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L’analyse de l’actualité à caractère scientifique : une voie de développement des compétences informationnelles

21 décembre 2021 par Michel Briand Formation professionnelle 668 visites 0 commentaire

Dans ce numéro, Martin Lavallière, professeur-chercheur à l’UQAC, traite de l’utilisation de l’actualité à caractère scientifique pour favoriser le développement des compétences informationnelles chez les étudiantes et étudiants. Il propose une méthode permettant d’intégrer cette stratégie pédagogique dans vos enseignements.

Un article repris du site Pédagogie universitaire, du réseau de l’université du Québec, une publication sous licence CC by sa nc

Mise en situation

Odile enseigne un cours de méthode de recherche en santé. Ses étudiants et étudiantes lui rapportent fréquemment des questionnements reçus de leurs clientèles, voire de leurs familles, concernant des publications à caractère scientifique parues dans les médias et pouvant ressembler à de fausses nouvelles (« fake news »). Ils se demandent comment répondre aux questions découlant de ces publications et sont désireux de bien comprendre les résultats de recherche dont les articles font état, qu’ils soient plausibles ou non.

Odile reconnaît que le phénomène de fausses nouvelles s’est intensifié au cours des dernières années, en grande partie à cause de la diffusion de l’information à large échelle sur Internet. Elle se demande comment mieux outiller les étudiants et étudiantes à lutter contre celles-ci en développant leur jugement critique.

Elle envisage d’ailleurs de bâtir des activités pédagogiques autour de ces publications à caractère scientifique. Elle pense que cette stratégie lui permettrait d’intéresser davantage ses étudiants et étudiantes à la matière, en plus de bonifier leurs compétences informationnelles. En effet, de telles compétences permettent entre autres l’analyse des démarches guidant la recherche et menant à des publications scientifiques crédibles.

Pourquoi ?

CINQ RAISONS D’UTILISER L’ACTUALITÉ POUR DÉVELOPPER LES COMPÉTENCES INFORMATIONNELLES DES ÉTUDIANTS ET ÉTUDIANTES

 Développe chez les étudiants et étudiantes une méthode pour analyser de façon critique l’actualité portant sur des résultats scientifiques (Portney et Watkins, 2000) en ces temps de fausses nouvelles (Ralph Edwards et Lindquist, 2021).
 Engage les étudiants et étudiantes dans leurs apprentissages et les amène à vérifier ceux-ci par les échanges qu’ils ont entre eux (Revel et Wainwright, 2009).
 Crée une situation significative d’apprentissage en utilisant un thème centré sur leurs intérêts.
 Favorise la vulgarisation des résultats de recherche en tissant des liens fréquents entre la recherche et l’utilisation des médias.
 En étant ancrée dans leur quotidien, cette activité permet d’établir une pertinence personnelle et réelle chez l’étudiant et l’étudiante.

Quoi ?

LE DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES INFORMATIONNELLES ET L’ACTUALITÉ À CARACTÈRE SCIENTIFIQUE

La maîtrise des compétences informationnelles relève des savoirs et des savoir-faire permettant aux apprenantes et apprenants de trouver solution à leurs besoins informationnels lors des études et lors de leurs pratiques professionnelles. Ces compétences regroupent la « recherche éclairée et réflexive d’information, la compréhension des procédés grâce auxquels l’information est produite et mise en valeur, l’utilisation de l’information pour générer de nouveaux savoirs et la participation éthique à des communautés d’apprentissage » (Groupe de travail de la Promotion du développement des compétences informationnelles du réseau de l’Université du Québec, 2016). L’utilisation de l’actualité génère des opportunités d’interactions et de discussions entre les pairs en favorisant, par une démarche participative, la pratique et la résolution de problèmes pour faciliter la synthèse, l’intégration et l’application des savoirs. En plus d’offrir une participation réelle dans le choix des contenus utilisés lors du processus d’apprentissage, ils développent les compétences informationnelles au sein de la démarche mise en place avec eux (Kember, Ho et Hong, 2008).

Ce que nous dit la recherche

LE DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES INFORMATIONNELLES CENTRÉES SUR L’ACTUALITÉ SCIENTIFIQUE

L’utilisation d’activités qui favorisent la pratique et la résolution de problèmes tout en permettant des opportunités d’interprétation, d’élaboration et de métacognition indépendantes favorise l’apprentissage des compétences informationnelles (Fink, 2003).

Image par l’auteur

L’utilisation de l’actualité à caractère scientifique comme point d’ancrage de ces activités pédagogiques visant le développement des compétences informationnelles permet ainsi de fournir un contexte participatif aux personnes apprenantes en promouvant les interactions entre les pairs et avec l’enseignant ou l’enseignante (Majetic et Pellegrino, 2018). Cette utilisation de l’actualité à caractère scientifique permet également de rejoindre les intérêts des apprenants et des apprenantes.

Comment ?

COMMENT L’UTILISATION DE L’ACTUALITÉ PEUT FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES INFORMATIONNELLES

Deux approches utilisant l’actualité à caractère scientifique sont suggérées afin de favoriser le développement des compétences informationnelles.

Analyse individuelle d’une publication scientifique

En fonction des thèmes théoriques d’un cours, la personne enseignante invite son groupe à présenter individuellement l’analyse d’une publication à caractère scientifique parue dans le média de leur choix (journaux, médias sociaux, etc.). Les étudiants et étudiantes peuvent ainsi travailler en profondeur sur le contenu publié en plus de traiter méthodiquement la structure de la recherche de la source originale sur laquelle est basé le média afin de déceler ses forces, ses faiblesses et ses opportunités (Davies et Logan, 2011).

Étude de cas en groupe

On peut aussi construire différents exemples en classe en fournissant tout le matériel requis aux étudiantes et étudiants afin que ceux-ci travaillent tous sur les mêmes bases. Par exemple, une publication diffusée sur les médias sociaux contenant de fausses nouvelles en lien avec une publication scientifique est distribuée en classe. Une lecture en groupe est effectuée afin de cibler les éléments de désinformation parus dans le média. L’article de périodique scientifique sur lequel se base cette parution est par la suite remis au groupe afin de faire la comparaison entre les deux textes. Des éléments devront avoir été préidentifiés par la personne enseignante afin de guider les étudiants et étudiantes dans cette comparaison (p. ex. identifier certaines divergences entre le média et la production scientifique originale). Le tout permet de prioriser initialement la compréhension du processus de recherche scientifique et de l’analyse des médias. Progressivement et au fil de la session, on retire certains des éléments initialement fournis afin de favoriser l’autonomie dans le processus d’identification des savoirs dans l’actualité et l’identification des sources scientifiques primaires associées à ces publications.

De telles activités permettent aussi des retours en sous-groupe ou en groupe classe afin d’identifier quelles informations importantes sont manquantes ou présentées de façon inadéquate et comment le tout pourrait être expliqué différemment en déconstruisant le contenu de l’article, en se l’appropriant et en le réexpliquant (Fortin, 2010).

L’analyse dans un contexte réel des savoirs scientifiques permet aux étudiants et étudiantes de formuler et d’identifier, à l’aide de la terminologie appropriée, les différentes composantes des questions de recherche nécessaires pour la vérification des faits (variables dépendantes et indépendantes) et à quel niveau de la pyramide des évidences scientifiques se situe une publication scientifique (Kirmayr et al., 2021). Le tout permet de développer chez eux la pensée critique par rapport à la qualité des évidences scientifiques (probantes ou factuelles) et de collaborer activement à la vulgarisation scientifique et à la diffusion des savoirs dans un continuum de développement des compétences informationnelles.

Ces activités s’intègrent dans une démarche participative, les individus expriment leurs intérêts qui, rassemblés et gérés dans un processus d’échanges et d’argumentations, doivent conduire à la construction d’une position partagée, d’un intérêt commun si ce n’est collectif. Chacun en entendant le point de vue de l’autre est à même de faire évoluer le sien.

Puisque tirés du quotidien, le processus de distinguer les exemples de fausses nouvelles des publications scientifiques véridiques permet aux personnes apprenantes de vivre des exemples authentiques, réels et pertinents en plus de favoriser des interactions plus soutenues avec leur enseignant ou enseignante (Revel et Wainwright, 2009).

Finalement, l’actualité et les parutions médiatiques relatant des résultats scientifiques peuvent ainsi agir comme fondation et catalyseur de l’apprentissage des compétences informationnelles chez les étudiants et étudiantes, en leur permettant de jeter un regard critique sur les recherches scientifiques qui y sont mises en lumière. Ils sont ainsi plus à même d’arrimer leurs apprentissages théoriques avec leur quotidien et celui de leurs clientèles et de leurs proches.

Références

Davies, B. et Logan, J. (2011). Lire des textes de recherche Guide convivial pour infirmiers et autres professionnels de la santé (4e ed.). Eslevier.

Fink, L. D. (2003). Creating significant learning experiences : An integrated approach to designing college courses. Jossey‐Bass.

Fortin, M. F. (2010). Fondements et étapes du processus de recherche (2e ed.). Montréal : Chenelière Éducation.

Groupe de travail de la Promotion du développement des compétences informationnelles du réseau de l’Université du Québec.(2016) Référentiel de compétences informationnelles en enseignement supérieur.http://ptc.uquebec.ca/pdci/system/files/documents/administration/referentiel_acrl_2016-vf_0.pdf

Kember, D., Ho, A. et Hong, C. (2008). The importance of establishing relevance in motivating student learning. Active Learning in Higher Education, 9(3), 249-263.

