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Médiateurs et médiations de la santé : une recherche action collaborative au Centre financier de Toulouse (Groupe La Poste)

Un article repris de http://journals.openedition.org/rfs...

Dans cette étude, nous étudions les différents médiateurs de la prévention du cancer, avec une analyse particulière des acteurs de la Ligue et de son partenariat avec le Centre financier de Toulouse (Groupe La Poste). Au travers de celui-ci, nous évaluons les dispositifs info-communicationnels et la nécessité d’un réajustement sur les actions de communication. Notre recherche-action nous permet donc de mettre en lumière deux nouvelles médiatrices, l’Infirmière de santé au travail et l’Assistante sociale, qui créent à leurs tours en cascade et au travers de plusieurs groupes de collaborateurs distincts, des médiations de la santé et du bien-être. L’objectif ici étant de communiquer et de faire communiquer sur la nécessité d’adopter des attitudes responsables dans le cadre d’une prévention primaire du cancer du sein. Enfin, l’article souligne également les limites de la recherche-action, notamment la posture du chercheur praticien, ainsi que des campagnes de prévention primaire du cancer du sein.

Émilie Blanc, « Médiateurs et médiations de la santé : une recherche action collaborative au Centre financier de Toulouse (Groupe La Poste) », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 20 | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 27 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/9847 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfsic.9847

Un articlerepris de la Revue Française des Sciences de l’information et de la communication, une publication sous licence CC by sa nc

Introduction

En France, aux États Unis, et dans l’Union européenne, le cancer du sein est la forme de cancer qui touche le plus les femmes. En effet, selon l’Institut national du cancer, en avril 2020, « Avec environ 54 062 nouvelles personnes touchées chaque année, le cancer du sein est le plus répandu des cancers féminins. Près d’une femme sur neuf sera concernée au cours de sa vie, le risque augmentant avec l’âge. Moins de 10 % des cancers du sein surviennent avant 40 ans. L’incidence augmente ensuite régulièrement jusqu’à 65 ans. Ceci, associé au fait que la densité de la glande mammaire est moins importante à cet âge, justifie le choix de la tranche d’âge de 50 à 74 ans retenue pour le dépistage organisé » [1]. 75 % des cancers du sein se déclarent après 50 ans, et l’âge moyen au diagnostic est de 61 ans.

Avec la loi du 4 mars 2002, la prévention prend une place importante dans la politique de santé, ce qui a notamment pour effets de diversifier les acteurs, les discours et les dispositifs de prévention (Mignot P., Omrane D., 2018). Dans cette étude, nous analyserons les différents médiateurs ainsi que l’ensemble des médiations à partir des actions de communication de La Ligue contre le cancer [2], au sein du Centre financier (CF) de Toulouse (Groupe La Poste). En effet, ce Centre compte 70 % de femmes avec une moyenne d’âge de 50 ans. Cette génération de femmes est donc tout particulièrement une population à risque concernant le cancer du sein, et parmi notre échantillon, plusieurs d’entre elles ou de leur entourage ont été touchés par la maladie.

Avant d’aborder les contributions de notre recherche-action au Centre financier de Toulouse en termes d’analyse des médiations, nous allons identifier les différents médiateurs de la prévention des cancers du sein puis, nous présenterons notre méthodologie de recherche. Par la suite, nous aborderons les principaux résultats relatifs à notre retour d’expérience qui a fait du Centre financier une organisation apprenante des dispositifs info-communicationnels de la prévention du cancer. Ainsi, nous verrons comment les corps intermédiaires, tels que la Direction des ressources humaines, la Direction de la communication, et les acteurs chargés de la qualité de vie au travail (notamment, l’Assistante sociale et l’Infirmière de santé au travail) ont pu être sollicitées pour dire et s’occuper de la santé ainsi que d’en communiquer les attitudes « responsables ».

Différents acteurs et médiateurs de la prévention aux rôles complémentaires

Plusieurs acteurs agissent pour la prévention : les usagers, les personnels socio-médicaux, les associations, les firmes pharmaceutiques, les collectivités locales, et l’État. En effet, aux côtés des directions compétentes du ministère de la santé et de leurs déclinaisons sur le territoire (par exemple, avec DOC 31) [3], plusieurs acteurs interviennent dans le dispositif de prévention. C’est le cas par exemple, des associations de malades et des associations de consommateurs et de familles, qui ont désormais une véritable légitimité institutionnelle.

De même, au-delà des acteurs institutionnels de la prévention, le nombre d’entreprises à s’engager dans la sensibilisation contre le cancer du sein augmente d’année en année, avec par exemple, l’opération « Octobre rose » qui a pour objectif de sensibiliser et de mobiliser contre le cancer du sein. En effet, la Ligue contre le Cancer a lancé fin 2018 en Occitanie, un plan d’action cancer à destination des employeurs, baptisé « Lig’Entreprises engagées contre le cancer » afin d’aider les entreprises à mieux accompagner leur personnel face au cancer. La Ligue contre le cancer de la Haute-Garonne a donc lancé le PACTE (Programme d’Actions Cancer Tout Employeur) à destination des entreprises. L’objectif est de mener des actions de prévention auprès des salariés et d’accompagner les collaborateurs atteints par le cancer lors de leur retour au travail.

Selon la Ligue [4], le PACTE est un dispositif d’accompagnement répondant à une attente réelle des entreprises de la Haute-Garonne, car dans un cas sur quatre, le salarié qui revient dans l’entreprise finit à terme par être licencié pour inaptitude professionnelle. Par conséquent, l’un des objectifs principaux de ce dispositif est d’éviter ces situations de ruptures. « Le PACTE est composé d’un volet dédié à la prévention et d’un autre portant sur le retour à l’emploi. Il consiste en un engagement mutuel : la Ligue contre le cancer apporte une aide à l’entreprise et l’entreprise met en place des actions qui faciliteront le retour de son salarié. Les équipes de la Ligue interviennent gratuitement. Le programme vise notamment à informer les managers sur les dispositifs facilitant le retour au travail et à les sensibiliser à l’impact de la maladie et des traitements sur les facultés physiques et psychiques » [5] de leur collaborateur. Enfin, il les aide à instituer un dialogue avec lui, pendant son absence et à son retour.

Le Centre financier de Toulouse s’est engagé en 2019 dans un programme citoyen en partenariat avec la Ligue contre le Cancer Haute-Garonne, association avec laquelle le Centre est déjà partenaire dans le cadre de sa participation aux actions sportives solidaires Octobre Rose et Foulée des Entreprise. C’est dans ce cadre que le Centre lance ce programme citoyen « fil rouge » 2019 visant à libérer la parole autour de la maladie en sensibilisant les managers et les équipes sur les impacts de la maladie et la façon d’accompagner au mieux un collègue ou un proche. Par ce programme, la Ligue contre le cancer devient un tiers naturel pour l’ensemble du personnel et un relais complémentaire des équipes RH et médico-sociales. Ainsi, le Centre financier de Toulouse démontre son engagement dans la lutte contre le cancer et l’accompagnement de ses équipes. Ce projet s’inscrit dans la continuité de l’engagement du Groupe La Poste, signataire de la charte cancer et emploi en mai 2018, du programme « Bien dans son travail », qui promeut notamment la méthode APALA [6] d’accompagnement du personnel lors des absences, et enfin de la campagne 2018-2019, « Tous différents/Tous performants » dont un volet cible les maladies chroniques. Les étapes du programme se sont déclinées pour 2019 au Centre financier, en six rendez-vous, comprenant trois actions de sensibilisation et trois rencontres sportives solidaires.

Les trois actions de sensibilisation ont été les suivantes : une intervention de la Ligue au rendez-vous managers et experts du 5 mars pour présenter la démarche et signer la charte « Lig’entreprises engagées contre le cancer » afin de matérialiser l’engagement du Centre auprès de la Ligue contre le cancer, tel un label « ici, ce n’est pas tabou » ; un stand d’informations au restaurant inter-entreprises en marge de la journée mondiale de la santé, le 11 avril afin de sensibiliser aux actions de prévention (alimentation, sport, dépistage) et aux soins de support ; et enfin, un Serious Game animé par La Ligue lors du Club des managers du 24 septembre pour aider les managers à libérer la parole et trouver les mots justes avec les personnes malades et avec les collègues. Le Serious Game est organisé à travers un parcours pour revisiter les étapes de la maladie. Aussi, le parcours de jeu au sol retrace la temporalité de la maladie et les trois étapes principales à accompagner : l’annonce, les traitements et la reprise. Ce « jeu sérieux » a été animé en binôme, pendant 1 h 30, par la directrice de la Ligue Haute-Garonne et par une psychologue clinicienne. À tour de rôle, les participants (au total, dix managers du Centre financier de Toulouse) ont été invités à lancer un maxi-dé puis à retourner la carte correspondant à la couleur apparue sur la face du dé. Une question est alors lue par le participant et le groupe est invité à trouver la réponse la mieux adaptée. Des apports et témoignages des représentantes de la Ligue sont venus illustrer et enrichir les connaissances des participants.

Les trois rendez-vous sportifs solidaires ont été les suivants : une participation à la Course Odysséa du 14 avril ; une participation aux Foulées des entreprises le 6 juin ; et enfin, une participation à la course « Je me ligue » en octobre (Octobre rose). L’objectif de ces trois rendez-vous sportifs était de récolter des fonds pour la recherche médicale. L’idée est également de se mobiliser contre le cancer pour soutenir les malades parmi lesquels des collègues ou des proches, ou encore d’encourager la pratique sportive pour prévenir les affections, douleurs chroniques et autre stress.

Méthodologie de la recherche : une recherche-action collaborative

La recherche-action (RA) est une recherche impliquée dont le but est de transformer les pratiques sociales. C’est Kurt Lewin, entre 1940 et 1945, qui en donne le premier, une définition. Elle est un processus qui se déroule en collaboration entre les acteurs de l’organisation et les chercheurs afin de produire des connaissances scientifiques sur les situations étudiées. Une recherche-action collaborative (RAC) doit prendre en compte les différents éléments du contexte organisationnel pour pouvoir être menée à son terme. Aussi, nous allons dérouler ci-dessous les différentes étapes et nécessités de réajustements du processus de mise en œuvre.

Le point de départ de notre RAC est la demande de notre manager (le Responsable Qualité de vie au travail, QVT) sur la mise en place d’un atelier d’information collective à destination de l’ensemble des collaborateurs, concernant le domaine de la santé. Plusieurs propositions lui sont faites telles que communiquer sur le nouvel accord handicap de l’entreprise, mais aucune des propositions n’est retenue car il souhaite organiser la communication d’une manière plus formelle en respectant les formats habituels de diffusion de l’information au sein de l’organisation, comme par exemple avec les Espaces Temps Communication (ETC). Puis, après discussion avec l’Infirmière de santé au travail (IST), notre observation participante nous amène à poser le diagnostic suivant : malgré le partenariat conclu entre la Ligue et le Centre financier de Toulouse, certains collaborateurs possèdent encore de fausses informations au sujet de la Ligue, par exemple : « je ne peux pas y aller, je n’ai pas les moyens », alors que les services de la Ligue sont gratuits. Nous décidons donc, de soumettre la proposition de réaliser un atelier d’action collective sur la Ligue dans la continuité du partenariat créé, à destination de l’ensemble des collaborateurs, après avoir effectué un état des lieux sur leur connaissance de celle-ci, et de la prévention du cancer. Ce projet est accepté par le Responsable QVT et par la Directrice des ressources humaines (DRH) du Centre. Pour ce faire, nous procédons à un premier recueil documentaire sur les informations laissées par la Ligue. Le documentaire est une étape primordiale. Marcel Maget déclare en 1953 : « Hormis les cas d’extrême urgence, l’enquête n’est jamais entreprise sans un dépouillement de la documentation accessible sur le sujet choisi » (cité par Combessie, 2007 : 12). Nous concernant, nous avons utilisé les plaquettes d’information laissées par La Ligue afin de s’informer sur ses services, et l’Intranet du Centre financier et du Groupe La Poste pour faire un bilan des actions de communication réalisées.

Après ce premier recueil d’information, nous réalisons un questionnaire à destination de l’ensemble des collaborateurs afin de faire un premier état des lieux des actions de communication du partenariat Ligue/Centre financier. Utilisé à des fins exploratoires, le questionnaire aura permis d’établir un premier bilan et de mettre en place un plan d’actions. Les questionnaires ont tous été distribués, lors du passage de l’IST, dans les différents services. Ici, le Responsable QVT nous a demandé de réajuster nos questionnaires sur les dispositifs info communicationnels de la Ligue et de la prévention, et non sur des situations isolées de collaborateurs malades.

En revanche, afin de compléter notre recueil d’information, nous avons choisi d’interroger sept collaborateurs : trois concernés de près ou de loin par la maladie (un collaborateur malade en phase de rémission aujourd’hui ; son manager ; et un de ses plus proches collègues), deux managers ayant participé au serious game organisé par la Ligue au sein du Centre, et enfin, deux collaborateurs ayant participé aux courses de prévention. Pour ce faire, une grille d’enquête a été élaborée.

Ainsi, au vu des résultats des questionnaires (que nous allons développer dans la partie suivante), nous avons décidé de lancer deux ateliers d’information collective sur le partenariat Ligue/Centre financier. En effet, la DRH a souhaité que nous fassions un deuxième atelier après les vacances de la Toussaint. Le premier atelier a été animé par l’Assistante sociale (AS) et le second par l’Infirmière de santé au travail (IST) sachant que lors de celui-ci, la Directrice de la communication nous a interpellés et rappelés qu’elle était à l’initiative du partenariat et que pour cette raison, elle souhaitait être associée à cette démarche d’atelier d’information collective, ce que nous avons accepté. De même, au vu du succès des inscriptions, nous avons dû faire attention à ne pas « vider » les services car nous avons eu des alertes à ce sujet de la part de plusieurs managers. Aussi, l’AS a choisi de réduire le temps de ses ateliers et de les faire passer d’une heure à trente minutes, ainsi que de partager les inscrits en deux groupes distincts. Enfin, nous avons dû réorganiser l’accueil des groupes en réservant des salles plus grandes pour l’accueil des participants.

Résultats de notre recherche : une organisation apprenante et médiatrice de la santé

« La communication dans l’entreprise est devenue un élément de la stratégie que doit adopter toute organisation » (Lehnisch, 2003 : 83). Ici, il s’agit d’informer les collaborateurs sur les actions de prévention contre le cancer et notamment les actions de la Ligue.

Un dispositif info-communicationnel de prévention efficace malgré la nécessité de quelques réajustements

Les outils de la communication interne sont de différentes formes. Ils peuvent être électroniques, oraux et sous format papier. Dans le Centre financier, l’Intranet, et les grands écrans par exemple, diffusent en continu « les messages clés » du moment.

Dans notre étude, le partenariat créé avec la Ligue a permis de diffuser tout un ensemble d’informations visant à sensibiliser à la prévention du cancer. Par exemple, sur l’Intranet [7]
, les informations suivantes circulent « Une femme sur huit sera confrontée dans sa vie à un cancer du sein qui met en général plusieurs années à se développer d’où l’importance d’un dépistage précoce. Le cancer du sein dont le nombre de cas est en augmentation constante, est la principale cause de mortalité chez la femme. Grâce à un dépistage précoce, la moitié des cancers sont décelés alors qu’ils mesurent moins de deux cm. Un cancer du sein détecté à un stade précoce, grâce aux mammographies, se soigne mieux et permet de diminuer la mortalité de 25 %. Plus le cancer du sein est décelé tôt plus les chances de guérison sont accrues.

Quand se faire dépister ? À tout âge. Chaque femme doit se faire examiner régulièrement par un médecin, qu’il soit généraliste, gynécologue ou médecin du travail. Celui-ci pourra prescrire des examens complémentaires s’il détecte des antécédents familiaux ou s’il l’estime nécessaire. Le dépistage organisé du cancer du sein concerne les femmes de 50 à 74 ans. Une mammographie est proposée tous les deux ans. Cet examen est pratiqué par des radiologues agréés du département. La mammographie est un examen radiologique (deux clichés par sein). Si le radiologue le juge utile, des examens complémentaires peuvent également être réalisés, comme par exemple une échographie ou une ponction. La mammographie réalisée bénéficie d’une double lecture par des radiologues experts. La mammographie, dans le cadre du dépistage organisé, est prise en charge à 100 % par l’Assurance Maladie, sans avance de frais. 7 % des cancers non décelés lors d’une première lecture sont détectés au cours de la seconde lecture ».

