Décrypter les pratiques de consommation des adolescents est un enjeu important pour les acteurs de l’éducation mais aussi pour les marques qui cherchent à identifier par des signaux faibles les tendances de demain. Or, pour cette génération, baptisée Z, pratiques de consommation et pratiques numériques sont fortement imbriquées. Nés avec Internet, 99 % des adolescents fréquentent les réseaux sociaux avec une présence moyenne sur 3,9 réseaux parmi lesquels figurent Facebook, YouTube, Instagram, Snapchat ou encore TikTok (étude IFOP 2021).
Ces réseaux sociaux scandent le quotidien de ces jeunes consommateurs qui y consacrent 5 heures par jour pour se divertir, échanger et commenter des contenus avec leurs amis. Ils sont devenus le creuset d’une sociabilité numérique, faisant émerger une culture de consommation qui se construit entre pairs. Ainsi, les jeunes se mettent en scène pour obtenir la validation de leurs copains et cette visibilité s’apprécie à l’aune des « likes », des commentaires ou des partages obtenus.
Ces formes de reconnaissance participent à la structuration d’une identité de groupe qui se laisse voir dans l’adoption de marques, de produits, de pratiques similaires. Certains adolescents sont d’ailleurs érigés au statut d’influenceurs et deviennent des modèles façonnant, au gré des contenus qu’ils publient, les attitudes de leurs semblables. Ces nouvelles figures d’autorité qui jouent sur une forte proximité sociale avec leurs homologues sont ainsi à l’origine de normes, auxquels les adolescents sont invités à se conformer pour faire partie du groupe.
Ces mécanismes ne sont pas sans rappeler les travaux de Bandura sur l’apprentissage social, soulignant notamment comment l’observation de pratiques répétées au sein d’une communauté favorise l’acquisition et l’intériorisation d’habitudes permettant à un individu d’en devenir membre et d’écarter ainsi tout risque de marginalisation.
Nouveaux choix culinaires
Parmi les posts publiés et partagés sur les réseaux sociaux, l’alimentation constitue une des thématiques privilégiées par les adolescents. Lors du premier confinement provoqué par la crise sanitaire, les consultations des publications portant sur le « bien manger » avaient augmenté de 30 % (étude Médiamétrie 2020).
Sensibilisés dès leur plus jeune âge au bénéfice d’une bonne hygiène de vie, les adolescents utilisent à présent les ressorts du numérique pour accroître leurs connaissances, confronter leurs expériences personnelles, trouver des recettes et des astuces en matière culinaire et plus globalement devenir acteurs de leurs choix alimentaires.
À lire aussi :
Les jeunes sont-ils toujours attirés par la malbouffe ?
En particulier, la tendance « healthy » portée par de nombreuses communautés en ligne, qui encouragent une alimentation saine alliée à une activité physique régulière, rencontre un fort engouement chez cette génération. Les expositions de plats, les mises en scène de soi conjuguées aux nombreuses recommandations qui y sont véhiculées font écho aux aspirations qui animent les adolescents : appétence au « bien manger », quête d’un corps sculpté conforme aux normes en vigueur, reconnaissance d’une expertise « générationnelle » autour de la consommation valorisant l’entre-soi.
Ces communautés diffusent des repères et des modèles, invitant à adopter de nouvelles pratiques de consommation qui vont bien au-delà du cadre strict de l’alimentation. Pour ces individus en quête d’autonomie que sont les adolescents, la nourriture y est envisagée comme une ressource répondant au désir de prendre sa vie en main en changeant des habitudes acquises durant l’enfance. Ces velléités de changements s’ancrent dans l’adhésion réelle ou sublimée à des régimes nutritionnels : végétarisme, véganisme, flexitarisme… Dans une enquête de FranceAgriMer menée en 2018, 11 % des répondants âgés de 18 ans à 34 ans se considéraient d’ailleurs comme végétariens, végétaliens ou végans, contre 5,6 % dans le reste de la population.
La volonté de changement se laisse voir également dans la promotion de nouveaux produits : graines de chia, konjac, compléments alimentaires… au détriment de denrées plus conventionnelles. Elle se prolonge enfin dans l’adoption d’un style de vie fondé sur le contrôle de soi et de son apparence comme vecteur de réussite sociale. Pour cette génération, l’alimentation s’envisage comme un moyen d’améliorer sa vie, de montrer que l’on dispose des codes à l’origine d’une existence sereine, comblée, qui mérite dès lors d’être exhibée en ligne.
Conscience sociétale
Pour certains adolescents, les contenus diffusés sont des sources de motivation pour adopter de nouveaux comportements propices à leur bien-être. En naviguant jour après jour sur les comptes auxquels ils sont abonnés, ils développement un sentiment d’efficacité personnelle qui est d’autant plus renforcé qu’ils mettent en pratique ces conseils.
Pour d’autres, ces contenus sont perçus comme de véritables injonctions à se conformer et induisent, dès lors, de fortes pressions. Cela peut aller jusqu’à affecter l’estime de soi. Les standards alimentaires, les performances sportives perçues comme trop difficiles à atteindre pour obtenir un corps « idéal » favorisent, en effet, des mécanismes de comparaison sociale susceptibles de mettre en péril leur santé.
Que les impacts des réseaux sociaux soient positifs ou négatifs pour les adolescents, ils apparaissent comme des vecteurs de transformation. Ils invitent les adolescents à penser leur consommation, à revisiter leur mode de vie si celui-ci n’est pas en cohérence avec leurs valeurs.
Au-delà des choix individuels modelés dans ce huis clos virtuel, les contenus diffusés autour de l’alimentation, contribuent à véhiculer chez eux une forte conscience sociétale, intéressant non seulement leur propre génération mais les générations à venir. Celle-ci se donne voir dans des publications militantes visant les causes auxquelles la plupart des adolescents sont sensibles : promotion du bien-être animal, lutte contre le gaspillage, protection de la planète…
À lire aussi :
En 2020, les « générations climat » haussent le ton
Ainsi, l’alimentation donne l’opportunité aux adolescents de reconsidérer leur rôle de consommateur pour se penser comme des citoyens à part entière, capables d’agir pour anticiper les transitions à venir. Les contenus que s’échangent les adolescents dans le domaine de l’alimentation témoignent de leur prise de conscience quant au rôle que le bien manger peut jouer dans leur existence.
Si ces contenus constituent un support de socialisation majeur pour cette population en quête identitaire, ils représentent sans doute une mine d’informations à convoquer pour prendre en compte, dans les actions de prévention ou de sensibilisation à mener sur le sujet, le potentiel de co-création des adolescents et leur aptitude à envisager le monde d’après.
Pascale Ezan a reçu des financements de l’Institut Danone et La Fondation pour la Recherche Médicale (FRM)
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |