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Faut-il forcément faire cours en anglais pour internationaliser les formations ?

Un article repris de https://theconversation.com/faut-il...

Le 12 janvier 2024, Emmanuel Macron prononce un discours en anglais à l’Université Humboldt de Berlin invoquant une « facilité » et le besoin de se faire « comprendre ». Ce choix a provoqué des réactions fortes, notamment de l’Observatoire européen du plurilinguisme qui y note que le contexte imposait d’autres choix (le français ou l’allemand par exemple).

La Journée européenne des langues qui se tient en septembre chaque année est l’occasion de se poser la question du rôle de l’anglais mais surtout des autres langues dans l’internationalisation des formations.

Pour attirer des candidats du monde entier et offrir à leurs étudiants des tremplins vers des carrières à l’étranger, de plus en plus de cursus supérieurs intègrent des cours en anglais. Mais décliner des formations dans cette langue revient-il à les internationaliser ? Qu’apporte la maîtrise d’autres langues étrangères ?

L’anglicisation des formations : une fausse bonne idée ?

Quand on pense l’internationalisation des formations, il est souvent question de permettre aux étudiants de faire des séjours à l’étranger dans le cadre de programmes comme ERASMUS mais aussi de leur dispenser des cours en anglais. L’« English as a Medium of Instruction » (anglais comme langue d’enseignement) est ainsi souvent perçu comme la solution pour internationaliser les formations.

Dans beaucoup d’universités françaises, il s’agit souvent de la seule langue étrangère proposée aux étudiants. En 2020, Emmanuel Macron avait d’ailleurs souhaité la mise en place d’une certification obligatoire en anglais par un prestataire privé en fin de licence. Deux ans plus tard, le décret a été annulé par le Conseil d’État, non directement pour des questions de politiques linguistiques, mais parce qu’il était impossible de conditionner la délivrance des diplômes à des organismes privés.

Plus largement, comme le souligne François Grin, professeur à l’université de Genève, l’internationalisation est très régulièrement confondue avec anglicisation dans les pays traditionnellement non anglophones. Les représentations qui conduisent à cette mise en avant de la langue anglaise sont multiples : faciliter les échanges et les coopérations, rendre plus attractifs les établissements, attirer plus d’étudiants et contribuer à la circulation de connaissances scientifiques. Toutefois, ces effets potentiellement positifs à court terme sont susceptibles de provoquer des contreparties négatives à plus long terme qui font débat.

L’université en anglais : soft power ou menace pour le français ? (France Culture, 2018).

Pierre Frath, professeur en linguistique anglaise, précise quelques-uns de ces effets. L’usage dominant de l’anglais dans la recherche scientifique uniformise les façons de dire au détriment des façons de penser, affaiblissant ainsi l’influence internationale de la recherche francophone, par exemple. Sur le plan des enseignements, Claude Truchot, professeur émérite à l’Université de Strasbourg, souligne l’inévitable perte disciplinaire provoquée par une homogénéisation et une standardisation des enseignements au niveau européen. Peut-on enseigner de la même manière l’histoire française en anglais ?

Plusieurs pays, comme la Belgique, les Pays-Bas ou la Suède, ont fait marche arrière sur l’hyper-anglicisation des cours à l’université en supprimant ceux donnés en anglais et en redonnant une place à la langue première du pays.

La diversité linguistique sur le marché du travail

Si les établissements d’enseignement supérieur veulent s’emparer de la question de l’internationalisation, l’option du plurilinguisme semble la plus pertinente. François Grin, qui s’intéresse à l’économie des langues, a pu montrer qu’en Suisse, la maitrise des langues étrangères est rémunératrice (l’anglais notamment en Suisse alémanique), protège contre le licenciement et est considérée comme un facteur de production. La Suisse étant officiellement multilingue, l’application de ses données au contexte français est délicate, en l’absence de base de données suffisamment détaillée, mais elle précise une tendance.

De plus, la maîtrise de l’anglais étant considérée comme un acquis par les recruteurs, la connaissance d’une seconde ou troisième langue constitue un atout différenciant sur un CV. Cette compétence supplémentaire permet aux candidats de se démarquer à qualifications égales, offrant plus d’opportunités d’emploi et de progression de carrière. Les profils multilingues peuvent également espérer un salaire plus élevé.

L’allemand serait ainsi assez recherché sur le marché de l’emploi français. L’espagnol n’est pas en reste. Le Groupe d’étude et de recherche en espagnol de spécialité (GERES) précise les avantages de maitriser cette langue pour se préparer à rentrer dans la vie active. Le 1er baromètre des affaires des entreprises françaises en Espagne montre la vitalité des échanges commerciaux avec la péninsule ibérique.

En dehors d’une vision ultralibérale, les défenseurs d’une compétence plurilingue et pluriculturelle soulignent qu’apprendre une langue, c’est surtout un processus de construction de soi. L’éveil aux langues dès le plus jeune âge est « un outil pour travailler la différence ». Pour Jean-Paul Narcy-Combes et Claire Chaplier, en vivant des expériences pluriculturelles, les individus réagissent transculturellement (c’est-à-dire que les différentes cultures interagissent et se transforment mutuellement tout en préservant certaines spécificités). Ces compétences favorisent le vivre ensemble.

La Lorraine : un cas particulier sur les langues

La Lorraine est un cas intéressant notamment du fait de ses frontières avec 3 pays : la Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne. La situation linguistique régionale de ce territoire impose une sensibilité accrue sur ces questions. Sur le plan éducatif, l’Académie de Nancy-Metz et l’Université de Lorraine proposent un maillage de mesures visant à soutenir le franco-allemand mais aussi les autres langues.

Cependant, comme les autres universités, l’établissement fait face au choix massif de l’anglais par ses étudiants, ce qui pose des problèmes sur l’impact réel de ces politiques. En l’occurrence, les futurs professeurs des écoles hésitent à se lancer en allemand alors que l’académie soutient une introduction de l’allemand en cycle 3 (CM1 et CM2).

Les politiques linguistiques ont donc un rôle crucial. L’Université de Lorraine a été pionnière en créant, en 2014, la première composante à part entière pour les LANgues pour les Spécialistes d’Autres Disciplines (LANSAD). S’inspirant des travaux du chercheur Henri Holec sur l’autodirection, elle propose aux étudiants de l’Université de Lorraine un ensemble d’actions et de ressources. Edolang est une plate-forme originale permettant aux étudiants d’individualiser leur apprentissage en choisissant eux-mêmes les ressources qu’ils consultent, la fréquence de rencontres avec un tuteur ou la participation à des ateliers de langues.

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Plus récemment, l’institut de formation des enseignants (l’INSPÉ de Lorraine) s’est engagé dans un processus de création symbolique d’une Maison pour les langues en Lorraine. Ce type de structure vise à participer au tissage régional d’opportunités de formation tout au long de la vie des enseignants du primaire comme du secondaire sur les langues. On peut citer par exemple l’invitation d’artistes du Préau – une galerie d’art contemporain – à l’INSPÉ de Lorraine – pour animer des actions sur les langues à destination de classes de primaire de la région.

Internationaliser n’est donc pas angliciser. Pour ce faire, il est nécessaire que les institutions se dotent d’une politique des langues construite à partir de la recherche et adaptée aux spécificités de son territoire. Si des effets à court terme sont possibles, elle sera d’autant plus efficace qu’elle pensera un calendrier sur le temps long.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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