Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd
Retourner ou non sur les bancs d’une école ou d’une université ? Investir ou pas du temps et de l’argent dans une formation ? Ce sont des dilemmes qui se posent souvent aux professionnels soucieux d’évoluer dans leur carrière.
Saisir les opportunités qui se présentent dans un monde qui se transforme suppose de développer son agilité, d’être à jour sur les nouvelles méthodes managériales, d’être en mesure de faire face aux impératifs immédiats, tout en prenant la hauteur nécessaire face aux challenges à plus long terme. Bref, de renforcer ses soft skills. Mais, si être formé est si important, peut-on dire que toute inscription dans une formation est le gage d’une reconversion professionnelle réussie ?
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On observe de nos jours une envie de changer d’entreprise, notamment chez les cadres (40 %, selon l’APEC), associée à une fragmentation des emplois, surtout en ce qui concerne les jeunes. Selon Pôle emploi, les jeunes actifs d’aujourd’hui changeront d’emploi en moyenne 13 à 15 fois au cours de leur vie.
Cependant, les entreprises raisonnent encore selon une logique de filières de métier, et ont du mal à appréhender l’accélération des mutations de l’emploi. Ceci créé une tension sur le marché du travail, avec des entreprises qui ont de plus en plus de difficultés à recruter, une pénurie attestée en France sur la majorité des compétences (DARES), et des salariés en évolution de carrière qui ne répondent plus forcément à la logique de filière métier.
On n’exerce plus le même métier toute sa vie, et cette tendance s’est accrue avec l’épidémie de Covid-19, pendant laquelle les salariés se sont massivement interrogés sur leurs choix professionnels et motivations profondes. Tendance fondée sur le phénomène de l’obsolescence des compétences : il devient de plus en plus difficile d’acquérir l’ensemble des compétences dont on aura besoin tout au long de la vie en formation initiale. Dans ce cadre, la formation professionnelle est un recours important, nous disent plusieurs auteurs.
Des individus autonomes et « apprenants » ?
Le législateur a voulu répondre à la problématique de l’adaptation entre emplois et compétences en misant sur la mobilité et la formation continue, et en mettant l’individu au cœur de son parcours d’évolution de carrière. Selon ce principe, en se formant librement, on peut bâtir les compétences nécessaires pour s’orienter vers le métier de son choix et réussir sa reconversion.
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Ceci a fait de la liberté de décision de l’individu la pierre angulaire de la réforme de la formation continue. La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 titre ainsi son premier chapitre : « Renforcer et accompagner la liberté des individus dans le choix de leur formation ». La formation professionnelle n’a plus pour priorité de favoriser « l’accès aux différents niveaux de la culture » mais plutôt « de permettre à chaque salarié d’être acteur de son évolution professionnelle ».
Sur le plan des connaissances, ceci fait écho à une vision par rapport à laquelle notre économie est en pleine « serviciation » : toute activité devient de plus en plus abstraite, basée sur la compréhension et la manipulation d’informations plus que sur son acquisition. Les individus doivent gagner en autonomie et se responsabiliser en tant qu’acteurs sociaux pour prendre des décisions dans un monde en rapide changement. L’individu professionnel doit devenir un individu « apprenant ».
Quatre ans après cette réforme, quel est le bilan d’une telle approche ? Rappelons que, pour les individus, la difficulté principale est celle de l’orientation. Comment juger d’un nouveau métier et de la formation qui permet d’y accéder, alors que les compétences en jeu ne sont pas forcément en lien avec celles précédemment exercées ?
Le législateur a voulu y répondre en rendant l’individu autonome dans son choix de la formation en vue de sa reconversion. Le danger d’une telle approche est cependant de considérer l’autonomie comme un impératif catégorique. On est presque dans une démarche de définition de ce qu’un apprenant adulte devrait être. On suppose que les individus soient naturellement dotés de capacités de prise d’initiative, de liberté, d’énergie et de responsabilité.
Le problème néanmoins, est que l’on ne développe pas nécessairement une capacité d’autonomie par le simple fait d’être placé dans une situation où nous n’aurions pas d’autre option. Nous avons tous besoin d’être guidés afin d’améliorer et d’approfondir nos connaissances pour devenir plus autonomes dans notre approche : il ne suffit pas de donner accès à un large catalogue de formations pour que, d’un coup de baguette magique, les aspirants candidats à la reconversion professionnelle puissent juger des compétences à renforcer et de la formation adéquate.
Des informations au projet d’évolution professionnelle
Le deuxième niveau de difficulté auquel les aspirants à une évolution ou reconversion professionnelle font face est lié à la quantité d’informations disponibles. Inondés d’informations, ils n’ont pas toujours la possibilité de transformer les informations provenant d’organismes de formation en orientations précises et pertinentes. Concrètement, ces difficultés résident tout d’abord dans la définition de la thématique. Savoir la choisir requiert la capacité d’envisager sa propre évolution professionnelle, et de faire le lien entre tâches, connaissances, et savoirs à acquérir.
D’autre part, une fois définie la thématique, la difficulté est relative au format (durée, présentiel ou distantiel), au programme de formation et, in fine, à l’organisme de formation. De considérations d’ordre financier et organisationnel s’y ajoutent.
Afin de faire face à autant de complexité, le législateur a prévu la mobilisation de CEP (Conseil en évolution professionnelle), rôle rempli selon le cas par Pôle emploi, des opérateurs régionaux ou encore l’APEC. Mais tous sont historiquement habitués à raisonner selon une logique de filière métier. Les CEP se heurtent donc au même problème de fond que celui des apprenants : comment faire le lien entre le métier actuel, le métier futur et la formation adaptée, alors que l’on est sur des compétences d’ordre nouveau ?
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Dans un univers si complexe, comment avancer ? On peut trouver des solutions en réfléchissant sur sa propre expérience. En effet, faire tout seul passe alors par la projection dans l’emploi visé.
Être en situation de transition en vue d’une reconversion est un entre-deux et s’insère entre une expérience passée et un futur encore en partie incertain. Il est important de réfléchir aux situations concrètes auxquelles on pourrait avoir à faire face : s’orienter sur l’expérience, sur l’expérience à faire, plutôt que sur l’expérience passée. Essayer d’identifier les situations de travail à venir et les connaissances à développer pour savoir « agir en compétence » l’heure venue.
Les CEP ont aussi leur rôle à jouer, pour construire des « expériences de l’expérience » au sein du processus d’accompagnement, et favoriser le contact avec les entreprises cibles. La définition du métier précis, des compétences à activer et des formations adaptées pourront ainsi être facilitées par des rencontres avec des employeurs potentiels : faciliter l’essai, les rencontres avec les entreprises, le processus de feedback pour donner du sens au vécu.
Ce focus sur l’expérience à venir a un potentiel de définition de l’individu et de ses aspirations, dans la mesure où, en citant Aldous Huxley, « L’expérience ce n’est pas ce qui arrive à l’individu, mais ce que fait l’individu de ce qui lui arrive ».
La réflexion sur son expérience, passée et future, permet d’optimiser ses chances de reconversion professionnelle car elle permet d’identifier les compétences à renforcer. Quant au choix de formation, il doit être effectué en relation avec cette réflexion pour identifier thématiques, organisme et organisation de la formation. Tout un programme.
Fiammetta Cascioli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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