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INFOX#12 : « Apprendre à distance, c’est moins de pression »

12 avril 2020 par Elsa Paukovics LIP, Genève 503 visites 0 commentaire

Un article repris de https://www.lip-unifr.ch/2020/04/07...

INFOX#12 : « Apprendre à distance c’est moins de pression »

Mis en ligne le 7 avril 2020

Par Gaëlle Molinari

Etudier à distance, un autre confinement

Pour Virginie, étudiante à distance, cette période de confinement ne change presque rien à son quotidien : « la plus grosse différence ? Avoir de la compagnie toute la journée alors que mes journées de travail sont assez solitaires d’habitude ». La solitude mais aussi la pression à l’autorégulation (Cosnefroy, 2010) sont des caractéristiques de l’apprentissage chez l’adulte en formation à distance. Cette pression s’explique par le fait que ces étudiants ont, chaque jour et pendant plusieurs années, non seulement à lire et produire pour leur formation mais également à assumer les activités des autres sphères de leur vie : les missions professionnelles, la famille, les activités sportives et associatives, etc. Les étudiants à distance peuvent donc vivre des périodes de surcharge cognitive du fait de la multiplicité des tâches, et sont régulièrement sujets au stress et à l’anxiété : « même sans faire d’études à côté, quand on travaille toute la journée, le soir on rentre, on se pose, le temps de loisir est limité. Voilà, pour peu qu’on ait des enfants, il est quasi inexistant. Et c’est ce fameux temps de loisir justement qui sert pour les études. Donc c’est là où je dis que la charge de travail, elle, est très importante parce que le temps à disposition est vraiment ridicule dans une vraie vie humaine » (Manon) ; « on a plutôt à faire à des gens (à propos des étudiants) qui sont quand-même pas mal stressés, qui doivent cumuler leur vie professionnelle et leur vie familiale. Je n’ai entendu personne dire qu’il se la coulait douce » (Sandrine). 

La force autorégulatoire, un « muscle » à ménager

Pour Cosnefroy (2010), « l’autorégulation fatigue » (p. 33) et un déficit de force autorégulatoire serait une des causes de difficulté et d’échec en situation d’apprentissage. La force autorégulatoire peut être envisagée comme un stock de ressources dans lequel puisent tous types d’activités qui demandent « effort et contrôle de soi » (Cosnefroy, 2010, p. 32) et qui, comme la mémoire de travail[1], a la caractéristique d’être limité. Tout comme un muscle après l’effort ou comme un neurone après l’émission d’un message nerveux, la force autorégulatoire a besoin de temps pour se régénérer après avoir été sollicitée. Si les ressources n’ont pas pu être reconstituées, la force autorégulatoire ne peut fonctionner de façon optimale et « l’enchaînement d’activités (…) aura un effet préjudiciable sur l’activité se trouvant en bout de chaîne » (Cosnefroy, 2010, p. 33). Pour les étudiants à distance, ce qui se trouve en bout de chaîne, ce sont précisément les tâches d’apprentissage qu’ils effectuent le soir, après le travail voire après avoir couché les enfants pour certains : « je peux tout de suite enchaîner à 17h avec ça (à propos des cours à distance), mais c’est contraignant quand-même, parce c’est vrai qu’à 17h quand on coupe la partie professionnelle dans l’ordinateur, on a envie de se dire “ahh”, mais non non non en fait, il faut tout de suite réattaquer sinon c’est fichu » (Béatrice). Il existe encore peu de recherches sur les spécificités de cette force autorégulatoire en contexte de formation à distance, sur les conséquences de ses limites sur l’apprentissage, sur la façon d’aider les étudiants à la développer ou encore sur la façon de concevoir des dispositifs pédagogiques qui tiennent compte des « discontinuités » que les périodes de récupération des capacités autorégulatoires peuvent introduire « dans la dynamique de l’apprentissage » (Cosnefroy, 2010, p. 33). Cosnefroy (2010) regrette, par ailleurs, que les modèles théoriques n’intègrent pas la fatigue comme facteur susceptible d’influencer l’apprentissage autorégulé. C’est également le cas pour les modèles pédagogiques de la formation à distance.

Des adultes en demande de soutien affectif

Force, effort, contrôle, fatigue, quatre termes qui peuvent venir décrire le vécu potentiel des étudiants à distance. Si nous entrons ces termes dans un moteur de recherche d’articles scientifiques, l’un des travaux récents qui apparait en haut de la liste des pages françaises concerne « l’influence de la fatigue mentale sur les performances physiques » (Rozand & Lepers, 2017)[2]. L’accompagnement à la performance fait l’objet de toutes les attentions dans le domaine sportif. L’accompagnement des étudiants à distance dans leur apprentissage est un axe de recherche qui mérite également intérêt et approfondissement. En effet, ce n’est pas parce qu’ils sont adultes, en formation universitaire, supposés autonomes et motivés intrinsèquement, que ces étudiants à distance n’ont pas besoin d’être soutenus, reconnus et valorisés. Ce d’autant plus que la pression à l’autorégulation, couplée à une pression à la réussite qu’ils s’imposent eux-mêmes (« tu dois vraiment avoir ton propre rythme, c’est une liberté immense, mais en même temps c’est vraiment beaucoup de contraintes. Enfin pas de contraintes, mais de responsabilités je dirais, parce que tu dois vraiment être organisée et puis… être dure avec toi-même parfois », Eloïse) ou qui peut venir des proches (« alors il y a aussi la pression des proches, qui sont toujours tellement sûrs qu’on va réussir, et ça, c’est très dur », Emma) peut considérablement affecter leur estime personnelle : « je me sens un peu comme une merde quoi, parce que je me dis que je suis une grosse flemme et que voilà, c’est un peu dans ces moments-là effectivement que je me sens un peu nulle » (Sandrine). Les étudiants à distance évoquent également ressentir régulièrement des difficultés à se mettre au travail et s’y maintenir : « c’est très difficile de trouver de la motivation pour être productif » (Sébastien). Des chercheurs considèrent la présence et le soutien socio-affectif comme des facteurs d’importance pour l’engagement et la persistance dans les dispositifs de formation en ligne. La présence socio-affective concerne la qualité affective des interactions entre étudiants. La symétrie des échanges, la prise en compte du point de vue des autres, l’entraide et l’encouragement mutuel sont autant d’aspects, parmi d’autres, favorables au développement d’une communauté d’apprentissage en ligne (Jézégou, 2012) et au travail de groupe à distance (Molinari et al., 2016). Le soutien socio-affectif est l’un des trois types d’encadrement (avec les soutiens pédagogique et organisationnel) que l’enseignant-tuteur doit proposer aux étudiants (Quintin, 2008), et consiste à « établir et maintenir un climat relationnel propice au travail », « soutenir les étudiants dans l’effort », « valoriser le travail individuel et collectif réalisé » (p. 4). Des recherches sont encore à mener pour mieux comprendre la dimension affective de l’apprentissage à distance, et notamment pour répondre aux questions issues de la pratique : comment créer un lien affectif qui puisse non seulement être authentique et soutenant mais également servir l’apprentissage ? Comment formuler aux étudiants des critiques qui vont leur permettre de progresser tout en ménageant leur estime de soi ? Comment les accompagner dans la gestion de leurs émotions et de leur motivation ? Comment les aider à réduire l’anxiété et les soutenir dans ces moments inévitables de baisse de motivation, de doute et de remise en question qui ponctuent leur parcours de formation ? Les enseignants manquent d’informations sur ce que les étudiants vivent et ressentent durant les périodes à distance. Molinari, Trannois, Tabard et Lavoué (2016) proposent d’utiliser l’outil Emore-L (Figure 1) pour permettre aux étudiants d’exprimer leurs émotions à l’issue de chaque activité d’apprentissage. Un canevas de thèse (Nleme Ze sous la direction de Molinari) va prochainement être soumis. Celui-ci s’intéressera aux aspects temporels de l’engagement en formation à distance, et les résultats pourront servir à la conception d’un tableau de bord (qui pourrait s’apparenter au volitionomètre ; Figure 2 – Titre) destiné à renseigner les enseignants sur les fluctuations de la volition (ou la motivation en action ; Molinari & Schneider, en révision) de leurs étudiants.

Pour résumer : Comparée à la formation présentielle, la formation à distance requiert une prise de contrôle plus importante de l’apprentissage. La réussite dans ce type de formation nécessite la mobilisation sur le long terme de stratégies d’autorégulation efficaces. La mise en oeuvre de telles stratégies est toutefois coûteuse en ressources. Elle peut mettre les étudiants sous pression, et leur faire vivre des périodes de fatigue mentale qui peut avoir des effets délétères sur leur apprentissage. Il est donc important que l’enseignant à distance tienne compte des limites de la force autorégulatoire, et intègre des périodes de récupération dans son scénario de cours. La fatigue fragilise les étudiants, et peut entraîner du stress ainsi qu’une baisse de la motivation et de l’estime de soi. Aussi, il peut être intéressant pour les enseignants de développer des outils leur permettant d’observer et d’agir sur la fluctuation des émotions et de la motivation de leurs étudiants.

