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Le prochain Nobel récompensera-t-il une IA ?

24 novembre 2024 par Michel Briand IA, Chat GPT et formation 140 visites 0 commentaire

Pour nous aider a réfléchir à l’impact grandissant de ce que nous appelons l’intelligence artificielle sur nos activités humaine, Anne-Marie Kermarrec, nous invite à regarder l’évolution des ces algorithmes au fil des dernières années, pour nous aider à réfléchir au fait que l’intelligence artificielle conduit à repenser ce que nous considérons comme l’intelligence humaine. Serge Abiteboul et Thierry Viéville.

En mars 2016, AlphaGo écrasait le légendaire champion de du monde de Go Lee Sedol. Le monde commençait à entrevoir le potentiel extraordinaire de l’intelligence artificielle. Quand en novembre 2022, ChatGPT a été lancé, chacun d’entre nous a commencé à entamer la conversation avec ce nouveau joujou, qui de lui demander d’écrire un discours, qui de lui faire corriger ou de faire un résumé d’un article, qui de le sommer d’écrire un poème ou de lui donner des idées pour résoudre un problème. Quelques mois plus tard, ChatGPT passait avec succès des examens réputés difficiles tel que celui du barreau, écrivait du code à l’envi dans n’importe quel langage informatique ou pondait un nouveau roman dans le style de Zola. Et le monde, oscillant entre ébahissement et inquiétude, de réaliser à quel point, bien que sujets à des hallucinations manifestes, ces algorithmes d’IA générative allaient petit à petit grignoter nos emplois dans bien des domaines du service du droit ou de la médecine.

Et la science dans tout ça ? Est-ce qu’un algorithme d’IA peut aussi remplacer les cerveaux d’un éminent chercheur en physique, d’un prix Nobel de chimie ou d’un historien célèbre ?

Stockholm, le 8 octobre 2024, la vénérable académie des Nobels couronne dans le domaine de la physique, entre autres, … un informaticien, en l’occurrence Jeff Hinton, qui a partagé le prix Turing en 2019 avec Yann Lecun et Yoshua Bengio. Ce même Jeff Hinton qui a dénoncé avec véhémence les dangers de l’intelligence artificielle pour l’humanité du reste il y a quelques temps. Le lendemain, le 9 octobre 2024, cette même académie décerne un prix Nobel de chimie à deux autres informaticiens de DeepMind Demis Hassabis et John Jumper pour leurs travaux sur la structure des protéines.

Outre ces deux exemples iconiques, l’intelligence artificielle participe désormais fréquemment à des découvertes scientifiques dans de nombreux domaines comme ce nouvel algorithme de tri, domaine pourtant ô combien étudié dans la communauté algorithmique, qui émane d’un réseau de neurones en mars 2023 [1], ou encore un circuit exotique, qui de l’avis des physiciens était singulièrement inattendu, issu d’un logiciel d’IA de conceptions de dispositifs photoniques arbitraire[2], et les exemples foisonnent dans les domaines de la médecine ou de la biologie par exemple.

Au-delà de ce qu’on appelle les sciences dures, l’IA a commencé tranquillement à révolutionner aussi les sciences humaines et sociales comme l’illustre l’excellent projet ERC en philologie de J.-B. Camps[3] qui consiste à comprendre comment les cultures humaines évoluent au cours du temps en appliquant des méthodes d’intelligence artificielles utilisées dans la théorie de l’évolution en biologie aux manuscrits anciens afin de comprendre les mécanismes de transmission des textes, de leur survie et la dynamique des canons culturels qu’ ils suscitent.

Il devient donc raisonnable d’envisager une réponse par l’affirmative à la question ci-dessus : oui un prix Nobel pourrait récompenser une IA. Les algorithmes d’intelligence artificielle couplés à des infrastructures puissantes et des systèmes efficaces peuvent eux-aussi apporter leur pierre au bel édifice scientifique que nous construisons depuis la nuit des temps, et ce dans tous les domaines scientifiques.