Kirmayr, M., Quilodran, C., Valente, B., Loezar, C., Garegnani, L. et Franco, J. V. A. (2021). The GRADE approach, Part 1 : how to assess the certainty of the evidence.
Medwave, 21(2), e8109. https://doi.org/10.5867/medwave.2021.02.8109

Majetic, C. et Pellegrino, C. (2018). Building Information Literacy Skills Using Science News Media  : Evidence for a Hands-On Approach. Journal of College Science Teaching, 48(1), 83-91. https://www.jstor.org/stable/26491350

Portney, L. G. et Watkins, M. P. (2000). Foundations of Clinical Research : Applications to Practice. Prentice Hall Publications.

Ralph Edwards, I. et Lindquist, M. (2021). What is fake news in science ? International Journal of Risk & Safety in Medicine, 32(3), 159-161. https://doi.org/10.3233/JRS-211002

Revel, A., et Wainwright, E. (2009). What Makes Lectures ‘Unmissable’ ? Insights into Teaching Excellence and Active Learning. Journal of Geography in Higher Education, 33(2), 209-223. https://doi.org/10.1080/03098260802276771

Pour en savoir plus

Le Détecteur de rumeurs est une rubrique de vérification des faits (fact-checking) de l’Agence Science-Presse. Agence Science-Presse (2020). https://www.sciencepresse.qc.ca/detecteur-rumeurs

Cet article décrit des outils éducatifs ludiques développés par des scientifiques afin de prémunir la population contre la désinformation. Jouer pour s’immuniser contre la désinformation. Québec-Science (2021). https://www.quebecscience.qc.ca/sante/jouer-contre-desinformation/

Blanchett, H., Powis, C. et Webb, J. (2011). A Guide to Teaching Information Literacy : 101 practical tips. London : Facet Publishing.

Un collectif d’auteurs lance un cri d’alerte sur le traitement de l’information scientifique dans les médias, ainsi que sur la place qui lui est réservée dans les débats de société dans une lettre ouverte publiée en 2019 dans le quotidien La Tribune. https://www.latribune.ca/actualites/science/la-methode-scientifique-oubliee-dans-les-medias-b2ffb3daae4555df5a140e0252b067ef?fbclid=IwAR1Tl-63ZWUgWC8zZOLZQ8VqHbdPXjbZfQiv1vrlfEUqpiYS3014XmYGwGk

Ce texte présente puis critique les modèles plus traditionnels des compétences informationnelles. Il propose un modèle nouveau et bonifié, qui allie à la fois les forces des modèles plus classiques issus de la bibliothéconomie et des sciences de l’information, mais également les avantages et les défis du Web. Karsenti, T., Dumouchel, G. et Komis, V. (2014). Les compétences informationnelles des étudiants à l’heure du Web 2.0 : proposition d’un modèle pour baliser les formations. Documentation et bibliothèques, 60(1), 20-30. doi.org/10.7202/1022859ar

Le réseau de l’Université du Québec présente une série de capsules permettant de faire connaître les bonnes pratiques dans la recherche et l’utilisation des informations disponibles sur le Web. http://questiondebonsens.uquebec.ca/

D’autres questions à explorer

 Comment une telle activité permet aux étudiants de mieux comprendre le processus de vulgarisation scientifique ?
 Comment peut-on intégrer des revirements de situation au niveau scientifique dans la construction des savoirs lorsque des ouvrages révisés par les pairs sont retirés par les journaux scientifiques (ex. la rétraction d’articles dans le Lancet ou Le Lancet Gate). https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/06/03/l-oms-reprend-ses-essais-sur-l-hydroxychloroquine-comme-traitement-potentiel-contre-le-coronavirus_6041672_3244.html
- Est-ce qu’une telle activité permettrait de favoriser les échanges inter et/ou multidisciplinaires lorsque des étudiants proviennent de disciplines différentes ?
 Quelles conditions permettraient de guider les étudiantes et les étudiants afin qu’ils soient en mesure de choisir un article scientifique assez pertinent pour développer l’ensemble des compétences informationnelles demandées par le cours ?

Notice biographique

Martin Lavallière est professeur-chercheur au Module de kinésiologie du Département des sciences de la santé de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), membre du Lab BioNR et du Centre Intersectoriel en Santé Durable (CISD) de l’UQAC. Il se spécialise en facteurs humains et ergonomie avec une emphase plus particulière sur la sécurité routière, le vieillissement et la santé et sécurité au travail. Il détient un baccalauréat (2005), une maîtrise (2007) et un doctorat (2013) en kinésiologie à l’Université Laval. Il a aussi complété un post-doctorat au Massachusetts Institute of Technology (MIT) AgeLab (2013-15) ainsi qu’à HEC Montréal (2015-16).

Licence : CC by-nc-sa

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