Selon un récent rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes publié le 22 février dernier, les avancées en matière d’égalité filles-garçons à l’école demeurent lentes et insuffisantes. Les stéréotypes ont la peau dure et continuent d’influencer significativement les comportements et décisions pédagogiques qui ponctuent la vie scolaire. Pour le HCE, trois domaines sont particulièrement marqués par cette influence : l’enseignement, l’évaluation et les manuels scolaires.
Comportements et effets différenciés
Bien qu’ils soient convaincus qu’ils agissent de façon neutre, les enseignants interagissent en moyenne plus fréquemment en classe avec les garçons (56 %) qu’avec les filles (44 %). Ils font plus souvent appel aux garçons –notamment dans les matières scientifiques-, les initient davantage à de nouveaux matériaux pédagogiques et leur font un retour plus approfondi. Ils impliquent davantage les filles quand il est question de sujets sociaux ou de soutien à l’apprentissage, leur faisant répéter ce qui a été précédemment discuté. Les études montrent également que les filles sont davantage interrompues lors des présentations qu’elles réalisent devant la classe, et que les exposés des garçons sont plus longs.
Concernant les évaluations ensuite, elles sont différentes selon le sexe : à même niveau, l’on apprécie le « travail » des filles, quand les bulletins des garçons font état de « capacités inexploitées ». Les sanctions disciplinaires concernent majoritairement les garçons (entre 76 % et 84 % des élèves punis sont des garçons) qui perçoivent souvent le système punitif comme un moyen d’affirmer leur virilité. L’orientation reste sexuée avec des jeunes filles qui, malgré une meilleure réussite scolaire, se concentrent sur un éventail plus restreint de formations puis de secteurs professionnels, souvent moins prestigieux socialement et moins bien rémunérés.
Concernant les manuels scolaires enfin, les femmes sont sous-représentées numériquement, leur rôle est minimisé ou stéréotypé. Dans les manuels de lecture de CP, les femmes représentent 40 % des personnages et 70 % de ceux qui font la cuisine et le ménage, mais seulement 3 % des personnages occupant un métier scientifique. Les femmes sont sous-représentées également dans la production artistique et dans l’Histoire : 97 % des biographies de personnages historiques sont consacrées à des hommes dans les manuels d’histoire de seconde et 95 % des textes littéraires soumis à l’étude des élèves sont écrits par des hommes.
Le rapport fait également état du fait que, si les injonctions sexistes rabaissent les filles, elles desservent également les garçons, tenus de se conformer à un modèle sexué de conduite fondé sur la virilité et l’agressivité qui, au final, peut aussi les pénaliser dans leur trajectoire scolaire.
L’éducation au cœur des débats
Le bilan est décevant mais peut s’expliquer toutefois. L’école est un lieu essentiel de socialisation et de développement intellectuel et social. Les élèves y passent environ 30 heures par semaine pendant les 18 ans que dure en moyenne leur scolarisation. Parce que l’école est à l’image de la société, elle est aussi traversée par de nombreux stéréotypes et préjugés (y compris ceux liés au genre), qu’elle peut alimenter et contribuer à reproduire.
Des travaux de recherche menés depuis plus de 20 ans ont montré que les personnels enseignants et d’éducation sont aux prises, comme l’ensemble de la société, avec les stéréotypes sexistes et reproduisent des attentes différenciées vis-à-vis des filles et des garçons, qui peuvent être sources d’inégalités.
À cet égard, les manuels, qui occupent une place importante non seulement dans les apprentissages, mais également dans les modèles d’identification proposés aux élèves, sont observés à la loupe ces dernières années. Le sujet reste sensible, comme l’illustre l’épisode agité des « ABCD de l’égalité », un programme expérimental destiné à promouvoir l’égalité à l’école, lancé en 2013-2014 par N. Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des Femmes.
Accusé d’introduire une prétendue « théorie du genre », le programme avait été retiré brutalement. Une « théorie du genre » qui n’existe pas. Seules existent les « études de genre », un champ pluridisciplinaire de recherches scientifiques qui étudient la construction sociale des rapports sociaux de sexes et de ce qui est désigné comme « féminin » ou « masculin » au sein d’une société.
Les études de genre fournissent ainsi des outils pour identifier et mieux comprendre les différences structurelles entre les sexes. Elles visent notamment à analyser les mécanismes de production et de reproduction de ces différences et par conséquent, des inégalités que celles-ci peuvent engendrer. Elles sont donc un maillon nécessaire dans la conception et la mise en place des mesures d’équité entre les femmes et les hommes.
Et l’enseignement supérieur dans tout ça ?
La plupart des travaux de recherche sur les stéréotypes sont axés sur le niveau élémentaire dans la mesure où cette tranche d’âge voit s’élaborer les rôles sexués, mais qu’en est-il dans les Grandes Écoles, missionnées de la formation des managers et dirigeants de demain ?
Depuis de nombreuses années, les pouvoirs publics incitent fortement les établissements d’enseignement supérieur à œuvrer en faveur de l’égalité filles-garçons. À cet effet, les chartes ministérielles constituent une première étape à la sensibilisation sur cette question.
La Conférence des Grandes Écoles s’est aussi emparée du sujet, en se dotant d’une Commission Égalité femmes-hommes, qui prévoit des sessions de sensibilisation pour les étudiants à l’égalité et au genre. Elle élabore, à cette fin, des menus de formation comprenant des conférences, des séances de formation de leurs référents et une mise à disposition d’outils de présentation.
Néanmoins, les efforts doivent se poursuivre et les Écoles doivent avoir le courage d’aller plus loin. La surreprésentation masculine dans les ouvrages de management est encore une réalité. Le leader est encore perçu aujourd’hui par de nombreux étudiant(e)s comme ayant des compétences majoritairement masculines (charisme, affirmation de soi, compétitivité). L’entrepreneur et le dirigeant sont encore présentés sous les traits d’un homme dans nombre de documentaires et magazines économiques, etc.
Le sujet est central car les conséquences de cette « invisibilité » féminine sont multiples en termes d’intériorisation des comportements stéréotypés et d’orientation professionnelle : une jeune femme intègre le fait qu’elle est moins visible qu’un homme, et donc moins importante, ce qui altère sa confiance en soi et renforce sa propension à l’autocensure. Les jeunes hommes disposent eux d’un ensemble plus dense et complexe de modèles d’identification.
S’engager et agir
De tels modèles de conduites sont aux antipodes des compétences aujourd’hui requises pour les managers de demain, fondées sur des valeurs d’ouverture, de mixité, de bienveillance, de responsabilité et d’engagement.
Afin de transformer durablement les mentalités et déconstruire les stéréotypes de genre, l’éducation à l’égalité doit évidemment débuter dès le plus jeune âge. Les premières années de l’école jouent en effet un rôle fondamental pour amorcer et construire une culture et une société de l’égalité filles-garçons, et plus tard de l’égalité femmes-hommes. Les initiatives suédoises sont pionnières et inspirantes en ce sens. L’enseignement supérieur doit aussi impérativement se saisir de ces enjeux à travers la formation de ses enseignants, des étudiants et des personnels sur ces questions, et à travers une prise de conscience forte des représentations véhiculées par les ouvrages scolaires.
Des possibilités de rééquilibrage de ces représentations existent. Elles passent par la déconstruction d’images stéréotypées du féminin et du masculin en entreprise ; la valorisation des femmes dans les études de cas ; la présentation d’exemples de femmes en position de leadership et de direction dans les administrations et les entreprises, afin que les étudiantes puissent s’identifier à des modèles féminins et d’envisager un avenir débarrassé du poids des préjugés ; par l’aménagement de discours de sensibilisation et d’actions auprès des associations étudiantes et dans le cadre de cours adaptés.
Inscrites dans des environnements mixtes, enseignant des disciplines mixtes (=neutres à l’égard des déterminismes genrés) et visant à promouvoir la mixité au sein des organisations, les écoles de management ont une véritable responsabilité à exercer. Il n’est pas raisonnable de se passer des études et des connaissances sur le genre et l’égalité pour former les futurs managers de nos entreprises.
Le système éducatif a pour objectif de donner aux étudiants de l’enseignement supérieur la meilleure préparation et les meilleurs outils pour prendre conscience et comprendre ces situations inégales. Ces questions les toucheront en effet très vite dans l’entreprise, en tant qu’objets de ces inégalités et/ou acteurs de leur gestion. Là réside une des responsabilités majeures des dirigeants de demain : faire que leur entreprise contribue à la construction d’une société meilleure, plus responsable et plus juste.
Sabrina Tanquerel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.
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