Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

TéléFab, Le Fablab de Telecom Bretagne

16 octobre 2015 par Kerouedan Retours d’expériences 2114 visites 0 commentaire

Un outil pour s’approprier les technologies du numérique, pour donner envie de créer, pour vulgariser.

Le fablab de Télécom Bretagne, dédié aux technologies du numérique se veut un lieu de rencontre, d’expérimentations, de découvertes, d’imagination, de créativité, d’innovation et de liberté pédagogique. Nous allons ici vous expliquer ce qu’est un fablab, pourquoi nous avons choisi d’en ouvrir un, puis vous décrire plus particulièrement deux expérimentations et nous finirons par quelques perspectives.

Mots-clés : Innovation, créativité, méthodes pédagogiques, vulgarisation.

Sylvie Kerouédan, Tristan Groléat, Pierre-Henri Horrein

Institut Mines Télécom – Télécom Bretagne, Laboratoire CNRS LabSticc,Département Electronique, Brest, France
sylvie.kerouedan@telecom-bretagne.eu

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Un article publié au VIIIe Colloque des Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur, Brest, 17, 18 et 19 Juin 2015.


I. DES CONSTATS A LA PROPOSITION

Il est visible aujourd’hui que les métiers de l’électronique, du numérique ou plus largement ceux basés sur les sciences dites « dures » n’ont pas la cote auprès des plus jeunes (1). Pourquoi : médias ? Argent supposé facile de la finance ? Moindre goût de l’effort ? Génération Y ? Quelles qu’en soient les raisons, il préexiste une barrière entre les technologies supposées « high-tech » comme l’électronique et le grand public qui ne facilite pas la venue des jeunes vers les métiers du numérique. Il faut donc essayer de trouver un moyen de présenter l’électronique, son enseignement et ses métiers sous un autre jour, pour que les jeunes viennent puis restent et entreprennent en s’appropriant les technologies du monde numérique vecteur d’innovation, comme le souligne Henri Lachman dans la préface de (1) « Un trop grand nombre d’ingénieurs formés et diplômés en France s’éloignent non seulement du métier d’ingénieur stricto sensu mais également des métiers de l’industrie, en leur préférant notamment la finance. »

Dans ce but, à Télécom Bretagne, nous avons choisi de créer un fablab (« fabrication laboratory » ou laboratoire de fabrication) au sein de l’école. Le concept de fablab est né au tout début des années 2000 au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Neil Gershenfeld se rend compte qu’en donnant accès à la technologie aux étudiants, on peut générer l’envie de créer, d’imaginer, d’innover, en bref de s’approprier les technologies pour en faire ce que l’on souhaite dans le respect d’une charte de bonne conduite (2). Le cœur du concept est l’utilisation d’outils et de composants bon marché et le partage des connaissances par la mise en réseau des fablabs du monde entier. Le gouvernement français et les collectivités territoriales voient dans ces fablabs un outil de réindustrialisation et d’innovation, et soutient leur développement via des appels à projets. Les échanges entre le public et les entreprises prennent une nouvelle dimension autour du partagede connaissances, de compétences et de matériels avec une centaine de fablabs sur le territoire français.

Outre ces fablabs le plus souvent de type associatif, des fablabs émergent au sein des Ecoles et Université : le faclab ouvre en février 2012 à l’Université de Cergy, le Téléfab ouvre en septembre 2012 à Télécom Bretagne à Brest. Cet article permettra nous l’espérons de montrer l’intérêt d’un tel lieu dans une école d’ingénieurs ou dans un établissement d’enseignement supérieur.

II. LE TELEFAB : ORGANISATION ET ACTIVITES

Le Téléfab (http://telefab.fr) fonctionne grâce à une équipe de pilotage de 4-5 personnes (enseignants-chercheurs, ingénieurs, doctorants), au soutien financier de Télécom Bretagne et de l’Institut Mines-Télécom (environ 20k€ depuis 2012 et la mise à disposition d’une salle), à la participation active d’une dizaine d’élèves ingénieurs. Cela permet d’ouvrir le fablab à différents moments (journée, soir, WE) et d’y proposer des activités diverses : des ateliers de découverte à destination du personnel et des étudiants ; des intersemestres mélangeant des étudiants de profils différents ; de nombreux projets de cursus ; des formations pour les enseignants de collège et lycée dans le cadre de la Maison pour la Science Bretagne (ouverture en 2015) (4) ; des ateliers de découverte pour les collégiens ou lycéens ; des stages de découverte pour les 3èmes ; du prêt de matériel pour prototyper des projets personnels.
Tout au long de l’année, le Téléfab et ses animateurs tiennent des stands sur des évènements à vocation :

  • de formation « Métiers en tout genre » pour que les collégien(ne)s et lycéen(ne)s découvrent qu’aucun métier ne leur est inaccessible s’ils en ont les capacités et la volonté,
  • plus grand public comme La Nuit Européenne des Chercheurs, la Fête de la Science.
    Le Téléfab a participé à des évènements de la mouvance « Makers » (5) pour partager les savoir-faire avec les autres fablabs, au MOOC « Fabrication Numérique » (6) piloté par Baptiste Gaultier, ingénieur à Télécom Bretagne. Ce MOOC a été suivi par plus de 10000 participants lors de sa première diffusion au printemps 2014.

Nous sommes aussi membres du consortium des Fabriques du Ponant (3) avec l’association des petits débrouillards Grand Ouest et la Maison du Libre. Ce consortium pilote aujourd’hui le fablab associatif de Brest situé dans un bâtiment du lycée technique Vauban mis à disposition par la Région Bretagne et le Proviseur du Lycée, M. Bernard Le Gal.

III. DEUX EXPERIMENTATIONS ET LEUR BILAN

III.1 Mélange des profils pour une créativité renforcée
III.1.1 La situation
Pendant une semaine, une douzaine d’étudiants de l’EESAB (Ecole Européenne Supérieure d’Art de Bretagne) et une douzaine d’étudiants de Télécom Bretagne sont regroupés dans le Téléfab pour imaginer ensemble des projets. La première journée, un atelier d’initiation permet de découvrir les possibilités du fablab, avant de faire une séance d’imagination de projets. A ce moment-là, on est encore le plus souvent sur une séparation des étudiants par école et les propositions de projets s’en ressentent : de l’ambiance lumineuse en fonction du pouls à la voiture télécommandée, en passant par un cube à LEDs.
Suite à cette phase d’imagination, les porteurs d’idées viennent défendre leur idée face à la classe, ensemble (enseignants et élèves), on essaie alors de mêler les idées, de fusionner des concepts. Cela donne des projets plus ambitieux et des groupes de profils plus hétérogènes, comme par exemple :

  • Led-zeppelin (Figure 1.a) mêle un cube à LEDs avec la visualisation de la hauteur de houle à la bouée des Pierres Noires (au large de Brest).
  • Toucher-pour-voir (Figure 1.b) propose de faire vibrer une image en fonction du niveau de gris pour qu’elle soit accessible aux aveugles.
  • SMI (Figure 1.c) génère une ambiance lumineuse en fonction de la météo.
  • Brouhaha (Figure 1.d) matérialise les paliers de bruits mesurés par un sonomètre.

