Depuis maintenant plus de deux ans et la généralisation des cours en ligne durant les différents confinements, la lumière a été mise sur les difficultés que peuvent rencontrer les enseignants lorsqu’un outil numérique s’interfère entre eux et leurs apprenants. Lors d’un cours en Zoom, et malgré ses 17 années d’expérience, un professeur de droit péruvien en est même venu à annoncer, en novembre dernier, qu’il allait démissionner car il ne parvenait plus à intéresser ses étudiants.
Les apprenants sont maintenant confrontés au quotidien à des contenus en ligne qui les éloignent un peu plus de leur professeur. Pourtant, il est démontré dans la littérature académique que les interactions avec le professeur doivent être fréquentes et significatives pour pouvoir augmenter les sentiments positifs des étudiants envers un cours et les aider à rester plus longtemps engagés.
En effet, ces interactions permettent aux étudiants de mieux retenir et apprendre, ou encore de développer leurs capacités d’analyse et de synthèse mais aussi leur esprit critique. Les étudiants engagés obtiennent ainsi des meilleurs résultats aux examens et accroissent leur chance d’être diplômés. À plus long terme, ils sont aussi plus capables, que les autres, de collaborer de manière efficace ou de résoudre des problèmes concrets en lien avec le monde professionnel.
À l’inverse, sans engagement, les risques d’abandon sont grands. Dans le cadre de l’apprentissage en ligne asynchrone, cela est particulièrement visible. En dépit de leur popularité, les MOOC (Massive Open Online Courses), par exemple, sont caractérisés par un manque d’engagement de la part des apprenants et un taux d’abandon très élevé (90 %). Cela s’explique par l’éloignement institutionnel, une mauvaise organisation du travail, une gestion difficile du temps alloué au cours et à son suivi, ou encore un manque d’attractivité de ce format.
Les risques de décrochage des apprenants peuvent s’accroître avec l’introduction des nouvelles technologies en général dans leur environnement de travail, et cela même si le cours n’est pas en ligne : ils peuvent avoir tendance à être distraits plus facilement par les expériences ludoéducatives permises par le digital ou par les outils qui les entourent (téléphones, tablettes, objets connectés…).
Dosage équilibré
Dans ce secteur, les acteurs doivent donc faire face à un paradoxe : plus les technologies sont présentes et nombreuses, plus le besoin de relations et de contacts est important. Il faut donc se demander quelle place donner à la technologie en pédagogie tout en s’assurant de l’engagement de l’apprenant. Il faut trouver le bon dosage. Cette thématique a été abordée les 5 et 6 juillet dernier, dans le cadre de la conférence DisrupTechs Ago « DTA21 » lors d’un atelier dédié aux technologies disruptives. Pour s’assurer de l’engagement de l’apprenant dans un environnement technologique, cinq initiatives ont été partagées livre blanc réalisé à l’issue de l’évènement.
Parmi les intervenants, Cyril Camachon, docteur en psychologie cognitive au Centre de recherche de l’école de l’air (CREA), a décrit un modèle participatif incluant des ateliers en groupes, des challenges inter-groupes où le stagiaire-pilote est plus acteur que dans une approche purement transmissive. De son côté, Laurent Aldon, maître de conférences à l’Université de Montpellier, a expliqué qu’il enseignait des matières techniques (programmation) en proposant des jeux de plateau et des jeux de rôle tout en tenant compte des profils des participants.
Quant à Robin Poté, directeur du cabinet de conseil Circoe, il a conçu avec son équipe un escape game permettant à ses apprenants de mieux appréhender les nouvelles technologies dans le domaine de la logistique. Le mobilier et la gestion de l’espace permettent également de faciliter l’engagement de chacun. C’est ce qu’a expliqué John Augeri, directeur de programme à l’Université numérique Île-de-France, au sein de laquelle l’espace est organisé en fonction des cours enseignés et des modalités pédagogiques.
Enfin, Philippe Lépinard, docteur en sciences de gestion, fondateur du fab lab GamiXlab et responsable du projet EdUTeam à l’IAE Gustave Eiffel – École de management, a préconisé de mettre parfois de côté la technologie pour favoriser les rapports humains, entre les enseignants et leurs apprenants ou tout simplement entre les apprenants. Il a notamment évoqué la notion de low tech pour définir un dispositif pas forcément développé d’un point de vue technologique mais dont les apports favorisent l’inclusion.
Un accompagnement nécessaire
Il apparaît ainsi que les professionnels du secteur ne peuvent faire l’impasse sur le rôle des technologies dans leurs pratiques d’enseignement. À l’inverse, il conviendra de ne pas verser dans le « techno-washing “ en mettant du digital partout, dans le format des cours comme dans leur contenu, quand cela n’est pas justifié par un véritable intérêt pédagogique. Il est donc nécessaire de doser la place du digital de manière équilibrée.
Les discours des intervenants durant l’atelier de cette conférence soulignent donc l’importance pour l’enseignant de collaborer avec des personnes aux compétences aussi diverses que la connaissance de l’agencement de l’espace, les neurosciences, l’ingénierie et la maîtrise des nouvelles technologies.
Toutefois, pas question pour autant de le déposséder de son cours en lui imposant un cadre technologique trop rigide où la forme pourrait primer sur le fond. Ainsi, il est démontré, par exemple, que les vidéos « faites maison » avec des enseignants enthousiastes et parlant vite ont plus d’impact sur l’apprentissage que les vidéos très travaillées (avec fond vert et prompteur prérédigé). Ce n’est que sous cette condition que la relation entre enseignants et apprenants pourra être préservée et permettra d’assurer l’adhésion de ces derniers.
Si les enseignants peuvent être amenés à devoir se réinventer face à des contraintes de plus en plus nombreuses, cela se fera d’autant plus facilement avec l’accompagnement et le soutien de leur institution. Chacun pourra alors s’approprier la technologie, ou non, en fonction de sa discipline et des modalités pédagogiques privilégiées.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
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