@crédit photo de couverture : Dillon Marsh
Temps de lecture : 8 minutes
[RENCONTRE] une série de portraits et de retour d’expériences pour apporter toute la lumière aux belles initiatives des Profs en transition (mais pas que) d’ici et d’ailleurs.
Aujourd’hui, Dillon Marsh, photographe Sud Africain amoureux de la nature et conscient des enjeux écologiques, nous explique comment il met son métier et sa créativité au service de sa sensibilité et de la sensibilisation de son public…
Dans ce nouvel article au format Rencontre, Profs En Transition vous propose d’explorer les liens entre art et (éducation à) l’écologie. En effet, l’écologie est à la fois une question de sciences mais également de sens. Amener nos élèves encore et toujours à s’interroger sur les différentes représentations du monde, pour le comprendre et savoir l’appréhender de toutes les façons possibles, voilà le cœur de notre métier !
Dillon Marsh est un photographe d’Afrique du Sud lauréat de plusieurs prix internationaux et qui expose un peu partout dans le monde. Il a notamment exposé très récemment à The caring gallery à Paris sur le thème de la cohabitation entre les différentes espèces sur terre. Il nous embarque au-travers de cet article dans un univers aux frontières entre la photographie comme moyen de sensibilisation à la nature et les mathématiques pour rationaliser la crise écologique, en passant par la géographie pour aborder les enjeux locaux à chaque territoire tout en les inscrivant dans leur dimension mondiale. A travers le travail de l’artiste, plusieurs thématiques peuvent ainsi être abordées en classe, que ce soit dedans ou dehors. C’est l’occasion chers profs en transition d’explorer nos lieux de vie, territoires proches ou éloignés, et de porter un regard interrogateur sur nos interactions en tant qu’espèce avec nos milieux, que celles-ci soient “délibérées ou involontaires” comme le fait si bien remarquer Dillon Marsh.
Nous vous proposons cette entrevue dans les deux versions ici en français (et dans le PDF ci-dessus en anglais). Enseignants d’arts plastiques, de français, de langue étrangère, de maths, de physique, d’histoire géo ; il y a là matière à développer des séquences dans la continuité des programmes mais aussi une ouverture pluridisciplinaire qui n’a de limites que votre seule imagination ! Cet article donne aussi à découvrir un métier en pleine transformation et peut-être susciter des vocations …
Bonne lecture et n’hésitez pas à venir partager avec nous vos pratiques en classe sur ces différents sujets.
Dillon Marsh, merci de nous accorder cette rencontre. C’est l’occasion pour nous de plébisciter et faire connaître un autre médium éducationnel, allié de taille pour la sensibilisation et la mobilisation contre la crise écologique, à savoir l’art et notamment celui de la photographie que vous pratiquez.
Pour commencer, pourriez-vous en quelques mots vous présenter ainsi que votre travail …
Je suis un artiste du Cap, en Afrique du Sud, et j’utilise la photographie pour explorer les relations étroites entre les humains et le monde qui nous entoure. J’utilise un procédé d’incrustation d’images générées par ordinateur dans certaines de mes séries photos, ceci dans le but de dévoiler des caractéristiques ou des dynamiques sous-jacentes qui ne peuvent être illustrées uniquement par les procédés plus classiques de la photographie.
Vous dites « … utiliser la photographie pour explorer la relation ténue entre les humains et le monde qui nous entoure ». En tant qu’artiste, en quoi cette relation mérite-t-elle d’être explorée selon vous ? Et comment la photographie y contribue-t-elle ?
J’ai un profond respect pour la nature, et j’ai toujours fortement aspiré à sa préservation. Cependant, l’appartenance à l’espèce humaine suffit à ce que je contribue d’une certaine manière à sa spoliation, et, bien que je le désapprouve, comme pour la plupart des gens je ne peux que constater que cela me procure des avantages à bien des égards. C’est un conflit qui se déroule aussi bien à l’échelle individuelle qu’à une échelle plus large et pour cette raison, je me dois de l’aborder dans mon art.
L’accélération du réchauffement climatique et la perte irréversible des glaciers qui en découle, ainsi que la contribution des activités humaines à une exploitation excessive de ressources limitées, voilà quelques-unes des préoccupations dont vous vous êtes emparées pour mettre en avant le sujet de la crise écologique. Ainsi vous consacrez ce thème dans vos deux séries photo : “Pour ce que ça vaut“ et “Compter les pertes“.
Qu’est-ce qui vous a décidé en premier lieu à choisir ces sujets en particulier, à mettre en évidence les enjeux en choisissant de combiner l’art de la photo à des techniques particulières de représentation graphique en vous servant opportunément de procédés de mise à l’échelle ?
L’exploitation minière est une industrie majeure en Afrique du Sud et, par conséquent, elle m’intéresse depuis longtemps. J’ai toujours essayé de trouver de nouvelles façons de représenter mon sujet, et un jour, l’idée m’est venue d’utiliser des procédés dits de CGI (Computer Generated Imagery, autrement VFX ou effets spéciaux numériques, [sic]) pour visualiser la quantité de cuivre retirée des toutes premières mines commerciales, je me suis dit que cela pourrait donner des résultats assez intéressants. Par la suite, j’ai étendu l’idée à d’autres minerais comme l’or, le diamant et des métaux du groupe du platine.
D’autres séries photos ont suivi sur un principe similaire mais au lieu de rester dans le thème de l’industrie minière, je me suis cette fois-ci intéressé à la fonte des glaciers due au changement climatique. Dans les deux projets cités, j’ai choisi de représenter les volumes sous forme de sphères, car il s’agit d’une forme simple et homogène qui peut être facilement appréhensible dans une image bidimensionnelle.
Dans de nombreuses régions du monde, l’industrie minière est considérée comme essentielle à l’économie locale. Pendant toute la période d’exploitation et même longtemps après fermeture, l’activité minière cause des dommages importants voire irréversibles à l’environnement et soulève des préoccupations majeures telles que la contamination des cours d’eau, la destruction des habitats écologiques, l’apparition de maladies dûes aux diverses expositions ; sans compter la violation de droits humains fondamentaux dans bien des cas. Les retombées économiques, mêmes lorsqu’elles sont présentes, s’obtiennent à un coût élevé, sans compter leur répartition souvent inégalitaire … ce même coût que vous remettez en question dans vos séries photos.
Au regard de son histoire minière, quelle est la situation actuelle en Afrique du Sud ?
Des réglementations sont entrées en vigueur pour assurer la réhabilitation des sols anciennement occupés par des mines, mais ces efforts ont échoué à maintes reprises. Je ne suis pas un expert des conditions nécessaires à la réhabilitation de ces terres, mais en promenant mon regard régulièrement sur ces mines depuis longtemps abandonnées, je ne peux que constater les cicatrices disgracieuses qui enlaidissent le paysage, ajoutée à cela l’érosion éolienne et hydrique à laquelle sont souvent exposées ces terres désormais éventrées.
Dans la série “Pour ce que ça vaut“, le truchement de votre propre regard de photographe oblige celui qui observe vos photos à reconnaître la véritable tragédie qui se joue dans ces lieux reculés habituellement perçus comme peu menaçants. Dans “Compter les coûts” cette fois-ci, vous réussissez à capturer cette lente érosion des ressources les plus précieuses, en opposant l’âpre réalité à une triste indifférence générale. Dans les deux cas, nous pouvons faire le même constat amer quant aux menaces contre lesquelles vous nous alertez, qui sont loin d’être hypothétiques et qui produisent pourtant déjà des effets bien réels : une constante indifférence générale et un terrible manque d’appréciation appropriée de la gravité de la situation. Est-ce cela que vous souhaitiez dénoncer par vos photos ? Pensez-vous que notre espèce humaine est condamnée à l’échec et à l’aveuglement sur ces sujets ? Et comment surmonter les biais qui nous lestent selon vous ?
Je ne dirais pas que nous sommes indifférents à la menace du changement climatique et à l’exploitation de la nature, mais je pense que nous avons du mal à montrer une préoccupation durable pour les problèmes soulevés. Nos vies sont pénétrées par d’autres soucis qui nous affectent plus personnellement, et il est naturellement difficile de trouver le temps et l’énergie de penser aux problèmes qui affectent le monde dans son ensemble, des problèmes qui souvent ne nous touchent pas de manière aussi claire et immédiate. Je ne pense pas que nous soyons condamnés à l’aveuglement à l’égard de questions comme le changement climatique, mais je crains que nous ne soyons en mesure de les voir collectivement de manière évidente que lorsqu’il sera trop tard pour espérer facilement rectifier le tir.
Dans quelle mesure croyez-vous que l’art, la communauté des artistes en général et la photographie en particulier, pourraient sensibiliser le public de la manière la plus appropriée, en ce qui concerne les questions environnementales aussi bien au niveau local que mondial ? Les deux étant de fait étroitement liés…
La photographie a longtemps été utilisée comme un outil pour documenter et représenter la réalité, pour relayer des faits et des informations. Pour cette raison, la photographie est un outil fantastique pour provoquer la prise de conscience. Bien sûr, si par exemple les sphères produites par imagerie de synthèse ne sont pas réelles, j’essaie de combiner avantageusement ces techniques innovantes d’images virtuelles à d’autres plus classiques ayant fait leurs preuves, ceci afin de représenter au mieux une certaine réalité et apporter le plus de crédibilité à mon travail.
Cette combinaison est en effet très intéressante. Pouvez-vous nous partager les grandes étapes d’un projet photo type avec notre public, constitué pour beaucoup d’enseignants et de pédagogues qui pourraient être inspirés pour de nouvelles idées pédagogiques en classe ?
En premier lieu, je commence par trouver des documents publics contenant les informations dont j’ai besoin pour calculer les masses des futures sphères que je vais créer. Pour l’industrie minière, j’obtiens cette information directement de la Chambre des mines, ou dans de vieux livres à défauts de sources avec des données plus officielles et à jour. Pour les chiffres de la perte de masse glaciaire, j’ai regardé les rapports compilés par le Service mondial de surveillance des glaciers WGMS. En tenant compte de la densité des matériaux, je calcule ensuite le volume total et le diamètre résultant de la sphère.
Je visite ensuite les endroits où je serai amené à placer les sphères sur mes futures séries photos, et je documente photographiquement l’ensemble des lieux.
La dernière étape consiste à utiliser un logiciel de rendu 3D pour créer les sphères et les insérer dans les photos à l’aide de Photoshop. Dans cette dernière étape, je m’assure que la sphère est de la bonne taille par rapport à la scène en utilisant deux principaux repères : la distance entre moi-même et la sphère imaginée (je la mesure parfois sur Google Maps), et mon angle de vue qui est déterminé par l’objectif de mon appareil photo.
Vu de l’extérieur, les photographes aiment parcourir les plus beaux endroits, capturer les vues les plus fantastiques avant de les exposer devant des yeux ébahis … Bien sûr, cette vision est un peu inique ; mais en tout état de cause, cela ne semble pas naturel de fréquenter des lieux aussi peu attrayants que d’anciennes mines abandonnées. Pour ajouter au tableau si l’on peut dire, les techniques que vous utilisez sont novatrices et peu usuelles. Qu’est-ce qui vous attire donc dans ce genre de lieux ? Etait-il si important pour vous de montrer le revers de la médaille ? Comment le public accueille-t-il vos œuvres un peu audacieuses ? Et comment les réactions façonnent-elles votre travail en retour ?
Je pense qu’il est important en tant qu’artiste de trouver ce qui distingue votre travail si vous voulez vous démarquer. Pour cette raison, j’ai tendance à fuir les lieux communs, et je cherche plutôt les sujets plus discrets et qui se cachent aux marges des lieux que nous habitons. J’ai l’impression que ces endroits ont beaucoup plus de choses à nous apprendre.
Concernant mon travail, j’ai eu des retours très positifs jusqu’à présent. Je pense que le public apprécie qu’on lui montre les choses sous d’autres perspectives. Je suis impatient d’enrichir ma série sur les glaciers et j’espère produire des versions similaires mais plus évoluées, et pour d’autres glaciers dans le monde. Je cherche maintenant des financements pour produire une version européenne ou américaine.
Vos photos sont un véritable plaidoyer en faveur de la protection de la nature et votre engagement transparaît de manière sincère et évidente. Vous arrive-t-il malgré tout d’éprouver des sentiments négatifs ? La plupart des personnes engagées sur ces sujets peuvent facilement expérimenter de la colère, de la frustration, du chagrin ou même être en proie à des émotions mixtes allant jusqu’à la solastalgie face à cet effondrement silencieux mué par l’Homme. Vous reconnaissez-vous dans un tel portrait ? Et si oui, comment y faites-vous face pour continuer d’agir ?
Je ressens inévitablement de la tristesse pour tous les préjudices causés à la nature, mais l’intérêt quasi scientifique que je porte à certains sujets habituellement perçus comme “morbides” prime sur ce ressenti ou d’autres formes de pensées négatives [ceci pour en tirer quand même des enseignements positifs, sic]. Je dois toutefois mettre de la distance avec ces sentiments notamment d’impuissance si je veux rester motivé.
