À première vue, l’enquête d’insertion présentée le 19 juin dernier par la Conférence des grandes écoles (CGE) offre de multiples raisons de se réjouir. Portant sur les trois dernières promotions de ses 176 écoles, elle révèle que 9 diplômés sur 10 issus de ses rangs sont en activité moins de six mois après la fin de leur formation. Mieux, 62 % des jeunes ont été embauchés avant même d’avoir décroché leur diplôme. Mais derrière ce taux « jamais atteint » jusqu’ici, d’autres résultats jettent une ombre au tableau : ceux des poursuites d’études en thèse.
Alors que le doctorat est considéré comme une formation d’élite dans le monde entier, seuls 6,5 % des ingénieurs de la promotion 2017 se sont inscrits en thèse après leur programme « grande école ». Un chiffre qui chute à 0,2 % en ce qui concerne les diplômés en management. Si, dans les Grandes Écoles, ce sont bien les élites qui sont formées, pourquoi leurs diplômés sont-ils les grands absents du doctorat ? Comment expliquer que les jeunes managers ne voient pas la thèse comme un tremplin pour leur carrière ? Les réponses seraient à chercher tant du côté d’une méconnaissance de la recherche que des enjeux financiers et d’un monde du travail attractif.
A bac+5, un ancrage pratique
Devant former des généralistes rapidement opérationnels à leur entrée sur le marché du travail, les écoles de management délivrent une formation souvent plus pratique que théorique. Cela ne permet pas aux étudiants de prendre conscience des riches développements que peut offrir la recherche en sciences de gestion, alors même que cette dimension les intéresserait. C’est d’ailleurs un point que relèvent de nombreux élèves issus de classes préparatoires : après deux années très intenses, ponctuées de culture générale et de dissertations, ils peuvent être très surpris par le caractère plus appliqué des cours en école.
La méconnaissance des perspectives ouvertes par une thèse repose aussi sur une question d’organisation très concrète : les écoles proposent peu de programmes doctoraux, et encore moins de doubles diplômes avec des masters « recherche » à l’université. Malgré une recherche très active dans leurs équipes, seules quelques écoles comme Grenoble École de Management, EM Lyon, ESSEC, ESCP, HEC ont aujourd’hui un programme de doctorat. Et, souvent, elles ne le promeuvent pas auprès de leurs propres étudiants. En effet, le PhD étant un programme extrêmement coûteux, les promotions restent de toute petite taille. Or elles reçoivent déjà de nombreuses candidatures internationales, comme l’a montré une enquête de la FNEGE, publiée en 2017.
Une pression financière
Puis il faut compter avec des frais de scolarité en hausse constante. Investir plusieurs dizaines de milliers d’euros dans une formation est une décision qui peut se répercuter sur les premiers choix de carrière. À court terme l’écart de rémunération entre une thèse académique (bourse de thèse classique) et un premier emploi est considérable, et dans certains cas, inenvisageable si le/la diplômé·e a besoin de rembourser tout de suite un prêt bancaire. Ainsi, d’après l’enquête de la CGE, le salaire brut moyen des managers (hors prime, en France, avec le statut-cadre) de la promotion 2017 est de 35 887 contre 30 115 euros pour ceux qui ont choisi une thèse CIFRE (ou « conventions industrielles de formation par la recherche » – un dispositif de thèse associant entreprises et laboratoires publics), et seulement de 22 835 euros pour les thèses académiques.
À long terme, les salaires des docteurs en management sont assez méconnus et d’ailleurs sans aucun doute très variables selon les secteurs, en école ou en entreprise, en France ou à l’international. Pour un professeur des universités, la rémunération mensuelle (traitement de base auquel s’ajoutent diverses indemnités) est en début de carrière de 3 102,14 euros, et en dernier échelon de la classe exceptionnelle 6 204,29 euros.
Pour les écoles de Management, chaque établissement est libre de pratiquer les salaires qu’il souhaite et ces données ne sont pas publiques. Un assistant professor (premier niveau dans les grandes écoles) avec des publications internationales dans un établissement accrédité AACSB peut se voir proposer un salaire entre 45 000 et 65 000 euros brut annuel. L’étude annuelle de l’AACSB donne une vision globale et internationale : le salaire médian d’un assistant professor est de 117 000 dollars. Mais ce chiffre est un chiffre agrégé, ne différenciant pas les USA de la France où le coût de la vie et les différents systèmes de compensation (par exemple les mutuelles) sont difficilement comparables.
Un besoin d’expérience en entreprise
Enfin il ne faut pas sous-estimer l’envie qu’ont les diplômés d’école de management d’entrer dans la vie active : entre 24 et 27 ans, ils sont nombreux à vouloir en finir avec leur vie étudiante et construire une expérience solide. Comme le montre l’étude de la CGE, 8 diplômés sur 10 de la promotion 2017 sont en CDI dans l’année suivante leur diplôme. Leurs deux premiers critères de choix sont le contenu du poste proposé et l’adéquation avec un projet professionnel.
C’est aussi peut-être une caractéristique importante liée au management au sens large : la pratique est un rite de passage, que cela soit en finance de marché ou dans les fonctions commerciales. La confrontation avec le terrain est nécessaire pour mieux intégrer les savoirs et mettre en perspective la théorie avant éventuellement de se lancer dans une thèse. Si l’envie d’apprendre par la recherche revient ultérieurement dans la carrière de ces diplômés, il leur faudra alors soit effectuer un virage drastique vers le monde académique, en retournant dans un programme PhD à temps plein, soit aller vers des formations de doctorat privilégiant l’expérience et permettant le temps partiel.
C’est pour cela que, dans le monde entier, les formations de executive doctorate les doctorate of business administration et les executive PhD sont en plein essor, et que ces doctorats sont soutenus par les accréditations internationales comme AMBA et AACSB. Si les diplômés des grandes écoles sont les grands absents du doctorat français, c’est aussi un des signes montrant une limite certaine d’un système de thèse assez conservateur. L’inscription du doctorat au Répertoire national des certifications professionnelles ouvre les débats. Nous espérons que les Grandes Écoles sauront faire porter leur voix pour ouvrir à plus de diversité dans les doctorats, comme cela est déjà très largement le cas à l’international, pour nos étudiants, et pour nos organisations.
Valérie Sabatier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.
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