À cette diffusion sur l’Intranet s’ajoutent les panneaux électroniques, et les panneaux d’affichage répartis dans les différentes allées du Centre pour rappeler le partenariat avec La Ligue. Il y a également les supports écrits qui restent des moyens de communication ayant un pouvoir fort. Par exemple, pour notre étude, ils ont concerné les plaquettes d’information laissées par la Ligue. Enfin, une présentation du partenariat avec La Ligue a été faite au sein du restaurant inter-entreprise en faveur de l’ensemble des collaborateurs du Centre. Quant aux managers, ils ont été informés de ce partenariat dans le cadre d’une réunion d’information collective et au travers du Serious Game pour certains d’entre eux, sur la base du volontariat. Pourtant, malgré l’ensemble de ces dispositifs info-communicationnels visant à informer du partenariat Ligue/Centre financier, nous avons repéré quelques méconnaissances, notamment chez les non managers des actions de La Ligue, telles que par exemple, « je ne peux pas y aller, je n’ai pas les moyens ».

Concernant les questionnaires, sept personnes sur vingt-sept qui ont répondu au questionnaire connaissaient La Ligue mais pas le Pacte ; de même, seules sept personnes sur vingt-sept avaient eu connaissance de l’intervention de La Ligue au restaurant inter-entreprises. En revanche, la participation aux courses était bien connue de l’ensemble des collaborateurs ayant répondu aux questionnaires. Enfin, il est ressorti des questionnaires la nécessité de « faire des réunions pas uniquement pour les cadres » mais pour l’ensemble des collaborateurs (entendu comme non managers). Par exemple, le serious game a été très apprécié des managers. En effet, par une prise de conscience des mots qui blessent ou de la temporalité de la maladie ou encore la confrontation de représentations de la maladie, la parole s’est libérée. « Nous savons que nous sommes tous à un moment ou à un autre confrontés à cette maladie, que ce soit dans la sphère personnelle ou professionnelle, indique un manager, et ce format permet d’aborder plus sereinement ce sujet difficile ». Un autre manager témoigne : « Je suis ravie de ce partenariat que j’ai fait découvrir à une collaboratrice ». Pour un autre manager encore : « Il faut aussi soutenir les aidants qui sont très exposés ». De même, comme a indiqué la psychologue clinicienne, « Afin d’éviter les mots qui blessent, il faut aussi savoir se montrer disponible, à l’écoute et simplement ne rien dire et surtout respecter la volonté du collaborateur de parler ou non ». Ainsi, ce type de d’action serait également à proposer à l’ensemble des collaborateurs le souhaitant, et non uniquement à destination des managers.
Des entretiens de groupe constitutifs de médiations de la prévention du cancer

Compte tenu de l’ensemble des résultats des questionnaires et de notre observation participante, nous avons créé des ateliers d’information collective pour rediffuser à l’ensemble des collaborateurs les actions de La Ligue, dans le cadre de son partenariat avec le Centre financier de Toulouse. Au final, ces ateliers ont été au nombre de trois et ont été animés par l’Assistante sociale et l’Infirmière de santé au travail, sous la forme d’espaces de discussion, afin que les collaborateurs puissent également échanger leurs connaissances sur le sujet et partager leur vécu. Pour ce faire, nous avons créé un sondage numérique (via la plateforme e-poll-it) pour que les collaborateurs puissent s’inscrire sur les deux dates proposées.

Aussi, et d’une part, chaque atelier d’information collective s’est apparenté à un entretien de groupe. Ici, dans notre recherche, il s’agit de groupes professionnels s’étant inscrits via l’e poll it pour s’informer et partager sur leur connaissance de la prévention du cancer. Souvent, ce type de groupe expérimental peut être générateur de situations inhibitrices, « Chacun craint le contrôle des autres […], mais […] on y saisit précisément sur le vif les phénomènes que l’informateur, seul, ne penserait pas à indiquer […]. D’autre part, il se produit […] une émulation, des rebondissements, des déclenchements de la mémoire, des recoupements du dire de l’un par les autres » (Maget, 1953).

D’autre part, ces ateliers peuvent être définis grâce à la notion « d’organisation apprenante » qui fait son apparition au début des années 90 dans le monde des ressources humaines et du développement des organisations (Wim van Wassenhove, 2005). « L’organisation apprenante est un état, un résultat […]. L’outil formation n’a pas pour seule finalité de qualifier l’organisation, il permet aussi d’être plus efficace en développant une ingénierie de proximité d’auto-formation favorisant l’acquisition et le transfert de savoir-faire […] » (Wim van Wassenhove, 2005).

Mais ce sont, avant tout, la capitalisation, la diffusion des bonnes pratiques, le retour d’expérience systématique sur les actions et les missions qui fondent l’organisation apprenante. Dans la littérature, l’organisation apprenante est souvent mise en relation avec la stratégie, l’innovation et le changement. Mais avant tout, c’est un esprit, un état, une culture, un acquis social de l’organisation. Dans sa thèse [8], Win van Wassenhove, en 2005, cite Peter Senge qui déclare en 2001 : « … Aujourd’hui, la gestion du savoir et l’apprentissage organisationnel commencent à fusionner. Ils fusionnent autour de l’idée que le savoir d’une organisation se trouve dans ses réseaux de relations. Si les gens ne se font pas confiance, il y a moins de savoir. Si les gens ne peuvent pas parler ouvertement d’une difficulté, la capacité d’apprentissage s’en trouve diminuée. La connaissance est un phénomène social. Nous produisons et utilisons notre savoir dans des réseaux de relations humaines ».