III.1.2 Le bilan
Le mélange des deux populations n’est pas toujours évident, il y a des a priori, des timidités, des temps de réflexion différents. Le temps court de l’exercice peut exacerber les différences. On est presque parfois dans le cliché de l’ingénieur, garçon réservé qui n’ose pas parler, et de l’artiste qui passe son temps à dessiner.
On peut par exemple citer le commentaire d’un étudiant de l’EESAB « nous avons besoin de temps pour dessiner, pour faire des croquis, pour appréhender l’objet ». Mais les enseignants de l’EESAB insistent sur le fait que c’est aussi un exercice particulier et qu’il est important que les étudiants puissent s’adapter aux contraintes de temps. Au final, la plupart du temps le mélange des deux populations fonctionne plutôt bien et permet d’aller plus loin que l’idée originelle, sur les exemples cités précédemment la collaboration s’est traduite :

  • par la proposition d’un objet original de visualisation de données trouvées sur internet pour le led-zeppelin (Figure 1.a) ;
  • par la récupération auprès des magasins de jeux vidéo brestois de moteurs de vibrations des manettes cassées pour mettre en œuvre la vibration des pixels de l’image (Figure 1.b) ;
  • par un rendu original des informations de température et d’humidité (Figure 1.c) ;
  • par des tests en classe de primaire car ce petit appareil intéresse les enseignants pour que les enfants de la classe se rendent compte du niveau sonore des chuchotements (Figure 1.d).

Figure 1 : des projets mixtes étudiants EESAB et Télécom Bretagne, les détails sur http://telefab.fr/portfolio/

Même s’il s’agit d’un temps très court, les deux populations expérimentent une créativité enrichie des expériences et des profils de chacun qu’ils pourront réutiliser. On constate également, au-delà de la créativité mise en œuvre dans ces projets, que les étudiants apprennent à travailler avec des contraintes qui ne sont pas les leurs : les étudiants de l’EESAB doivent gérer le temps et les problèmes liés à la conception électronique, et les élèves-ingénieurs doivent prendre en compte des contraintes d’utilisabilité, et non plus uniquement de fonctionnalité matérielle.

Tableau 1 : Répartition des étudiants des deux écoles, évaluation de la qualité des projets et du niveau de "mixité" atteint pour les 10 projets réalisés sous ce format

Il existe des échecs, des groupes qui n’ont pas « fusionné ». La principale raison de ces échecs est la présence d’au moins un élève aux idées très (trop) arrêtées qui ne veut pas jouer le jeu, on aboutit alors à deux morceaux de projets comme dans le projet Bolia (http://telefab.fr/2014/02/01/bolia/). Le Tableau 1 fait le bilan des dix projets mixtes que nous avons accompagnés en 2012 et 2013 dans le Téléfab. On peut noter que dans le projet qui a le moins bien marché, il y avait beaucoup d’étudiants (7) et un fort déséquilibre de population, et que parfois même un groupe qui fonctionne moyennement peut aboutir à un projet correct. Il faut donc qu’on soit vigilant sur la taille des groupes et sur la répartition des étudiants. Au final, la qualité des projets élaborés pendant ces semaines et la richesse des échanges entre les étudiants font que nous reproduirons pour la troisième année cette expérience.

III.2 Ateliers d’initiation pour les élèves de 3ème
III.2.1 La situation
Aujourd’hui, nombreux sont les collégiens, et plus particulièrement les collégiennes, utilisateurs de technologies « électroniques » (smartphones…), qui n’ont jamais imaginé être capables de programmer des microcontrôleurs pour rendre des objets intelligents. Nous proposons donc des ateliers d’initiation pour leur faire découvrir qu’ils sont capables de programmer les « cerveaux électroniques » (microcontrôleurs), qu’ils peuvent capter une information (e.g. la luminosité) et s’en servir pour agir sur un composant (e.g. allumer une lumière quand la nuit arrive).
Pour ce faire, nous partons d’exemples simples, puis nous accompagnons pas à pas les collégiens en veillant à leur poser des questions tout au long de la réalisation pour les accompagner dans la réalisation de leurs idées. Ces ateliers durent entre 1h et 2h, cette durée est généralement limitée par des contraintes logistiques.