 

Note : Par souci de préserver l’anonymat, tous les prénoms des étudiants à distance interviewés ont été modifiés. Ces témoignages ont été recueillis dans le cadre du travail de mémoire d’Elsa Schneider (co-dirigée par Lysianne Léchot Hirt et Gaëlle Molinari) : « Tangible toolkit for distance Leanring success. Exploration des potentiels du design tangible pour améliorer l’expérience et le succès des étudiants en formation à distance » (HEAD – Media Design, 2018).

 

[1] Celle impliquée dans le maintien et le traitement des informations pour permettre la réalisation d’une activité cognitive complexe (Camos & Barrouillet, 2014).

[2] Rozand, V., & Lepers, R. (2017). Influence de la fatigue mentale sur les performances physiques. Movement & Sport Sciences-Science & Motricité, (95), 3-12.

Figure 1. EMORE-L (Emotion Report for E-Learning  ; Molinari et al., 2016).

Figure 2 (Titre). Le volitionomètre, un dessin métronomique dont l’objet est de proposer en un « clic », d’indiquer son « être intérieur » à l’instant T au cours de la phase travail. Le temps mesuré entre deux clics peut être à même de fournir des données pertinentes. De gauche à droite. Dessin 1 : Au fond, en danger, peur, manque d’inspiration, épuisé(e), déboussolé(e). Dessin 2 : Aux aguets, en équilibre, en phase attentionnelle, prêt(e), motivé(e). Dessin 3 : Au top, énergie positive, inspiré(e), en foisonnement d’idées, en maîtrise. Dessin et légende : Jean-Michel Gardies.

Gaëlle Molinari est rattachée à deux institutions : (a) TECFA, l’unité de TEChnologies de Formation et Apprentissage de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, Université de Genève (https://tecfa.unige.ch/fr/), et (b) la faculté de Psychologie d’UniDistance (https://unidistance.ch/psychologie/bachelor/). Elle est spécialiste de l’apprentissage collaboratif médiatisée par ordinateur. Elle s’intéresse également à la question du rôle des émotions dans l’autorégulation et l’engagement en formation à distance.


Gaëlle Molinari

Professeure assistante en psychologie et technologies pour l’apprentissage et la formation, gaelle.molinari@unige.ch ; gaelle.molinari@unidistance.ch

Ressources et liens

 

Cosnefroy, L. (2010). L’apprentissage autorégulé : perspectives en formation d’adultes. Savoirs, (2), 9-50.

EdutechWiki, le wiki du TECFA qui traite des technologies éducatives : http://edutechwiki.unige.ch/fr/Accueil et la page actuellement en co-construction par les membres du TECFA pour aider les enseignants à former à distance pendant cette période de confinement, « enseigner à distance dans l’urgence » : http://edutechwiki.unige.ch/fr/Enseigner_%C3%A0_distance_dans_l%27urgence

Houart, M. (2017). L’apprentissage autorégulé : quand la métacognition orchestre motivation, volition et cognition. Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur33(33-2).

Jézégou, A. (2012). La présence en e-learning : modèle théorique et perspectives pour la recherche. Journal of Distance Éducation/Revue de l’éducation à distance26(1).

Molinari, G., Avry, S., & Chanel, G. (2017). Les émotions dans les situations de collaboration et d’apprentissage collaboratif médiatisées par ordinateur. Raisons éducatives, (1), 175-190. https://www.cairn.info/revue-raisons-educatives-2017-1-page-175.htm

Molinari, G., Poellhuber, B., Heutte, J., Lavoué, E., Widmer, D. S., & Caron, P. A. (2016). L’engagement et la persistance dans les dispositifs de formation en ligne : regards croisés. Distances et médiations des savoirs. Distance and Mediation of Knowledge, (13). https://doi.org/10.4000/dms.1332

Molinari, G. & Schneider, E. (2020). Soutenir les stratégies volitionnelles et améliorer l’expérience des étudiants en formation à distance : Quels potentiels pour le design tangible ? En révision pour Distances et Médiations des Savoirs.

Molinari, G., Trannois, M., Tabard, A., & Lavoué, E. (2016). Emore-l : an emotion reporting tool for distance learning. In Actes de la 28ième conference francophone sur l’Interaction Homme-Machine(pp. 167-176). https://dl.acm.org/doi/pdf/10.1145/3004107.3004126

Quintin, J-J. (2008). Accompagnement d’une formation asynchrone en groupe restreint : modalités d’intervention et modèles de tutorat. STICEF (Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Éducation et la Formation), ATIEF, 2008. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00696373

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