Un article publié le 10 avril 2020 sur le site de Percolab [1], une publication sous licence CC by nc nd
Fanny et Claire sont facilitatrices en intelligence collective et facilitatrices graphiques. Depuis plusieurs années au service des conversations émergentes, elles s’interrogent en ces temps bouleversés sur le rôle social de leur métier. Quelle est la valeur de notre activité quand se presse l’urgence de sauver les vies humaines ? À travers une interview croisée, elles vous livrent leur vision de leur métier.
Comment a commencé ce questionnement ?
Fanny Quand le confinement a commencé, je me suis interrogée sur l’avenir de mon métier, et sur son utilité. Qui aura besoin de formations en facilitation graphique une fois le confinement terminé ? Qui aura du budget à consacrer à de la prestation graphique alors que les économies seront de mise ? C’est là que je me suis rendu compte que souvent la facilitation graphique était considérée comme l’élément joli sur lequel on pouvait communiquer, alors que pour moi c’est bien plus ! Sans parler de l’aspect bandes dessinées qui peut donner une impression de moins “sérieux”… J’ai profité du confinement pour me former aux principes du Generative Scribing et j’ai fait la capture d’une vidéo de Zulma Pattaroyo qui expliquait l’usage de ces techniques visuelles au service de la justice sociale, cela m’a ouvert les yeux !
Claire J’ai toujours considéré la facilitation graphique comme un réel outil au service d’un groupe. Je le vois depuis le début en tant que facilitatrice comme une puissante technique de récolte, de miroir des échanges en cours, qui alimente les réflexions et garde une trace. Je suis consciente que certaines personnes y voient un aspect enfantin, trop “peu sérieux” face aux sujets traités. Mais c’est justement cet autre regard que le langage graphique apporte, qui lui donne toute sa puissance.
J’ai aussi eu la chance de suivre les modules en ligne du Presencing Institute sur le Generative Scribing, dont celui sur le System Scribing. Je sais que c’est ce type de facilitation graphique vers lequel j’ai envie d’aller, celle qui rend visibles l’inconnu, l’invisible, les émotions et le vécu, car c’est ça la force des outils visuels.
A titre d’exemple, pourrais-tu décrire une expérience forte où tu as senti que ta facilitation graphique avait changé quelque chose, avait vraiment servi ?
Claire J’ai assisté au conseil d’école de l’école de ma fille, située dans un quartier populaire. Le premier problème évoqué était de trouver une façon d’expliquer les projets de l’école, les horaires à respecter, les fonctionnements de la coopérative… à tous les parents d’élèves, dont une grande partie ne maîtrise pas le français. La fresque graphique résumant ces éléments clés que j’ai réalisée a servi de support d’échange, et donc de lien, entre les différentes parties de ce système : enfants, parents, instits, directrice, personnel de la Mairie.
Fanny Pour ma part, c’était lors d’un atelier avec des agents de la fonction publique de l’Etat sur la santé et sécurité au travail. Le principe était des échanges sur les effets du Document unique, avec l’intention de s’en inspirer pour trouver des solutions inédites. Rapidement, la discussion est devenue un espace pour poser les émotions fortes, souffrances, détresses, qui n’avaient pu être exprimées à ce jour. Le ton est vite devenu très lourd. C’était un cadeau que la conversation ait lieu, mais que capturer pour avancer ? Je me suis rendu compte que si je figeais ces détresses, elles allaient marquer le processus, j’ai donc fait un travail de filtrage et pris le parti de “à toute situation, on peut trouver un effet positif”. Je me suis sentie complètement impliquée et lors de la présentation au groupe, il y a eu un effet de créativité et de positivité incroyable ! La fresque est devenue une sorte d’artefact, précieusement gardé par les organisateurs de l’atelier et régulièrement ressortie. C’est vers là que je veux aller, apaiser les souffrances, contribuer à avancer pour des meilleures conditions de travail et de vie.
En quoi la facilitation graphique peut-elle jouer un rôle en période de confinement ?