De la créativité d’AlphaGo

En l’occurrence, AlphaGo, pour y revenir, a d’ores et déjà surpris le monde par sa créativité. AlphaGo s’est attaqué à ce jeu de stratégie d’origine chinoise inventé il y a plusieurs millions d’années qui consiste à placer des pions, appelés des pierres, sur un plateau quadrillé qu’on appelle le goban. Deux joueurs s’affrontent qui cherchent à marquer leur territoire en posant des pierres sur les intersections de la grille, pierres qui peuvent être capturées par encerclement. Je ne vais pas entrer plus en détail dans ce jeu car d’une part ce n’est pas le sujet, d’autre part je ne m’y suis jamais essayée. AlphaGo, lui est devenu champion. Au cœur d’AlphaGo, un arbre de recherche, un arbre de MonteCarlo pour être plus précis, dans lequel AlphaGo cherche son chemin en évaluant chaque coup potentiel et en simulant le jeu entier pour décider s’il doit jouer ce coup ou non. Compte tenu de la dimension de la grille, et la multitude de coups possible, bien plus élevé que le nombre d’atomes dans l’univers, autant dire qu’une exploration exhaustive est impossible. AlphaGo a alors recours à des algorithmes d’apprentissage supervisés entrainés sur des parties jouées par des humains dont la sortie est un ensemble de probabilités, le coup qui a la possibilité de gagner la partie est alors choisi. Cet algorithme est alors utilisé pour guider la recherche dans l’arbre immense des possibilités. Mais AlphaGo est allé plus loin que d’essayer d’imiter la créativité humaine en s’entrainant contre lui-même des dizaines de millions de fois puis d’utiliser ces parties pour s’entrainer ! Smart move…

C’est ainsi qu’AlphaGo a surpris tout le monde avec le fameux « Move 37 » lors de sa partie contre Lee. Ce coup que la pratique assidue depuis des milliers d’années de millions de personnes n’avait jamais considéré, cette idée saugrenue de placer un de ses pierres entre deux pierres de Lee, c’est ce coup défiant toute intuition humaine qui lui a valu la victoire. CQFD, l’IA peut être créative, voire avoir une certaine forme d’intuition au gré du hasard de ses calculs.

Est ce que l’IA peut mener à de grandes découvertes scientifiques ? Le prix Nobel de chimie 2024 en est un très bon exemple, AlphaFold a permis de découvrir les structures de protéines qui auraient demandé des siècles à de brillants chercheurs à grand renforts de manipulations expérimentales complexes et chronophages. On peut d’ailleurs voir la recherche scientifique comme l’activité qui consiste à explorer certaines branches dans une infinité de possibilités, on peut même considérer que l’intuition dont font preuve les brillants chercheurs et qui les mènent à ces moments Euréka, comme dirait Archimède, et comme les appellent Hugo Duminil-Copin, lauréat de la Médaille Fields 2022, permet de choisir les branches les plus prometteuses. Et bien c’est précisément ce que font les IAs, prédire quelles branches ont la plus forte probabilité de mener à un résultat intéressant et de les explorer à vitesse grand V.

Le paradoxe de l’IA

Oui mais voilà, une IA, cette savante combinaison d’algorithmes, de données, de systèmes et d’ordinateurs, est infiniment plus rapide qu’un humain pour effectuer ces explorations, elle est également généralement beaucoup plus fiable, ne dit-on pas que l’erreur est humaine ? En revanche, lorsqu’elle commet des erreurs, elles sont beaucoup plus importantes et se propagent beaucoup plus rapidement. Là la vigilance s’impose, qui pour le moment en tous cas reste humaine.

Certaines méthodes existent par lesquelles les algorithmes d’IA peuvent essayer de se surveiller mais cela ne peut pas aller tellement plus loin que cela. Au siècle dernier, Gödel et Turing, respectivement en 1931 et en 1936, ont montré certaines limites fondamentales en mathématique et informatique. Le théorème d’incomplétude de Gödel a révélé des limites fondamentales en mathématique. Ce théorème en particulier a montré qu’il existe des énoncés vrais dans un système, impossible à démontrer dans un système et qu’un système formel cohérent est incapable de démontrer sa propre cohérence. Dans la même veine, Turing lui s’est intéressé au problème de l’arrêt : est-ce qu’il est possible de déterminer qu’un programme informatique et des entrées, donnés, terminera son exécution ou non. En d’autres termes, peut-on construire un programme capable de de prédire si un autre programme s’arrêtera ou bouclera à l’infini ? Turing a prouvé que le problème de l’arrêt est indécidable c’est-à-dire qu’il est impossible de construire un programme universel capable de résoudre ce problème pour tous les programmes possibles. En particulier car un tel programme pourrait se contredire.

Adopter l’IA sans hésiter mais prudemment

Nos deux compères ont ainsi posé des limites intrinsèques à la puissance des algorithmes indépendamment du volume de données et du nombre de GPUs dont on peut disposer. Ainsi qu’une IA s’assure elle-même de bien fonctionner parait impossible et de manière générale une IA ne peut raisonner à son propre sujet. Est-ce pour cela qu’Alpha, selon D. Hassibis, ne pourrait jamais inventer le jeu de Go et c’est peut-être là sa limite. C’est là que l’humain peut entrer en piste. En d’autres termes, utiliser l’IA pour la découverte scientifique est d’ores et déjà possible et on aurait tort de s’en priver mais il est important de l’utiliser en respectant la démarche scientifique rigoureuse à laquelle nous, chercheurs, sommes rodés.

Les mathématiques ont été créées pour mettre le monde en équations et représenter le monde physique, l’informatique (ou l’IA) met le monde en algorithmes et en fournit des représentations vivantes qui collent si bien à la nature continue de la biologie et la physique mais aussi de bien des domaines des sciences humaine et sociales.

Ainsi, quel que soit son domaine et son pré carré, scientifique, il devient nécessaire de maitriser les fondements de l’IA pour bénéficier de ses prouesses et de son potentiel tout en vérifiant la pertinence des résultats obtenus, en questionnant les découvertes surprises qu’elle pourrait amener mais aussi en s’assurant que les données d’entrainement ne soient ni biaisées ni erronées. Si nous avons d’ores et déjà compris qu’il était temps d’introduire l’informatique dans le secondaire mais également dans beaucoup de cursus du supérieur, surtout scientifiques, il convient de poursuivre cet effort, de l’intensifier même et de l’élargir. Il est temps que l’informatique soit élevée au rang de citoyen de première-classe comme les mathématiques et la physique dans tous les cursus scientifiques. Plus encore, il est tout autant essentiel que les linguistes, les historiens, les sociologues et autres chercheurs des sciences humaines et sociales aient la possibilité d’apprendre les rudiments de l’informatique, et plus si affinité, dans leurs cursus.

Ainsi les académiques doivent s’y préparer, leurs métiers aussi vont être transformés par l’intelligence artificielle, informaticiens compris ! Ces derniers partent avec un petit avantage compétitif, celui de connaître les fondements de l’IA. À tous les autres, à vos marques, si ce n’est pas déjà fait !

Anne-Marie Kermarrec, Professeure à l’EPFL, Lausanne

[1] Mankowitz, D.J., Michi, A., Zhernov, A. et al. Faster sorting algorithms discovered using deep reinforcement learning. Nature 618, 257–263 (2023)

[2] https://nqp.stanford.edu/research/inverse-design-photonics

[3] https://www.chartes.psl.eu/gazette-chartiste/actualites/le-projet-lostma-laureat-de-lappel-du-conseil-europeen-de-la-recherche-erc

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