L’enseignement supérieur a toujours revêtu une dimension internationale. Cependant, un nouveau pas semble avoir été franchi à la fin des années 1990. Outre l’accroissement des mobilités étudiantes, une carte globale de l’université émerge, avec de nouveaux acteurs, publics comme privés, alors que les systèmes nationaux subissent des processus de polarisation et de hiérarchisation.
En France, cette globalisation de l’enseignement supérieur est d’abord européenne et a commencé avec le processus de Bologne, lancé en 1998, ayant pour but de faire de l’espace européen de l’enseignement supérieur, un système « d’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». C’est donc d’une globalisation économique qu’il s’agit, dont un des aspects les plus visibles est la hausse et la financiarisation des frais d’inscription.
Le développement de la dimension européenne et l’internationalisation de l’enseignement supérieur français constituent l’un des axes stratégiques du rapport de la StraNES (stratégie nationale de l’enseignement supérieur, 2015). Néanmoins, on constate que les stratégies mises en place, ainsi que les effets qu’elles produisent, sont rarement questionnés.
Une concurrence accrue entre établissements
La globalisation de l’enseignement supérieur conduit en effet à une concurrence accrue entre établissements et à une participation toujours plus grande des acteurs privés, qu’il s’agisse du financement du système (par les familles) ou de la poursuite de la massification de l’accès au supérieur, aujourd’hui largement pris en charge par les établissements privés (voir Casta, 2015).
Dans cette perspective, les thèses du New Public Management se diffusent progressivement au nom de l’efficience supposée des mécanismes de marché (Laval et coll., 2011 ; Papadopoulos, 2011). Le développement de la sélection et celui des frais d’inscription accompagnent le présupposé selon lequel chaque étudiant est avant tout l’entrepreneur de son devenir professionnel, investisseur dans son capital humain individuel (Moulin, 2014) mû par sa seule volonté de vouloir percevoir un salaire plus élevé demain (Becker, 1964).
Des conséquences stratégiques lourdes
Dans le même temps, la concurrence induit une évolution des stratégies d’acteurs et une stratification de l’offre éducative. En France, cela se traduit notamment par une autonomie croissante des universités (Musselin, 2001, 2017) et une diversification des diplômes (loi ORE de 2018).
Cette mise en marché de l’enseignement supérieur est visible non seulement à travers le développement de la sélection, des frais d’inscription, de la concurrence entre établissements et l’accroissement des moyens et acteurs privés, mais aussi à travers l’internationalisation de l’enseignement supérieur. Ce dernier élément se matérialise par l’essor de stratégies visant à attirer les bons étudiants étrangers ainsi que le développement d’activités d’enseignement à l’étranger.
Un marché mondial de la connaissance
Toutes ces transformations, combinées aux tendances contemporaines du capitalisme, ont conduit à l’émergence d’un marché global de l’enseignement supérieur et de la connaissance : augmentation des frais de scolarité (Flacher et coll., 2013 ; ACIDES, 2015), augmentation vertigineuse de la dette des étudiants (Delapierre, 2012), nouvelle gestion publique du corps professoral et des critères quantitatifs d’évaluation (Paradeise, 2011), des appels à la concurrence pour les subventions (Gozlan, 2016) ne sont que quelques-uns des changements qui diluent les frontières entre le monde universitaire et le monde marchand.
Même si ces changements ne se traduisent pas directement par la privatisation des universités, dans cette université globale, le savoir est de plus en plus échangé en tant que marchandise (Paradeise, 2012).
La constitution d’un marché de l’enseignement (Dupriez et Dumay, 2012 ; Felouzis, Maroy et van Zanten, 2013) n’est pas sans poser un certain nombre de questions. Parmi celles-ci, il y a la question des publics et des établissements qui prennent part à cette évolution de l’enseignement supérieur.
Un des potentiels effets inégalitaires de la globalisation est qu’elle ne permet de mobilités que pour certains étudiants, malgré les politiques mises en œuvre dans quelques pays. De la même manière, quels sont les effets sur la structuration nationale des systèmes d’enseignement supérieur de l’insertion dans la globalisation de certains établissements ?
Classement et jugements quantitatifs
À titre d’exemple, Gardner (« A Top 10 University System for Australia », RMIT Vice Chancellor’s speech, 2008) montre que dans le cas australien, en cherchant à faire gagner des places aux meilleures universités dans les classements internationaux, on laisse de côté 94 % des étudiants, scolarisés dans des établissements moins prestigieux. Les classements, comme les dispositifs d’évaluation ne tiennent par ailleurs quasiment compte que des activités de recherche (Espeland et Sauder, 2007).
La représentation quantitative de l’univers académique imposée par ces classements induit-elle une évolution des stratégies des acteurs ? Par ailleurs, comment vont se restructurer les pôles de recherche et de formation pour jouer le jeu de la concurrence ? Qui sont les gagnants et les perdants de cette course effrénée ? La focale peut être portée au niveau macro : Hazelkorn (2015) souligne ainsi que la globalisation par les classements peut potentiellement produire des établissements d’excellence (du point de vue des classements) mais que ce n’est pas le cas à l’échelle des systèmes nationaux. Autant de questions qui restent ouvertes à la recherche et au croisement des perspectives.
Cet article a été co-écrit avec Leïla Frouillou (Université Paris Nanterre). Un colloque international de deux jours permettra à de nombreux acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, chercheurs mais aussi présidents d’université et responsables politiques ou syndicaux, d’échanger sur ces sujets à l’Université Paris Descartes les 29 et 30 mai.
Hugo Harari-Kermadec a reçu des financements de la MSH Paris Saclay et de l’IFRIS. Il est membre de collectif de recherche ACIDES.
Léonard Moulin a reçu des financements de l’IFRIS. Il est membre du collectif de recherche ACIDES et des économistes atterrés.
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