Un texte de Christophe Dubois repris du numéro 125 de la revue Symbioses, magazine de l’éducation relative à l’environnement en Belgique, consacré aux communs,et publié sous licence CC by sa
C.D. : Faire en commun est à la mode. Vous distinguez ça de faire des communs…
Faire en commun, ça veut dire faire ensemble. Mais c’est souvent insuffisant pour aller jusqu’à l’idée de « faire des communs ». Faire des communs, cela nécessite de fixer des règles de gestion de ces communs, de qui y a droit et comment ? On aborde alors des aspects juridiques liés au partage : qui peut faire quoi avec ce qui est mis en commun ? Peut-on le modifier, le vendre ? Ça effraie les gens de faire du commun, de savoir que les gens peuvent modifier ce qu’ils ont créé, voire l’effacer. C’est sensible. Mais on peut y aller par étapes : juste entre nous, ouvrir une partie et pas tout, ne pas autoriser la modification… Ce que ce commun a comme intérêt pour nous et pour les autres est souvent impensé. Cela doit se discuter.
C.D. Penser les communs nécessite de mettre à distance le modèle culturel dominant…
Quand on crée des communs, on le fait souvent pour soi mais aussi pour les autres. Or, notre société occidentale, c’est plutôt "cache ta copie". C’est ce qu’on nous apprend à l’école. La propriété est reine, les brevets sont rois, faire du business est la norme. Or, de l’argent, on en a généré assez, ce qui manque, c’est le partage des solutions et des bénéfices.
Selon moi, si vous avez une bonne idée pour améliorer la société, elle ne devient bonne que si d’autres s’en emparent. Pour assurer notre futur, nous aurons besoin de toute la créativité et l’intelligence du monde, en libre partage. « Le monde de demain ne naîtra pas de nos réactions, il naîtra de nos créations », dit Jean-François Noubel.
C’est également vrai pour l’éducation à l’environnement. Partageons nos outils et nos animations, pas de chasses gardées ! Tous mes cours sont en ligne, modifiables et réutilisables et on continue à me demander d’aller faire des conférences un peu partout. Le formateur ira toujours plus loin qu’une recette. Et mon expertise peut s’enrichir de l’apport des autres. Si tes contenus sont toi, c’est que tu dois t’améliorer.
Quelles sont les possibilités en matière de droits d’auteurs ?
Le droit d’auteur libère votre œuvre 70 ans après votre mort. En attendant, par défaut, on doit vous demander la permission. On peut aussi choisir de réduire cette durée. On peut dire que pendant 1 an, c’est à moi et puis après on le libère. On a une palette de possibilités, comme les licences Creative Commons. Ces licences, selon vos choix, ne protègent aucun ou seulement quelques droits relatifs aux œuvres : devoir ou pas citer la source, pouvoir modifier l’œuvre, en tirer un profit commercial.... Il existe aussi beaucoup d’outils numériques pour mettre en commun. Certains sont propriétaires - comme Google - d’autres sont libres, mais souvent méconnus.
C.D. Comment et pourquoi travailler les communs avec une classe ?
Les communs, c’est peu palpable. Ce n’est pas la première chose qui passe par la tête de nos enfants. Il faut rendre visible ce qui est possible grâce à ces communs. Je partirais d’un exemple connu, comme Wikipedia. La classe peut alimenter une page Wikipedia [1]. L’encyclopédie en ligne, gratuite et non commerciale, montre que le savoir peut se construire de façon collaborative et négociée. Cela peut ouvrir des débats et développer l’esprit critique : qu’est-ce qu’un savoir valide ? Comment le construire ensemble ? Interroger aussi les « bulles de filtres » (ndlr : filtrage de l’information qui parvient à l’internaute), ou les fake news diffusées par les réseaux sociaux. Sur internet, tout à l’air ouvert, alors qu’en grande majorité, ce ne sont pas des communs, même si c’est accessible. L’accès peut disparaître, vous devez manger ce qu’on vous donne, et donner vos infos personnelles. La carte Google, ce n’est pas un commun, on l’alimente tous même sans le vouloir, mais c’est monnayé. C’est ergonomique, ça pense à votre place, c’est super facile et confortable. C’est donc logique de ne pas avoir envie d’en sortir.
Mais c’est un outil commercial. Certains organismes privés ou publics doivent payer des milliers d’euros par mois pour y déposer de l’information. Nos vies sont de plus en plus régies par des algorithmes, il est donc de plus en plus important d’avoir une maitrise des outils et des infos que vous donnez. Discuter de ça avec les ados n’est pas facile, ils n’en voient pas trop les limites. D’autant que faire des communs, ça nécessite de l’implication. Définir et faire respecter les règles, ce n’est pas marrant. C’est le confort dans lequel on nous place qui dilue notre pensée.
Propos recueillis par Christophe Dubois
Voir aussi à propos de Gatien Bataille :
– Les rencontres co-construire à Tournai, août 2019.
– Formation à l’animation de projets collectifs avce culture wapi, agence culturelle de wallonie picarde
– Coopérer , pourquoi comment Cooptic belgique, notes de cours, projets en cours.
– Ces formations à la coopération participent au collectif Animacoop qui anime des formations à l’animation de projets collaboratifs dans une dizaine de territoires en France et dont les contenus sont des communs réutilisables.
Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès.
Nelson Mandela, 10 mai 1994
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# Le 26 février 2020 à 11:50, par Culture.Wapi En réponse à : « Tout le monde veut faire "en commun", beaucoup moins "des communs" »
Infos sur la formation à l’animation de projets collectifs par ici : www.culturepointwapi.be/formation
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