Fanny Selon moi, dans cette période de confinement, on est cruellement en besoin de garder un lien, des relations avec les personnes avec lesquelles on interagit : nos collègues, bien sûr, mais aussi nos clients, nos partenaires… Le collectif est toujours là, mais plus physiquement. En un sens, il existe moins, est moins facile à attraper. Ainsi, révéler les émotions, poser les idées de manière tangible, les rendre réelles et continuer à construire concrètement le futur est très important, et est facilité avec la capture graphique.
Claire En exemple, j’ai eu l’opportunité de scriber deux conversations en ligne sur le vécu du confinement, avec deux groupes distincts. Ces deux conversations étaient chargées en émotions et en questionnements. Nos authentiques fragilités se sont mises à nu. Les résumés graphiques n’ont été partagés qu’à la fin, en clôture, de ces temps d’échange. Selon les dires des participants, les voir en toute fin a permis d’apaiser, de mettre de la clarté, de mettre à plat un certain flot d’émotions et d’interrogations sur le futur. Ces résumés ont donné la sensation d’avoir produit quelque chose ensemble, de façon collective et qui pourra peut-être nous servir pour avancer dans les réflexions. Nous avons ainsi tenté de mettre un peu plus de sens sur les vécus de chacune et chacun, et c’est essentiel.
Quels sont les aspects essentiels que tu vois dans ce que crée la facilitation graphique ? Une phrase, une image !
Fanny Ce qui compte pour moi :
- Offrir un langage universel : comme cette participante à un atelier qui était assistante sociale et voulait créer un visuel pour expliquer à des réfugiés, avec qui elle n’avait pas de langue commune, des obligations liées à la gestion d’un appartement !
- Créer de nouveaux imaginaires : comme lors de cette journée sur l’égalité professionnelle à la Préfecture de l’Hérault, où l’idée était aussi de visualiser des situations pour lesquelles on n’a pas encore beaucoup d’images, comme une femme pompière ou un homme rejeté pour propos sexistes !
- Faire vivre au delà de l’instant : pour accompagner les forces vives, ancrer les engagements et les idées, comme lors de cette capture graphique d’un événement qui questionnait les processus de concertation, où j’ai fait un parallèle entre la construction d’une tour et celle du méchant dans le Seigneur des anneaux, et c’est devenu un mème ! #sauron
- Accompagner les processus de paix : en offrant une écoute authentique, des vécus que l’on ne peut nier et des personnes avec qui l’on doit compter. Pas d’exemple encore, mais un objectif à atteindre !
Mon motto : Participer à unir les personnes dans ce qu’elles ont en commun, à travers les émotions, les cultures, les vécus, pour soutenir les dynamiques sociales et s’engager vers un monde plus égalitaire et apaisé.
Claire Ce qui compte pour moi :
- Créer du lien : avec le Conseil de classe, permettre à des personnes de communiquer et entrer ensuite en interactions.
- Porter haut et fort son message, sa raison d’être et ses valeurs, la fresque été imprimée et affichée dans l’entreprise.
- Visualiser l’intangible, comme avec ce cercle de dialogue sur le coronavirus, aller au-delà des mots pour capter ce qui est en train d’émerger, ce qui n’existait pas encore et qui est rendu possible par les personnes présentes à ce moment-là.
- Faciliter l’accès à une information clé pour prendre part à l’action collective :
j’ai été mandatée par la coopérative Smart afin de créer un poster qui expliciterait comment les sociétaires peuvent participer à la réflexion et aux décisions de la coopérative. Cette information existait, bien-sûr, mais très peu de sociétaires la connaissaient car il fallait la rechercher dans les textes et procédures. L’intention de ce poster était, à mon sens de favoriser l’engagement des sociétaires de cette entreprise partagée, leur capacité à s’impliquer et devenir acteurs de leur structure.
Mon motto : favoriser le pouvoir d’agir en aidant les collectifs à mettre de la clarté sur les systèmes dont ils font partie, révéler les parties prenantes, les relations, les sous-ensembles, les points de vue…, pour soutenir les échanges au sein du groupe et accompagner les changements qu’ils souhaitent y voir.
En conclusion, la facilitation graphique est pour nous un engagement ! Nous souhaitons contribuer à des conversations qui comptent, pour créer du lien. Nous nous impliquons dans la dynamique collective, avec cœur et conscience.
The post La facilitation graphique, rôle social appeared first on Percolab.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |