Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd
La réussite ou l’échec dans l’enseignement supérieur sont souvent mesurés de manière quantitative, en pourcentages par filières et types de baccalauréat obtenus, ou encore selon l’origine socioprofessionnelle des parents sans prendre suffisamment en compte d’autres facteurs plus qualitatifs. Ainsi la réussite est mesurée selon le taux de réussite de la L1 à la L2 ou encore selon l’obtention en trois ou quatre ans de la licence.
Est-ce un échec d’avoir une licence en quatre ans, mais en ayant mieux approfondi ses connaissances ou en ayant précisé son projet professionnel ? Est-ce une réussite d’obtenir un master 2 en 5 ans à l’issue duquel on se rend compte que l’on s’est trompé d’orientation ? De même, si les étudiants qui ont déjà connu un redoublement ou un échec au baccalauréat antérieur ont une tendance à décrocher plus vite que les autres, peu d’études montrent ce qu’ils sont devenus quelques années plus tard.
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Pour Bernard Charlot, même si des facteurs sociaux existent, ils n’expliquent pas tout. Pour essayer de comprendre à partir de quel moment l’expérience étudiante se transforme en réussite ou en échec, il est intéressant de se pencher sur l’histoire personnelle de l’étudiant, sur son expérience.
Dans cette logique dont nous avons tenté, dans une recherche ethnographique, à partir de journaux d’étudiants inscrits dans une vingtaine d’universités plus ou moins grandes et d’entretiens formels et informels de mieux comprendre les enjeux des premières semaines à l’université : comment les étudiants vivent-ils cette entrée dans un nouveau monde éducatif ? Quelles stratégies de travail développent-ils ? Quels sont leurs projets professionnels et personnels ?
Alain Coulon avait déjà évoqué que la réussite universitaire était liée à la capacité d’insertion active des étudiants dans le milieu universitaire et l’hypothèse pourrait être formulée que tout se joue dans les 100 premiers jours de l’étudiant à l’université et que cette capacité à s’insérer dépend de facteurs qui ne sont pas seulement liés au rapport au savoir académique et à ses prérequis.
Une population étudiante hétérogène
L’université depuis les années soixante a connu l’explosion de ses effectifs. Selon Hugrée et Poullaouec, de 2008 à 2021, le nombre d’étudiants a augmenté de 25 %, pendant que dans le même temps le budget chutait de 12 %. Les effectifs dans l’enseignement supérieur français ont été multipliés par 8 en 50 ans pour des raisons à la fois démographiques et académiques. En effet, selon les mêmes auteurs, plus de 80 % d’une génération obtient un baccalauréat contre 10 % au début des années 60. Les trois quarts d’entre eux s’inscrivent à l’université.
Le terme d’étudiant correspond à une facilité de définition pour constituer une notion commune. Pourtant l’étudiant type n’existe pas. François Dubet a proposé la construction d’une typologie de l’expérience étudiante à travers la combinaison de trois dimensions élémentaires : la nature du projet poursuivi, le degré d’intégration dans la vie universitaire et l’engagement dans une « vocation » intellectuelle.
Les objectifs pour lesquels les lycéens s’inscrivent dans l’enseignement supérieur sont très variés : la connaissance pour la connaissance, la volonté de préparer un métier, être étudiant pour être étudiant, la volonté de se tester dans des études considérées difficiles, la possibilité de réfléchir à des projets variés… Pour prendre une métaphore sportive, on distingue également plusieurs catégories d’étudiants arrivant à l’université :
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les sprinters : on essaie d’aller vite sur deux ou trois ans et de ne pas perdre de temps pour intégrer en admission parallèle une école d’ingénieur, de gestion ou de commerce ;
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les marathoniens : on sait que l’université va être un long parcours et on pense que l’on a le temps de s’y habituer. Même s’il y a un échec en première année, cela ne présage pas de problèmes futurs ;
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les battus d’avance : on sait ou l’on pense que l’on n’a pas le niveau. On est là pour participer mais sans en avoir l’entraînement et sans trop connaître les règles du jeu.
Certains étudiants sont encore dans une phase de recherche et de découverte personnelle, d’autres sont dans une logique d’apprentissage de l’autonomie à la fois scolaire et personnelle. Cet apprentissage de l’indépendance est plus ou moins progressif et se vit différemment selon les étudiants. Parfois, les champs des possibles se transforment en impasses.
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Isoler des facteurs de réussite ou d’échec comme certaines études l’ont fait en mettant en avant la nature du baccalauréat obtenu est pertinent sur le plan de la rationalité, mais ne rend pas compte de l’intrication et de la complexité de chaque facteur les uns avec les autres. L’échec ou la réussite correspond bien à une nébuleuse d’interactions qui dépasse l’analyse causale et statistique. La socialisation des premières semaines est bien un indicateur de l’affiliation universitaire comme en témoigne une étudiante en économie-gestion qui explique cette montée en puissance de doutes sur l’utilité de son entrée dans l’enseignement supérieur :
« Au fil des premières semaines, j’ai vécu beaucoup de choses. J’ai commencé un travail le soir après les cours et les week-ends qui m’a fait rencontrer d’autres personnes. J’ai aussi rencontré un garçon un peu plus âgé que moi qui travaille depuis deux ans comme commercial après un BTS. Son travail a l’air de le passionner et je me demande si des études courtes n’auraient pas été plus intéressantes. Je me sens en plus assez isolée à la fac. J’ai quitté mes parents et mes amis du lycée en septembre et puis, depuis presque trois mois à la fac, j’ai le sentiment qu’on n’apprend pas la vie à l’université. Donc aujourd’hui, j’ai plein de doutes, même si je pense avoir réussi mes partiels. »
Un accueil qui compte dans le sentiment d’affiliation à l’établissement
Plusieurs raisons d’affiliation ou de mise à distance apparaissent dans les témoignages des étudiants et qui correspondent à des moments vécus lors des premières semaines de l’enseignement supérieur. La découverte des locaux, d’abord, est souvent une surprise plus ou moins bonne pour les étudiants, comme l’exprime un participant de l’enquête :
« Déjà, j’étais dans un lycée qui n’était pas terrible, mais là, c’est pas une université, c’est un HLM. Ce sont des bâtiments construits dans les années soixante-dix. La plupart des TD sont dans des préfabriqués qui datent des années quatre-vingt. Les toilettes sont dans un état lamentable. On amène son papier toilette, parce qu’il n’y en a pas toujours. J’entendais à la radio la ministre parler d’excellence de l’université. Faudrait qu’elle vienne chez nous… »
D’autres étudiants sont plus satisfaits :
« On a l’impression d’être dans une famille, on a un local avec des fauteuils, on peut se connecter au WIFI et les profs viennent souvent dans ce local. C’est très sympa de discuter aussi avec les étudiants de L2 ou de L3. »
L’accueil lors des premiers jours est particulièrement important. Il va ensuite être un facteur plus ou moins fort d’intégration :
« La responsable de filière est venue nous parler dix minutes, ensuite on a eu notre premier cours. Elle ne nous a pas donné d’horaires pour nous recevoir et l’accueil était un peu froid. J’ai l’impression que c’était une corvée pour elle. »
Dans d’autres cas, l’impact paraît plus fort pour l’intégration :
« On a eu une demi-journée d’intégration super ; la majeure partie des profs est venue se présenter pu, par groupe de 15, des étudiants de L2 nous ont fait visiter les locaux, les salles infos. Ils nous ont montré où étaient les bureaux des secrétariats, de l’association sportive, du BDE. On s’est senti très pris en charge. C’était bien et en plus, cela nous fait avoir des contacts avec des étudiants de 2e année. »
Étudier et changer de cadre de vie
L’entrée à l’université correspond à la période où on l’on va quitter ses parents pour la première fois de manière durable. C’est un moment qui est assez peu évoqué lorsque l’on parle d’échec ou de réussite à l’université et pourtant ce moment est crucial pour les primo-étudiants qui expérimentent cette nouvelle vie. L’un dit :
« C’est impossible de dormir dans ma résidence universitaire. Tous les soirs, c’est la fête dans un studio. J’ai essayé de me plaindre, mais on me fait passer pour une rabat-joie. Mais au bout d’un moment c’est intenable de ne dormir que quatre heures par nuit. »
Une autre ajoute :
« Les premiers temps, c’est un peu débile à avouer, mais j’avais un peu peur le soir… on se rend compte que les parents, ils sont peut-être souvent chiants, mais c’est rassurant d’être chez eux. »
La mobilité géographique, notamment le passage d’une petite ville à une grande ville (ou d’un bourg à une ville moyenne) est un élément encore marquant pour beaucoup d’étudiants. Quelques étudiants se brûlent encore aux lumières de la ville.
Aller à l’université représente une suite de ruptures : quitter son lycée, sa famille, sa ville, sa province. Plus ces ruptures sont nombreuses et plus le risque d’isolement est réel :
« C’est pas évident lorsque je me retrouve dans ma chambre du CROUS le soir devant mon ordinateur. Les autres résidents de mon palier sont plus âgés, donc le contact ne se fait pas facilement. »
À ces nouvelles configurations s’ajoutent aussi les temps des nouvelles socialisations, de constitution d’un réseau d’amis, d’adaptation à la prise de notes notamment en amphithéâtre, d’organisation des tâches domestiques dont les témoignages montrent leurs effets sur la réussite ou l’échec lors du premier semestre à l’université.
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Gilles Pinte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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