III.2.2 Le bilan
Les séances demandent un taux d’encadrement plutôt élevé, un accompagnant pour trois binômes de collégiens environ. Nous nous appuyons donc régulièrement sur les étudiants de Télécom Bretagne pour mener à bien ces séances. L’intérêt est alors double : d’une part l’élève ingénieur doit apprendre à se mettre au niveau du collégien en termes de vocabulaire, de prérequis ; d’autre part le collégien se sent plus à l’aise avec un jeune qui a 6 ou 7 ans de plus que lui qu’avec un enseignant, sur 1h d’atelier la parole est alors libérée plus rapidement. Les professeurs de collège accompagnateurs sont toujours ravis de voir l’investissement de leurs élèves garçons et filles dans les activités proposées mais en 1h voire 2h, on n’a pas assez de temps pour planter solidement la graine qui pourrait un jour germer et leur permettre de penser que les études scientifiques techniques sont une opportunité pour eux. Nous envisageons de proposer une mallette pédagogique (avec le soutien du Conseil Général du Finistère) contenant des kits pour faire des initiations dans les collèges, ou les prêter aux professeurs qui auront été formés au Téléfab par le biais des actions de la Maison pour la Science Bretagne (MPLS) (4) qui sont les relais des actions « La main à la pâte » , soutenues par l’Académie des Sciences.

IV. PERSPECTIVES

Le Téléfab est donc un véritable outil pédagogique. Il remplit plusieurs des missions d’un établissement public comme le nôtre : la formation multidisciplinaire de nos étudiants, la transmission du goût des sciences techniques et la vulgarisation scientifique auprès du grand public. C’est aussi un lieu de liberté d’expérimentation pédagogique. Il serait intéressant d’utiliser ce lieu pour propager une pratique plus ludique de l’informatique dès le collège, d’imaginer mêler les élèves ingénieurs avec des étudiants en sciences du vivant pour élargir la gamme de projets et être là encore dans un processus d’innovation. Ce lieu pourrait être un lieu d’accompagnement des enseignants aux actions multidisciplinaires proposées dans la réforme du collège.
Pour conclure, depuis plus de deux ans maintenant, le Téléfab est devenu un lieu incontournable au sein de Télécom Bretagne, un lieu vitrine, un lieu de liberté, un lieu d’échanges « intergénérationnels ». Nous avons accueilli sept classes de collégiens-lycéens, nous avons vu se réaliser plus d’une cinquantaine de projets, nous observons les étudiants s’approprier de plus en plus le lieu en proposant leur projet personnel : drone, éolienne, ruche connectée… Mais tout cela reste à consolider. En effet, le point faible d’un tel outil pédagogique est le financement d’un poste de « fabmanager », i.e. la personne qui va à temps plein animer et gérer le fablab, proposer des formations et assurer le suivi des projets en soutien aux 4-5 enseignants, ingénieurs et doctorants qui portent le projet. Si le soutien sans faille de l’Institut Mines-Télécom mais surtout de Télécom Bretagne assure le renouvellement de matériel et l’entretien des locaux, il serait dommage, que nous ne puissions pérenniser ce formidable outil pédagogique.

REFERENCES

Bordier Romain, Kirchner Aloïs et Nussbaumer Jonathan. Adapter la formation de nos ingénieurs à la mondialisation. s.l. : Institut Montaigne, 2011.

Gershenfeld, N. A. When Things Start to Think. s.l. : Henry Holt and Company, 2000.

Fabriques du Ponant. [En ligne]
http://www.lespetitsdebrouillardsbretagne.org/IMG/pdf/fabriquesponant.pdf.

MPLS. [En ligne]
http://www.maisons-pour-la-science.org/fr/bretagne.

Mouvement des Makers. [En ligne]
http://www.makerfaireparis.com/presentation/le-mouvement-des-makers/.

MOOC Fabrication Numérique [En ligne] Baptiste Gaultier,
https://www.france-universite-numerique-mooc.fr/courses/MinesTelecom/04002S02/Trimestre_4_2014/about

Licence : CC by-sa

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