Avec le développement actuel de l’intelligence artificielle générative, certains élèves sont tentés de déléguer leurs devoirs à des outils comme ChatGPT. Mais pour s’assurer de leurs connaissances et de l’évolution de leurs acquis, l’enjeu est-il seulement de renforcer la lutte contre la tricherie ? Ne faut-il pas surtout inventer de nouveaux modes d’évaluation ?
À l’heure où les IA dites génératives nous sidèrent par leurs prouesses, comment évaluer correctement les acquis des élèves et des étudiants ? L’irruption du robot conversationnel ChatGPT est-elle de nature à bouleverser les pratiques évaluatives ? Les enjeux se posent-il d’une façon radicalement nouvelle ou n’y a-t-il finalement rien de bien nouveau sous le soleil de ces jugements appréciatifs que sont les notes et les jugements d’évaluation ?
Le fait significatif est que les IA génératives sont capables, à partir de consignes qui leur sont données, des « prompts », de créer du texte, des images, ou encore de la musique. Les machines s’emparent de ce qui paraît nous constituer en propre. Ne vont-elles pas devenir capables d’accomplir, et mieux que nous, n’importe quelle tâche cognitive humaine ?
Le risque est que l’outil « intelligence générative » soit utilisé massivement pour tricher. Si les acquis que visent les actions éducatives sont précisément de l’ordre des tâches cognitives complexes, la tentation peut être forte, chez certains, de faire faire par des machines intelligentes ce qu’ils sont censés avoir appris à faire lors de leur formation, comme rédiger un mémoire.
Bien identifier les compétences à évaluer
C’est toute évaluation faite hors des conditions strictes d’examen, en particulier « à la maison », qui devient suspecte. Certes, les remèdes sont assez évidents : imposer des temps incontournables d’évaluation en milieu « clos » ; interdire ou, mieux, modérer ou encadrer, l’usage possible d’une IA générative en situation d’examen.
Cependant, cette possibilité de triche, qui n’est que la figure moderne du classique « faire faire par un autre » avec usurpation d’identité, ne doit pas nous détourner du problème central qui est toujours le même : comment permettre à l’apprenant évalué de « faire ses preuves », c’est-à-dire de fournir d’authentiques manifestations probantes de la réalité de ses acquis ?
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Comme aux périodes précédant ChatGPT, deux conditions sont requises. La première condition est d’avoir une idée précise de l’objectif éducatif poursuivi. Autrement dit, il faut être capable de définir en termes opératoires la capacité ou la compétence visée par l’action éducative ; et, par conséquent, par le contrôle ou le devoir sur table, ceux-ci visant à dire si l’objectif est atteint.
On observera qu’il ne suffira pas de désigner un savoir, mais qu’il faudra dire ce que la « possession » de ce savoir rend l’élève capable de faire d’une façon visible. Dire ce que la maîtrise de ce savoir rend capable, concrètement, d’effectuer : en quoi peut-on clairement distinguer celui qui possède ce savoir, et celui qui ne le possède pas ?
La seconde condition, qui va donc de pair avec la première, est de trouver des « épreuves » d’examen, c’est-à-dire des « tâches », qui imposent d’affronter une situation où l’on pourra, précisément, faire ses preuves. Par exemple : simplifier des fractions, construire un texte argumentatif, rédiger la synthèse d’un texte philosophique. On retombe alors sur l’obstacle du remplacement possible par une IA générative : celle-ci ne pourra-t-elle pas, justement, faire « mes » preuves, à ma place, si je laisse croire que son travail est le mien ?
Créer de nouveaux exercices avec l’IA
Au-delà du problème de morale, et de police, observons que cela contraint à faire l’effort, en chaque cas, de rechercher l’habileté centrale visée dans chaque tâche cognitive pouvant faire l’objet d’un apprentissage scolaire ou universitaire. À raisonner, donc, en termes de capacités concrètement opératoires, de l’ordre du savoir-faire.
Ces capacités peuvent être visibles chez les élèves à travers les résultats qu’ils obtiennent (par exemple, savoir s’orienter dans une ville à l’aide d’un plan), et non en termes de contenus pouvant être listés dans un programme (comme connaître la liste des préfectures). Cela pourra conduire à distinguer des niveaux d’objectifs d’apprentissage et de situations d’évaluation, selon le type de capacité en jeu.
Au lieu de se lamenter sur les possibilités (très relativement) nouvelles de triche, le plus utile est peut-être de se demander si les IA génératives n’offriraient pas des perspectives d’amélioration significative des apprentissages. Faisant ainsi une utilisation intelligente de l’outil qu’elles sont, entre autres en termes de contenus, d’illustrations, ou d’idées de scénarisation des cours, ou de création d’exercices.
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Pour les élèves et les étudiants, l’IA peut aider à mettre en place des apprentissages personnalisés, offrant des ressources sur mesure, ou faisant intervenir des assistants d’apprentissage interactifs.
Finalement, on pourrait, en dépassant le simple problème de l’évaluation, dégager des axes de travail pour une pédagogie assistée par l’IA générative. Une première piste consisterait à donner aux individus les moyens de maîtriser les outils numériques, qui ne sont jamais que des outils.
Une autre piste consisterait à essayer de comprendre, à cette occasion, comment fonctionne l’intelligence logique ; et, d’une façon plus large, comment s’élabore la pensée, en questionnant, derrière les problèmes d’algorithmes, et le fonctionnement des mécanismes techniques, les enjeux proprement éthiques. Ce qui pourra se faire en co-construisant les épreuves avec les élèves et étudiants. Car l’impact de l’IA générative, sur l’évaluation, comme d’une façon générale, sera essentiellement fonction de l’usage, bon ou mauvais, qui en sera fait.
Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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