Un article repris de la revue Distances et Médiations des Savoirs, une publication sous licence CC by sa
Remerciements
Nous remercions chaleureusement Dre Christelle Bozelle, directrice de la cellule MOOC de l’UNIGE, pour sa disponibilité, ses conseils avisés et ses commentaires de qualité. De même, nous remercions Mme Ahidoba De Franchi Mandscheff, responsable qualité du Centre pour la formation continue et à distance. Nous remercions enfin chaleureusement Dre Isabelle Bolon du MOOC de l’Institut de santé globale pour ses contributions et relecture.
Introduction
Invitée à contribuer à la discussion initiée par Daniel Peraya sur les capsules vidéo, nous nous intéresserons tout particulièrement au statut de ces dernières en prenant le media debate (Peraya, 2017, p. 3) comme cadre de référence. Ce débat des années 1990 est resté célèbre pour les positions cristallisées de Clark (1994) et Kozma (1994), l’un défendant l’idée selon laquelle la technologie n’est qu’un simple conduit et que la pédagogie doit primer, et l’autre insistant sur l’affordance pédagogique de la technologie et par conséquent sur la nécessité de la choisir soigneusement. Notre contribution va se situer dans l’adoption d’une posture intermédiaire en nous affiliant à celle de Schneider (2012). Celle-ci s’articule autour des trois points suivants : 1) les médias sont associés à des affordances spécifiques et relèvent de ce fait de l’ingénierie pédagogique ; 2) la cognition n’est pas une affaire individuelle et nécessite souvent du support humain et technologique ; 3) les modèles d’ingénierie pédagogique peuvent généralement être implémentés avec des technologies et des médias divers. Le point d’ancrage de la présente contribution se situe au niveau de la conception des capsules vidéo et des MOOC pour lesquels elles sont conçues dans le contexte de l’université de Genève (UNIGE). Elle s’inscrit dans une démarche à la croisée du praticien réflexif et du praticien chercheur selon la classification de Bédard (2014, p. 101). Notre objectif consiste à faire découvrir aux lecteurs l’importance de l’articulation de la conception des capsules vidéo avec la conception pédagogique de l’ensemble de l’environnement d’apprentissage. C’est par l’intermédiaire d’entretiens et d’échanges [1] avec des praticiens et en discutant un exemple de MOOC [2] conçu à l’UNIGE que nous allons tenter de l’atteindre.
Media debate, affordances et potentiel des médias
Gibson (1977, p. 78-79), psychologue de la perception qui est à l’origine du terme affordance, le définit comme une relation, autrement dit des actions possibles entre un être vivant et un environnement, indépendamment des besoins de l’être interagissant. Par la suite, Norman (1999, p. 39 ; 2008, p. 18) a introduit le terme dans le domaine de la conception, distinguant les affordances d’objets physiques (par ex. une porte) de celle des objets accessibles via un écran (par ex. vidéo). Il introduit ainsi la notion d’affordances perçues : les actions perçues comme possibles par les personnes interagissant avec l’environnement et qui sont dépendantes des modèles conceptuels de l’individu agissant et des contraintes perçues. Caron et Caronia (2005) se réfèrent aux objets technologiques physiques (par ex. téléphone portable) et rejoignent en partie les points de vue de Gibson et de Norman : « Les objets de communication, de par leurs particularités techniques, induisent donc des usages et, inversement, nos manières de les utiliser contribuent à redéfinir leurs significations » Caron et Caronia (p. 86). Il s’agit à la fois des actions potentielles offertes par l’objet et de la perception de ces actions potentielles en fonction de la littératie médiatique (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012) de l’individu interagissant. Pour prendre un exemple concret, basé sur la typologie proposée par Hansch et al. (2015 p. 23 et suivantes), l’affordance d’une capsule vidéo de type talking head résiderait dans le fait d’établir une relation personnelle entre l’orateur et l’apprenant récepteur, autrement dit d’agir au niveau du sentiment de téléprésence et de l’impression que l’enseignant parle directement à l’apprenant (voir Peraya, 2017, p. 7).
