Le 8 novembre 2017, le cours « Se former pour enseigner dans le supérieur » débutera sur la plate-forme FUN-MOOC. Il m’a été demandé dans ce cadre d’enregistrer une vidéo, sous la forme d’une interview avec Saïda Mraihi (« Une journée avec… la responsable du service pédagogie numérique d’Arts et Métiers » sur EducPros.fr), à propos des « Techniques de Rétroaction en Classe ». Le présent article reprend par écrit les grandes lignes de cette interview.
Vous avez publié plusieurs articles sur le thème de rendre actif les étudiant·e·s et en particulier les techniques de rétroactions en classe. Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous expliquer qu’est-ce que sont les TRC ?
Les TRC, ou CATs en anglais (Classroom Assessment Techniques), sont de courtes activités à mener en classe avec les étudiant·e·s (voir quelques ressources et exemples ici). Elles durent entre 5 et 20 minutes pour la plupart. On peut les situer à peu près entre les méthodes d’évaluation formative des apprentissages et les méthodes actives d’enseignement. L’idée principale est qu’en cours d’apprentissage, les étudiant·e·s aient l’opportunité d’obtenir des informations pour savoir dans quelle mesure ils/elles sont en train d’atteindre les objectifs d’apprentissage visés dans un cours et qu’en même temps les enseignant·e·s aient une idée de là où en sont les étudiant·e·s afin, le cas échéant, d’apporter des explications complémentaires.
On peut résumer la philosophie de Thomas Angelo et Patricia Cross, les auteurs du livre qui a popularisé le concept en 1988 (2ème édition en 1993), par la formule « Teaching without learning is just talking« . Pour s’assurer qu’il y ait bien apprentissage chez les étudiant·e·s dans un cours, il faut une certaine interaction avec eux/elles. Car on sait bien que ça ne suffit pas de voir « qu’ils/elles ont l’air d’écouter » ou de leur demander « est-ce que vous avez compris ? ».
Les TRC se définissent par sept grandes caractéristiques communes :
- Centrées sur l’apprenant·e : le but premier est de conduire les apprenant·e·s vers une amélioration de leur apprentissage et de leurs stratégies d’apprentissage ;
- Conduites par l’enseignant·e : c’est l’enseignant·e, en toute autonomie, qui organise la mise en œuvre de TRC dans sa classe ;
- Soutenant un bénéfice mutuel : utile autant pour l’étudiant·e pour améliorer ses stratégies d’apprentissage que pour l’enseignant·e pour améliorer ses stratégies d’enseignement ;
- Formatives : il n’y a pas de note associée à ces activités. La plupart du temps, les TRC sont anonymes, le but étant éventuellement de préparer au mieux les étudiant·e·s à une épreuve notée ;
- Spécifiques au contexte : le choix d’une TRC dépend de l’enseignant·e, des besoins des étudiant·e·s, des objectifs de l’enseignement, du matériel ou de l’espace à disposition, etc. ;
- Basées sur un processus permanent d’aller et retour entre l’enseignant·e et les étudiant·e·s pour développer l’apprentissage et l’enseignement ;
- Ancrées dans une pratique enseignante cohérente et planifiée sur un certain nombre de séances de cours.
Ceci dit, il y a une grande variété de TRC (50 dans le livre d’Angelo & Cross) et une multitude de variantes possibles que chaque enseignant·e peut adapter à son contexte et à ses étudiant·e·s. Elles peuvent être des activités écrites ou orales, individuelles ou collectives, avec un grand ou un petit groupe, basées sur une auto-évaluation ou une évaluation entre pairs, et certaines peuvent combiner ces différentes options.
Quels peuvent être les intérêts à les utiliser pour les enseignant·e·s et pour les étudiant·e·s ?
Le plus souvent, ce qui est mis en avant, c’est un bénéfice mutuel. Avec les TRC, les enseignant·e·s d’une part, connaissent mieux les besoins des étudiant·e·s et développent leurs enseignements et les étudiant·e·s d’autre part, peuvent voir où ils/elles en sont par rapport à l’atteinte des objectifs et apprennent à mieux se connaître en tant qu’apprenant·e.
Plus largement, les TRC sont en fait basées sur sept présupposés issus de la recherche dans le domaine de la pédagogie :
- La qualité de l’apprentissage des étudiant·e·s dépend en grande partie de la qualité de l’enseignement ;
- Pour accroître leur efficacité, les enseignant·e·s devraient définir des objectifs pédagogiques puis fournir du feedback aux étudiant·e·s à propos de la façon dont ils/elles sont en train de les atteindre ;
- Pour améliorer leur apprentissage, les étudiant·e·s ont besoin de recevoir un feedback approprié, rapide et régulier mais ils/elles doivent aussi apprendre à évaluer eux/elles-mêmes leur propre apprentissage ;
- Le type d’évaluation des enseignements qui permet le plus d’améliorer l’enseignement est celui qui correspond aux problèmes et aux questions que l’enseignant·e se posent à lui/elle-même, ce qui veut simplement dire que le mieux est que l’enseignant·e puisse interagir directement avec les étudiant·e·s à ce sujet ;
- Le défi intellectuel et systématique constitue un moteur important de motivation, de développement et d’innovation chez les étudiant·e·s, et l’évaluation formative en classe peut y contribuer ;
- Les TRC ne demandent pas une formation particulière et elles peuvent être mises en place en classe par des enseignant·e·s de toutes les disciplines ;
- En collaborant avec des collègues et en impliquant activement les étudiant·e·s dans les TRC, les enseignant·e·s peuvent développer leurs compétences et leur satisfaction à enseigner.
Ce qui est un peu paradoxal, c’est que, si les TRC ont été au départ imaginées et développées sur base de recherches en pédagogie, elles n’ont fait que relativement peu l’objet d’études une fois le livre publié en 1988… Ceci dit, comme je le mentionnais juste avant, les TRC relèvent à la fois des méthodes actives et de l’évaluation formative en classe. Sur ces deux thèmes, il existe par contre beaucoup de recherches. Par exemple, Coe et al. (2014) ont mis en évidence six éléments importants d’une bonne évaluation formative :
- L’objectif est clairement et explicitement centré sur l’apprentissage des étudiant·e·s (pas sur les notes) ;
- Le feedback est lié à des objectifs des étudiant·e·s qui sont clairs, spécifiques et qui représentent un défi particulier ; le rôle explicite de l’enseignant·e est de les amener à atteindre ces objectifs ;
- L’attention est portée sur l’apprentissage et pas sur la personne de l’étudiant·e ou sur la comparaison entre eux/elles ;
- Les enseignant·e·s sont encouragé·e·s à être aussi en continu des apprenant·e·s ;
- Le feedback est délivré par un·e « mentor » (enseignant·e, pair ou expert·e) dans un environnement positif basé sur la confiance ; ceci renvoie à la notion d’ »amitié critique » ;
- Un environnement de support à l’apprentissage est promu par la direction (du programme ou de l’institution).
Quand l’enseignant·e peut-il/elle utiliser les TRC et pour quoi faire ?
La première question à se poser est vraiment de savoir pourquoi on veut mettre en œuvre des TRC dans sa classe. Dans son étude, Steadman (1998) en liste cinq principales :
- Obtenir un feedback à propos de la satisfaction des étudiant·e·s et de leur perception de l’efficacité des activités pédagogiques organisées en classe ;
- Améliorer son enseignement ;
- Monitorer l’apprentissage des étudiant·e·s ;
- Améliorer les résultats d’apprentissage des étudiant·e·s (mémorisation par exemple, ou stratégies d’apprentissage) ;
- Améliorer la communication et la collaboration entre étudiant·e·s
Un conseil souvent donné est de clarifier son ou ses objectifs personnels et de les expliciter aux étudiant·e·s dès la première séance de cours (et de le rappeler régulièrement).
Du point de vue des enseignant·e·s, les avantages des TRC mentionnées par Steadman sont :
- Donner le sentiment aux étudiant·e·s de pouvoir s’exprimer en classe à propos de leur compréhension et de leur satisfaction, ce qui rend l’ambiance de classe plus agréable ;
- S’engager dans un processus continu de réflexion à propos de leur enseignement ;
- Voir à quel point les étudiant·e·s peuvent s’impliquer dans leur apprentissage ;
- Rejoindre une communauté d’enseignant·e·s impliqué·e·s dans leur enseignement.
Il y a aussi des désavantages potentiels : le manque de temps et la gestion des feedback négatifs sur l’enseignement.
Une fois ces objectifs définis, les TRC peuvent être utilisées quand on veut au cours d’un enseignement. Par exemple :
- Au début d’un cours avec une activité de collecte des connaissances ou des conceptions préalables des étudiant·e·s ;
- Pendant le cours avec une activité de compréhension ou d’application comme un tableau logique ou l’exercice de résumer en une seule phrase un élément du cours ;
- A la fin d’un cours avec le Minute paper (« Écrivez en 3-5 lignes les éléments les plus importants que vous avez retenus du cours.« ) ou l’invention par les étudiant·e·s de questions qui pourraient constituer des questions d’examen.
