Définie par l’Unesco comme la capacité à comprendre, à anticiper et à façonner les futurs possibles, la « littératie des futurs » invite les jeunes à explorer des scénarios pour mieux anticiper les crises et les incertitudes.
Dans un monde marqué par des crises climatiques, sociales et technologiques, préparer les jeunes générations à naviguer dans l’incertitude est devenu une nécessité. Très tôt, on les invite à mener des actions concrètes, ancrées dans leur quotidien, qui s’incarnent, en particulier, dans l’adoption de gestes simples en faveur de l’environnement : tri des déchets, consommation de produits locaux ou économies d’énergie.
Pourtant, ces pratiques permettent-elles vraiment aux enfants de penser à l’avenir de manière proactive ?
Définie par l’Unesco comme la capacité à comprendre, anticiper et façonner les futurs possibles, la littératie des futurs (« future literacy ») offre une alternative. Elle ne consiste pas seulement à envisager des évolutions et organiser la manière de les accompagner mais aussi à y réfléchir de manière critique et créative, en tenant compte de la complexité des situations.
En engageant les individus à explorer des scénarios futurs et à s’adapter aux changements sociaux, environnementaux et technologiques, elle favorise la résilience et l’initiative.
Dépasser le court-termisme
Alors qu’ils se montrent inquiets pour la planète, les enfants manquent de ressources pour envisager des alternatives aux crises qui se profilent. Ainsi, dans une recherche menée auprès de 42 enfants de 6 à 11 ans, nous avons constaté qu’une seule enfant a représenté, sur son dessin, les « bons » comportements à adopter alors que les autres se sont contentés de reproduire les causes (par exemple, la pollution industrielle) et les conséquences (disparition des ours polaires) du dérèglement climatique qu’ils ont identifiées.
La littératie des futurs pourrait les aider à dépasser ce court-termisme et à comprendre que leurs actions actuelles influencent leur avenir, améliorant leur capacité à envisager des trajectoires durables.
D’autre part, la prise de conscience des crises écologiques peut engendrer une anxiété paralysante. En développant des scénarios variés et en explorant des possibles souhaitables, les enfants apprennent à transformer leur anxiété en action constructive. Ces démarches visent aussi à renforcer chez eux un sentiment d’auto-efficacité et à légitimer leur capacité à agir.
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L’éducation à la littératie des futurs encourage les enfants à s’engager dans les débats publics et à contribuer à des stratégies innovantes de développement durable, en dépassant le stade de la sensibilisation à la protection de la planète. Ils ne sont plus seulement des consommateurs de solutions mais des créateurs d’avenir.
En effet, la littératie des futurs ne se limite pas à l’acquisition de connaissances ou de savoir-faire techniques. Elle constitue une façon de penser le monde, un état d’esprit qui cultive la curiosité, la créativité et la responsabilité. Elle prépare les enfants à devenir des citoyens engagés, capables d’apporter des réponses innovantes et inclusives aux crises globales.
Des méthodologies participatives
Il est difficile pour les enfants de raisonner sur des concepts abstraits. C’est pourquoi le recours à des outils adaptés à leur âge, comme les récits fictionnels, les jeux, le dessin ou les simulations s’avère nécessaire pour stimuler leur imaginaire. Notre projet de recherche, en phase de développement, va dans ce sens, en invitant des enfants de 6 à 11 ans à imaginer des systèmes alimentaires durables, les incitant à consommer davantage de légumes et de légumineuses.
Par ailleurs, pour stimuler leur pensée divergente et encourager des propositions originales, les enfants ont besoin de réfléchir à partir d’objets et de situations qu’ils connaissent ou de produits qu’ils consomment. Sur la base d’une démarche de prospective par le design, une étude menée en Angleterre en 2019 a ainsi cherché à faire comprendre aux enfants, les menaces pesant sur les abeilles et les conséquences environnementales de leur disparition. Ils ont conçu un distributeur de miel artificiel, en transposant leur référentiel de lieu accueillant, matérialisé, pour eux, par un hôtel.
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Enfin, il s’agit d’intégrer des approches éducatives innovantes. Des travaux académiques relayés par des acteurs de terrain, comme Teach the Future, Futur en Herbe ou Eutopique, montrent comment mettre en application la littératie des futurs dans les programmes scolaires ou les activités associatives. Ces approches s’appuient sur des méthodologies participatives prenant la forme de débats, d’ateliers de co-conception de solutions, de jeux de rôles… Encadrés par des adultes formés à la prospective, les enfants deviennent ainsi, acteurs de leurs apprentissages
La littératie des futurs ne cherche pas à prédire l’avenir, mais à donner les moyens de l’imaginer, de l’influencer et d’y répondre avec résilience. Intégrer cette compétence à nos pratiques pédagogiques est un moyen de former des acteurs éclairés, prêts à relever les défis d’un monde en constante mutation.
Pascale Ezan est membre de l’association Vivons en Forme. Elle a reçu des financements de l’Agence Nationale de la recherche (ANR)..
Julie EZAN-ZECCA est membre du cabinet de conseil Eranos. Elle y travaille en tant que Senior Manager en Stratégie spécialisée en Prospective & Innovation.
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