Enfin, ces ateliers d’information collective ont également constitué des groupes de travail qui ont représenté des exemples de communication constitutive de l’organisation. En effet, depuis les années 1990, l’approche constitutive de la communication organisationnelle fait son apparition. L’hypothèse qu’il en ressort est que la communication est « constitutive du mode d’être et d’agir des organisations » (Grosjean, Bonneville, 2011 :143), autrement dit, il n’y a pas d’organisation sans communication. Plusieurs auteurs et courants ont contribué à cette approche : les précurseurs, l’organizing selon Karl Edward Weick (1979), la théorie de l’acteur-réseau (Callon, Latour, Akrich, 1980), puis l’école de Montréal (2000).
Un réajustement dans l’accompagnement des médiateurs de la prévention

Le cancer s’est imposé dans le monde du travail puisque 40 % des personnes touchées par la maladie sont en activité. La maladie et les traitements impactent les salariés qui doivent rester éloignés de l’entreprise pendant de longues périodes. Pour les managers, la réinsertion professionnelle de ces salariés patients devient alors une véritable priorité en termes d’information, d’adaptation et de productivité, pendant l’absence, puis au retour. Aussi, les différents entretiens semi-directifs nous ont permis d’avoir un retour d’expérience également sur la démarche APALA initiée par le groupe La Poste. En effet, la méthode APALA - avant, pendant et après l’absence- a été mise en place pour favoriser l’accompagnement des personnes malades. Elle s’apparente à une innovation et non à une invention (Schumpeter, 1942) car elle relève de la logique du marché ou de l’usage social, contrairement à l’invention qui relève de la logique de la découverte. Les acteurs de la démarche APALA sont en priorité les managers ainsi que l’équipe pluridisciplinaire : médecin du travail, IST, et Assistante sociale.

« 1000 cas de cancers sont diagnostiqués chaque jour en France et 40 % des cancers sont diagnostiqués chez des personnes actives, a rappelé la Directrice de La Ligue. Il est donc important que l’entreprise puisse favoriser l’expression autour de la maladie et le lien avec la personne malade, comme en témoigne une collaboratrice malade en phase de rémission aujourd’hui : « Sur l’aspect professionnel, pendant la période où j’ai été absente, le lien a toujours été maintenu, des petites attentions, un texto, de façon discrète mais bienveillante. Je culpabilisais parfois à la maison de ne pas être au travail, mais faut mettre toute son énergie aux soins. J’ai fait une erreur, j’ai voulu reprendre une semaine et c’était pas une bonne idée, et là de nouveau j’ai fait appel à la cellule psychologique. Moi j’avais l’impression que si je m’arrêtais, je m’enfonçais, alors que non. Puis quand j’ai repris c’était bon j’étais prête. Maintenant que j’ai repris, je suis pleine de culpabilité, parfois je me sens fragilisée et ce qui est dur c’est de se sentir diminuée dans sa carrière ».

Si la durée moyenne de l’arrêt de travail est de six à douze mois, des soins complémentaires peuvent être nécessaires à distance du traitement. Ils sont susceptibles de générer de nouveaux arrêts, pas toujours bien compris pas les managers ou les collègues. Par ailleurs, cette pause forcée dans la vie peut amener les patients à revoir leurs priorités. Un autre point méconnu concerne les conséquences à plus ou moins long terme des traitements. Troubles de la concentration, de la mémoire, perte de confiance en soi... autant d’impacts invisibles que l’entourage peut avoir du mal à considérer et qu’il est donc important de rappeler.

Discussion de nos travaux

Dans cette étude, nous avons étudié les différents médiateurs de la prévention du cancer, avec une analyse particulière des acteurs de la Ligue et de son partenariat avec le Centre financier de Toulouse (Groupe La Poste). Au travers de celui-ci, nous avons pu en évaluer les dispositifs info-communicationnels avec la nécessité d’un réajustement sur les actions de communication. Notre recherche-action nous a donc permis de mettre en lumière deux nouvelles médiatrices, l’Infirmière de santé au travail et l’Assistante sociale, qui ont créé à leurs tours, en cascade et au travers de plusieurs groupes de collaborateurs distincts, des médiations de la santé et du bien-être, avec l’objectif de communiquer et de faire communiquer sur la nécessité d’adopter des attitudes responsables dans le cadre d’une prévention primaire du cancer du sein. Nos résultats ont donc démontré le caractère « apprenant » de cette organisation et sa capacité à être médiatrice de la santé. En effet, le dispositif info-communicationnel de prévention mis en place par la direction de la communication a été efficace mais nous avons pu cependant observer, la nécessité de quelques réajustements au travers de nos entretiens quotidiens avec les collaborateurs. Nous pouvons donc dire que la constitution des entretiens de groupe mis en place par l’Assistante sociale et l’Infirmière de santé au travail ont été constitutifs de médiations de la prévention du cancer puisqu’une trentaine de participants ont pu être recensés. Ainsi, au travers des échanges et des retours d’expérience, par exemple, concernant leur parcours de soin ou la démarche APALA, nous avons pu constater que les informations avaient été mieux acquises. Les collaborateurs ont pu exprimer leur satisfaction quant à la complémentarité de ce canal par rapport à ceux mis en place par la direction. Ce canal a donc bien constitué un réajustement dans l’accompagnement des médiateurs de la prévention.

Pour autant, la posture du chercheur en organisation n’est jamais neutre. D’après Béatrice Vacher (2008), « La communication est au cœur du processus de la recherche-action, ce qui a inévitablement des conséquences sur la recherche et l’approche méthodique ». De plus, il faut prendre en compte que les acteurs de terrain développent des stratégies opportunistes et que le contexte organisationnel change : les intérêts des acteurs concernés évoluent donc en fonction (y compris pour et par la recherche). C’est ici que se dessine alors le passage de « l’acteur chercheur » à la « recherche-action ». Par exemple, ici, l’assistante sociale et l’infirmière de santé au travail s’intègrent dans la démarche « fil rouge » du Centre financier, et démontrent ainsi leur valeur ajoutée dans les actions mises en place pour la prévention du cancer. Elles prennent alors, une place au sein de l’organisation et gagnent en visibilité, ce qui peut leur permettre par la suite, d’être mieux intégrées aux prochaines actions de la direction de la communication.

Benoît Cordelier (2008) aborde également, la question du positionnement du chercheur. « Pour lui, le « devenir membre », au sens de Harold Garfinkel, reste une source de tension dans laquelle les logiques stratégiques et opératoires des directions conditionnent largement les modes opératoires et les analyses » (Bouzon, Meyer, 2008 :11). Par ailleurs, des questions vont de pair avec celle de la posture du chercheur, comme celles de l’éthique et de la responsabilité sociale lors d’une intervention au sein d’une situation organisationnelle, et notamment lorsqu’il s’agit d’une RA. « Se retrouve ici l’épineuse question de la mesure du juste et du vrai, qui nous invite autant à la réflexion épistémologique qu’à l’évaluation sans complaisance de nos activités de production d’un savoir en organisation » (Bouzon, Meyer, 2008 : 14).

Les enjeux sanitaires liés à la prévention du cancer et l’engagement solidaire de professionnels de la santé relèvent ici d’une problématique de l’éthique à la mesure de la conception de Ricœur. Pour le philosophe, cité par P. Svandra [9], « « C’est par convention que je réserverai le terme d’ « éthique » pour la visée d’une vie accomplie sous le signe des actions estimées bonnes, et celui de « morale » pour le côté obligatoire, marqué par des normes, des obligations, des interdictions caractérisées à la fois par une exigence d’universalité et par un effet de contrainte [10] ». À ce propos, Svandra précise que l’éthique « relève d’une tradition aristotélicienne est « téléologique », du grec télos (la fin, le but) et logos, (science, discours) ; la morale qui renvoie à la philosophie de Kant est déontologique [11] ». L’éthique a donc un double objectif : à la fois la réflexion permettant d’analyser, de distinguer, de repérer, de classer et d’évaluer les phénomènes et les situations ; et à la fois, la réflexion produisant de la réflexivité, en renvoyant en miroir aux acteurs le résultat de l’analyse, entraînant une boucle récursive de questionnements et de réponses inter-agissantes, et donc modifiant par là même, les visions et actions des uns et des autres. Les objectifs des acteurs de la médiation pour la prévention sanitaire relèvent donc d’une finalité qui a valeur éthique : cette téléologie de l’éthique se substitue alors, parce qu’il s’agit d’une liberté d’agir, aux normes morales d’une obligation d’agir.

Le regard de François Dubet pour caractériser les actions mises en place par l’infirmière de santé au travail et par l’assistante sociale doit être ici rappelé. Le sociologue s’est intéressé au « déclin de l’idée de société » (Dubet, 2002), et en particulier à la crise des institutions depuis les années soixante-dix. Il analyse le modèle institutionnel qu’il caractérise comme « le passage d’un monde construit sur le modèle de l’Église […], à un monde fondé sur la professionnalisation des acteurs » (Dubet, 2002), avec « la prise en compte croissante des compétences de ceux-ci » (Dubet, 2002). Selon le sociologue, les infirmières ont réussi à dépasser les limites de l’organisation qui les emploie, notamment par la passion qui les anime. François Dubet explique la dimension de passion de ces professionnelles par « le sentiment d’utilité indiscutable, l’impression de sauver des vies ou de faire ce dont la société ne veut pas se charger » (Dubet, 2002, p. 230). Il en est de même pour son étude sur les travailleurs sociaux, qu’il a constitué à partir de celle des médiateurs qui se trouvent hors de l’institution. L’auteur s’appuie sur les analyses de type foucaldien qui expliquent le fonctionnement de la société par l’histoire de ceux qu’elle exclut, notamment ceux considérés comme fous ou délinquants. Aussi, les travailleurs sociaux qui s’occupent d’eux sont les seuls à ne pas détenir un capital certifié, au sens bourdieusien du terme, mais à être employés principalement pour leur « être », en plus de leur compétence.

François Dubet rappelle « qu’il a toujours été difficile de bien voir ce qui faisait la spécificité professionnelle du travail social et du programme institutionnel qui lui est lié » (Dubet, 2004, p. 121). Pour l’auteur, « l’institution c’est le travailleur social lui-même » (Dubet, 2004, p. 121) qui s’appuie sur la sociologie critique et la psychanalyse pour exercer son métier, même si ce professionnel éprouve en permanence ses limites et ses paradoxes. « Être sans illusion fait partie de leur culture » (Dubet, 2004) et « la relation », est finalement le véritable cœur du programme institutionnel du travail social. Aussi, beaucoup de professionnels vivent ces métiers et ces expériences avant tout comme un moyen de réalisation personnelle. Ils n’accomplissent plus un rôle mais se construisent à partir d’expériences qui construisent et reconstruisent des identités non plus assurées par de la stabilité institutionnelle, mais par des capacités individuelles de coopération. Aussi, François Dubet « invite les travailleurs sociaux, et plus largement tous les travailleurs sur autrui, à ne pas avoir la nostalgie des institutions traditionnelles, à ne pas verser systématiquement dans le discours de la plainte, et à participer à l’élaboration de modèles institutionnels plus démocratiques, intégrant plus directement les usagers » (Dubet, 2004, p. 122).