Parmi d’autres photographes traitant de la question écologique, certains se sont emparés d’une quête similaire à la vôtre sous diverses formes : Poétique, politique, scientifique, militante, etc. Je pense à des noms comme le français Vincent Munier, l’Américain James Barlog, le Taïwanais Cheng Chang Wu, le collectif Climate Heroes ainsi de suite. Certains parmi ces auteurs tirent la sonnette d’alarme depuis des décennies quant à l’état de notre planète, mais un peu comme dans “Don’t look up”, ces derniers semblent aussi peu écoutés et leurs paroles et témoignages aussi inaudibles que les deux scientifiques du film.
Les deux documentaires ci-dessus donnent à voir le travail de deux photographes, James Barlog pour l’un et Vincent Munier pour l’autre, tous deux engagés dans une course contre la montre des conséquences du réchauffement climatique : fixer la beauté d’un monde qui disparait, celui des glaciers pour l’un, d’espèces animales pour l’autre. D’autres projets sont à découvrir : Le collectif Climate Heroes qui met en avant des valeurs d’engagement, la photographe Gerogina Goodwin qui s’intéresse aux migrations écologiques, ainsi que d’autres ici.
Comment sortir de ce cercle vicieux ? Est-ce que vous remarquez de votre côté par exemple un infléchissement de votre public quand il voit vos photos ?
Je pense qu’une des clés du changement est de commencer par défaire le climat politique de division dans lequel nous nous trouvons. Ce n’est pas une mince affaire, mais j’ai le sentiment que la solution doit émerger de quelque chose en lien avec de la compassion plutôt qu’avec le conflit. J’ai remarqué que mon travail gagnait de plus en plus de terrain en termes de portée ces derniers temps, alors j’espère que cela aura un impact positif.
Vous avez travaillé sur trois autres séries photos que sont “Assimilation“, “Contours”, “Auto-stoppeurs” et “Limbes” qui, bien qu’assez différentes en apparence, semblent partager un objectif commun. Est-ce la résilience que vous avez cette fois-ci voulu mettre au cœur de votre réflexion, ce don que possède invariablement la nature et qui pourrait nous donner de quoi espérer à l’avenir ?
Oui, c’est tout à fait ça, il y a un sentiment de résilience de la nature dans la plupart de mes travaux. La nature finalement trouve toujours un moyen de s’adapter, elle pourrait perdre à court terme en richesse et en diversité mais elle nous survivra certainement !
Quel dernier mot souhaitez-vous adresser aux jeunes générations, en France comme ailleurs dans le monde ?
Je leur dirais de faire de leur mieux pour aider et contribuer, même s’il s’agit de petites choses. Les grands problèmes peuvent parfois sembler accablants, mais les plus petits des actes sont toujours importants.
Merci Dillon de nous avoir fait découvrir votre travail ! Nous sommes impatients de connaître vos prochains projets, cette fois-ci en Europe …
Pour aller plus loin :
– Retrouvez tout le travail de Dillon Marsh sur son site web ici : http://dillonmarsh.com/work.html
– Suggestion de logiciels d’effets spéciaux numériques (CGI) gratuits : Liste logiciels
– Suggestion de projets possibles : Représentation géométrique des émissions de gaz à effet de serre (données Eurostat disponibles ici), des déchets de son école par catégories de matière (plastique, papier, etc.) en représentation géométrique dans la cour, etc. Plusieurs données statistiques disponibles ici. A vous de jouer !
– Inscrivez vos élèves à un des nombreux concours photos organisés par des ONG et autres organismes internationaux, ou par des associations locales ou encore lancez votre propre initiative inter-classes ou inter-établissements :
Jeunes Reporters pour L’Environnement – GoodPlanet Belgium
Les concours photo, bourses et prix. (photophiles.com)
Concours photo international de la jeunesse | CCNUCC (unfccc.int)
Concours photographique « biodiversité » – Amis de la Terre International (foei.org)
Chers lectrices et lecteurs, vous aussi vous aimez parler des sujets de transition en lien avec l’éducation, vous appréciez notre contenu et souhaitez contribuer à enrichir notre site web ? Cela tombe bien, nous sommes à la recherche de nouvelles plumes, alors n’hésitez pas à vous manifester en nous écrivant ici !
L’article “Explorons nos relations avec les écosystèmes” est apparu en premier sur Profs en transition.
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