Quelles sont les clés de participation des étudiant·e·s en classe ?
Les étudiant·e·s de l’enseignement supérieur sont de jeunes adultes. Ils/elles ne croient pas tout sur parole. Ils/elles ont besoin de pouvoir se projeter dans les enseignements qu’on leur propose, donc d’y retrouver un écho à leurs objectifs personnels. Ils/elles ont besoin de savoir ce qu’on attend d’eux/elles et de savoir où ils/elles en sont par rapport à ce que l’enseignant·e attend d’eux/elles. Ils/elles ont besoin de développer leur autonomie mais en même temps de conseils pour la développer et pour développer leurs stratégies d’apprentissage en autonomie. Ils/elles sont aussi friands de développer des compétences variées autres que liées directement aux contenus enseignés : expression orale, écriture, collaboration, réflexion personnelle, analyse critique, argumentation, etc. Ils/elles ont aussi plus globalement besoin de développer leur sentiment d’affiliation au programme dans lequel ils/elles sont inscrits et à l’institution.
Steadman (1998) cite plusieurs avantages des TRC du point de vue des étudiant·e·s :
- Sentiment d’avoir un certain contrôle sur ce qui se passe en classe et sur la prise de parole en classe, le sentiment de ne pas subir le rythme du cours et la transmission de connaissances. Ce sentiment de contrôle est directement lié à la motivation.
- Sentiment d’être davantage impliqué·e·s dans leur propre processus d’apprentissage.
- Sentiment de mieux profiter d’un cours amélioré et innovant, sentiment que le cours est plus efficace pour leur apprentissage.
- Meilleure métacognition et meilleure conduite de leur propre apprentissage.
Il y a aussi des désavantages : l’impression que, s’il y a trop d’exercices, la classe est « lente » et que les TRC prennent trop de temps. Certain·e·s trouvent cela inutile car il n’y a pas de note à la clé. Certain·e·s préféreraient aussi rester passif/ve·s au fond de la classe : leur conception de l’apprentissage est plutôt passive et réceptive. Mais ces conceptions de l’apprentissage peuvent évoluer tout au long d’un enseignement…
Si un·e enseignant·e veut se lancer dans l’intégration des TRC dans son cours, qu’est-ce que vous lui conseilleriez ?
Ces conseils sont autant issus de ma pratique que des lectures que j’ai pu faire sur le sujet et dont les références sont mentionnées ci-dessous.
- Expliquer pourquoi on fait ça en classe et que les bénéfices sont mutuels. Pour les étudiant·e·s, cela concerne autant l’apprentissage que les stratégies d’apprentissage ;
- Commencer avec des TRC simples (minute paper, muddiest point…) ;
- Ne pas utiliser trop de TRC différentes, c’est important qu’il y ait une certaine forme d’activité régulière avec les étudiant·e·s qui balise les cours ;
- Ne pas utiliser des TRC qui ne correspondent pas à son style ou ses conceptions personnelles de l’enseignement ;
- Préparer soigneusement le timing (prévoir trop de temps, surtout les premières fois…) et répéter. Noter les consignes éventuelles sur une dia, préparer le matériel ou s’assurer que les étudiant·e·s ont le matériel nécessaire (papier, stylo, ordi…). S’assurer que la salle est adaptée.
- Aller jusqu’au bout : expliquer aux étudiant·e·s ce qu’on a appris soi-même suite à un exercice, ou comment on va faire évoluer son enseignement ;
- Donner la parole aux étudiant·e·s à propos des TRC en classe.
Références
Quelques ressources en ligne (mes bookmarks sur Diigo)
Angelo, T. A., & Cross, K. P. (1993). Classroom assessment techniques : a handbook for college teachers (2nd ed). San Francisco : Jossey-Bass Publishers.
Coe, R., Aloisi, C., Higgins, S., & Major, L. E. (2014). What makes great teaching ? Review of the underpinning research. Durham University : Centre for Evaluation & Monitoring. Consulté à l’adresse https://www.suttontrust.com/research-paper/great-teaching/
Steadman, M. (1998). Using Classroom Assessment to Change Both Teaching and Learning. New Directions for Teaching and Learning, 1998(75), 23‑35. https://doi.org/10.1002/tl.7503
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