Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd
L’accord de Paris nous incite – si l’on veut rester sous les 2 degrés d’augmentation de température – à diminuer par deux nos émissions de gaz à effet de serre avant 2030, et par cinq avant 2050. Comment le numérique peut-il participer à relever ce défi ? Et comment supprimer des données devenues « zombies » peut-il partiellement y contribuer ?
C’est l’objectif du Cyber World Cleanup Day qui aura lieu ce samedi 19 mars 2022.
Cette initiative cherche à créer les conditions d’une prise de conscience globale de l’impact environnemental du numérique. Elle sensibilise au numérique responsable de façon très concrète, en partant d’une action simple : « nettoyer » ses propres données.
L’impact environnemental du numérique
De plus en plus d’utilisateurs du numérique, cela signifie à la fois de plus en plus d’appareils fabriqués, mais aussi de plus en plus de données produites.
Dans le domaine du numérique, la fabrication constitue de loin le poste le plus impactant en termes de réchauffement climatique ; viennent ensuite l’utilisation puis le recyclage.
Les nombreuses données disponibles (Ademe, Shift Project, Greenspector, economie.gouv.fr, etc.) convergent pour nous montrer que :
-
L’impact environnemental du numérique dépasse désormais celui de l’aviation civile. Certains travaux classent par exemple l’Internet comme troisième pays consommateur d’électricité au monde, après les États-Unis et la Chine. Environ 10 % de l’électricité mondiale serait ainsi consommée pour son seul usage. Et 4 % des émissions de gaz à effet de serre y seraient associées selon des chiffres de 2020.
-
L’impact environnemental du numérique est avant tout lié à la fabrication des matériels ; elle est coûteuse en eau douce, sable, terres rares, énergies primaires, ressources non renouvelables et engendre de multiples pollutions (des sols notamment). On compte aujourd’hui environ 5 équipements par personne en moyenne, soit 34 milliards de smartphones, ordinateurs, consoles de jeux, tablettes et autres téléviseurs. De plus, la fabrication d’un seul gramme de smartphone dépense 80 fois plus d’énergie que celle d’un gramme de voiture.
-
L’impact de l’utilisation des matériels s’avère plus faible, mais il croît rapidement au fur et à mesure de la production – souvent mécanique – et du traitement des données au sein d’écosystèmes de plus en plus interconnectés et énergivores. L’essentiel de l’usage se fait désormais en mobilité : en France, un smartphone est par exemple utilisé plus de 50 heures par mois… essentiellement pour Internet.
-
La piste du recyclage reste décevante, avec moins de 1 % des métaux qui seraient recyclés et moins de 20 % des déchets d’équipements électriques et électroniques dont on peut documenter effectivement le recyclage. Le numérique constitue ainsi l’un des mauvais élèves et du recyclage et du réemploi.
-
L’impact du stockage de données reste le moins perceptible, mais il est considérable. La capacité de stockage mondiale a atteint 6,7 zettaoctets en 2020. De plus, elle va continuer de croître en moyenne de près de 20 % par an jusqu’à 2025, notamment pour accueillir le volume de données des objets connectés et de la 5G.
Données zombies et serveurs comateux
La durée de vie de nos appareils ainsi que leur consommation électrique pourrait être aisément améliorée en supprimant les données qui ne sont plus utilisées. Car ces données inutilisées – parfois même inutilisables – continuent à prendre de la place sur les terminaux personnels, sur des serveurs dédiés ; elles sont également dupliquées dans les data centers.
Dormantes, latentes, cachées… Ces données massives constituent un gaspillage insidieux.
Nous les nommerons « données zombies » : il s’agit de données codées et placées dans des gabarits de tout format (son, vidéo, image, page, texte, etc.) dont le volume est d’au moins 10,00 Ko et dont la durée d’inactivité est d’au moins 3 années.
Photos ratées, brouillons, applications obsolètes, factures de 2012, trajets de 2014, vidéos de 2018 tombées dans les oubliettes : autant de « données zombies » qui alourdissent notre pollution numérique.
À lire aussi :
Télétravail en confinement : sept conseils pour alléger les réseaux
Si le coût du stockage des données est faible – ce qui n’incite nullement les entreprises et les particuliers à faire le ménage –, la chasse à ces données zombies représente une action aussi facile qu’efficace dont il ne faut pas se priver.
Ces données sont à la fois volumineuses, dangereuses et coûteuses. Volumineuses : même s’il est difficile de les évaluer, elles représenteraient, selon les études, entre 20 % à 30 % de la volumétrie totale des données du système d’information (SI).
Dangereuses : elles constituent clairement une faille de sécurité (une porte d’entrée, une information dormante, une version ancienne d’un fichier pas forcément obsolète, des fichiers d’anciens mots de passe toujours actifs, des anciens comptes professionnels avec « log in », mais sans « log off », etc.) souvent mal prise en compte notamment au sein des PME dont le stockage des données n’est pas sécurisé.
Enfin, elles sont coûteuses en matière de stockage.
Il faut également ici mentionner les serveurs zombies ou encore les « serveurs comateux ». Ces serveurs physiques hébergent données et applications, mais ne communiquent plus, et consomment donc de l’électricité pour rien. Une étude de 2017 évalue à environ 3,6 millions le nombre de serveurs zombies aux États-Unis et à 10 millions sur la planète. Plus nous stockons de données, plus nous maintenons d’applications, plus nous générons de serveurs comateux.
Des données à supprimer… et à ne pas produire
Que l’on soit un particulier ou une entreprise, pour participer au Cyber World Cleanup Day, voici la marche à suivre.
Il s’agit d’une part d’identifier les zombies – en utilisant le tri par « modifié le » ou par « taille » – puis de les traiter. Cela s’avère relativement aisé en utilisant certaines applications qui proposent un archivage non énergivore ou carrément une destruction ; sachant que ce processus reste le fruit d’une démarche volontaire et explicite et non d’un paramétrage par défaut.
Nous abordons ici l’une des dérives de nos écosystèmes data centrés : ces derniers postulent que toutes les données sont à conserver, car, un peu comme les malles et bibelots qui encombrent nos caves et greniers, elles « peuvent » se révéler utiles une « prochaine fois »…
La réalité montre qu’il n’en est rien. Pour les directions SI des entreprises, disposant en général de moyens, d’informations et de compétences, le travail de nettoyage et de chasse aux données zombies est paradoxalement plus facile que pour les utilisateurs particuliers pouvant se satisfaire d’un illusoire statu quo. Le RGPD a également largement aidé les entreprises à monter en compétences sur les questions liées à leurs données stockées.
En effet, pour les professionnels des SI et de leur management, il existe depuis quelques années des applications, des ESN et des plates-formes (komprise.com, greenspector.com, easyvirt.com).
Ces solutions peuvent par exemple identifier les données non sollicitées depuis X années, les données issues de comptes Y qui ne feraient plus partie de l’organisation, puis ces solutions Z vont « dénicher » ces données et proposer de les supprimer. Des solutions – mais aussi des ateliers – peuvent ainsi proposer de les identifier, de les détruire ou de les déplacer vers le cloud ou la corbeille… qu’il faudra bien penser à vider !
De la responsabilité à la sobriété numérique
L’idéal serait bien sûr de ne pas produire de tels volumes de données et d’aller vers une plus grande sobriété numérique.
Il est en effet regrettable que la dématérialisation annoncée des contenus s’accompagne d’une matérialisation toujours plus massive des contenants. Les modèles d’affaires data centrés des géants de l’Internet ont ici une grande part de responsabilité. Il faut bien que l’utilisateur produise des données – gratuitement ou pas – pour qu’un opérateur les collecte, les stocke, les traite et les revende. La maîtrise du cycle de vie des données constitue le cœur de leur position dominante.
Le volume produit n’est donc pas une contrainte, mais une aubaine pour ces acteurs. C’est bien là l’écueil du Cyber World Cleanup Day qui ne doit pas cacher la forêt des données produites derrière l’arbre des données nettoyées.
Marc Bidan est directeur du laboratoire d’Économie et de Management de Nantes Atlantique (LEMNA).
Christophe Benavent ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |