Entre contraintes budgétaires, contraintes matérielles et géographiques, il n’est pas simple pour les étudiants de s’alimenter sainement. Comment changer la donne et prendre de bonnes habitudes ? Retour sur une enquête de terrain auprès de jeunes, de collectivités et d’acteurs du monde universitaire.
À chaque rentrée universitaire, nombreux sont les étudiants quittant le domicile familial pour se rapprocher de leur université ou de leur école.
Si cette décohabitation ne va pas forcément de pair avec une autonomie financière et s’opère de façon progressive, elle suppose de gérer son alimentation de façon indépendante. L’enjeu est majeur, avec un impact à court terme sur leurs performances académiques et à plus long terme sur leur santé.
Dans un environnement favorisant l’accès à la malbouffe, comment réussir à manger sainement quand on est étudiant ? À partir d’entretiens menés auprès d’étudiants décohabitants, de professionnels du territoire et du CROUS ainsi que des observations de terrain au sein d’une ville étudiante, voici quelques éléments de réponse.
Bien s’alimenter quand on est étudiant, un chemin semé d’embuches
Les contraintes des étudiants pour bien s’alimenter sont nombreuses.
Celles d’ordre financier ne cessent de croître, ce qui mène une partie d’entre eux à réduire les dépenses alimentaires, voire à recourir à l’aide alimentaire.
Les contraintes sont également géographiques et temporelles, les deux étant liées. En l’absence d’une offre répondant à leurs attentes et à leur budget, les étudiants sont amenés à chercher des magasins souvent éloignés. Les trajets pour se rendre dans le commerce alimentaire de leur choix peuvent être longs (en distance et en temps) et demander une organisation compliquée (covoiturage, transports en commun). L’accès à des transports en commun efficaces devient primordial, surtout pour ceux ne disposant pas de véhicule.
À lire aussi : Comment l’université peut aider les étudiants à mieux s’alimenter
De plus, les contraintes matérielles (petit frigo, cuisine réduite au strict minimum, manque de place de stockage) incitent les étudiants à limiter les achats d’aliments frais et à augmenter la fréquence des courses. Enfin, les contraintes sont également cognitives. Certains étudiants déclarent en effet manquer de connaissances pour distinguer un produit sain d’un produit qui l’est moins.
Pour limiter ces contraintes, l’idéal consisterait à disposer d’une offre de produits sains à proximité. Or, les quartiers étudiants correspondent souvent à des zones géographiques où les fast-foods et commerces alimentaires d’appoint sans fruits et légumes se trouvent en surnombre par rapport à l’offre saine. On parle à ce sujet de bourbiers alimentaires.
Les quartiers étudiants, une allure de bourbier alimentaire
Notre étude s’est intéressée à l’offre alimentaire située dans un rayon de 15 minutes à pied autour du domicile des étudiants interviewés. Nous avons d’une part recensé et observé les lieux existants. Et nous avons, d’autre part, interrogé les étudiants afin d’évaluer leurs perceptions et leurs comportements alimentaires.
Seuls les restaurants universitaires sont perçus comme offrant des repas équilibrés à un prix abordable dans leur environnement proche. Cependant, les files d’attente qui s’allongent depuis la mise en place du repas à 1€ pour les boursiers complexifient leur accès.
La restauration hors domicile est-elle composée essentiellement de fast-foods (burger, kebab, pizza, sandwicheries, tacos, etc.) ou de rares restaurants plus traditionnels peu adaptés au budget des étudiants. En outre, peu d’universités proposent des salles où les étudiants pourraient apporter leurs repas faits maison. Toutes ces conditions les poussent à se tourner vers les offres alimentaires peu saines qui se multiplient dans leurs quartiers et autour des universités.
Concernant les courses, les étudiants associent les petits magasins à des prix élevés. Si, dans certains cas, leurs perceptions sont largement fondées, elles peuvent être aussi exagérées. Les observations confirment que les alternatives saines et abordables autour des campus ne sont pas faciles à découvrir. Les petites enseignes et les commerces spécialisés comme les boucheries proches des résidences étudiantes sont alors systématiquement évités, ou réservés aux courses très ponctuelles. Les « grosses courses » sont réalisées de façon hebdomadaire ou mensuelle dans les enseignes plus éloignées (discounter ou hypermarché).
Il ressort des entretiens une méconnaissance des étudiants au sujet des circuits courts et marchés de plein air. S’ils en connaissent les principes, ils n’ont pas identifié comment s’y rendre concrètement, alors qu’il en existe un certain nombre dans les quartiers étudiés.
Aussi, les étudiants désirant s’alimenter de façon saine en toute autonomie doivent faire l’effort et prendre le temps d’explorer leur quartier.
Pour bien manger en étant autonome, une solution : Explorer sa ville !
Notre étude a permis d’identifier quatre profils étudiants différents selon deux aspects : l’intérêt porté à l’alimentation saine (et les savoir-faire et savoirs qu’ils ont acquis à ce sujet) et l’intérêt porté à la ville (et la connaissance qu’ils en ont développée en termes d’organisation, de transport, d’offres). Chaque profil est associé à une stratégie principale d’approvisionnement alimentaire.
Les stratégies mises en place sont bien sûr liées à d’autres facteurs, celui du budget des étudiants étant primordial. Dans notre enquête, les étudiants s’appuyant essentiellement sur l’aide alimentaire et les repas du CROUS cherchent avant tout à limiter leurs dépenses. Pour la plupart d’entre eux, c’est parce qu’ils vivent une situation de précarité. Pour une autre part, il s’agit de limiter les dépenses alimentaires afin de s’octroyer d’autres plaisirs dans un domaine qui les intéresse davantage.
L’éloignement parental est un autre facteur important, car ne peuvent bénéficier d’un approvisionnement parental que les étudiants rentrant régulièrement au foyer familial. Les parents, en apportant les courses et en fournissant les boîtes hermétiques pour la semaine, permettent certes à leur progéniture de s’alimenter correctement, mais entravent de fait son autonomie alimentaire.
Il n’est donc pas facile pour les étudiants décohabitants d’accéder à une alimentation saine. En dehors d’un approvisionnement familial récurrent, il leur faut fournir des efforts pour acquérir à la fois des savoirs et savoir-faire liés à l’alimentation, mais aussi à la ville d’études.
Comment faire pour que les étudiants mangent mieux dans leur ville d’études ?
Les villes, qui bénéficient de la présence des étudiants sur leur territoire, doivent aujourd’hui réfléchir et agir pour répondre à leurs besoins. Des diagnostics de l’offre alimentaire au sein des quartiers étudiants permettraient, par les données collectées, de cibler des actions à réaliser auprès des gérants de commerce alimentaire comme des sensibilisations à l’alimentation saine, des formations en marketing pour améliorer leur connaissance de la cible étudiante ainsi que des accompagnements pour les aider à promouvoir des choix sains (incitations financières, supports visuels) auprès des étudiants.
Les circuits courts et les marchés de plein air devraient aussi faire l’objet d’une communication afin de gagner en lisibilité auprès des étudiants. Une journée d’accueil des nouveaux étudiants dans la ville pourrait être organisée pour communiquer sur « les bons plans pour manger sainement » avec, à la clé, un coup de pouce financier sous forme de réduction ou de bon d’achat.
À lire aussi : Rechercher un logement : les étudiants face aux inégalités
Les trajectoires des étudiants dans les villes doivent également être étudiées pour identifier les lieux de passage principaux (arrêt de tram ou bus, etc.) et y implanter des points de vente nomades afin de routiniser l’achat de fruits et légumes, de soupes, jus frais ou salades au lieu du snacking. Au-delà, c’est l’agréabilité des quartiers étudiants qui doit aussi être globalement repensée afin que les achats alimentaires y soient réalisés facilement, avec plaisir, dans le cadre de leurs déplacements quotidiens.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
Aux étudiants, nous conseillons d’explorer au plus tôt leur quartier et leur ville afin de repérer les options d’alimentation saine. Les sites web et applications des villes leur permettront de repérer les marchés, épiceries bios et événements locaux en lien avec l’alimentation saine. La page Instagram de la ville devrait aussi regorger d’un tas d’informations leur permettant de se familiariser avec l’offre alimentaire. Le bureau de la vie étudiante de l’université, ainsi que les associations relatives à la transition écologique, sont aussi des ressources importantes pour leur permettre de connaître les aides à l’adoption d’une alimentation saine et abordable.
Enfin, lorsque certains d’entre eux seront devenus totalement autonomes, ils pourront jouer un rôle d’ambassadeur en partageant avec leurs camarades les bons plans pour s’alimenter sainement. Finalement, après quelques mois d’entraînement, ils auront développé des compétences cruciales comme la gestion de budget, la prise de décision, le sens de l’organisation ainsi qu’un soupçon de créativité.
Karine Garcia est membre de la chaire Cit.Us sur les usages et pratiques de la ville intelligente.
Andréa Gourmelen est membre de l’association française du marketing et de la chaire Cit.Us sur les usages et pratiques de la ville intelligente
Angélique RODHAIN est co-fondatrice de la Chaire EcoCirculab et membre de la Chaire CitUs sur les usages et pratiques de la ville intelligente
Josselin Masson est membre de la chaire Cit.Us sur les usages et pratiques de la ville intelligente.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |