Un article repris du blog "Projet de décroissance" avec l’autorisation de l’auteur
À la mi-octobre, était présenté à Bruxelles un nouveau rapport, un de plus, démontrant l’impossibilité physique de concilier croissance économique et soutenabilité environnementale. On le sait, tous les indicateurs écologiques, du changement climatique à l’effondrement de la biodiversité, sont au rouge. Il n’y pas besoin d’avoir fréquenté les « grandes écoles » pour comprendre qu’une croissance infinie dans un monde fini n’est pas possible. C’est une absurdité. Et pourtant, cette obsession quantitative reste au cœur de nos enseignements, de nos métiers. Toujours plus d’innovations techniques pour résoudre toujours plus de problèmes qui découlent de ce toujours plus. Cette fuite en avant mortifère nous amène toujours plus vite droit dans le mur écologique, mais aussi économique, politique, humain. Plus que jamais, il y a urgence à ralentir pour se poser les questions du sens de nos vies, de notre rapport à l’autre et aux dominations, à la technique et à l’économie, aux limites.
Nous vous invitons à débattre autour de cette expérience le 5 février à la Base, à Paris, à 18h30.
Et aussi le 4 à SIGMA, à Clermont-Ferrand et le 11 à l’Ecole Centrale de Lille.
Un été à Cargonomia, quand la pratique nourrit la théorie
C’est ce que nous avons fait collectivement le temps d’un stage à Cargonomia, centre de recherche et d’expérimentation sur la Décroissance à Budapest. Nous avons pris le temps de nous arrêter pour contempler, lire, réfléchir, nous rencontrer, nous remettre en question, nous écouter. Notre sujet d’étude était la Décroissance et son invitation à réduire notre empreinte écologique, mais aussi à décroire. Décroire vis-à-vis de l’imaginaire associé à la croissance, en faisant ainsi le lien entre les limites physiques à la croissance et ses limites culturelles, dans un cadre de réflexion multidimensionnel.Cargonomia nous a offert un espace où ce questionnement théorique était mis en pratique au quotidien. Ainsi le temps d’un été, nous avons pratiqué pour mieux questionner : permaculture et agroforestrie urbaine, vélos cargos et low-tech, économie de réciprocité et auto-gestion. Nous avons aussi lu et débattu, entre autres autour des outils de la convivialité et d’Ivan Illich, de comment ré-encastrer l’économie et de Karl Polányi ou du droit à la paresse de Paul Lafargue.
– Retrouver le reportage du Monde sur nos équipes à Budapest ici.
Qu’est-ce qu’un ingénieur ?
Autour de notre fil conducteur,ingénieur et Décroissance, nous avons ainsi expérimenté et peaufiné des ateliers participatifs nous invitant à questionner le sens de notre "métier" d’ingénieur. Ce cadre de réflexion collective s’ouvre à tout public. Il propose trois temps, les deux premiers s’intéressant directement à l’ingénieur :
1) Qu’est qu’un ingénieur aujourd’hui ? Comment est-il formé ? Quel est son rôle ? Est-ce compatible avec les enjeux du XXIème siècle ?
2) Idéalement, dans une société soutenable et conviviale, et si on en a toujours besoin, comment serait formé un ingénieur ? Quel serait son rôle ?
Retrouver le rapport de notre étude ici ainsi que le tableau récapitulatif afin d’organiser son propre atelier ici.
Ces deux questions ont été discutées à plusieurs reprises avec divers participants de divers profils. Elle peuvent se décliner sur tout corps de métier. Elles invitent à déconstruire collectivement plusieurs concepts toxiques dans lesquels nous sommes enfermés pour mieux nous réapproprier le sens de nos vies et donc de nos activités.
Qu’est-ce qu’on produit ? Comment ? Pour quel usage ?
La troisième partie propose un exercice qui consiste à questionner nos modes de vie à partir de l’analyse d’un objet de consommation usuel. Plusieurs étapes sont proposées :
1) Choisir un sujet d’étude, qui peut-être aussi bien la voiture électrique qu’une machine à laver, la production de viande que le secteur résidentiel.
2) Faire un état des lieux en identifiant les impacts environnementaux, sociaux et économiques autour de cet objet d’étude : Quels matériaux ? Leur provenance ? Quelle quantité d’énergie ? Quelle fin de vie ? Quelle production ? Quels transports ? Quels emballages ? Mais aussi qui les fabrique ? Dans quelles conditions ? L’idée étant d’ouvrir un débat éclairé à partir d’ordres de grandeur clairs sur la réalité derrière cet objet ou aussi la banalité du mal derrière cette illusion de liberté de consommer.
3) Puis, d’abord, questionner les usages : Peut-on s’en passer totalement ? Partiellement ? Peut-on partager, mettre en commun ? Peut-on repenser ses attentes en terme de performance vers plus de sobriété, de patience, de modestie ?
4) Comment repenser la conception avec prise en compte de son cycle de vie, des matériaux et de l’extractivisme, de sa durée d’utilisation, de son impact énergétique et environnemental ? Penser à le rendre modulable, démontable, réparable ? Se pose aussi la question du high-tech/low-tech.
5) Comment repenser la production : relocaliser/centraliser, robotisation/autonomisation, artisanale/industrielle ? Entre convivialité, puissance et efficacité, quels bons effets d’échelle ?
Une invitation à s’emparer de ces questionnements
Le cadre de travail proposé et expérimenté est émancipateur dans la mesure où il invite à s’arrêter pour mieux appréhender des questions que l’on ne se pose jamais. Il s’agit là d’une invitation à ralentir, partout, dans les écoles ou sur les lieux de travail, au sein de sa famille ou avec ses amis. Il y a urgence, et bien que cela semble contre-intuitif, l’enjeu n’est pas d’accélérer mais bel et bien de ralentir pour se rencontrer, dialoguer afin de co-construire ensemble de nouvelles manières de vivre, de travailler, de produire, de consommer. Les défis ne sont pas techniques mais humains. C’est la conclusion de notre aventure et notre humble contribution.
Vincent Liegey, co-auteur d’Un Projet de Décroissance et co-fondateur de Cargonomia, centre de recherche et d’expérimentation sur la Décroissance, Paul-Henri François et Corentin Gaillard, jeunes diplômés de l’Ecole Centrale Nantes.
Avec Alexandre Partouche (Arts et Métiers), Clément Choisne et Victor Blancart (Centrale Nantes).
Merci à toutes celles et ceux qui ont contribué à ce projet collectif, ouvert et convivial.
Retrouver le rapport de notre étude ici ainsi que le tableau récapitulatif afin d’organiser son propre atelier ici.
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