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Le design thinking, de Stanford à l’école primaire française

Un article repris de http://theconversation.com/le-desig...

Utilisation des méthodes du Design Thinking dans une école primaire à Londres (Rosendale Primary School). Ewan McIntosh, CC BY-NC

Cet article est le fruit d’une collaboration avec Frédérique Vayssac, Professeure des écoles à Lyon et Flavien Chervet, Président Exoflow et ancien étudiant IDEA (emlyon/Ecole Centrale).


Le design thinking, méthode d’innovation déjà ancienne, a fait irruption dans les entreprises de façon récente, en réponse à l’impératif d’innovation généralisée. Issue de l’université de Stanford, et plus particulièrement de son école de Design, la D.School, la démarche est restée limitée dans les années 60 aux milieux confidentiels du design industriel. Les ouvrages de Peter Rowe et de Tim Brown ont popularisé, et ouvert à d’autres univers, cette approche créative, collaborative et itérative.

Expérience utilisateur

Pour faire simple, le design thinking permet de passer d’une logique d’innovation limitée au seul produit, ou service, à la prise en compte de l’expérience utilisateur, sous forme d’usage rationnel et émotionnel. Il s’agit moins d’inventer de nouveaux produits ou services que de concevoir l’expérience que vit l’utilisateur. La désirabilité (dimension de l’usage) accompagne la faisabilité (dimension technique) et la viabilité (dimension économique et business). Le design thinking accorde une importance majeure à l’étude de terrain, via l’observation ethnographique et empathique pour comprendre, de l’intérieur, le vécu des expériences utilisateurs et partir de ces informations pour créer des produits/services nouveaux.

Aujourd’hui, le design thinking est abondamment mobilisé par les entreprises. Il est enseigné dans les universités et grandes écoles (d.School de l’École des Ponts, Strate École de Design à Sèvres, programme IDEA de EM Lyon Business School et Centrale Lyon…).

Utilisation des méthodes du design thinking dans une école primaire à Londres (Rosendale Primary School). Questions… et si ? Ewan McIntosh, CC BY-NC

Le design thinking est-il soluble dans l’Éducation nationale ?

Qu’en est-il de l’Éducation nationale ? Voilà un monde confronté à d’immenses enjeux de transformation et d’innovation, d’autant plus critiques que sa mission est d’apporter les premières expériences d’apprentissage aux futurs citoyens-acteurs pour les préparer à affronter le monde complexe de demain. Plutôt que de longs discours, laissons la parole à une enseignante de terrain, Frédérique. Elle témoigne que la distance entre Stanford et Craponne, banlieue de Lyon, n’est pas aussi grande qu’on pourrait le croire.

« Je suis enseignante à l’école primaire publique La Gatolière de Craponne, tout près de Lyon. Je m’occupe d’une classe de CP-CE1. Mon mari qui travaille dans une grande entreprise de service m’a souvent parlé du design thinking et suggéré de lire les publications de l’université de Stanford, notamment les cartes-outils de la d.School. Nous devions rédiger le projet d’école, un rituel pour toutes les écoles françaises, qui va guider nos actions pour les trois années à venir. Pour notre parcours de réussite scolaire, nous avons décidé de travailler la résolution de problèmes de mathématiques car c’est là où nos élèves se montrent moins performants. J’ai réussi à convaincre mes collègues d’aborder cet axe par la démarche de design thinking. Nous avons interrogé un panel d’élèves de chaque classe, certains en réussite en résolution de problèmes et d’autres en difficulté, pour définir nos “
personas”. »

Frédérique s’est documentée et a reçu le soutien de Flavien Chervet, un étudiant du programme IDEA de l’EM Lyon/École Centrale. Flavien a accompagné l’équipe pédagogique sur les premières phases de la méthode, afin de les aider à comprendre les tenants et aboutissants de cette façon de travailler, mais aussi de les amener à rompre avec leurs habitudes et à oser une pensée plus créative. Il dit avoir été « étonné par l’engouement de l’équipe, ainsi que par la vitesse et la pertinence avec laquelle les enseignants se sont appropriés ces nouveaux outils. »

Les cinq étapes du design thinking et leur application

  • empathise : interview d’un panel d’élèves, soit en réussite, soit en difficulté lors de la résolution de problèmes, dans les classes du CE1 au CM2. Mise en place de tableaux sous forme de post-it : ce que les élèves disent/pensent/font/ressentent.

  • define : analyse des Post-it pour définir des profils d’élèves (en difficulté/en réussite) et identifier les problématiques que révèlent leurs réponses.

  • ideate : recherche de solutions sur les problématiques définies en phase 2. Cette étape est enrichie par les points de vue d’autres parties prenantes : intervenants non enseignants, parents, psychologues…

  • prototype : mise en place de solutions (prototypes) retenues suite aux interviews des élèves et à la phase d’idéation.

  • test : réalisation de nouvelles interviews d’élèves pour réajuster et affiner les solutions.

Plusieurs problématiques ont émergé à partir des réponses des élèves. Comment amener les élèves à se faire une représentation des problèmes ? Comment les faire passer du hasard à un choix réfléchi lors du traitement des données ? Comment faire de la résolution de problèmes un moment de plaisir de chercher ? Et l’erreur, comment la dédramatiser ? Chaque problématique a donné lieu à des séances d’idéation pour identifier les premières pistes de solutions sous forme de cartes mentales.

SMILE

Frédérique poursuit :

« Nous avons mis en place un premier prototype sous forme de séquence pédagogique ludique et collaborative, au cours de laquelle les élèves n’ont plus de problème à résoudre, mais des SMILE (situations mathématiques innovantes, libérés des erreurs) à partager. Le simple fait de remplacer le mot « problème » par SMILE a changé les représentations et levé des blocages. Ma classe a fait des SMILE à partir d’œuvres de Vasarely et de Delaunay pour construire notions et vocabulaire géométriques. Après des jeux de devinettes à partir d’œuvres de Vasarely, des écritures de textes pour décrire des tableaux de Delaunay, les élèves ont créé des SMILE. Il s’agissait de réaliser par équipe des petits tableaux en utilisant des formes géométriques et en réinvestissant le vocabulaire vu précédemment. Les CP collaient des gommettes et les CE1 devaient tracer au compas. Il fallait ensuite écrire un texte décrivant le tableau précisément, en utilisant des « mots de géométrie » pour que les autres puissent le retrouver. Nous avons informé les parents de cette expérience, visant à apprendre autrement, par le jeu, l’analogie artistique et l’échange, par les autres et avec les autres. »

Réduire les blocages

« Si nous manquons encore de recul pour dire si les performances en résolution de problèmes sont meilleures du fait de l’utilisation du design thinking, nous pouvons d’ores et déjà noter plusieurs points intéressants. Nous avons beaucoup apprécié cette nouvelle manière de travailler et les échanges avec Flavien, son regard nouveau et extérieur à l’école. Durant les interviews des élèves, nous avons eu des retours très intéressants qui nous ont amenés à dépasser le seul enjeu des mathématiques pour adresser les questions de confiance en soi, de statut de l’erreur et de blocages par rapport face à toute question posée sous la forme d’un problème à résoudre. »

Le premier prototype testé a réduit les blocages de certains élèves en difficulté. Les énoncés produits par les élèves étaient plus proches de leurs préoccupations sans être simplistes. Spontanément, beaucoup nous ont fait part du plaisir qu’ils avaient eu à écrire ou à résoudre des problèmes. Un vrai changement de posture !

Démocratiser l’innovation

Cette histoire est porteuse d’espoir à plusieurs égards. Elle montre que la volonté et l’envie d’innover n’ont pas de frontières ni de limites. Elle démontre également que des démarches apparemment sophistiquées peuvent se comprendre et s’utiliser simplement, avec des impacts évidents dans tous les secteurs.

Prenons garde à ne pas limiter à de soi-disant élites des méthodes et outils qui contribuent à démocratiser l’innovation au plus près des usages, réveillant l’énergie créatrice qui sommeille en chacun de nous. Pour Flavien,

« Le design thinking encadre un bon sens souvent oublié. Des réflexes comme l’empathie, l’écoute et l’observation sur le terrain, ou les cycles d’essais-erreurs, paraissent évidents dès qu’on les mentionne. Pourtant ils sont souvent négligés dans la gestion de projet, encore trop souvent marquée par des décennies de rationalisation qui, à force d’élaguer la créativité, le rêve, la folie, bref, la subjectivité, ont privé l’être humain de ses meilleures armes. Mais lorsqu’il trouve des espaces d’expression pour cette subjectivité, il s’y engouffre avec joie. »

Si vous passez un jour devant l’école Primaire de la Gatolière de Craponne, vous y verrez des Post-it affichés au mur, des enseignants qui écoutent leurs classes, les SMILE des élèves et l’ombre d’EM Lyon et de l’université de Standford. Ça vaut le détour !

Groupe scolaire de la Gatolière.

The Conversation

Thierry Picq ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.

Licence : CC by-nd

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