Dans The Conversation France du 17 octobre 2017, Sylvie Lacoste pose la question : « Les écoles de commerce doivent-elles devenir des entreprises comme les autres ? ». L’article qui suit est un argumentaire en faveur d’une réponse positive. Jean‑François Fiorina, directeur adjoint de Grenoble Ecole de Management reprend la formule sur son blog (26 et 31 octobre 2017), en précisant que les écoles sont des entreprises « de service aux entreprises ». L’une et l’autre présentent cette position comme une évidence, valable pour toutes les écoles de gestion, ce qui escamote le débat.
Pour en poser les termes, il faut prendre un peu de recul. Si des écoles de gestion peuvent adopter le modèle de l’« entreprise », il faut rappeler que c’est un choix parmi d’autres. Malheureusement le statut juridique de l’établissement informe mal le public sur sa mission sociale. Pourtant, chaque école devrait assumer publiquement ses choix institutionnels.
Des écoles de gestion victimes de l’idéologie gestionnaire
Quelle est la mission d’une institution d’enseignement supérieur ? La question se pose a fortiori si elle délivre une formation professionnelle. L’institution, les enseignants, sont-ils en priorité au service de l’étudiant ou à celui de l’entreprise, employeuse future de celui-ci ?
Les écoles qui se revendiquent comme « entreprises » se conforment, consciemment ou non, à une « idéologie gestionnaire » qui consiste à appliquer le modèle de l’entreprise à toutes les organisations, donc à elles-mêmes. Encore faudrait-il analyser les implications d’une telle représentation. Si l’école est une « entreprise de service », sa mission première est de fournir aux entreprises une « ressource humaine » conforme à leurs attentes. Les étudiants sont implicitement considérés comme une matière première, pas comme les sujets libres et responsables de leur propre développement.
Le modèle de l’entreprise peut donc être, selon les cas, l’expression de la logique d’une institution qui a choisi de s’y conformer ou une métaphore inadaptée pour désigner une école qui ne relève pas de cette logique.
Car le modèle de l’école est bien plus ancien que celui de l’entreprise moderne. Depuis des siècles et dans tous les pays, le cœur du cœur de toute institution d’enseignement supérieur est la relation de partenariat entre les enseignants et les étudiants, ces derniers étant coproducteurs de leur propre développement. Il est révélateur du concept d’école-entreprise promue par J.-F. Fiorina, que celui-ci considère que dans la « gouvernance élargie » d’une telle école doivent figurer les étudiants, les diplômés et les entreprises, en oubliant les enseignants.
Bien entendu il ne s’agit pas d’opposer de façon simpliste deux types d’institutions, l’école-entreprise et l’école-école. Et une « école-école » doit, elle aussi, faire l’objet d’une gestion efficace. La question est d’identifier clairement la mission sociale qui sous-tend la stratégie et le fonctionnement d’une école. La réalité observable est celle d’un continuum entre deux extrêmes, selon le poids donné respectivement à l’objectif de service à l’entreprise et à l’idéal de développement de la personne.
En bonne logique, le statut juridique devrait informer les parties prenantes sur les missions et les logiques d’action des différents types d’écoles.
Malheureusement, cette information est très imprécise.
Le statut juridique informe mal sur la mission des écoles
La liberté de l’enseignement est une des bases de la République. Mirabeau a même plaidé, devant la Convention, que tout homme devait avoir le droit d’enseigner ce qu’il savait et… ce qu’il ne savait pas. Il résulte de cette tradition une grande variété dans les statuts juridiques des écoles et formations de management :
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Les composantes d’universités ou de grands établissements, consacrées totalement ou partiellement à la gestion
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Les IAE, composantes dérogatoires des universités
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L’IAE de Paris, établissement de plein droit
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Les écoles sous statut de service de chambres consulaires, établissements publics
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Les écoles sous le statut d’« Établissement d’enseignement supérieur consulaire » (EESC), sorte de société anonyme sans dividendes (loi du 20 décembre 2014).
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Les écoles sous statut de syndicats mixtes
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Les écoles sous statut de société commerciale
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Les écoles dotées du label d’« Établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général » (décret du 18 juin 2014 relatif aux EESPIG et au Comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé).
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Les écoles sous statut d’association,
Or, ces statuts ne donnent pas une information fiable sur l’éthique et la logique d’action d’une école en particulier. Le cas le plus flagrant est le statut d’association, derrière lequel se trouvent, selon les cas, des écoles sans but lucratif, des établissements consulaires, donc publics et des entreprises à but lucratif.
L’ambiguïté touche également certains établissements publics qui sont gérés « comme des entreprises », conformément à l’« idéologie gestionnaire ». Inversement, des établissements privés ont négocié avec le ministère de l’Enseignement supérieur une reconnaissance de leur rôle « d’intérêt général ».
Face à cette confusion, est-il possible de mieux informer sur les valeurs qui sous-tendent l’action des écoles ?
Des choix institutionnels qui devraient être assumés publiquement
Comprendre quelle est la mission sociale d’un établissement est un enjeu crucial pour les parties prenantes.
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Pour les candidats et étudiants qui sont en droit de savoir selon quelle logique et quelle éthique ils vont être traités.
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Pour les enseignants, qui doivent comprendre la vraie nature de leur engagement dans telle ou telle institution.
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Pour les entreprises, comme employeurs, mais aussi comme partenaires des établissements en matière de formation ou de recherche.
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Pour les autorités publiques, sollicitées pour financer des investissements.
Or, face à ce besoin de transparence, le ministère, les instances d’accréditation nationales et internationales, ainsi que les auteurs de classements, qui se perdent parfois dans des détails, ne cherchent pas à identifier clairement la mission sociale de l’établissement, qui pourtant justifie et donne du sens à son fonctionnement.
Cette question constitue un défi méthodologique auquel devraient s’atteler, entre autres, la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG) et le nouveau Comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé qui devra bien définir ce qu’est une école d’« intérêt général ». Les réflexions de ces instances seront alimentées par la jurisprudence qui ne manquera pas de s’établir au sujet des nouveaux statuts créés en 2014.
En attendant la production de critères permettant une clarification, le modèle de l’école-entreprise doit être regardé pour ce qu’il est, un choix, pas une évidence.
Jean-Pierre Nioche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.
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