Afin de caractériser notre étude à la lumière des travaux de François Dubet, nous constatons donc qu’effectivement l’Infirmière de santé au travail et l’Assistante sociale se sont un peu écartées de leur rôle prescrit au sein de l’organisation. Elles sont parfaitement dans leur rôle en ce qui concerne leur métier respectif, mais elles ont dû faire preuve d’initiative personnelle pour agir de manière responsable dans la prévention du cancer, et donc dans la prévention des risques psychosociaux. C’est bien leur « être » ici, en plus de leurs compétences respectives, qui a permis le succès de leurs actions auprès des collaborateurs.

Conclusion et perspectives

Les principaux résultats de notre recherche concernent l’appropriation des informations diffusées par La Ligue, par les collaborateurs qui ont souhaité participer aux ateliers. Ceux-ci ont été animés par l’assistante sociale et l’infirmière de santé au travail, qui ont pu de leur côté, compléter leur animation sur la prise en charge des patients, avec leurs expériences de terrain antérieures au Centre financier, notamment dans le domaine hospitalier. La richesse des échanges a permis d’apprécier la bonne adéquation de la méthode utilisée.

Dans notre recherche-action collaborative, il a été question d’une expérience sur les connaissances, mais aussi sur le vécu des praticiens. Aussi, nous avons choisi cette méthodologie car elle nous paraissait être la mieux indiquée pour ce partage de connaissances et de vécu. En effet, certains collaborateurs participants ont été touchés directement ou de très près via leur entourage, par la maladie et ont pu s’exprimer sur le sujet. Au final, ce partage a été bénéfique pour l’ensemble du groupe, non seulement en termes de libération de la parole pour ceux qui l’ont souhaité, qu’en termes d’échange d’expériences et de « bonnes pratiques » quant au parcours de soin. Par exemple, lieux ressources, acteurs professionnels accompagnants, numéros de téléphone, actions « bien-être » en complément des dispositifs de soins. En effet, dans les Espaces Ligue, un accompagnement en soins de support est proposé (notamment, des soins socio-esthétiques, des activités physiques adaptées, des conseils en nutrition, ou encore un soutien psychologique), ainsi qu’un accompagnement social (notamment, des visites, des aides aux démarches administratives, des aides financières, ou encore, un appui à la réinsertion professionnelle).

Ce type de recherche collaborative mérite d’être appliquée à d’autres problématiques, et encore davantage au vu du contexte actuel de crise sanitaire. Par exemple, il pourrait être également pertinent de créer des groupes d’échanges sur le confinement, l’après confinement, ainsi que ses effets sur la mise en place du télétravail généralisé au sein de l’entreprise. En effet, avec l’ampleur de la situation sanitaire que nous traversons actuellement « organiser en contexte de crise un télétravail » a été l’enjeu auquel ont été confrontées de nombreuses entreprises pour poursuivre leurs activités. Maryse Carmès et Jean Max Noyer (2013) précisent que : « Le plissement numérique du monde est en cours et ce processus affecte les socles anthropologiques de nos sociétés ». Si c’est aujourd’hui un truisme d’écrire que la transition digitale engendre des changements tant dans les manières de travailler que dans l’environnement personnel, la situation de crise « en confinement » a subverti d’une manière inédite ce plissement numérique. Pour reprendre les propos de Clément Cosnier, « En l’espace de quelques jours après l’entrée en vigueur du confinement, le groupe La Poste a réussi à organiser le télétravail de 40 000 de ses 250 000 collaborateurs, contre 5000 en temps normal. Un défi technique et organisationnel considérable […]. Au-delà du support technique, les ressources humaines ont aussi accompagné le mouvement en prévenant les risques sociaux et professionnels liés à l’exposition prolongée aux écrans, ou en s’assurant que les collaborateurs en télétravail puissent travailler à distance dans de bonnes conditions »[12 https://siecledigital.fr/2020/05/05/covid-19-40-000-agents-de-la-poste-en-teletravail-durant-le-confinement/]].

Par exemple, lors de la quatrième semaine de confinement, les assistants sociaux des Services financiers ont commencé à avoir des retours sur les effets du travail à distance mis en place au début du confinement. En effet, avec la mise en place du télétravail, il a fallu faire face à l’installation de son environnement de travail, à l’appropriation des nouveaux outils avec leurs conséquences (problèmes de connexion, dysfonctionnements de l’ordinateur, blocages suite à un manque de maîtrise des logiciels, etc.) et enfin, à l’organisation du travail et de la vie familiale. Suivant la composition familiale et le nombre de personnes confinées (télétravailleurs, étudiants, enfants), il a été nécessaire d’aider à mettre en place de nouvelles règles dans l’environnement familial pour trouver le bon équilibre, et notamment s’organiser dans le couple de télétravailleurs pour déterminer en fonction des jours et des heures qui va prendre en charge les enfants, qui va préparer à manger, qui fait les courses, qui supervise les devoirs… D’un point de vue professionnel, il a fallu accompagner également des réajustements cognitifs en aidant les télétravailleurs, par exemple à déculpabiliser de ne pas être présent sur site avec leurs collègues et/ou leurs équipes, ou encore comprendre que le travail effectué à distance est du même niveau que celui effectué au bureau, même si celui-ci n’est pas exercé dans les mêmes conditions. D’un point de vue managérial, les retours sont différents : le manager pleinement reconnu par ses collaborateurs en présentiel est parfois devenu moins performant dans son management à distance. Les problématiques exprimées s’articulant autour de la non-maîtrise des outils ou d’une difficulté à impulser une dynamique à distance. Des retours sur un sentiment de laissé pour compte ont été exprimés. Le fait que le manager soit en télétravail alors que ses équipes soient sur site n’est pas toujours apprécié.