Dans le cadre du media debate, les études s’intéressant aux affordances des capsules vidéo présentées comme média éducatif nous interpellent tout particulièrement (par ex. Hansch et al., 2015 ; Schrader et al., 2004). Schrader et al. (2004) distinguent les affordances propres à la capsule vidéo en tant que média des affordances de la conception pédagogique de cette dernière. Le concepteur de la capsule vidéo pourra ainsi jouer sur trois catégories d’affordances : 1) celles inhérentes au média et qui relèvent d’un ordre « technique » (i.e. le mouvement, l’audio-vidéo simultanés, la reproduction identique et la facilité de la distribution ainsi qu’un certain contrôle exercé par l’utilisateur [arrêter, marquer, etc.]) ; 2) celles inhérentes au média mais relevant d’un « autre ordre » (par ex. rapidité de diffusion de l’information, médiation émotionnelle, richesse des interactions montrées, quantité d’informations disponibles grâces aux caractéristiques techniques) ; et enfin 3) les opportunités qu’offre la conception pédagogique et qui peuvent être perçues comme une affordance (par ex. la structuration de la rétroaction, la scénarisation de l’activité réflexive). Pour donner un exemple, imaginons que dans un contexte donné, un ingénieur pédagogique choisisse de concevoir une capsule vidéo pour les affordances propres à ce média. Les opportunités pédagogiques consisteront de leur côté à opérationnaliser l’intention pédagogique (par ex. les objectifs d’apprentissage), à définir les rôles de l’enseignant et de l’apprenant – en jouant par exemple sur une variation des quatre environnements d’apprentissage de Bransford, Brown et Cocking (1999) [3] – et à identifier le genre de la capsule vidéo à réaliser (par ex. information, documentaire, base de données, instruction ancrée, vignettes avec questions, narration) ainsi que sa structure (par ex. structure linéaire d’un documentaire, structure narrative « à ramifications »).
De ce fait, l’affordance d’une capsule vidéo insérée à un MOOC ne peut se manifester pleinement qu’en prenant en compte le dispositif de formation et les huit fonctions rappelées par Peraya et Bonfils (2012, p. 5) et préalablement identifiées par Peraya (1998, 1999) : informer, produire individuellement et collaborativement, interagir socialement, soutenir, auto et hétéro-évaluer, gérer et planifier, contribuer à l’activité méta-réflexive, et créer le sentiment d’awareness sociale. En partant du principe que le statut de la capsule vidéo se situe au même niveau de granularité qu’une activité d’apprentissage, son statut d’élément de granularité fine devrait être pris en compte en tant que petit élément à coordonner dans le dispositif plus global. Le défi du learning design (Dalziel, 2016, p. 17) consiste justement à concevoir des expériences d’apprentissage alignées sur les approches pédagogiques et les objectifs d’apprentissage en explicitant les théories d’apprentissage, les méthodes d’enseignement et d’évaluation et les caractéristiques de l’environnement d’apprentissage. Cet alignement ainsi que les différents niveaux de granularité sur lesquels les ingénieurs pédagogiques sont invités à travailler permet d’équilibrer les différentes composantes, d’assurer une cohérence globale à la formation en recourant aux médias de manière planifiée et mûrement réfléchie selon les besoins pédagogiques contextuels. Le travail ainsi effectué en amont permet de vérifier que les huit fonctions sont partagées intelligemment au sein du dispositif de formation de façon à favoriser l’apprentissage.
Enfin, en référence au media debate, le fait d’intervenir à la fois au niveau des affordances de la capsule vidéo en tant que média et au niveau des opportunités de la conception pédagogique permet de se positionner de manière intermédiaire : la conception pédagogique est primordiale et se doit de considérer l’affordance des médias pour, ensemble, être au service de l’apprentissage. Il s’agit ainsi de concevoir une scénarisation pédagogique avec choix du média approprié pour chaque élément de granularité fine et de les agencer de manière cohérente dans le dispositif. Autrement dit, il s’agit de réaliser une scénarisation techno-pédagogique à chaque niveau de granularité et de vérifier la cohérence du tout en fonction des objectifs d’apprentissage.
Cette perspective renvoie d’une part aux affordances du média lui-même et, d’autre part, aux opportunités de la conception pédagogique. Cette considération se retrouve en partie dans le premier point de la position de Schneider (2012). C’est à l’ingénieur pédagogique de créer les opportunités d’apprentissage par la scénarisation et de l’inscrire dans l’utilisation de médias estimés capables, de par leurs affordances, de supporter cette scénarisation pédagogique.
De la conception du dispositif à la conception des capsules vidéo
Pour illustrer l’articulation de la conception de la capsule vidéo avec la scénarisation de l’ensemble du dispositif, prenons l’exemple d’un MOOC inscrit dans une perspective transformative de l’apprentissage.
