une transformation collective d’un système de références (les chaînes de valeur actuelles) dont il est question et et non d’optimisation de telle ou telle compétence professionnelle.
En ce qui concerne la traduction ingénierie de la pédagogie de l’alternance, elle s’enracine dans la culture de l’éducation populaire et de l’éducation à l’environnement. L’idée de trois piliers évoqués plus haut se décline de manière suivante :
- la circularité en pédagogie d’alternance . Le principe de la circularité nous paraît opérant à deux niveaux. La “circulation dans l’espace” (qui concerne de différents types de savoirs issus de situations professionnelles ou de savoirs académiques) permet la construction d’un lien fort et d’une continuité entre pensées et pratiques. Pris sous cet angle dynamique de circulation, l’idée de leur complémentarité semble mieux appropriée par les apprenants dans la construction de leur identité professionnelle. A cette fin, différents outils et méthodes sont utilisés. Leur choix est guidé par leur facilité d’appropriation qui (s’exerce “par le faire”) ; libres et facilement réutilisables, ils permettent à toutes les personnes d’être “en capacité de” dans leur contexte professionnel. La“circulation temporelle” concerne des savoirs co-produits par les apprenants et transmis d’une promotion à la suivante. Une plateforme en ligne ouverte en écriture et accessible après la formation, ainsi que des temps d’accompagnement dédiés permettent de travailler cet espace réellement en commun.
- la coopération. Sous l’angle de la coopération ouverte (Ricaud, 2012) elle est au cœur des apprentissages théoriques et pratiques, elle constitue le socle du bloc des compétences “Former dans une société en transition”. Les apprenant expérimentent la construction d’un groupe coopératif : fabrication d’un cadre relationnel commun, interconnaissance, gestion des communs du groupe, travail sur l’intelligence collective, sur les licences libres… La coopération ne se décrète pas, et ne s’apprend pas théoriquement. Elle se pratique comme un exercice démocratique. Les étudiant.e.s sont donc amenés à vivre des expériences de démarrage d’un groupe collaboratif afin de pouvoir l’analyser et le réinvestir dans d’autres contextes, en particulier en tant que personne formatrice.
- la robustesse. Transposée à la pédagogie, la robustesse est le concept à la fois le plus évident et le plus ardu. Rappelons qu’Olivier Hamant, nous invite à réfléchir, par analogie au vivant, à des environnements sous-optimaux, adaptables et redondants pour être solides. En pédagogie, la redondance est facile à intégrer, elle est même une des bases de l’apprentissage qui peut aisément se mettre en œuvre : répétitions y compris avec des modalités pédagogiques différentes, groupes travaillant sur des sujets similaires en parallèle, méthodes d’animation type word café… Elle est également partie prenante de la notion de stigmergie, tirée de l’observation de la coopération chez les insectes, que nous travaillons dans les modèles de gouvernance coopératives. Reste la question de la sous-optimalité, qui est au cœur de notre questionnement : nous sommes constitués par des environnements pensés pour être optimaux, optimisés et efficients. Comment mettre en œuvre dans nos dispositifs pédagogiques de l’alternance la lenteur, le vide, le bancal, l’ambigu, l’imparfait, l’inachevé, pour laisser de la place à l’autre, au hasard, à l’interprétation, à la rencontre, aux urgences qui peuvent faire irruption ?
Conclusion du chapitre “Traduction pédagogique”
Cette traduction pédagogique (détaillée en termes d’outils, de méthodes et des pratiques d’accompagnement ci dessous ) ainsi que le questionnement que sa mise en œuvre soulève sont l’apport principal de notre communication. Ainsi, nous pensons enrichir le regard porté sur des pratiques pédagogiques d’alternance en questionnant comment elles entrent en résonance avec des questions vives d’une société en transition.
Bibliographie
Bauman, Z. (2006). La société liquide. Rodez, Le Rouergue.
