Un article publié par Ingénieurs sans frontières, une publication sous licence CC by sa
Se former en tant que professionnel·les militant·es
Dans notre parcours ISF nous recherchons, par une pratique réflexive, un sens à l’exercice des techniques qui fondent nos métiers et donc notre travail, un sens qui se révèle profondément politique : les modifications techniques sont des enjeux de pouvoir à même d’augmenter ou de combattre les oppressions présentes dans nos sociétés. Il nous apparaît donc nécessaire de questionner, de douter, de travailler collectivement… à la recherche de communs [1].
Étudiant·es, nous sommes venu·es nous former à ISF, par des formations et par des actions, en y trouvant un lieu d’échanges riche autour de ces questions. Devenu·es travailleur·ses, nous sommes conscient·es que cette démarche d’éducation populaire entre pairs [2] ne doit pas s’arrêter et qu’elle doit s’inscrire dans une démarche collective de définition de notre identité professionnelle : les compromis que nous faisons pour rémunérer notre activité professionnelle, en tant que salarié·es, entrepreneur·ses, fonctionnaire·es, grappilleur·ses de subventions … ne sont qu’un moyen pour subvenir à nos besoins. Certain·es d’entre nous arrivent à harmoniser leur pratique professionnelle avec un monde qui soit souhaitable. Mais pour tou·tes travailler en cohérence avec nos valeurs, les portes dans notre système économique sont beaucoup trop étroites, et nous en avons conscience. L’engagement dans un Groupe Thématique Ingénieur d’ISF est pour nous une façon de dire que la réponse à la recherche d’éthique dans notre parcours est aussi collective. On ne devient pas celui ou celle que nos contraintes économiques structurent dans une activité rémunérée ; nous sommes des ingénieur·es citoyen·nes, adhérant à une vision de notre métier que nous définissons ensemble et pour laquelle nous nous engageons collectivement.
Se donner les moyens adaptés à nos ambitions
Cet engagement se concrétise par des actions au sein des projets que l’on porte en tant que GTI comme au sein de nos milieux professionnels, que l’on s’engage à faire tendre vers un monde où les notions de démocratie et de justice prennent forme ; et aussi vers des fonctionnements où les travailleur·ses de la technique peuvent se sentir valorisé·es par leur travail.
Mener cela est une véritable lutte. En effet, les marges de manœuvre des étudiant·es dans leurs écoles et des ingénieur·es professionnel·les sont ténues et rarement organisées, ni jugées légitimes par les encadrements académiques ou professionnels. Seule l’action collective permet de dégager l’espace de réflexion et d’action nécessaire à une telle démarche.
Pour organiser cette action collective, nous estimons que les trois piliers pour la transformation de la société décrits par Jean Jaurès il y a un siècle sont toujours d’actualité :
1) l’expérimentation, où l’on crée, l’on invente et teste en marge des institutions dominantes, pour nourrir nos certitudes que d’autres mondes sont possibles ;
2) le changement dans le monde actuel et ses institutions, en prenant des postes ou des mandats à responsabilités, en modifiant des lois, en soutenant des partis ou mouvements politiques ;
3) et en agissant contre l’état actuel du monde, dans le rapport de force indispensable que la classe des détenteur·rices de capitaux impose, tout en détruisant la biosphère, à ceux et celles qui se retrouvent obligé·es de vendre leur force de travail.
De la nature syndicale de cette action collective
Nos activités professionnelles, c’est à dire la production de valeur d’usage validée par une rémunération [3], façonnent à la fois la vie de la plupart des humains, des sociétés et notre environnement matériel – notre Planète. Le syndicalisme est précisément le lieu de l’action collective des travailleur·ses. Ainsi, à première vue, notre engagement semble forcément avoir une dimension syndicale.
On trouve dans la Charte d’Amiens, un des textes fondateur du mouvement syndical en France rédigé en 1906, une définition claire de la démarche syndicale, autour de deux « besognes » : premièrement, la défense des droits des travailleur·ses, nécessaire à leur action pour influencer l’entreprise au service de l’intérêt général, et deuxièmement, le fait de préparer une autre organisation de la société et de son environnement professionnel pour travailler à un monde meilleur.
Nous nous inscrivons, au sein d’ISF comme au sein de syndicats étudiants ou professionnels, dans cette démarche syndicale qui donne de la cohérence entre la perspective de solidarité internationale qui donne du sens à notre travail et celle de défense des intérêts des travailleur·ses. C’est pourquoi nous avons souhaité, dans le groupe thématique Agricultures et souveraineté alimentaire (Agrista), nous revendiquer dans notre projet associatif de cette deuxième « besogne », complémentaire aux actions syndicales que nous mettons en œuvre dans nos domaines rémunérés.
Trouver les outils appropriés
Pourquoi alors s’engager dans une association de solidarité internationale plutôt que dans un syndicat étudiant ou professionnel ? Peut-être parce que dans nos parcours, c’est la route d’ISF que nous avons croisée en premier… Et puis parce que l’un n’empêche pas l’autre, et l’on y trouve même des complémentarités. En effet, la majorité des syndicats français aujourd’hui travaillent trop peu la question de l’orientation des métiers vers l’intérêt général, et se cantonnent à la défense des conditions de travail. Cet exercice indispensable est chronophage et sans fin, car les droits des travailleur·ses sont sans cesse remis en question.
ISF se légitime toujours dans le champ de l’expérimentation, de l’éducation populaire, de la construction d’idées et de projets politiques ; ce travail nous permettant aussi parfois de tenir lorsque nous sommes au cœur du système. Notre association nous permet de réenchanter nos pratiques professionnelles et nous pousse à développer nos pensées et actes dans le sens du combat syndical.
En complémentarité, nous nous engageons également dans des structures syndicales, structurées pour l’action syndicale de la première besogne, du rapport de force nécessaire à réaliser. Et il nous semble que celle-ci doit être appropriée par celles et ceux qui veulent changer le monde, et ce dès les études, pour donner les outils efficaces à la nécessaire parole des étudiant·es dans leurs lieux d’apprentissage. D’ailleurs, nous portons nos réflexions construites à ISF dans nos syndicats, et vice versa. ISF devient, sans que cela n’en soit le rôle principal, un lieu d’échange intersyndical. Car nous n’adhérons pas tou·tes au même syndicat, même si nous sommes engagé·es dans ce que l’on appelle des syndicats de transformation sociale [4].
Ainsi, les frontières sont floues ! En 2015, nous écrivions que notre association n’avait pas vocation à entrer directement dans la constitution d’un rapport de force. C’est de moins en moins clair. La participation à des collectifs cherchant à peser directement dans le débat politique, nous amène à questionner cette position. La production d’idées et d’expériences se révèle très utile, voire nécessaire, pour constituer un rapport de force. Si la distinction des moyens d’action de Jaurès nous paraît toujours pertinente, force est de constater qu’il y a une grande porosité entre les modes d’actions, qu’il peut être parfois nécessaire de franchir. Nous en voulons pour preuve la liste conjointe entre ISF Nantes et Solidaires Étudiant·es aux élections du CROUS de Nantes en 2015.
C’est pourquoi nous répondons « oui » à la question qui nous est souvent posée [5], l’ingénieur·e citoyen·ne doit être un·e ingénieur·e syndiqué·e. Bonne nouvelle, pour l’adhérent·e ISF, la moitié du chemin a été parcourue ! Un engagement que l’on vous invite à compléter !
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