L’Institut de santé globale de la Faculté de médecine de l’UNIGE a opté pour la création de MOOC multiexpert, autrement dit, une sélection d’experts traitera différents sujets sélectionnés pour un cours. Pour le MOOC Global Health at the Human-Animal-Ecosystem Interface, ce ne sont pas moins de 36 experts issus de 20 institutions différentes – universités, instituts de recherche, organisations internationales, ONG [4] – situés dans différentes parties du monde qui interviennent. Leur profil interdisciplinaire et international reflète la diversité du domaine de la santé globale, invitant les participants à apprendre à partir de différentes perspectives et à découvrir la complexité des problèmes de santé globale. D’un point de vue contenu, chaque expert l’a défini par avance, d’entente avec les concepteurs du cours, afin de répondre aux objectifs pédagogiques, aux exigences du public cible [5], et afin de suivre la ligne rouge du MOOC. Il inclut ainsi une dimension globale et locale et, le plus souvent, les défis de santé globale choisis sont illustrés par des initiatives locales, des démonstrations pratiques sur le terrain et/ou des interviews d’acteurs et d’experts locaux.
Dans l’objectif de satisfaire les options de scénarisation retenues pour l’ensemble du dispositif, les capsules vidéo ont été réalisées de la manière suivante : les exposés plus traditionnels, reflétant le global, ont été enregistrés dans un bureau alors que les interviews, tournages dans les laboratoires ou sur le terrain, reflétant le local, ont été tournés dans ces contextes locaux. Ainsi, d’une part les apprenants apprennent par le biais d’un récit sur un thème de santé globale donné – telling stories selon (Hansch et al., 2015, p. 11) – et d’autre part, par des virtual field trip (ibid.). Les rôles respectifs de l’enseignant et de l’apprenant sont conçus, pour les premiers, en vue de stimuler la réflexion et la recherche sur un thème donné, et pour les deuxièmes, en vue d’endosser le rôle de praticiens apprenants-chercheurs réflexifs. Le genre retenu est hybride, alliant les affordances du documentaire, de l’information et de la narration. La structure du Mooc présente un caractère hypertextuel avec une intention didactique consistant à transmettre de l’information, susciter la compréhension et inciter à la réflexion critique. De plus, lors du montage, des titres, du texte et des images ont été insérés afin de rendre le contenu plus didactique, vivant, facile à suivre ainsi que pour expliciter certains termes et concepts.
Par ailleurs, pour guider la conception des capsules vidéo, les équipes de production s’en remettent d’une part à des critères généraux (Conole, 2013 ; Depover, Karsenti et Komis, 2017, p. 91-100 ; Jansen, Rosewell et Kear, 2016 ; Ossiannilsson, Williams, Camilleri et Brown, 2015 ; Williams, Kear et Rosewell, 2012) et d’autre part aux résultats d’études d’usage telles que celles citées par Peraya (2017, p. 2). Du point de vue de l’évaluation de la conception, l’ensemble du dispositif a été validé par l’équipe conceptrice du MOOC. Les capsules vidéo ont quant à elles été validées par les concepteurs du cours, par les experts eux-mêmes ainsi que par la cellule MOOC de l’UNIGE. Les apprenants, de leur côté, évaluent le contenu du MOOC depuis son ouverture en mars 2017 dont le résultat est rendu accessible via les résultats d’analytics Coursera. De manière informelle, ils évaluent également les vidéos à l’aide de likes. Les capsules vidéo sont toutes positivement évaluées mais avec des variations – en terme de nombre de likes. Ainsi, et comme ce MOOC est conçu pour être évolutif, de nouvelles capsules vidéo vont venir l’enrichir afin de remplacer les vidéos le moins positivement évaluées.
Évaluer la qualité d’un MOOC
Les critères utilisés lors de la conception sont là pour la guider alors que les critères utilisés lors de son utilisation sont là pour revoir la conception et améliorer le dispositif. Si par exemple, durant la formation, les statistiques à une question d’un QCM sont mauvaises, l’équipe va la réévaluer afin de prendre les dispositions nécessaires (par ex. préciser, ajouter des ressources, remplacer la question). Ce genre de régulation du contenu, lorsqu’il est confronté à l’utilisation du public cible à échelle réelle, reste nécessaire malgré les tests et l’adoption de critères qualité en amont. Les likes sont purement indicatifs mais alimentent la réflexion des concepteurs : pour quelles raisons cette vidéo a-t-elle recueilli autant de likes ? Serait-ce le genre de la vidéo ? Serait-ce au niveau de la scénarisation qu’une articulation spéciale a été mise en place entre la capsule vidéo et le dispositif ? etc. Évidemment ces questions se posent aussi par rapport aux vidéos qui ont été moins appréciées et alimentent la réflexion et, finalement, la prise de décision pour l’édition suivante du MOOC.
