La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) se définit comme la contribution de celles-ci au développement durable dans une recherche de performance globale à la fois économique, sociale et environnementale.
Elle interroge les modalités de création de valeur partagée entre différentes parties prenantes. Autrefois considérée en marge de la mission des grandes écoles de management françaises, la RSE retrouve aujourd’hui ses lettres de noblesse.
Elle incarne désormais un levier d’innovation et de croissance mais aussi une composante intrinsèque de la mission de ces organisations à travers la formation de « managers responsables ».
La RSE, un objet de désamour pour les grandes écoles de management
Avant les années 2000, il n’était pas évident a priori pour les grandes écoles de management françaises de reconnaître l’intérêt de s’impliquer dans une démarche de RSE. Engagées dans une mission sociétale, « l’éducation », ces organisations n’étaient pas incitées à faire la preuve de leur contribution au développement durable, ni même à communiquer explicitement sur leur plus-value sociale et leurs dynamiques partenariales (Gioia et Corley, 2002). Elles étaient plutôt attendues sur des critères tels le niveau de sélectivité à l’entrée, l’employabilité et le taux de rémunération de leurs diplômés.
En effet, la RSE concernait principalement les grandes entreprises privées (notamment suite à la Loi de nouvelles régulations économiques de 2001) et des interrogations subsistaient sur le bien-fondé et la manière de traduire la RSE dans les pratiques du quotidien des grandes écoles (curriculum, structures, management, etc.). Elles ont pu alors considérer la RSE comme un volet périphérique de leurs activités, sans véritable lien avec leurs activités stratégiques et leur mission (Boyle, 2004).
La RSE, une intégration stratégique entre pressions concurrentielles et sociétales
Sous l’influence de la mondialisation et suite au désengagement des financements publics, les grandes écoles de management françaises ont changé de statut : considérées auparavant comme des institutions académiques financées par les Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI), elles sont devenues des Entreprises cherchant à combiner des logiques économique et sociale.
Le mouvement de fusion et acquisition de ces dernières années, leur prise d’indépendance avec les CCI et le recours aux fonds privés qui a conduit certaines à devenir des Sociétés Anonymes justifient largement le qualificatif de « marché des Business Schools » (Dameron et Durand, 2013).
Ce marché se caractérise par une bataille concurrentielle intense qui s’est fortement globalisée, avec une orientation très forte vers la performance et la réputation sous l’influence de la course aux accréditations (Lejeune et coll., 2015). Cette orientation se manifeste par l’importance accordée aux pratiques de benchmark communiquées à toutes les parties prenantes par la publication de classements nationaux, européens et globaux (l’Étudiant, le Financial Times, le classement de Shanghaï…).
Sur le plan sociétal, les grandes écoles de management ont dû affronter la pression des critiques de leurs parties prenantes et du monde académique ce qui a permis la prise de conscience de leur responsabilité sociale et des conséquences de leurs activités sur la société (Gardiner et Lacy, 2005).
Aux États-Unis, la majorité des critiques portent sur leur responsabilité dans les diverses crises économiques et financières au travers du rôle joué par les managers qu’elles ont formés, remettant ainsi en question la validité et l’éthique des enseignements en management qu’elles créent et dispensent.
En France, il s’agit plutôt de critiques portant sur la clôture sociale et la réplicabilité des élites managériales que les grandes écoles de management favoriseraient du fait du système élitiste des concours d’entrée et du montant élevé de leurs frais de scolarité (Van Zanten, 2010).
Au final, sous l’influence croissante de pressions concurrentielles, sociétales et institutionnelles, les grandes écoles de management ont progressivement intégré la RSE au cœur de leur stratégie.
La RSE, levier d’innovation et de croissance pour les grandes écoles de management
Ainsi, dans l’environnement turbulent et hautement concurrentiel au sein duquel s’inscrivent les grandes écoles de management, la RSE représente désormais un levier non négligeable de croissance. En effet, la RSE peut conduire à accroître l’avantage concurrentiel des grandes écoles de management et notamment pour les écoles qualifiées de « milieu de tableau » cherchant un positionnement spécifique afin de mettre en place des stratégies de différenciation.
La RSE représente aussi un vrai levier d’innovation managériale, à la fois organisationnelle et pédagogique (Friga et coll., 2003).
De la même manière, la RSE peut directement contribuer à améliorer l’image et la réputation des grandes écoles de management (Gioia et Corley, 2002), notamment lorsque celles-ci cherchent à attirer des partenaires – entreprises ou associations – partageant les mêmes valeurs ou à recruter les meilleurs talents, personnels administratifs ou enseignants dans leurs corps.
La RSE contribue ainsi à (re) valoriser la mission citoyenne de ces organisations et à replacer leur engagement au cœur de la cité.
La RSE, au cœur de la mission d’éducation des grandes écoles de management
La RSE s’inscrit également plus largement au cœur de la mission d’éducation des grandes écoles : leur finalité, ne l’oublions pas, est de former des managers responsables capables de s’emparer dans leurs postes de problématiques sociales et environnementales.
Ces grandes écoles se voient désormais conférer une utilité sociale ancrée dans leur mission : celle de former les futurs managers ainsi que de produire et diffuser de la connaissance en management (Pfeffer et Fong, 2004).
Cela semble d’autant plus nécessaire que la prise en compte de la RSE au cœur de la mission éducative est aujourd’hui une demande forte de la part des entreprises. Notamment, les grandes écoles de management ont un rôle central à jouer pour refaçonner et orienter les discours et les pratiques des futurs managers, notamment pour bâtir un management et des organisations alternatives à la hauteur des enjeux économiques, sociaux et environnementaux contemporains (Cabantous et coll., 2016).
Les grandes écoles de management françaises opèrent sur un secteur très concurrentiel avec de forts enjeux en termes de réputation et de stratégie de différenciation, tout en faisant face aux critiques liées à leur rôle.
Ces enjeux et critiques sont exacerbés par la présence de nombreuses parties prenantes sensibles à leur réputation et à leurs engagements sociétaux, mais aussi par leurs modes de financement et le fait que leur démarche RSE n’est que très peu, voire pas du tout, prise en compte dans les rankings.
Ces organisations doivent désormais manager des objectifs concurrentiels de marché, d’une part, et sociétaux, d’autre part. Cette situation représente un défi complexe puisque ces objectifs peuvent être potentiellement en tension.
C’est aussi une formidable opportunité dès lors que ces tensions sont considérées comme des voies d’exploration permettant de renouveler leurs modes de fonctionnement et leurs pratiques d’éducation.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |