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L’IA comme outil pour mieux apprendre
C’est le premier usage auquel on pense, utiliser des algorithmes d’IA pour proposer des outils afin de mieux apprendre. Bien entendu, il y a beaucoup de mythes et de croyances à dépasser pour concrétiser cette première idée.
Le point clé est l’apprentissage adaptatif : en analysant les traces d’apprentissage de l’apprenant·e, par exemple ses résultats à des questionnaires, son interaction avec le logiciel…, le système va modifier son fonctionnement, notamment à travers la sélection de contenus, pour essayer de s’adapter à la personne.. Même si les fondements scientifiques n’en sont pas encore totalement stabilisés, on peut aussi exploiter une analyse de son “comportement” via l’utilisation de capteurs. Cela va d’une caméra sur son portable jusqu’à des interfaces cerveau-ordinateur en laboratoire. Ce principe d’adaptation se rencontre le plus souvent dans un contexte ludique et individuel, un jeu pédagogique avec la machine, mais existe également dans d’autres situations, par exemple avec plusieurs personnes.
Cette approche implique au préalable un travail souvent colossal pour formaliser complètement les savoirs et savoir-faire à faire acquérir. Cette formalisation est en soi intéressante car elle oblige à bien expliciter et à structurer les compétences, les connaissances et les pratiques qui permettent de les acquérir. Il faut cependant prendre garde à ne pas “sur-organiser” l’apprentissage qui demeure dans tous les cas une tâche cognitive complexe.
Par ailleurs, cette approche nécessite de travailler dans un contexte d’apprentissage numérique qui s’accompagne des contraintes bien connues comme les besoins de matériels, de formation aux logiciels, les limites à l’usage d’écrans, etc.
On peut mentionner plusieurs impacts pédagogiques de cet apprentissage algorithmique. En tout premier lieu, il génère en général un meilleur engagement de la personne apprenante, car interagir autrement avec les contenus offre une chance supplémentaire de bien les comprendre. Par ailleurs, la machine ne “juge pas” -comme un humain-, ce qui peut contribuer à maintenir cet engagement. Ensuite, et sans doute surtout, le fait que la difficulté soit adaptée à l’apprenant permet de limiter, voire d’éviter le découragement ou la lassitude. Ce type d’apprentissage nécessite cependant un investissement cognitif important. Enfin, si l’aspect ludique est “trop” prépondérant, il ne faut pas négliger le risque de se disperser au lieu de s’investir dans l’apprentissage escompté.
L’usage de ces nouveaux outils conduit le rôle de l’enseignant·e à évoluer. Ainsi, profitant que sa classe est plus investie dans des activités d’apprentissage autonomes, il a plus de disponibilités pour individualiser sa pratique pédagogique, avec les élèves qui en ont le plus besoin. De même, cela permet de se libérer – comme en pédagogie inversée – d’une partie du passage des savoirs ou de l’accompagnement de l’acquisition de savoir-faire, avec des contenus multimédia auto-évalués et des exercices d’entraînement automatisés, pour se concentrer sur d’autres approches pédagogiques, par exemple, par projets. Par rapport à des outils numériques classiques, sans IA, le degré d’apprentissage en autonomie peut être bien plus élevé et s’applique plus largement, par exemple, avec des exercices auto-corrigés et des parcours complets d’acquisition de compétences. Ces outils sont particulièrement d’actualité dans des situations d’école distancielle avec la crise sanitaire, et questionnent sur l’organisation du temps de travail scolaire.
L’utilisation de tels outils peut s’accompagner de dérives possibles dont on doit se protéger : traçage omniprésent et omnipotent des personnes apprenantes permettant de les “catégoriser”, tentation de réduire l’offre humaine en matière d’enseignement, renforcement des inégalités en lien avec l’illectronisme, etc… Le risque est accru quand ces traces sont reliées à celles émanant d’autres facettes de son comportement : achats, consultations de vidéos/lectures…
L’IA comme outil pour mieux comprendre comment on apprend
La possibilité de mesurer ces traces d’apprentissage n’offre pas uniquement une technique pour améliorer “immédiatement” l’apprentissage d’une personne, mais fournit aussi des sources de mesures pour mieux comprendre sur le long terme les apprentissages humains. Ces traces d’apprentissages sont relevées lors de l’utilisation d’un logiciel, par la mesure des déplacements de la souris, des saisies au clavier…, mais aussi grâce à des capteurs employés dans des situations pédagogiques sans ordinateur. On pense par exemple à une activité physique dans une cours d’école, observée avec des capteurs visuels ou corporels. Exploiter ces mesures impose alors non seulement de formaliser la tâche d’apprentissage elle-même, mais en plus, de modéliser la personne apprenante. Pas dans sa globalité bien entendu, mais dans le contexte de la tâche.