Aussi, dans le cadre de la prévention des risques psychosociaux, ont été organisés des ateliers impliquant le service des ressources humaines ainsi que l’Assistante sociale du personnel, (chercheuse en SIC), afin de faire un premier état des lieux de ce télétravail et de ses effets sur les pratiques. Trois voies d’usages ou de logiques se dégagent :

 afin de conserver la proximité, un besoin de rapprocher ou d’allonger les face à face individuels en distanciel ;
 concernant les collaborateurs menant de front vies privée et professionnelle (école à la maison, enfants en bas âge, en situation de handicap, aidants familiaux), faire en sorte de les déculpabiliser et « admettre » qu’ils ne peuvent pas fournir 100 % de leur travail ;
- pour celles et ceux qui surinvestissent le travail en cette période : rappeler le droit à la déconnexion, le droit au repos (prendre des congés, amplitude horaire journalière, règles de repos).

D’ores et déjà, il ressort de ces ateliers – et en situation de déconfinement progressif –, la nécessité d’une réflexion sur une organisation mixte du travail comme celle de développer de nouvelles formes d’organisation du travail « révélées » plus fluides ou souples. En effet, pour certains collaborateurs, ce travail à distance a été une vraie révélation. Les liens qui étaient plus difficiles à nouer auparavant se sont tissés plus facilement grâce aux moyens de connexion. En très grande majorité, les managers ont su créer avec leurs équipes une nouvelle forme de management. L’animation renforcée par des audios programmées régulièrement, des échanges sur Teams ou Yammers ont maintenu de véritables liens entre les équipes, le manager et l’entreprise. Enfin, pour maintenir une forme de convivialité entre tous, le recours aux réseaux sociaux comme WhatsApp pour des échanges plus conviviaux a pu être observé de part et d’autres. L’objectif sera donc de renforcer et de reconnaître les compétences qui se sont développées pendant le temps du confinement i.e. l’autonomie, la polyvalence, l’inventivité, l’engagement dont ont fait preuve les salariés dans cette situation particulière.

D’une manière plus générale, cette recherche soulève la question de la gestion du risque sanitaire qui s’inscrit dans une prise de conscience d’une éthique partagée : une organisation solidaire se met en place au profit d’un enjeu institutionnel qui implique, et donc solidarise parties prenantes qui acceptent de s’engager sur le long terme dans le but de mettre en place des pratiques et des attitudes responsables pour la prévention du cancer du sein. Nous pouvons observer au sein de cette recherche un réel engagement des parties prenantes au sens d’une prise de position politique, pour une autodétermination et une réappropriation du savoir.

Ceci étant, « Tout au long de son histoire, l’éthique de la recherche a été en tension : tension entre la liberté académique et la responsabilité sociale du chercheur, tension entre l’avancée des connaissances et le respect des participants qui sont à la base de cette avancée, tension également entre des conceptions différentes de ce qu’est l’éthique, sa visée et l’expression concrète de cette visée » (Levy et Bergeron, 2010 : 287). En effet, il existe des enjeux propres à une éthique collaborative, notamment la question de la frontière, c’est-à-dire « sur ce qui délimite, sur ce qui sépare et relie » (Lachapelle, 2011 : 60). Les participants seraient donc de ce point de vue, « des traits d’union potentiels entre des différences fondamentales » (Maalouf, 1998 ; Jones et Jenkins, 2008) car la collaboration implique toujours des obstacles et des limites, en particulier, sur son potentiel de transformation individuelle et collective. En ce qui concerne notre sujet de recherche, c’est donc bien ici toute la question des promesses d’une éthique du collaboratif, et de la communication sociale qui se posent. L’enjeu est d’obtenir un consensus social fondé sur les impératifs éthiques de grands projets de santé.

Bibliographie

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Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Notes

[2La Ligue nationale contre le cancer est une association française. Elle a été créée le 14 mars 1918 par Justin Godart. Ses missions principales sont la prévention et la promotion des dépistages des cancers ; l’accompagnement des personnes malades et de leurs proches ; ainsi que le soutien financier de la recherche publique dans l’ensemble des domaines concernant la cancérologie.

[3DOC 31 est le centre régional de coordination en charge notamment, de l’organisation du dépistage organisé du cancer du sein.

[6APALA : Avant, Pendant, et Après L’Absence

[8https://pastel.archives-ouvertes.fr/pastel-00001157/document.Wim van Wassenhove. Définition et opérationalisation d’une Organisation Apprenante (O.A.) à l’aide du retour d’expérience : application à la gestion des alertes sanitaires liées à l’alimentation. Sciences de l’Homme et Société. ENGREF (AgroParisTech), 2004. Français. NNT : 2004ENGR0020. pastel-00001157

[9SVANDRA Philippe, Repenser l’éthique avec Paul Ricœur. Le soin : entre responsabilité, sollicitude et justice, in Recherche en soins infirmiers 2016/1 (N° 124), pages 19 à 27.

[10RICOEUR Paul, 1990, Soi-même comme un autre, Seuil.

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