Berthier, S. & Péan, V. (2022). [L’envers du vivant] Être ce roseau qui ploie mais qui ne rompt pas…. Sesame, 11, 52-53.
Fassin, D. (2022). La Société qui vient : sous la direction de Didier Fassin. Seuil.
Hamant, O. ( 2022). La troisième voie du vivant. Odile Jacob.
Hamant, O. (2023). Antidote au culte de la performance : La robustesse du vivant. Dans : , O. Hamant, Antidote au culte de la performance : La robustesse du vivant (pp. 1-63). Paris : Gallimard.
Maubant, P., Gremion, C. (2022). Les configurations plurielles de la pédagogie de, par, en (l’)alternance. Phronesis, (1)1-2.
Ricaud, L. (2012). Coopération ouverte : du logiciel libre au matériel libre (en ligne) http://www.lilianricaud.com/travail-en-reseau/cooperation-ouverte-du-logiciel-libre-au-materiel-libre
Rosa, Hartmut. "Accélération. Une critique sociale du temps." Lectures, les livres (2010).
Sanojca, E. (2018). Les compétences collaboratives et leur développement en formation d’adultes. Le cas d’une formation hybride. Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation. Rennes, Université Rennes 2.
Sanojca, E. & Triby, E. (2022). La construction de la valeur par l’alternance. Phronesis, 11(1-2), 202–222. https://doi.org/10.7202/1087566a {{}}
Compléments sur la mise en oeuvre
Nous montrons comment cette double circulation se met en œuvre (outil, accompagnement).
1.1. Circulations (dans l’espace) de différents types de savoirs : issu des situations professionnelle et issus des savoirs “académiques
Utiliser des situations professionnelles dans le cadre de la formation pour expérimenter des outils et des postures
- Exemple 1 : Aider à l’analyse et à la résolution collective d’une situation problème à l’aide de la méthode de l’accélérateur de projet, pour travailler la posture d’écoute active et transformatrice
.
Chaque étudiant.e choisit une situation bloquante dans le cadre de sa mise en situation professionnelle. Le groupe se met au service de la personne qui expose pour l’aider à comprendre ce qui se passe et proposer des exemples similaires ou des pistes de solution.
Cela permet également rapidement au reste du groupe de comprendre les contextes professionnels des autres
- Exemple 2 : Les étudiant.e.s sont amenés à réaliser des déroulés d’animation d’atelier ou de formation en intelligence collective. Ils travaillent en sous-groupe sur des sujets réels de déroulés qu’ils auront à créer dans leur stage.
1.2. Transfert d’outils qu’ils sont amené à réutiliser directement dans leur contexte professionnel :
Les étudiant.e.s expérimentent des outils numériques et d’animation et des usages qu’ils peuvent réutiliser rapidement dans leur contexte professionnel
- Outils numériques libres et gratuits, notamment issus de la digitale : Pour évaluer (digiquizz), co-écrire : digidoc, framapad, créer des murs collaboratif (digipad)
- Des outils d’animation et de formation : cadre commun pour garantir le cadre de sécurité du groupe, entretien collectif pour recueillir les représentations, nombreuses activités d’interconnaissances, chapeaux de Bono pour analyser une situation, word café pour construire des connaissances commune sur un sujet, outils d’évaluation…
Pédagogiquement, la démarche utilisée est la suivante. Nous prenons ici des exemples d’outils numériques collaboratifs, mais la démarche est la même pour les outils d’animation.
- Faire utiliser les outils les plus simples possibles aux personnes participantes. S’assurer que tout le monde soit bien connecté à internet, à l’outils.
- Tester : dans la mesure du possible, utiliser une approche ludique, notamment pour les outils numériques. L’intention est que les personnes passent un bon moment, si possible joyeux pour la première exposition donne envie de réitérer l’expérience. Ex : Pour apprendre à co-écrire un texte, nous utilisons la méthode du cadavre exquis : une personne commence une histoire inventée et les autres complètent dans un document de co-écriture. Les histoires deviennent rapidement délirantes et surréalistes, ce qui crée beaucoup d’amusement.
- Avoir un temps d’analyse réflexif : que s’est-il passé pour vous, ce qui vous est facile, difficile ? Pouvez-vous vous rappeler quelles consignes je vous ai donné ? Pourquoi ? Quelles réutilisation possible dans votre contexte
- Apprendre à utiliser l’outil à son tour. Dans le cas de quiz, chaque personne crée un quiz dans la salle de formation, pour la co-écriture, chacun apprend à créer un pad, etc.
- L’outil est utilisé de nouveau mais dans un nouveau contexte. Ex : pour la co-écriture, les etudiant.e.s prennent des notes collectivement
- A la fin de la séance nous récapitulons ce que nous avons appris, testé, discuté
- Au début de la séance suivante nous nous remémorons ce que nous avons fait lors de la séance précédente
- Les fiches pratiques et tutoriels des outils sont disponibles de la plateforme de la formation pour pouvoir les retrouver et les réutiliser rapidement
- Les étudiants sont invités à tester les outils dans leur cadre professionnel, puis à faire des retours d’expérience. En cas de blocage ou de problème, nous pouvons revenir sur certains points, en termes de technique, de pédagogie, ..
⇒ ce qu’ils ont identifié dans leur évaluation comme éléments qu’ils pourraient mettre en oeuvre dans leur contexte professionnel.
1.2 Circulation (temporelle) des savoirs produits : productions d’une promotions transmises à la promotions suivante
– Agrégation de connaissances via une plateforme en ligne
– La plateforme en ligne collaborative, construite à l’aide du logiciel YesWiki permet de partager les ressources des personnes intervenantes ET étudiantes. En privilégiant les outils et ressources sous licences libres, nous favorisons leur circulation et réutilisation.
– Les productions, ressources et trombinoscopes de chaque promotion sont visibles par la promotion précédente.
– Le mode de classement des ressources ainsi que les filtres de recherches font l’objet d’une prise de décision de chaque promotion après quelques semaines d’utilisation.
Coopération : en pédagogie
(Coopérer) implique créer des liens pour construire volontairement une oeuvre collective (Déjour)
démarche : faire ensemble, échanges de pratiques, cadres commun, interconnaissance, dynamique de groupe, conditions de l’intelligence collective
La coopération ne se décrète pas, et ne s’apprend pas théoriquement. Elle se pratique comme un exercice démocratique. Les étudiant.e.s sont donc amenés à vivre des expériences de démarrage d’un groupe collaboratif afin de pouvoir l’analyser et le réinvestir dans d’autres contextes, en particulier en tant que personne formatrice.
Robustesse : sortir de la performance, être au plus proche de leur réel
ici juste quelques notes
– Le vivant n’est pas performant, il est là pour exister, durer…
– on ne sait pas encore
– pas le meilleurs résultat qui compte (pas la performance) penser le dispositif
– Ecoute des besoins
– Aptes à être connectés aux autres
– Question du soin
– Recours à une autorité, recours au tiers, règlement des conflits…
– Recours à la conscience de faire partie d’une communauté
– Cohérence interne, cohérence pédagogique entre ce je dis, ce que je fais
– Redondance : c’est pas grave si on se répète. Exemple : A la fac Moodle/ Dans le cours YesWiki/ Pad…
– Montrer que plusieurs voies sont possibles en fonction du contexte.⇒ Avantages
⇒ Conditions de la réutilisation et de la circularité : licences libres, partage sincère, sécurité et dynamique de groupe : cadre commun, interconnaissance, accord de groupe, tiers autorité
⇒ Inconvénient ou limites de cette pédagogie :
– Peut-être déroutant pour les apprenants : ex de la redondance au début il sont paumés avec l’abondance
– Conditions pour que la pédagogie fonctionne
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- Redondance
- Ecoute active et écoute transformatrice
- Accords de groupes
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