Il faut noter que ces algorithmes d’apprentissage machine reposent sur des modèles assez sophistiqués. Ils ne sont pas forcément limités à des mécanismes d’apprentissage supervisés où les réponses s’ajustent à partir d’exemples fournis avec la solution, mais fonctionnent aussi par “renforcement”, c’est à dire quand l’apprentissage se fait à partir de simples retours positifs (autrement dit par des récompenses) ou négatifs, le système devant inférer les causes qui conduisent à ce retour, parfois donc en construisant un modèle interne de la tâche à effectuer. Ils peuvent s’appliquer aussi en présence de mécanismes qui ajustent au mieux les comportements exploratoires (qualifiés de divergents) d’une part et les comportements exploitant ce qui est acquis (qualifiés de convergents) d’autre part. Ces modèles sont opérationnels, c’est-à-dire qu’ils permettent de créer des algorithmes effectifs qui apprennent. Il est passionnant de s’interroger dans quelle mesure ces modèles pourraient contribuer à représenter aussi l’apprentissage humain. Rappelons que, en neuroscience, ces modèles dits computationnels (c’est-à-dire qui représentent les processus sous forme de mécanismes de calculs ou de traitement de l’information) sont déjà largement utilisés pour expliquer le fonctionnement du cerveau au niveau neuronal. Dans ce contexte, ce serait de manière plus abstraite au niveau cognitif.
Ce domaine en est encore à ses débuts et des actions de recherches exploratoires qui allient sciences de l’éducation, sciences du numérique et neurosciences cognitives se développent.
L’IA comme sujet d’enseignement
Bien entendu pour maîtriser le numérique et pas uniquement le consommer, au risque de devenir un utilisateur docile voir même crédule, il faut comprendre les principes de son fonctionnement à la fois au niveau technique et applicatif.
Il est essentiel de comprendre par exemple que ces algorithmes ne se programment pas explicitement à l’aide “d’instructions”, mais en fournissant des données à partir desquelles ils ajustent leurs paramètres. Il est aussi nécessaire de se familiariser au niveau applicatif avec les conséquences juridiques, par exemple, d’avoir dans son environnement un “cobot” c’est-à-dire un mécanisme robotique en interaction avec notre vie quotidienne. Ce système n’est quasiment jamais anthropomorphique (c’est à dire possédant une forme approchant celle de l’humain), c’est par exemple une machine médicale qui va devoir prendre en urgence des décisions thérapeutiques quant à la santé d’une personne que la machine monitore. On voit dans cet exemple que la chaîne de responsabilité entre conception, construction, installation, paramétrisation et utilisation est très différente de celle d’une machine qui fonctionne sans algorithme, donc dont le comportement n’est pas partiellement autonome.
Le MOOC https://classcode.fr/iai sur l’IA est justement là pour contribuer à cette éducation citoyenne, et faire de l’IA un sujet d’enseignement.
L’IA comme un objet d’enseignement qui bouleverse ce que nous devons enseigner.
En effet, la mécanisation de processus dits intelligents change notre vision de l’intelligence humaine : nous voilà déléguer à la machine des tâches que nous aurions qualifiées intelligentes si nous les avions exécutées nous mêmes. Nous allons donc avoir moins besoin d’apprendre des savoir-faire que nous n’aurons plus à exécuter, mais plus à prendre de la hauteur pour avoir une représentation de ce que les mécanismes “computent” (c’est-à-dire calculent sur des nombres mais aussi des symboles) pour nous.
C’est un sujet très concret. Par exemple, avec les calculettes … devons nous encore apprendre à calculer ? Sûrement un peu pour développer son esprit, et comprendre ce qui se passe quand s’effectue une opération arithmétique, mais nous avons moins besoin de devenir de « bons calculateurs ». Par contre, ils nous faudra toujours être entraînés au calcul des ordres de grandeurs, pour vérifier qu’il n’y a pas d’erreur quand on a posé le calcul, ou s’assurer que le calcul lui-même est pertinent. De même avec les traducteurs automatiques, l’apprentissage des langues va fortement évoluer, sûrement avec moins le besoin de savoir traduire mot à mot, mais plus celui de prendre de la hauteur par rapport au sens et à la façon de s’exprimer, ou pas … c’est un vrai sujet ouvert.
Finalement, si nous nous contentons d’utiliser des algorithmes d’IA sans chercher à comprendre leurs grands principes de fonctionnement et quelles implications ils entraînent sur notre vie, nous allons perdre de l’intelligence individuelle et collective : nous nous en remettrons à leurs mécanismes en réfléchissant moins par nous-même.
Au contraire, si nous cherchons à comprendre et à maîtriser ces processus, alors la possibilité de mécaniser une partie de l’intelligence nous offre une chance de nous libérer en pleine conscience de ces tâches devenues mécaniques afin de consacrer notre intelligence humaine à des objectifs de plus haut niveau, et à considérer des questions humainement plus importantes.
Pascal Guitton et Thierry Viéville.
P.S. : pour aller plus loin Inria va partager à partir de fin novembre un livre blanc « Education et Numérique : enjeux et défis », organisé en cinq volets :
– état des lieux de l’impact du numérique sur le secteur de l’éducation ;
– identification des défis du secteur ;
– présentation des sujets de recherche liés au domaine de l’éducation au numérique ;
– analyse des enjeux français dans le domaine ;
– et enfin mise en avant de sept recommandations pour la transformation numérique de l’éducation.
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