Pour terminer la description du Mooc Global Health at the Human-Animal-Ecosystem Interface, une activité présentielle de type hackathon a été organisée à Genève pour relever des défis en lien avec la santé globale. Cet évènement a rassemblé des apprenants ayant suivi soit ce MOOC soit un MOOC complémentaire sur One Health produit par le Swiss Tropical and Public Health Institute de l’université de Bâle. Pour candidater, les apprenants étaient invités à réaliser une courte capsule vidéo présentant un problème de santé globale et des propositions pour le résoudre. Durant une semaine, les douze participants sélectionnés ont ainsi pu affiner leur propre projet et en finaliser quatre de manière collaborative, avec l’aide d’experts d’horizons divers (informaticiens, médecins, vétérinaires, etc.)||https://www.youtube.com/watch?v=SRUCN3Ad7Ws&t=3s]]. Le MOOC, via son hackathon présentiel, se transforme ainsi en passerelle pour lancer de la recherche de type MOOR (Massive Open Online Research).
La formation des enseignants concepteurs
Pour conclure notre propos, nous aimerions reprendre un point de vue défendu par Dillenbourg (2017) : les MOOC ont pour mérite de questionner l’enseignement – la pédagogie et la technologie. Aider les enseignants à effectuer la transition du présentiel au distanciel massif et les soutenir dans la transformation du cours sans altérer la nature de l’acte éducatif est incontournable. Considéré comme un discours en mouvement perpétuel ( par ex. Laurillard, 2002), en interaction avec le public d’apprenants mais privé du dialogue en temps réel, il s’agit de mettre en place des structures créatives pour permettre à ce dialogue d’avoir lieu sous d’autres formes (par ex. forum, activités, journaux réflexifs, prises de notes collaboratives, capsules vidéo, cartes mentales, résumés). Il est en effet essentiel pour les enseignants d’avoir un retour sur la situation des apprenants pour pouvoir réguler leur enseignement de manière dynamique et proactive (par ex. ressources complémentaires, discussion, feedback). Une formation des enseignants concepteurs au design pédagogique intégrée à une formation aux médias et à leurs affordances ne permettrait-elle pas de mieux les outiller ? Pour appréhender les enjeux mis en évidence par le media debate, c’est dans cette direction que proposent d’aller Koehler et Mishra (2009) avec le cadre techno-pédagogique et de contenu – TPACK [6], que nous utilisons à plus petite échelle (par ex. Class et Lombard, 2017). Nous pouvons ajouter un corolaire à cette question : le fait d’apprendre à distance, en tant qu’enseignant, contribue probablement à mieux appréhender les enjeux de cette modalité et à agir en conséquence dans le design, l’enaction (Durand, 2006) et l’évaluation d’une formation. De ce fait, avant d’enseigner à distance, ne devrait-on pas encourager les futurs concepteurs de MOOC à expérimenter le statut d’apprenant à distance pour développer les compétences nécessaires à ce nouveau rôle et ainsi pouvoir mieux faire face à sa complexité, notamment en termes de dialectique média-pédagogie ( par ex. littéracie numérique, Schneider, 2017) ?
Cette modalité de formation « par immersion » est utilisée depuis 1994 à TECFA. Peraya et Peltier (2012) décrivent trois formes de médiation (épistémique, posturale et praxéologique) développées dans une formation de première année de baccalauréat universitaire. Les auteurs y expliquent les choix effectués par TECFA pour enseigner les technologies avec les technologies, de manière immersive et située (p. 113-114). Peraya, Depover et Jaillet (2013) rapportent également ces aspects dans le cadre de la maîtrise ACREDITE [7] en expliquant que, pour les participants diplômés qui deviennent tuteurs au sein du dispositif, cette formation constitue un double développement professionnel par immersion : en tant que concepteur et en tant que tuteur (p. 95-96). Pour donner un dernier exemple se situant au niveau de la formation continue, Peraya et Benetos (2014, p. 116) décrivent le certificat d’études avancées Conception et développement de projets e-learning [8] en soulignant l’importance de former aux technologies par une approche immersive et authentique (Herrington, Reeves et Oliver, 2014) afin que les participants puissent développer leur projet professionnel en capitalisant sur les aspects pédagogiques et technologiques.
Bibliographie
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Pour citer cet article
Référence électronique
Barbara Class, « Changement de focus : de la capsule vidéo à une conception pédagogique intégrée », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 20 | 2017, mis en ligne le 19 décembre 2017, consulté le 12 janvier 2018. URL : http://journals.openedition.org/dms/2023
Auteur
Barbara Class
TECFA
Université de Genève
40, bd du Pont d’Arve
1211 Genève 4
Barbara.Class@unige.ch
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