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le webinairede Riposte Créative Pédagogique le du novembre avec Anne Monnier
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Bonjour Anne Monnier, est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
Bonjour ! Je suis, chargée de mission « Transition écologique » à l’Institut Mines Telecom (IMT) et mon rôle aujourd’hui est d’accélérer les transformations sur différents plans au niveau du réseau d’écoles d’ingénieur et de management de l’Institut Mines Télécom. [1]
Tu as coordonné la mise en place d’un référentiel de compétences pour l’ingénieur responsable pour le réseau IMT autour des questions de la transition écologique, pourquoi cette démarche de référentiel ?
C’est une démarche qui nous est apparue essentielle pour donner un fil conducteur solide, un langage explicite et commun pour aligner les écoles du groupe sur une transformation cohérente et en profondeur des enseignements. D’un côté, de nombreux étudiants formant un collectif au sein de l’IMT (le TFORC [2], Transitions Formations Citoyennes) ont demandé des socles communs d’enseignement de la transition écologique. De l’autre côté, des enseignants-chercheurs, eux aussi pour une majorité conscients des enjeux planétaires, se disent pourtant non légitimes pour « enseigner la transition écologique ». Ils mentionnent aussi qu’ils ne sont pas bien sûrs de ce que cela signifie concrètement pour leur expertise. Ainsi, ce référentiel a pour but autant d’accompagner la création d’unités d’enseignements dédiées à la transition, mais également de transformer les enseignements dédiés aux sciences de l’ingénieur et transmettre une posture commune de « l’ingénieur responsable ».
A l’instar du Climat Sup de l’INSA, [3] une réflexion est réalisée de manière conjointe dans les écoles de l’institut IMT. Le référentiel de compétences est un bloc de quatre compétences qui permettront de guider l’évolution de la posture de l’ingénieur, qu’il soit généraliste ou spécialiste du numérique, des énergies, des matériaux, de la santé etc...
Ainsi, l’idée sous-jacente est que chaque école du groupe puisse utiliser ce référentiel comme un ingrédient clé à incorporer à la refonte des programmes qui a lieu en 2021-2022, mais tout en conservant son ADN et son expertise historique ! Cette refonte a lieu particulièrement sur la partie blocs de compétences et fiches RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles), en lien avec les nouvelles demandes de la CTI (Commission des Titres de l’Ingénieur) et de France Compétences pour l’année 2022.
Quatre compétences ou quatre familles de compétences ?
Effectivement, la terminologie peut différer en fonction des organismes ou des écoles de pensée. Pour simplifier, disons que ce référentiel de compétences est construit autour d’un bloc de 4 « méta-compétences » dans lesquelles sont déclinées de manière incrémentale des micro-compétences progressives et évaluables (parfois encore appelées objectifs d’apprentissages) qui pourront se retrouver directement dans les fiches RNCP. Elle permettront, au fur à mesure qu’elles seront enseignées et incarnées dans les enseignements, de faire monter en compétence l’étudiant vers un « savoir-agir complexe ». Car il ne s’agit plus aujourd’hui simplement d’être capable de faire un bilan carbone par exemple, ce qui correspond plutôt à ce qu’on appelle un « skill », finalement assez circonscrit. Non, la compétence est plus complexe que cela : ce que l’on cherche à construire de briques en briques, c’est la capacité à devenir un agent de changement, ce qui comprend des savoirs, des savoir-faire, et des savoir-être multiples et transverses, autant dans les « hard » que dans les « soft » skills.
Sur combien de temps et avec qui ce travail a-t-il été réalisé ?
Ce travail collaboratif à démarré en octobre 2020 avec les pilotes de cette transformation de chacune des écoles. Le groupe de travail incluait une quinzaine de personnes, mais en tout, c’est une centaine d’enseignants-chercheurs, d’ingénieurs pédagogiques et de directeurs de formations qui ont contribué à la réflexion. C’est un tour de force que d’avoir réussi à co-créer un référentiel cohérent, ambitieux mais réaliste, dans lequel une école des Télécom peut s’y retrouver autant qu’une école des Mines ! L’important était aussi de le faire ENSEMBLE. Nous nous sommes inspirés d’abord d’un large partage d’expérience des écoles du réseau (qui ont déjà fait de nombreuses choses sur le sujet), et avons absorbé l’état de l’art et de l’état des lieux au niveau national et dans la francophonie. En particulier, nous nous sommes basés sur le référentiel de compétences de la CGE CPU [4] qui déclinait 5 méta-compétences, sur celui du Shift Project [5], et sur les travaux du Campus de la transition [6]. En interne, nous nous sommes appuyés sur le référentiel que la directrice de l’enseignement, Frédérique Vincent, avait mis au point il y a déjà des années, lorsqu’elle avait créé les masters spécialisés de l’environnement (ISIGE) aux Mines ParisTech. Nous avons ensuite ajouté l’ADN de l’IMT pour créer la 4ème compétence, la plus concrète et la plus opérationnelle (appelée compétence « terminale » par l’UNESCO) pour amener les étudiants à être outillés pour agir concrètement dans leur carrière et leur métier.
Peux-tu nous présenter ces quatre compétences ?
Ce bloc de compétences est découpé en quatre méta-compétences :
– « Analyser de manière systémique l’impact des activités humaines sur les écosystèmes et sur le climat »
– « Appliquer une approche historique et prospective favorisant la posture critique et la prise de décision »
– « Incarner une responsabilité individuelle pour agir collectivement »
– « Créer des chaînes de valeur respectueuses d’un avenir durable : anticipation, analyse d’impacts, mise en œuvre »
Il a vocation à s’infuser dans l’ensemble des 4 ou 5 blocs de chacune de nos écoles, et est intitulé (pour le moment, car nous faisons encore une dernière passe sur les terminologies !) « agir avec responsabilité environnementale et sociétale » [7].
la trame du référentiel en cours de validation
Comment utiliser ce référentiel tout au long d’un parcours, et qui l’utilise ?
L’image que nous donnons à ce référentiel de compétences est une boussole avec 4 points cardinaux pour expliciter dans quelle direction nous souhaitons collectivement emmener les étudiants, tout au long de leur cursus jusqu’à leur diplôme. Un enseignement peut tout à fait contribuer à plusieurs micro-compétences simultanément. La montée en compétences se fait au fur à mesure des 1800 heures d’enseignement et des multiples projets et challenges que les étudiants suivent lors des trois années. Ainsi, au-delà d’un tronc commun spécial dédié à la transition écologique de 50 ou 100 heures, ce référentiel soutient la mise en cohérence de l’ensemble des enseignements dispensés, et la diffusion d’une posture et d’un savoir-agir complexe pour la transition écologique.
Il permet également d’être un outil de réflexion et d’auto-positionnement pour un enseignant : cela propose un cadre pour mieux identifier les enseignements déjà dispensés sur la transition écologique dans les cursus (car il y en a parfois de nombreux !) mais aussi donner une perspective d’évolution pour les autres.
Avez-vous un exemple concret de mise en œuvre pour bien comprendre ?
On peut prendre l’exemple de la capacité à adopter une posture de controverse : écouter activement et sans juger, reconnaître un fait d’une opinion, prendre note des avis divergents et rendre compte de manière neutre et factuelle, et, fort de tout cela, être capable de prendre position et d’expliquer son choix ou sa vision à des collaborateurs. Enfin, reconnaître si cette vision est éclairée ou non. Une fois qu’on a dit cela, on se rend compte que cette compétence sera essentielle pour l’ingénieur qui sera (et est déjà !) confronté à de multiples controverses d’actualité et de transition écologique. Ces controverses se retrouvent dans des thématiques aussi diversifiées que le numérique, les extractions minières, la réindustrialisation, l’énergie ou les usages technologiques. Aujourd’hui nous trouvons fondamental de pouvoir enseigner et accompagner une montée en compétence comme celle de la capacité à controverser intelligemment et de manière non polarisée. Finalement, cet exercice peut s’incarner transversalement, dans de nombreux enseignements !
Ensuite, au delà d’être un outil pour les enseignants-chercheurs, ce référentiel peut aussi soutenir les directions de formation et les comités d’enseignements qui ont le lourd défi d’articuler et de faire évoluer les formations et les enseignements de manière cohérente, tant dans les contenus que dans leurs innovations pédagogiques ... et avec les exigences toujours en évolution de la CTI.
Enfin, ce référentiel permet d’expliciter la démarche globale aux étudiants, pour qu’eux-mêmes puissent conscientiser ce que l’institut est en train de leur transmettre, dans une vision collective et réflexive. En d’autres termes, l’explicitation de ces compétences pour devenir un ingénieur responsable et outillé pour contribuer à relever les défis planétaires nous paraît essentielle pour réussir leur appropriation.
Qu’en est-il de l’évaluation de ses compétences ?
Essentiel (et non trivial !) mon cher Watson ! C’est LE chantier que nous attaquons cette année, toujours de manière collaborative. Aujourd’hui la révolution du passage par compétences, et ce n’est pas qu’au niveau de la transition écologique, amène la question des activités pédagogiques et l’articulation avec l’évaluation de celles-ci. En particulier, l’évaluation en situation, sur le terrain, puisque ces compétences très transverses et diffuses s’acquièrent par du portage de projet, par de la pédagogie active et participative plutôt que sur une évaluation « un peu 20e siècle » avec QCM ou devoir sur table. Pour la transition écologique, ceci ne permet pas de refléter une capacité à agir différemment.
Pour résumer les 4 compétences dans leur articulation globale : nous souhaitons former un ingénieur capable 1) d’analyser son activité de manière systémique, historique et prospective, 2) d’agir en responsabilité et de manière nouvelle, 3) en incarnant un socle de valeurs qui évolue. Rien de moins ! Alors, tout cela ne peut pas s’évaluer avec d’anciennes méthodes sur papier ou sur devoir. C’est donc un très grand chantier, actuellement en cours, que de relier ce référentiel de compétences aux activités pédagogiques et à l’évaluation de ces compétences.
Dans les compétences, on distingue souvent différents niveaux comme « avoir été confronté », « avoir pratiqué », « analyser », « créer » … est-ce qu’il y a ces niveaux de compétences également dans ce référentiel ?
Oui, tout à fait en fait, nous avons construit ce référentiel en utilisant la taxonomie de Bloom (cognitive et affective) afin d’assurer une progression dans la compétence. Par exemple On va retrouver des micro-compétences d’abord sur l’identification, ou la compréhension de la notion d’écosystème, du système terre, des conséquences des activités humaines sur les ressources, sur le climat ou la biodiversité et au va au fur à mesure se diriger vers la capacité d’analyse d’impact,vers la mitigation puis vers la capacité à s’ouvrir voire créer de nouveaux modèles pour les plus avancés.
La Commission des Titres de l’Ingénieur, la CTI, demande à ce qu’un ingénieur valide à minima le niveau B2 en anglais voir C1 est-ce qu’une exigence de niveau de validation est envisagée dans le cadre de de ses compétences ?
Aujourd’hui, il n’y a pas un cadre précis pour ces évaluations. On peut voir des choses émerger comme le Sulitest par exemple qui souhaite se positionner comme le futur Toefel [8] du développement durable et de la responsabilité sociétale. Mais cela ne peut pas suffire au regard de ces savoir-agir complexes et de l’exposé précédent, nous sommes tous d’accord. Chaque école avançant avec ses propres défis et expertises, plutôt que de poser une exigence stricto sensus pour chaque école ou chaque diplômé, nous avons, (enfin, je crois et je l’espère) réussi à créer un outil d’accompagnement qui facilite, qui donne du concret et de l’autonomie aux écoles dans cette tâche si peu triviale : « enseigner la transition écologique ». Par ailleurs, la CTI a également un groupe de travail de la Responsabilité Sociétale qui doit atterrir sur de nouvelles indications d’ici la fin de l’année.
Alors, où en êtes-vous de sa mise en œuvre ?
Cette phase d’un an de concertation pour la création de ce référentiel s’est magnifiquement conclue le 6 octobre 2021 par une rencontre entre ce groupe de travail (appelé « COMFORTE », compétences et formations pour la transition écologique ») et les directions de formation des 8 écoles de cœur et de 10 écoles partenaires, et même des étudiants. Ce jour-là, nous étions 60 personnes, et avons identifié ensemble les défis à relever cette année pour que l’implémentation devienne opérante, aux 3 niveaux d’implémentation : les directions de formation et les blocs de formation, les enseignants chercheurs et leurs enseignements, et les étudiants et leur conscience de leur formation et la valorisation de leurs actions !
La prochaine étape clé à laquelle nous travaillons maintenant est l’élaboration d’un manuel explicatif pour accompagner ce référentiel afin qu’il soit enviable et autoporteur, et qu’un enseignant puisse s’en emparer en autonomie. Autant expert que novice sur ces sujets, l’objectif est que chaque enseignant (et nous en comptons près de 1100 dans les 8 écoles de l’IMT) puisse s’en inspirer et comprendre la posture et la méthodologie sous-jacente pour contextualiser son cours, faire évoluer son enseignement, tant sur la pédagogie que sur les contenus.
Enfin, un évènement pivot de cette transformation sera la première édition d’une école d’été qui se tiendra du 5 au 8 juillet 2022 sur le campus de Brest de l’IMT Atlantique, et sera ouverte à 80 enseignants-chercheurs du réseau de l’IMT et des écoles partenaires pour partager les témoignages et les retours d’expérience sur la mise en œuvre de ce référentiel. Cette école d’été est en cours de conception en collaboration avec le Forum des usages coopératifs qui se tiendra en même temps sur le campus. Un forme de récursivité et une manière d’incarner la transition avec une posture ouverte de partage !
Sur ces questions de coopération et de transition écologique, ne penses-tu pas qu’il y a urgence ? Est ce que ce que vous produisez pourra être réutilisé et est ce que vous envisagez des coopérations pas seulement au sein de l’IMT mais aussi avec d’autres acteurs de la formation d’ingénieurs ?
Tout à fait, c’est aussi la raison pour laquelle nous faisons cette interview aujourd’hui. Nous rendrons disponible librement assez rapidement, l’ensemble de ce que nous produisons pour favoriser les échanges avec l’extérieur et pour absorber un maximum de bonnes pratiques de l’extérieur en un temps record. C’est aussi l’objet de mon rôle qui est de garantir cette ouverture et cette accélération en interne comme en externe. Vous trouverez d’ailleurs ici le premier rapport intermédiaire qui retrace les moments clés de la conception du référentiel et les contacts écoles qui ont largement contribué.
– https://fr.calameo.com/read/00157627734b9ad35e576
Est ce que tu aurais un ou deux exemples un petit peu de de mise en œuvre dans dans une école ?
Le référentiel vient à peine d’être terminé on essaie de travailler de manière agile, en parallèle. Cette élaboration se croise avec un recensement de ce qui est déjà fait actuellement dans l’enseignement des écoles. Par exemple, La fresque du climat a été mise en œuvre en 2020 pour l’ensemble des 2700 étudiants de première année de nos 8 écoles et a été réitérée en 2021. Cette fresque du climat alimente directement plusieurs objectifs pédagogiques tel qu’ "Identifier les mécanismes de cause et de conséquences des activités humaines et articuler ces multiples impacts ressources climat société, biodiversité". Cette activité dure 3h, et est déjà intégrée aux unités d’enseignement dédiées à la transition. Elle est aussi systématiquement suivie d’atelier réflexifs et de mise en action, pour surtout éviter l’écueil de laisser les étudiants dans l’éco-anxiété et sur un constat stérile, ce qui risquerait de créer un déni chez eux.
Est-ce que par exemple, il peut être envisagé que dans tout rapport de stage les questions de la transition écologique soient prises en compte ?
C’est un excellent exemple !Cela a déjà été mis en pratique depuis un an dans notre école de management. C’est typiquement une mesure rapide et efficace qui ne nécessite pas tant d’évolution des programmes. Cela nécessite plutôt d’éclairer en amont les enseignants qui sont en charge de relire et d’évaluer ces rapports de stage, et de bien expliciter la consigne (i.e ce que veut dire le fait de porter un regard critique sur l’entreprise ou le cadre dans lequel évolue l’étudiant au regard des enjeux planétaires). Cela permettra également d’évaluer leur maturité sur le recul qu’ils ont sur les enjeux auxquelles font face les entreprises. Nous pourrions déployer ce point dans l’ensemble des écoles dès la rentrée 2022, c’est en réflexion.
Est ce que cela ne va pas poser question du côté des entreprises dans la mesure où ces questions de transition écologique commencent tout juste à être prise en compte ?
Les industriels et entreprises qui font partie de l’écosystème de l’IMT sont tout à fait demandeuses d’ingénieurs et de managers 1) qui évoluent avec leur temps, 2) qui sont capables de mieux analyser les crises et les risques à venir et 3) d’être force de proposition en interne, avec un regard éclairé autour des enjeux planétaires. La RSE devient un critère de plus en plus prégnant pour l’attractivité des jeunes talents. C’est une convergence que l’on observe dans différentes enquêtes réalisées tant au niveau de l’Observatoire des métiers de l’IMT que dans les enquêtes nationales. Aujourd’hui, nos enquêtes révèlent que 80 % des entreprises de notre écosystème se sentent concernées par ce sujet. Ils sont demandeurs d’échanger avec nous sur les formations et sur ces compétences, de ce « fameux ingénieur responsable » dont on rêve tous tant !
Donc rendez vous l’année prochaine pour regarder ce que les étudiants disent des entreprises qui les ont accueillis...
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